L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE IV – L’AUBERGE DU TAUREAUROUGE

En arrivant à Harrisburg, l’auto de ToddMarvel conduite par Floridor avait stoppé juste en face d’un petitbâtiment carré situé sur la grande place et que les habitants de laville appelaient orgueilleusement le musée.

Ce musée ne renfermait d’ailleurs ni tableauxni statues, mais on y admirait un bison et un ours gris empaillés,une collection très complète d’échantillons minéralogiques, desherbiers renfermant des spécimens de toutes les plantes et de tousles arbres du Wyoming, enfin des photographies de tous les sites dela région.

Quoiqu’il fît déjà nuit, Todd Marvel ne se fitaucun scrupule d’aller relancer chez lui le conservateur du musée,un ancien cow-boy qu’il intéressa tout de suite à ses projets etauquel il décrivit minutieusement la grande forêt de sapins etl’Auberge du Taureau Rouge.

– Je sais, dit le milliardaire, que vousconnaissez admirablement la région. Il faut que vous me disiez oùse trouvent cette auberge et cette forêt.

« Ce ne doit pas être loin d’ici. Si j’enjuge par le peu de temps qu’ont mis les bandits à transporter lesdeux prisonnières de Chicago jusqu’à leur repaire.

– C’est bien volontiers que je vousaiderai, répondit le vieillard. Ici tout le monde est indigné desagissements de ce bandit d’Ary Morlan. Laissez-moi chercher dansmes souvenirs et je vous dirai peut-être où se trouve l’Aubergedu Taureau Rouge.

« Je puis déjà vous apprendre une chose,c’est qu’elle est certainement située dans cette partie de Wyomingque l’on appelle la réserve, et où le gouvernement a défendud’abattre les arbres.

– Je n’en suis pas beaucoup plus avancé.La réserve couvre un territoire très étendu.

– Attendez, nous allons aller au muséeexaminer les albums de photographies. Ce sera bien le diable sinous ne retrouvons pas l’auberge et la forêt de sapins.

Le conservateur prit ses clefs et conduisitTodd Marvel dans la salle du musée. Tous les objets y étaientrecouverts d’une épaisse poussière qui attestait éloquemment lapénurie de visiteurs et l’abandon à peu près complet dans lequelétait laissé cet édifice public.

Les albums furent tirés de leurs casiers, et,au bout d’un quart d’heure de recherches, le milliardaire eut lasatisfaction de découvrir une vue du bois de sapins et del’auberge, telle qu’elle lui était apparue dans le miroirélectrique.

Le conservateur connaissait parfaitementl’endroit.

– C’est un véritable désert,expliqua-t-il. Il y a une dizaine d’années, on avait découvert dece côté un gisement de pétrole. C’est alors que fut construitel’auberge et le grand bâtiment qui y est annexé et qui était alorshabité par l’ingénieur et ses employés.

« La poche pétrolifère fut épuisée en sixmois ; les mineurs s’en allèrent, l’auberge ferma ses portes,faute de clients, et la région retourna à sa solitude. L’endroitest on ne peut mieux choisi pour servir de repaire à des voleurs degrand chemin.

– Est-ce loin d’ici ? demanda ToddMarvel impatiemment.

– À une trentaine de milles. Je vais vousprêter ma carte forestière ; de cette façon vous n’aurezbesoin de demander aucun renseignement à personne.

Cette offre fut acceptée avec empressement etle milliardaire remonta dans l’auto où se trouvaient déjà Floridor,le vieil Hopkins et un robuste cow-boy.

Pour diverses raisons, dont la principaleétait de ne pas perdre de temps, le milliardaire avait jugé inutilede prévenir la police. Il supposait d’ailleurs, avec assez devraisemblance, que les complices de l’Hindou, ne devaient pas êtrenombreux. Enfin, il comptait beaucoup sur la surprise que causeraitaux bandits son arrivée inattendue.

L’expédition commençait sous les plus heureuxauspices. La route qui part de Harrisburg avait été récemmentgoudronnée. Floridor, qui, en tant que chauffeur était un véritablevirtuose, menait la voiture d’un train d’enfer. Les trente millesqui séparaient l’Auberge du Taureau Rouge de la villefurent franchies en quatrième vitesse, sans ralentissement.

Les rares véhicules que l’on rencontrait serangeaient précipitamment devant ce bolide aux phareséblouissants.

On filait vertigineusement sous les arceaux dela grande forêt lorsque tout à coup les phares s’éteignirent. On setrouva en pleines ténèbres. En même temps la vitesse de l’auto seralentit.

– Que se passe-t-il donc, demanda ToddMarvel.

– Nous sommes arrivés.

– Déjà ?

– Mais oui ! Vous pouvez voir d’iciles fenêtres de l’auberge presque toutes éclairées. Je viens deconsulter ma carte forestière, il n’y a pas d’erreur possible. Noussommes parvenus au but de notre voyage.

La voiture fut cachée dans un épaisfourré ; puis l’on tint conseil.

– Voilà ce que je propose, dit Floridor.Je vais aller hardiment demander l’hospitalité à nos ennemis, enoffrant de payer, bien entendu. Nous verrons bien ce qu’ils feront.S’ils refusent de me recevoir nous essayerons d’autre chose…

– Admettons qu’ils t’acceptent, dit ToddMarvel.

– Dans ce cas c’est bien simple. Je melaisserai conduire dans la chambre qui me sera désignée et dès quej’y aurai pénétré, je vous ferai connaître par un signal en quelendroit je me trouve.

« J’ai ma lampe électrique, jel’entourerai de ma ceinture de flanelle rouge ce qui produira unéclairage facile à distinguer, des autres lumières de lamaison.

– Et alors ?

– Quand vous saurez où je suis – jetâcherai que ce soit autant que possible au premier étage, – vousvous approcherez avec précaution et quand la maison sera plongéedans le sommeil je vous jetterai ma ceinture pour vous permettred’escalader l’appui de la fenêtre.

– Je ne suis pas en état d’exécuter desacrobaties pareilles, grommela le vieil Hopkins d’un airmécontent.

– Alors vous resterez en observation, enbas de la fenêtre.

– Le plan de notre ami Floridor, dit ToddMarvel, n’est pas plus mauvais qu’un autre. Je n’y ferai qu’uneseule objection : si les bandits d’Ary Morlan se jettent surlui dès qu’il aura franchi le seuil de la porte, commentpourrons-nous venir à son secours ?

– Cette éventualité n’est pas à craindre,répondit le Canadien avec un grand sang-froid. Quand un homme qui ales poings aussi solides que moi entre dans n’importe quel endroit,avec un bon browning à la ceinture, le premier sentiment qu’ilinspire est généralement un certain respect.

« D’ailleurs, je connais les Hindous. Ilsn’aiment pas agir ouvertement. Leur esprit est tout naturellementtourné vers les choses compliquées.

« Je parierai tout ce qu’on voudra qu’ilsme feront bon accueil, quitte à m’attaquer dans le courant de lanuit, quand ils me croiront endormi.

– Eh bien, soit, décida le milliardaire,agis à ta guise, d’ailleurs nous ne serons pas loin. Si les chosesne marchaient pas comme tu l’espères n’hésite pas à nousappeler.

Floridor se dirigea vers l’auberge pendant queses compagnons le suivaient de loin, en étouffant le bruit de leurspas.

D’ailleurs le programme du Canadien se réalisade point en point, au moins dans sa première partie.

Il pénétra sans obstacles dans la salle durez-de-chaussée qui de ce côté du bâtiment, était de plain-piedavec la route. La pièce nue et vide n’était éclairée que par unelampe à pétrole qui jetait une lumière fumeuse et terne ; deuxhommes au teint basané étaient assis près de la cheminée et sechauffaient à un feu de pommes de pin. Soit par calcul, soit parindifférence, ils se dérangèrent à peine en voyant entrerFloridor.

Le Canadien raconta qu’il s’était égaré, qu’ilavait faim, qu’il était fatigué, en ajoutant qu’il paierait un prixraisonnable si on voulait lui accorder l’hospitalité.

– Ce n’est pas ici un restaurant,répondit un des hommes. En guise de souper, je n’ai pas autre choseà vous offrir qu’un gobelet de whisky. Mais il y a une chambrelibre au premier étage, je vais vous y conduire.

– J’accepte, combien meprendrez-vous ?

– Rien, murmura l’homme qui semblaitavoir ses raisons pour ne pas entrer en conversation avec cet hôteinconnu.

La chambre où celui-ci fut conduit, était unepièce étroite et haute, bâtie comme le restant de la maison, avecdes troncs d’arbres à peine équarris ; elle était meublée d’unvieux lit de bois et d’une table vermoulue, et elle devait êtreinhabitée depuis longtemps à en juger par la poussière qui couvraitle sol et par les nombreuses toiles d’araignées qui se trouvaientdans les angles de la pièce.

Quand son hôte se fut retiré, après lui avoirsouhaité le bonsoir, Floridor l’entendit qui refermaitsoigneusement la porte à clef.

Il n’attacha pas une grande importance à cedétail.

Il était naturel que dans une contrée déserteet infestée de voleurs de grand chemin, on prît quelquesprécautions contre un inconnu.

D’ailleurs il se dit que la porte n’était pasassez solide pour résister à un coup d’épaule, il en serait quittepour l’enfoncer quand il lui plairait de sortir.

Resté seul, il détacha la longue ceinture delaine rouge qu’il portait autour des reins, puis il l’accrochadevant la fenêtre. Ensuite il alluma sa lampe électrique, commecela avait été convenu.

Auparavant il avait eu soin de s’assurer, ense penchant en dehors de la fenêtre, que son signal ne pourraitêtre vu d’aucun des habitants de l’auberge, dont la façade, de cecôté, était plongée dans les ténèbres.

Après avoir laissé sa lampe allumée un tempssuffisant, pour que sa lueur pût être aperçue par ses amis, ill’éteignit, ouvrit la fenêtre, en détacha la ceinture qu’il nouasolidement par une de ses extrémités à la barre d’appui.

Un certain temps s’était écoulé lorsque àl’extérieur, la clef grinça dans la serrure. Un homme entra.

Rapidement, Floridor, ne sachant à qui ilavait affaire, s’était glissé sous le lit, et avait pris en mainson revolver pour être prêt à tout événement.

À sa grande surprise, il constata que lenouveau venu s’avançait en titubant, comme s’il eût étécomplètement ivre et se cognait aux murailles et aux meubles dansl’obscurité.

Finalement, il se hissa sur le lit avec depénibles efforts et y demeura étendu.

Le Canadien se préparait à sortir de sacachette lorsqu’il entendit de nouveau fourrager dans la serrure,et un second inconnu se glissa dans la chambre. D’ailleurs,celui-là n’avait aucune des façons du précédent, il s’avançait sansbruit en étouffant soigneusement le bruit de ses pas.

Il s’approcha du lit, se pencha vers l’hommeendormi, dont la respiration égale dénotait un profond sommeil, ettout d’un coup il leva sur lui un long poignard et se mit à lefrapper avec rage.

Le Canadien jugea qu’il était de son devoird’intervenir, il rampa tout doucement hors de sa cachette, puis aumoment où l’assassin s’y attendait le moins, il le saisit par lespieds et le renversa.

Une lutte terrible s’engagea dans lesténèbres.

Floridor était de beaucoup le plus vigoureux,mais il était moins agile que son adversaire qui glissait entre sesdoigts comme une couleuvre, tout en le lardant de coups decouteau.

Ce qui donnait à ce corps à corps en pleinesténèbres un caractère d’atrocité et d’horreur c’est qu’aucun desdeux adversaires n’avait prononcé une parole. Ils se battaientsauvagement dans le plus profond silence.

Finalement, le Canadien glissa dans une marede sang tiède qui avait coulé du lit où reposait l’homme assassinéet son adversaire lui mit un genou sur la poitrine.

Il se débattait désespérément, mais son ennemipesait sur lui de tout son poids et cherchait à quel endroit il lefrapperait avec le khandjar, à lame courbée, qu’il brandissaitau-dessus de lui.

À ce moment la lune se dégagea d’entre lesnuages et un de ses rayons vint frapper le visage de l’homme quiavait terrassé Floridor.

Celui-ci reconnut Ary Morlan.

Le visage de l’Hindou dont les prunellescouleur d’or luisaient dans la pénombre était contracté par uneeffroyable expression de haine et de mépris.

Il murmura quelques mots que Floridor necomprit pas, et il leva son arme pour le frapper.

Mais avant que la lame eût eu le temps des’abaisser, une poigne de fer avait saisi le bras d’Ary Morlan etl’avait forcé de lâcher son khandjar qui roula à terre.

C’était Todd Marvel qui, se hissant à l’aidede la ceinture de Floridor, venait de faire irruption dans lapièce. En un clin d’œil, l’Hindou fut mis hors d’état de nuire. Lalueur de la lampe électrique que le milliardaire avait aussitôtallumée, éclaira une scène de carnage, montrant sur le lit lecadavre de Benazy lardé de plus de vingt coups de poignard.

Comme on le sut plus tard, le misérable quiavait l’habitude de fumer de l’opium ne s’était plus souvenu dansson ivresse que la chambre du premier étage avait été donnée àFloridor, et Ary Morlan avait assassiné son complice le plusdévoué, en croyant tuer le Canadien. Sans plus s’occuper del’Hindou, qui avait été solidement garrotté, Todd Marvel, etFloridor, qui n’était que légèrement blessé, fouillèrent l’aubergede la cave au grenier.

Il importait de retrouver les deux jeunesfilles avant que les complices d’Ary Morlan n’eussent eu l’idée dese livrer à quelque violence sur leur personne.

Ces craintes heureusement étaient vaines. MissElsie et Miss Gladys furent retrouvées saines et sauves dans lachambre du troisième étage, où était installé le miroirélectrique.

On découvrit également dans une cave jonchéede paille à demi pourrie, le chauffeur Peter David et la fidèleBetty, dont les blessures n’étaient heureusement pas trèsgraves.

L’Auberge du Taureau Rouge, achetéepar Ary Morlan l’année d’auparavant, était pour ainsi dire lequartier général de ce bandit patriote.

On déterra dans les caves un coffre-fort quirenfermait la plupart des sommes dérobées à Mr. Jack Randall, enmême temps que le montant du chèque, touché par Miss Gladys à laPacific Bank, et dont Ary Morlan s’était emparé.

Todd Marvel voulait interroger l’Hindou, maisquand il retourna dans la chambre du premier étage où on l’avaitlaissé, Ary Morlan était mort, son visage était livide et sestraits déformés par les affres de l’agonie.

On supposa, que se voyant perdu, il avaittrouvé moyen d’absorber un de ces poisons foudroyants que l’ontrouve dans les Indes et qui sont encore mal connus des savantseuropéens.

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