L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE III – À SAINT-LAZARE

Dans le parloir de l’antique prison, SimoneGarsonnet était en conférence avec Me Montrousseau, etun jeune homme de haute stature et de fière mine que le maître dubarreau avait présenté comme son secrétaire.

Ce prétendu secrétaire n’était autre que ToddMarvel.

Le milliardaire regardait avec une sincèrepitié cette jeune fille, vêtue de noir, et dont le visage amaigripar les soucis et les tortures de tout genre qu’elle avait enduréspendant son emprisonnement, exprimait une résignation et unetristesse infinies.

Ses mains étaient diaphanes comme de lacire ; à ses regards éteints, à son douloureux sourire, leplus indifférent aurait compris que la jeune fille avait perdu toutespoir.

Aux premières paroles d’encouragement queprononça l’avocat, elle secoua la tête mélancoliquement.

– Je vous suis reconnaissante de votrebienveillance, murmura-t-elle, de la pitié que vous me témoignez,tout en me croyant coupable, mais que puis-je espérer ?

– La situation est quelque peu changée,mademoiselle, répondit l’avocat d’un ton plus cordial, que lors deses précédentes visites. Vous avez, depuis quelques jours, unpuissant allié qui s’est juré de faire éclater votre innocence.

Une lueur d’émotion passa dans les beaux yeuxde la prévenue.

– Moi-même, ajouta Todd Marvel, undétective américain, qui sans fausse modestie, a en maintesoccasions débrouillé des énigmes plus compliquées que celle de lamort de votre oncle.

– M. Todd Marvel, le célèbredétective milliardaire ! murmura l’avocat avec un profondrespect.

– Je crains, monsieur, répondit Simone ens’inclinant, que vous vous soyez imposé là une tâche bien ardue. Jesuis infiniment touchée de votre initiative, mais je vous avoue queje me demande ce qui a pu vous donner l’idée de vous intéresser àune pauvre fille comme moi.

– Je suis un ami de votre père, répondittranquillement le détective, et je puis vous dire que, dèsmaintenant, j’ai découvert certains faits qui peuvent faire prendreà l’instruction une tout autre allure.

– C’est l’exacte vérité, fitMe Montrousseau d’un air admiratif ; aussi je vousconseille, mademoiselle, de ne rien nous cacher de ce qui pourraitfaciliter notre tâche.

– Voulez-vous me permettre de vous poserquelques questions ? demanda Todd Marvel de cette voixprofondément persuasive et prenante qui était un des dons de sonmerveilleux tempérament.

– Je tâcherai, balbutia Simone enrougissant, mais je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce que voussavez déjà.

« J’ai quitté mon malheureux oncle versneuf heures et quart à la suite d’une discussion ; je suissortie par la petite porte du parc, et de là j’ai gagné à pied lagare où j’ai pris le train de dix heures pour Paris.

– Vous n’avez rencontré personne en vousrendant à la gare ?

– Personne ! À dix minutes de lamaison de mon oncle, j’ai failli être écrasée par une auto quioccupait presque toute la largeur du chemin creux, et qui avançaità grande allure, tous phares éteints.

« Cette auto semblait venir de Paris, etse diriger vers la maison de mon oncle.

– Vous n’avez pas vu de façon à pouvoirles reconnaître les gens qui étaient dans la voiture, ni lechauffeur qui la conduisait ?

– J’étais bien trop occupée à me garer,tout ce que je puis dire, c’est que le chauffeur était un homme dehaute taille, avec une barbe d’un rouge ardent.

– Voilà qui est intéressant, dit ToddMarvel, en prenant une note. Puis-je savoir maintenant quel étaitle sujet de cette violente discussion qui a motivé votredépart.

– Il serait inutile d’en faire mystère.Mon pauvre oncle et moi nous ne nous sommes jamais chicanés quepour la même raison ; il voulait me donner un mari ! Ilm’a d’abord proposé un riche propriétaire de Châtenay, puis sonpropre notaire, puis le premier clerc de celui-ci ; enfin, cesderniers temps, son banquier, M. Brysgaloff.

« Je dois d’ailleurs déclarer que tousces prétendants se sont montrés parfaitement corrects, et que jen’ai absolument rien à dire contre eux. M. Brysgaloff, enparticulier, était rempli de prévenances et j’ai dû presque mefâcher pour l’empêcher de me combler de cadeaux.

– Vous n’avez de soupçons contre aucund’entre eux ?

– Aucun !

– Un des grands arguments du juged’instruction, c’est que vous n’êtes rentrée chez votre père quepar le dernier train de nuit, c’est-à-dire vers une heure et demiedu matin. Vous dites être sortie de chez votre oncle à neuf heureset quart. Vous auriez pu regagner la maison paternelle deux heuresplus tôt.

« Qu’avez-vous fait pendant ces deuxheures ?

« La mort de M. Baudreuil d’aprèsles médecins aurait eu lieu vers dix heures trente. Le juge émetl’hypothèse que vous auriez pu sortir de la gare après avoir prisun billet ou descendre à la station d’après Châtenay et dans lesdeux cas revenir sur vos pas pour commettre le crime, mettre votrebutin en sûreté, et reprendre ensuite à Châtenay le train d’onzeheures dix.

– Oui ! reprit l’avocat avecinsistance, dites-nous ce que vous avez fait pendant ces deuxheures, et toute l’accusation s’écroule !

Le visage de Simone s’empourpra, mais ellerépondit d’une voix ferme :

– Il m’est impossible de vous ledire !

« D’ailleurs, ajouta-t-elle, pourquoiaurais-je attenté à la vie de mon pauvre oncle ? N’étais-jepas son unique héritière ? On a retrouvé le testament.

– Le juge dit, reprit l’avocat, que votreoncle allait en faire un autre, que vous craigniez même qu’il n’eneût fait un autre…

Simone demeura silencieuse, et il futimpossible de la tirer de son mutisme. Todd Marvel s’était levépour prendre congé.

– Au revoir, mademoiselle, dit-il avec unénigmatique sourire. Je crois que nous vous sauverons quand même,et malgré vous…

En regagnant son auto, qu’il avait laissée àquelque distance de la prison, Todd Marvel eut la surprise de voirFloridor attablé dans un bar d’aspect assez louche, en compagnied’un individu, auquel sa casquette posée sur le coin de l’oreille,ses moustaches noires prétentieusement frisées, et les nombreusesbagues qui ornaient ses doigts, donnaient une allure des pluséquivoques.

– Voilà, se dit le milliardaire, monbrave Canadien en grande conférence avec un souteneur de la pireespèce ; ce n’est pas le moment de le déranger, il fait sansdoute d’utile besogne.

Et il remonta dans sa voiture en compagnie deson avocat, laissant Floridor poursuivre avec son nouvel ami unentretien qui paraissait confidentiel.

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