Le Crime d’Orcival

Chapitre 25

 

Avez-vous besoin d’argent ?

Voulez-vous un habillement complet à la dernière mode, unecalèche à huit ressorts ou une paire de bottines ? Vousfaudrait-il un cachemire de l’Inde, un service de porcelaine ou unbon tableau pas cher ? Est-ce un mobilier que vous souhaitez,de noyer ou de palissandre, ou des diamants, ou des draps, ou desdentelles, ou une maison de campagne, ou votre provision de boispour l’hiver ?

Adressez-vous à Mme Charman, 136, rue Notre-Dame-de-Lorette, aupremier au-dessus de l’entresol, car elle tient tout cela et mêmed’autres articles encore qu’il est défendu de considérer commemarchandise. Si, homme, vous avez quelque garantie à lui présenter,ne fût-ce qu’un traitement saisissable, si, femme, vous êtes jeune,jolie et point farouche, Mme Charman se fera un plaisir de vousobliger à raison de deux cents pour cent d’intérêt.

À ce taux elle a beaucoup de pratiques et n’a pourtant pasencore fait fortune. C’est qu’elle est forcément très aventureuse,qu’il y a d’énormes pertes, s’il y a de prodigieux profits, et quesouvent ce qui est venu par la flûte s’en va par le tambour. Puis,ainsi qu’elle se plaît à le dire, elle est trop honnête. Et c’estvrai, au moins, qu’elle est honnête : elle vendrait sa dernièrechemise brodée plutôt que de laisser protester sa signature.

Personne, d’ailleurs, moins que Mme Charman ne ressemble à cettehorrible grosse femme à voix rauque, à geste cynique, chargée debagues et de chaînes d’or, qui est le type de la marchande à latoilette.

Elle est blonde, mince, douce, ne manque pas d’une certainedistinction et porte invariablement, été comme hiver, une robe desoie noire. Elle possède un mari, assure-t-on, mais personne jamaisne l’a vu, ce qui n’empêche pas que sa conduite est, au dire de sonportier, au-dessus du soupçon.

Si honorable cependant que soit la profession de Mme Charman,elle a eu plus d’une fois affaire à M. Lecoq, elle a besoin de luiet le craint comme le feu.

Aussi accueillit-elle l’agent de la Sûreté et son compagnon –qu’elle prit pour un collègue, bien entendu – un peu comme unsurnuméraire accueillerait son directeur venant le visiter.

Elle les attendait. À leur coup de sonnette, elle accourutau-devant d’eux jusque dans son antichambre, gracieuse,respectueuse, le sourire aux lèvres. Elle disputa à sa bonnel’honneur de les faire passer dans son salon, elle leur avança lesmeilleurs fauteuils et même leur offrit quelquesrafraîchissements.

– Je vois, chère madame, commença M. Lecoq, que vous avez reçumon petit mot.

– Oui, monsieur, ce matin de très bonne heure, j’étais mêmeencore au lit.

– Très bien. Et avez-vous été assez complaisante pour vousinquiéter de ma commission ?

– Ciel ! M. Lecoq, pouvez-vous bien me demander cela, quandvous savez que j’aimerais à passer dans le feu pour vous ! Jem’en suis occupée à l’instant même, je me suis levée toutexprès.

– Alors vous avez découvert l’adresse de Pélagie Taponnet, diteJenny Fancy.

Mme Charman crut devoir dessiner la plus gracieuse de sesrévérences.

– Oui, monsieur, oui, répondit-elle, soyez satisfait. Si j’étaisfemme à me faire valoir hors de propos, je pourrais vous dire quej’ai eu un mal infini à me procurer cette adresse, que j’ai courutout Paris, que j’ai dépensé dix francs de voitures, jementirais.

– Au fait, au fait, insista M. Lecoq.

– La vérité est que j’ai eu le plaisir de voir miss Jenny Fancyavant-hier.

– Vous plaisantez.

– Pas le moins du monde. Et même, à ce propos, laissez-moi vousdire que c’est une bien brave et bien honnête personne.

– Vraiment !

– C’est comme cela. Imaginez-vous qu’elle me devait quatre centquatre-vingt francs depuis plus de deux ans. Naturellement, commebien vous pensez, j’avais mis un P sur cette créance et je n’ysongeais plus guère. Mais voilà qu’avant-hier, ma Fancy m’arrivetoute pimpante, qui me dit : « J’ai fait un héritage, Mme Charman,j’ai de l’argent et je vous en apporte. » Et elle ne plaisantaitpas, elle avait plein son porte-monnaie de billets de banque, etj’ai été payée intégralement.

Et comme l’agent de la Sûreté se taisait, elle ajouta avec uneconviction profonde et attendrie :

– Bonne fille, va ! Digne créature !…

À cette déclaration de la marchande, M. Lecoq et le père Plantatavaient échangé un coup d’œil. La même idée leur venait à tous deuxen même temps.

Cet héritage annoncé par miss Fancy, tous ces billets de banque,ne pouvaient être que le prix d’un grand service rendu par elle àTrémorel. Cependant l’agent de la Sûreté voulut avoir desrenseignements plus positifs.

– Dans quelle position était cette fille avant cettesuccession ? demanda-t-il.

– Ah ! monsieur, dans une position affreuse, allez. Depuisque son comte l’a quittée et qu’elle a mangé son saint-frusquindans les modes, elle a été toujours en dégringolant. Une personneque j’ai vue si comme il faut, autrefois. Après cela, vous savez,quand une femme a des peines de cœur ! Tout ce qu’ellepossédait elle l’a mis au clou ou vendu loque à loque. Dans cesderniers temps elle fréquentait la plus mauvaise société, ellebuvait de l’absinthe, m’a-t-on dit, et même elle n’avait plus rienà se mettre sur le dos. Quand elle recevait de l’argent de soncomte, car il lui envoyait encore, elle le dépensait en partiesavec des femmes de rien du tout, au lieu de s’acheter de latoilette.

– Et où demeure-t-elle ?

– Tout près d’ici, dans une maison meublée de la rueVintimille.

– Cela étant, fit sévèrement M. Lecoq, je m’étonne qu’elle nesoit pas ici.

– Ce n’est pas ma faute, allez, cher monsieur, si je sais ou estle nid, j’ignore où est l’oiseau. Elle était dénichée, ce matin,lorsque ma première demoiselle est allée chez elle.

– Diable ! mais alors… c’est fort contrariant, il faudraitme la faire chercher bien vite.

– Soyez sans inquiétude. Fancy doit rentrer avant quatre heureset ma première l’attend chez son concierge avec ordre de mel’amener dès qu’elle rentrera, sans même la laisser monter à sachambre.

– Attendons-la donc.

Il y avait un quart d’heure environ, que M. Lecoq et le pèrePlantat attendaient, lorsque tout à coup Mme Charman, qui al’oreille très fine, se dressa.

– Je reconnais, dit-elle, le pas de ma première demoiselle dansl’escalier.

– Écoutez, dit M. Lecoq, puisqu’il en est ainsi, arrangez-vousde façon à ce que Fancy croie que c’est vous qui l’avez envoyéechercher ; mon ami et moi aurons l’air de nous trouver ici parle plus grand des hasards.

Mme Charman répondit par un geste d’assentiment :

– Compris ! fit-elle.

Déjà elle faisait un pas vers la porte, l’agent de la Sûreté laretint par le bras.

– Encore un mot, ajouta-t-il, dès que vous verrez laconversation engagée entre cette fille et moi, ayez doncl’obligeance d’aller surveiller vos ouvrières dans votre atelier.Ce que j’ai à dire ne vous intéressant pas du tout.

– C’est entendu, monsieur.

– Mais vous savez, pas de tricherie ; je connais, pourl’avoir utilisé, le petit cabinet de votre chambre à coucher, d’oùon ne perd pas un traître mot de ce qui se dit ici.

La première demoiselle ouvrit la porte du salon, il y eut ungrand frou-frou de robe de soie glissant le long de l’huisserie, etmiss Jenny Fancy parut dans sa gloire.

Hélas ! ce n’était plus cette fraîche et jolie Fancy quiavait aimé Hector, cette provocante Parisienne aux grands yeux,tour à tour langoureux ou enflammés, au fin minois, à la mineéveillée. Une seule année l’avait flétrie, comme un été trop chaudfane les roses, et avait sans retour détruit sa fragile beauté,beauté de Paris, beauté du diable. Elle n’avait pas vingt ans et ilfallait l’œil d’un connaisseur pour reconnaître qu’elle avait étécharmante, autrefois, quand elle était jeune.

Car elle était vieille comme le vice, ses traits fatigués et sesjoues flasques disaient les désordres de sa vie, ses yeux cerclésde bistre avaient perdu leurs grands cils et déjà rougissaient etclignotaient ; sa bouche avait une lamentable expressiond’hébétude, et l’absinthe et les refrains obscènes avaient briséles notes si claires de sa voix.

Elle était en grande toilette, avec une robe neuve, éclatante ettachée, une immense cloche de dentelle et un chapeauinvraisemblable. Pourtant elle avait l’air misérable. Enfin, elleétait outrageusement « maquillée », toute barbouillée de rouge, deblanc et de bleu, de carmin et de crème de perles.

Elle paraissait fort en colère.

– Voilà une idée ! s’écria-t-elle dès le seuil sans songerà saluer personne, cela a-t-il le sens commun de m’envoyer chercherainsi, presque de force, par une demoiselle qui est de la dernièreinsolence ?

Mais Mme Charman s’était élancée vers son ancienne cliente,l’avait embrassée bon gré mal gré, et la pressait sur son cœur.

– Comment, chère petite, disait-elle, vous vous fâchez lorsqueje comptais que vous alliez être ravie et me remercier biengentiment.

– Moi ! pourquoi ?…

– Parce que, belle mignonne, j’ai voulu vous réserver une bonnesurprise. Ah ! je ne suis pas ingrate, moi. Vous êtes venuehier régler votre petit compte, je veux aujourd’hui même vous enrécompenser. Allons, vite, souriez, vous allez profiter d’uneoccasion magnifique, j’ai en ce moment du velours en grandelargeur…

– C’était bien la peine de me déranger !…

– Tout soie, ma chère à trente francs le mètre. Hein !est-ce assez inouï, assez invraisemblable, assez…

– Eh ! je me soucie bien de votre occasion ! Duvelours au mois de juillet, vous moquez-vous de moi ?

– Laissez-moi vous le montrer.

– Jamais. On m’attend pour aller dîner à Asnières.

Elle allait se retirer en dépit des efforts très sincères de MmeCharman, qui se proposait peut-être de faire d’une pierre deuxcoups, M. Lecoq jugea qu’il était temps d’intervenir.

– Mais je ne me trompe pas, s’écria-t-il avec des mines de vieuxroquentin émoustillé, c’est bien miss Jenny Fancy que j’ai lebonheur de revoir.

Elle le toisa d’un air moitié fâché, moitié surpris, en disant:

– Oui, c’est moi ! Après ?

– Quoi ! vous êtes oublieuse à ce point ! Vous ne mereconnaissez pas ?

– Non, pas du tout.

– J’étais cependant un de vos admirateurs, ma belle enfant, etj’ai eu le plaisir de déjeuner chez vous quand vous demeuriez prèsde la Madeleine ; c’était du temps du comte.

Il retira ses lunettes, comme pour en essuyer les verres, maisen réalité pour lancer un regard furibond à Mme Charman qui,n’osant résister, battit discrètement en retraite.

– J’étais assez bien avec Trémorel autrefois, reprit M. Lecoq.Et à ce propos, y a-t-il longtemps que vous n’avez eu de sesnouvelles ?

– Je l’ai vu il y a huit jours.

– Tiens, tiens, tiens ! Alors vous connaissez son horribleaffaire.

– Non. Qu’y a-t-il donc ?

– Vrai, vous ne savez pas ? Vous ne lisez donc pas lesjournaux ? Mais c’est une abominable histoire, ma chèreenfant, et on ne parle que de cela dans Paris depuis quarante-huitheures.

– Dites vite.

– Vous savez qu’après son plongeon il a épousé la veuve d’un deses amis. On le croyait fort heureux en ménage. Pas du tout, il aassassiné sa femme à coups de couteau.

Miss Fancy pâlit sous sa couche épaisse de peinture.

– Est-ce possible balbutia-t-elle.

Elle disait : « Est-ce possible ! » mais si elle était trèsémue, à coup sûr elle n’était pas extrêmement surprise, M. Lecoq leremarqua fort bien.

– C’est si possible, répondit-il, qu’à cette heure il est enprison, qu’il passera en Cour d’assises et que très certainement ilsera condamné.

Le père Plantat observait curieusement Jenny. Il s’attendait àune explosion de désespoir, à des cris, à des pleurs, à une légèreattaque de nerfs pour le moins. Erreur.

Fancy en était venue à détester Trémorel. Parfois, elle, siimpatiente de mépris jadis, elle sentait le poids de ses hontes, etc’est Hector que, bien injustement, elle accusait de son ignominieprésente. Elle le haïssait bassement, comme haïssent les filles,lui souriant quand elle le voyait, tirant de lui le plus d’argentpossible, et lui souhaitant toutes sortes de malheurs.

Loin de fondre en larmes, Jenny Fancy eut un éclat de rirestupide.

– C’est bien fait pour Trémorel, dit-elle ; pourquoim’a-t-il quittée ; c’est bien fait pour elle aussi…

– Comment pour elle aussi ?

– Bien sûr ! Pourquoi trompait-elle son mari, un charmantgarçon ? C’est elle qui m’a enlevé Hector. Une femme mariée etriche ! Hector n’est qu’un misérable, je l’ai toujoursdit.

– Franchement, c’était aussi mon avis. Quand un homme,voyez-vous, se conduit comme Trémorel s’est conduit avec vous, ilest jugé.

– N’est-ce pas ?

– Parbleu ! Aussi ne suis-je pas surpris de sa conduite.Car, sachez-le, avoir assassiné sa femme est le moindre de sescrimes. Ne voilà-t-il pas qu’il essaye de rejeter son meurtre surun autre.

– Cela ne m’étonne pas.

– Il accuse un pauvre diable, innocent, dit-on, comme vous etmoi, et qui cependant sera peut-être condamné à mort faute depouvoir dire où il a passé la soirée et la nuit de mercredi àjeudi.

M. Lecoq avait prononcé cette phrase d’un ton léger, mais avecune lenteur calculée, afin de bien juger de l’impression qu’elleproduirait sur Fancy. L’effet fut si terrible qu’elle chancela.

– Savez-vous quel est cet homme demanda-t-elle d’une voixtremblante.

– Les journaux disent que c’est un pauvre garçon qui étaitjardinier chez lui.

– Un petit, n’est-ce pas ? maigre, très brun avec descheveux noirs et plats ?

– Précisément.

– Et qui s’appelle…, attendez donc… qui s’appelle… Guespin.

– Ah ça, vous le connaissez donc ?

Miss Fancy hésitait. Elle était fort tremblante, on voyaitqu’elle regrettait de s’être tant avancée.

– Bah ! fit-elle enfin, je ne vois pas pourquoi je nedirais pas ce que je sais. Je suis une honnête fille moi, siTrémorel est un coquin, et je ne veux pas qu’on coupe le cou d’unpauvre diable qui est innocent.

– Vous savez donc quelque chose ?

– Dites donc que je sais tout, et c’est bien simple, allez. Il ya de cela une huitaine de jours, mon Hector, qui soi-disant nevoulait plus me revoir, m’écrit pour me donner un rendez-vous àMelun. J’y vais, je le trouve et nous déjeunons ensemble. Alorsvoilà qu’il me raconte qu’il est bien ennuyé, que sa cuisinière semarie, mais qu’un de ses domestiques est si amoureux d’elle, qu’ilest capable d’aller faire du scandale à la noce, de troubler le balet même de tenter un mauvais coup.

– Ah ! il vous a parlé de la noce !

– Attendez donc. Mon Hector semblait très embarrassé ne sachantcomment éviter le bruit qu’il prévoyait. C’est alors que je luiconseillai d’éloigner ce domestique pour ce jour-là. Il réfléchitun moment et me dit que j’avais une bonne idée.

« J’ai trouvé un moyen, ajouta-t-il ; le soir de la noce,je ne préviendrai ce drôle de rien, mais je le chargerai d’unecommission pour toi en lui laissant supposer qu’il s’agit d’uneaffaire que je veux cacher à ma femme. Toi, tu te déguiseras enfemme de chambre et tu iras l’attendre dans un café de la place duChâtelet, entre neuf heures et demie et dix heures et demie dusoir. Pour qu’il te reconnaisse, tu te placeras à la table la plusproche de l’entrée à droite, et tu auras à côté de toi un grosbouquet, il te remettra un paquet, et alors tu l’inviteras àprendre quelque chose, tu le griseras, s’il se peut, et tu lepromèneras à travers Paris jusqu’au lendemain. »

Miss Fancy s’exprimait difficilement, hésitant, triant ses mots,cherchant, on le voyait, à se rappeler les termes mêmes deTrémorel.

– Et vous, interrompit M. Lecoq, vous, une femme spirituelle,vous avez cru à cette histoire de domestique jaloux ?

– Pas précisément, mais je m’imaginais qu’il y avait quelquemaîtresse sous jeu, et je n’étais pas fâchée de l’aider à tromperla femme que je déteste et qui m’a fait du tort.

– Ainsi vous avez obéi.

– De point en point, et tout est arrivé comme Hector l’avaitprévu. À dix heures précises mon domestique arrive, il me prendpour une bonne et me remet le paquet. Naturellement, je lui offreun bock, il accepte et m’en propose un autre que j’accepteégalement. Il est très comme il faut, ce jardinier, aimable etpoli ; je vous assure que j’ai passé une excellente soiréeavec lui. Il sait un tas d’histoires toutes plus drôles les unesque les autres…

– Passons, passons… Qu’avez-vous fait ensuite ?

– Après la bière nous avons bu des petits verres – il avait sespoches pleines d’argent, ce jardinier – et après les petits verres,encore de la bière, puis du punch, puis du vin chaud. À onze heuresil était déjà très gris et parlait de me mener aux Batignollesdanser un quadrille. Moi je refuse et je lui dis qu’étant galant ilne peut se dispenser de venir me reconduire chez ma maîtresse quidemeure au haut des Champs-Élysées. Nous voilà donc sortis du caféet allant de marchands de vins en marchands de vins tout le long dela rue de Rivoli. Bref, sur les deux heures du matin, ce pauvrediable était tellement ivre qu’il est tombé comme une masse sur unbanc près de l’Arc-de-Triomphe, qu’il s’y est endormi et que je l’yai laissé.

– Et vous, qu’êtes-vous devenue ?

– Moi, je suis rentrée chez moi.

– Qu’est devenu le paquet ?

– Ma foi ! je devais le jeter à la Seine, mais je l’aioublié ; vous comprenez, j’avais bu presque autant que lejardinier, surtout au commencement… si bien que je l’ai rapportéchez moi où il est encore.

– Mais vous l’avez ouvert ?

– Comme bien vous pensez.

– Que contient-il ?

– Un marteau, deux autres outils et encore un grand couteau.

L’innocence de Guespin était désormais évidente, toutes lesprévisions de l’agent de la Sûreté se réalisaient.

– Allons, fit le père Plantat, voilà notre client tiréd’affaire, reste à savoir…

Mais M. Lecoq l’interrompit. Il savait désormais tout ce qu’ildésirait, Jenny n’avait plus rien à lui apprendre, il changea deton subitement, quittant la voix de miel du galantin pour la voixsèche et brutale de l’homme de la préfecture.

– Ma belle enfant, dit-il à miss Fancy, vous venez en effet desauver un innocent, mais ce que vous venez de me conter, il fautaller le répéter au juge d’instruction de Corbeil. Seulement commevous pourriez vous égarer en route, je vais vous donner unguide.

Il alla à la fenêtre, l’ouvrit, et apercevant, sur le trottoiren face, l’agent de M. Domini, se souciant peu de compromettre MmeCharman, il cria à pleine voix :

– Goulard, eh ! Goulard, monte un peu ici.

Revenant alors à miss Fancy si troublée, si épouvantée, qu’ellen’osait ni questionner ni se mettre en colère :

– Dites-moi, lui demanda-t-il, combien Trémorel vous a payé leservice que vous lui avez rendu ?

– Dix mille francs, monsieur, mais ils sont bien à moi, je vousjure, il me les promettait depuis longtemps pour me remettre àflot, il me les devait…

– C’est bon, c’est bon ! on ne vous les enlèvera pas.

Et lui montrant Goulard qui entrait :

– Vous allez, lui dit-il, conduire ce monsieur chez vous ensortant d’ici. Vous prendrez le paquet que vous a remis Guespin etvous partirez de suite pour Corbeil. Surtout, ajouta-t-il d’unevoix terrible, pas d’enfantillage, ou gare à moi.

Au bruit qui se faisait dans le salon, Mme Charman arriva jute àtemps pour voir sortir Fancy escortée de Goulard.

– Qu’y a-t-il, grand Dieu ! demanda-t-elle tout éplorée, àM. Lecoq.

– Rien, chère dame, rien qui vous regarde du moins. Et sur ce,au revoir et merci, nous sommes fort pressés.

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