Les Fanfarons du Roi

XXII – LA COUR DE FRANCE !

Isabelle de Savoie-Nemours était de maisonsouveraine et tenait aux Bourbons par ses deux oncles,MM. de Vendôme et de Beaufort. Elle avait dix-huit ans àl’époque où sa main fut demandée pour le roi dom Alfonse dePortugal, par l’entremise du marquis de Sande.

C’était alors, en France, l’époque la plusbrillante du règne de Louis XIV. La cour de Versailles, modèled’élégante et fastueuse grandeur, étalait aux yeux de l’Europejalouse ses gloires sans rivales, ses femmes d’historique beauté,ses magnificences. Tout y était grand, pompeux, incomparable :les guerriers se nommaient Turenne ou Condé : les poètes,Racine ou Molière ; les peintres, Lesueur, Mignard,Lebrun ; les magistrats, Harlay, d’Aguesseau ; lesfemmes, Sévigné, la Vallière. C’était la voix de Bossuet quifaisait retentir en chaire la parole de Dieu sous les voûtes deNotre-Dame ; c’était la poésie de Quinault que Lulli mettaiten musique ; c’était, la main de le Nôtre qui dessinait lesparterres de Versailles. Et tout cela, guerriers, poètes, femmes,artistes, magistrats, formait comme un resplendissant faisceauautour d’un centre qui était le Roi. Le roi était l’âme ; ilrayonnait la vie et la lumière ; toutes ces gloires étaientdes reflets de sa gloire.

Près de lui, l’admiration se changeait enculte. On le peignait en demi-dieu ; il fallait des poètespour écrire son histoire. Son siècle tout entier murmurait à sonoreille des chants adulateurs, et le monde tressaillit d’étonnementquand un prêtre lui envoya ces mots du haut de la tribunesacrée : – Dieu seul est grand !

Et ce mot pourtant, tout écrasant qu’il parût,était encore un prodigieux hommage, puisqu’il impliquait unecomparaison !

La France était tranquille. La Fronde s’étaitévanouie un jour sous un regard de Louis, comme la brume épaissedes matinées s’enfuit devant un rayon de soleil. Le souvenir decette guerre civile héroï-comique ne vivait plus qu’au fond du cœurde quelques vieux mécontents qui ensevelissaient leurs chagrinesbouderies derrière les murailles grises de leurs manoirs. À la courtoute rancune s’était effacée, parce que le maître avaitpardonné.

Ce n’était à Versailles tout neuf que chantsde fêtes et récits héroïques ; puis, à la fin d’un bal, quandles violons du roi s’endormaient sur le final du dernier menuet,une joyeuse nouvelle courait de salle en salle.

Les gentilshommes se parlaient à l’oreille etse serraient la main. Les dames chuchotaient derrière leurséventails aux miroitants reflets. Des sourires venaient de toutesles bouches, des éclairs de tous les regards.

Le murmure allait grandissant, et bientôt,autant que le permettaient le lieu et les personnages, il sefaisait clameur.

– La guerre ! disait-on de toutesparts.

C’est que la guerre alors, c’était lavictoire. L’Angleterre, l’Espagne, la Hollande, l’Autrichefléchissaient tour à tour le genou.

Après la victoire l’ovation ; et comme lavictoire avait été éclatante, on faisait le triomphe splendide, onélevait, à l’aide du butin conquis, un arc monumental ou unegigantesque statue. L’histoire s’écrit aussi avec le granit et lebronze…

Isabelle avait passé sa première jeunesse aumilieu de toutes ces grandeurs. Son père tenait état de prince dusang ; sa mère, Diane de Chevreuse, de la maison de Lorraine,avait eu les bonnes grâces d’Anne d’Autriche. Belle au point debriller dans cette cour où la beauté n’était qu’un titre vulgaire,ayant la dot d’une reine, et pouvant par éventualité devenirhéritière de la couronne de Savoie, Isabelle était entouréed’adorations et d’hommages.

De nombreux prétendants sollicitaient samain ; et quand le marquis de Sande arriva de Portugal, chargéde la demande d’Alfonse, il reçut dès l’abord une réponse tellementfroide, qu’il dut croire sa mission terminée. D’un autre côté,Louis XIV se prononça, et dit que son bon plaisir était quemademoiselle de Savoie prît pour époux un des seigneurs suivant lacour.

Isabelle ne donna point son avis. Rieuse,légère, raffolant des pompes qui étaient sa vie, elle confondaitdans une égale indifférence les courtisans qu’elle connaissait etle roi Alfonse qu’elle ne connaissait point.

Elle avait bien le temps de songer à cesbagatelles ! Pour l’occuper, il fallait quelque chose devraiment extraordinaire comme par exemple ce qui lui arriva au balde la cour où un bel étranger releva son gant, tombé à terre et lelui rendit très-respectueusement sans la regarder.

Il avait de beaux yeux pourtant, quisemblaient ne point savoir sourire. Son noble visage n’avaitd’autre expression qu’une tristesse profonde et morne. Il passaitau travers de toutes ces joies, il passait indifférent etmorne.

C’était la première fois qu’Isabelle de Savoien’était point regardée. Elle voulut savoir pourquoi. Elle appritqu’une immense douleur avait frappé naguère ce jeune étranger aumilieu d’un bonheur sans mélange. Il était Portugais et se nommaitdom Simon de Vasconcellos et Souza. Inès de Cadaval, sa femme,était morte à 22 ans.

Or, Simon avait mis en elle tous ses espoirs.Cette mort l’anéantit, il perdit force et courage, il perditjusqu’au souvenir du serment fait à son père mourant, il s’enfuitde Lisbonne et partit pour la France, indifférent désormais au sortd’Alfonse et à la destinée du Portugal.

Certains se complaisent en leur douleur ;ils aiment les souvenirs et trouvent de douces larmes en songeant àceux qui ne sont plus. D’autres détestent les lieux témoins dubonheur passé ; ils luttent violemment contre leurs regrets,ils mettent le bruit entre eux et leur conscience, ils repoussentavec effroi le souvenir parce que le souvenir les navre et les tue.Ceux-là seuls sont à plaindre, car les premiers sont des résignésque Dieu console ou des rêveurs qui se complaisent en leurslarmes.

La douleur qu’on fuit et qui se cramponne àvotre âme comme le noir souci d’Horace, voilà la seule etvraie douleur.

Celle de Simon était ainsi. Le malheureuxvoulut y faire trêve. Il vint à la cour de France. Le nom qu’ilportait sonnait haut, surtout depuis la faveur deCastelmelhor ; il fut de toutes les fêtes et se jeta à corpsperdu dans le tourbillon.

Mais le remède fut inefficace. Il n’y avaitpoint de fracas qui pût dominer la voix de ses regrets. Satristesse restait là comme un poids qu’on ne peut soulever nisecouer.

C’est une bien petite histoire que l’aventuredu gant, mais Isabelle, l’enfant adulée, remarqua ce pâle jeunehomme qui lui avait rendu un devoir de courtoisie sans même leverles yeux sur elle.

Parmi les prétendants à la main d’Isabelledont le désir exprimé par Louis XIV avait ressuscité l’espoir,se trouvait M. le marquis de Carnavalet, à qui la jeuneprincesse témoignait quelque bienveillance. Ce fut à lui qu’elles’adressa pour satisfaire sa curiosité d’enfant. Elle l’interrogeaau sujet de l’étranger, et M. de Carnavalet, prenantombrage de ces questions, accosta un quart d’heure après dom Simon,pour lui chercher une querelle d’Allemand. Simon voulut savoirpourquoi il se battait, on le lui dit ; il donna un coupd’épée à M. de Carnavalet et n’y songea plus.

Mais le lendemain, il regarda mademoiselle deSavoie-Nemours, et quelque chose de singulier se passa en lui.

Il eut froid dans le cœur. Ses yeux lebrûlèrent, comme il arrive aux enfants qui souffrent et ne veulentpoint pleurer.

– Inès ! murmura-t-il en portant lamain à sa poitrine.

Et il s’enfuit, loin, bien loin, jusqu’à ceque le grand air et le froid de la nuit eussent glacé la sueur deson front.

Soit, qu’il existât entre ces deux femmes uneressemblance réelle, soit que son œil retrouvât partout l’image decelle qu’il avait perdue. Isabelle lui était apparue comme l’ombred’Inès de Cadaval.

Simon de Vasconcellos eut peur et il eut aussicolère. Rentré à son hôtellerie au milieu de la nuit, il donnal’ordre à Balthazar son valet, de tout préparer pour le départ, quieut lieu avant le jour. Il était venu en France chercher le repos,et il emportait à Lisbonne un surcroît de soucis.

M. de Carnavalet en fut pour soncoup d’épée et n’obtint point la main d’Isabelle. Un peu de tempsaprès, M. le marquis de Sande, ayant renouvelé la demanded’Alfonse VI, Louis XIV en référa àMlle de Savoie-Nemours qui consentit à être reinede Portugal.

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