Les Fanfarons du Roi

XIII – LA CHASSE DU ROI

Nous avons laissé dona Ximena, comtesse deCastelmelhor déterminée à implorer les secours de la reine mère,pour faire révoquer l’exil de Simon de Vasconcellos et l’ordre quiforçait dona Inès de Cadaval à prendre Castelmelhor pour époux.Bien qu’elle eût pour coutume de se rendre tous les soirs aucouvent de la mère de Dieu, résidence habituelle de Louise deGuzman, elle ne put mettre son dessein à exécution le jour même.Elle aimait tendrement ses deux fils : L’idée de voir domLouis se couvrir de honte l’avait frappée au cœur d’un coup siviolent, qu’une fièvre ardente la saisit.

Tant que dura la nuit, la veuve de Jean deSouza demeura en proie à de poignantes pensées. Cette entrevue avecla reine, qui lui était apparue comme une chance de salut,l’effrayait maintenant.

Dona Louise de Guzman avait, pour son filsaîné, un si profond amour ! son ignorance des déportements dece pauvre prince était, grâce à sa réclusion, si entière !Elle allait donc, elle, Ximena, l’amie et la confidente de sasouveraine, changer brusquement son repos en souffrance, et remplird’amertume les derniers jours de sa vie !

Cette idée redoublait sa fièvre. D’un autrecôté, qui, sinon la reine, pouvait la protéger contre le roi ?Ne trouvant aucun moyen de sortir de cette cruelle alternative, lacomtesse sentait sa tête se perdre. Ses inquiétudes au sujet deSimon, calmées un instant par Balthazar, qui était revenu à l’hôtelpour annoncer la mise en lieu sûr du jeune homme, se présentaient àson esprit, plus vives et plus tenaces durant ces heuresd’angoisses. Le jour la trouva éveillée, souffrant et méditantencore.

Enfin sa fièvre se calma. Elle adressa au cielune fervente prière et s’affermit dans sa résolution d’aller sejeter aux pieds de la reine, tout en se promettant de ménager lecœur de cette malheureuse mère et d’épargner près d’elle Alfonseautant que possible.

Quand vint l’heure où elle avait coutume de serendre au couvent de la mère de Dieu, elle se leva, et bien quefaible encore, elle monta dans sa litière avec dona Inès.

D’ordinaire, dona Ximena, en descendant de sachaise, était introduite sur-le-champ chez la reine ; mais,cette fois, les femmes de dona Louise lui refusèrent la porte.Cette dernière était depuis plus de deux heures en conférence avecdeux de ses conseillers intimes et un messager du roi. La comtesseprit un siège dans le parloir qui précédait la chambre de la reineet attendit. Ce messager du roi n’était autre que Antoine Conti deVintimille, qui avait rempli le blanc-seing à lui remis par Alfonseet venait signifier à la veuve de Jean IV que le roi, majeurdepuis plusieurs mois, entendait désormais régner par lui-même etrequérait que sa mère se démit solennellement de son autorité derégente pour lui confier le sceau et la couronne dans les formesvoulues, en présence des grands de Portugal.

La reine, à la lecture du factum de son fils,avait été surprise d’abord, puis ravie. Depuis longtemps ellesoupirait après le moment qui devait la décharger du poids desaffaires publiques et lui permettre de se consacrer à Dieu toutentière. Néanmoins, dans une circonstance si grave, elle ne crutpoint devoir assumer sur elle seule la responsabilité de sadétermination, et envoya quérir son confesseur, dom Miguel de Mellode Torres, grand chantre de l’église cathédrale de Lisbonne, et lemarquis de Saldanha, ses deux conseillers ordinaires.

Le marquis de Saldanha parent et ami du feucomte de Castelmelhor, était un vieillard austère et juste, maisdont l’intelligence, naturellement peu développée ou affaiblie parl’âge, n’était point à la hauteur de la tâche qu’allait lui imposersa souveraine.

Dom Miguel de Mello, au contraire, était unprêtre aussi savant que sage, qui n’avait point été étranger à larésistance que Jean de Souza avait faite autrefois contrel’alliance anglaise, et dont la sagacité était souvent venue enaide à Jean IV dans les crises difficiles qui suivirent sarentrée au trône de ses pères.

Saldanha aimait la reine au point de réglerson opinion exclusivement sur sa volonté ; dom Miguel aimaitassez son pays pour s’exposer à mécontenter temporairement saroyale maîtresse, lorsqu’il croyait, en le faisant, servirl’intérêt public.

Conti exposa de nouveau, devant ces deuxconseillers, le bon plaisir du roi, et donna lecture du factum.Saldanha fut tout de suite d’avis qu’il fallait obtempérer auxdésirs d’Alfonse, lequel avait droit de prendre en main les rênesdu gouvernement, aux termes des lois et constitutions portugaises.Miguel de Mello combattit vivement cette opinion. Sans prétendrecontredire les droits avérés d’Alfonse, il conjura la reine deconvoquer les États du royaume, afin d’aviser à ce qu’il était bonet convenable de faire dans cette circonstance décisive.

– Sil m’était permis d’exprimer monopinion en présence de Sa très-illustre Majesté, dit Conti, jeferais observer que cet avis, adopté, ne serait rien moins qu’unappel aux factions qui divisent le Portugal, et que dom Philipped’Espagne lui-même ne donnerait pas un autre conseil.

– Seigneur Conti, répondit sévèrement domMiguel, il est des circonstances où le conseil d’un mortel ennemivaut mieux que celui d’un ami déloyal. S’il y avait à la courd’Alfonse VI un personnage de moins, – ce personnage, c’estvous, seigneur, – mon avis serait que la reine remit, dès ce soir,son autorité aux mains du roi son fils.

Conti appela sur sa lèvre un sourire insolentet se prépara à répondre.

– Paix, seigneur, dit la reine.

Il y avait chez Louise de Guzman une dignitési vraie, si royale, que le favori baissa la tête aussitôt et gardale silence.

– Marquis de Saldanha, et vous, Miguel deMello, reprit la reine, je vous remercie. Comme vos avis sontpartagés et que j’ai en vous deux une égale confiance, je medéciderai d’après une autre inspiration.

Elle traversa la chambre d’un pas ferme etalla s’agenouiller sur son prie-Dieu, où elle demeura quelquesminutes comme absorbée. Quand elle se leva, sa résolution étaitprise.

– Dom Miguel de Mello de Torres,dit-elle, nous vous donnons charge de convoquer pour demain, àl’heure de midi, l’infant notre fils, les ministres d’État,titulaires, conseillers, gouverneurs de châteaux et villes,seigneurs de terres, gentilshommes, ecclésiastiques, chefs d’ordreet prévôts de la bourgeoisie qui se trouvent actuellement dansLisbonne. Devant tous ces dignitaires rassemblés, au lieu et placedes états généraux du royaume, comme il est prescrit par lesconstitutions pour les cas d’urgence, nous énoncerons notrevolonté.

Elle tendit sa main, que le marquis baisarespectueusement. Dom Miguel s’inclina en croisant ses bras sur sapoitrine ; tous sortirent, suivis de Conti. En traversant leparloir, le favori aperçut la comtesse Ximena et l’héritière deCadaval.

– C’est jour de bonheur !pensa-t-il, dona Inès est hors de l’hôtel de Souza et va traverserde nuit la forêt de Lisbonne… en pleine chasse ! DemainAlfonse sera le maître absolu du Portugal, et moi, je serai lemaître d’Alfonse : ce soir je m’empare de la femme qui servirade dernier échelon à ma fortune, et je me venge en même temps decet odieux Castelmelhor, qui menace de m’enlever la faveur du roi…C’est jour de bonheur.

Il remonta dans son carrosse, et reprit,ventre à terre, le chemin d’Alcantara.

Pour la comtesse, elle resta longtemps encoredans le parloir, espérant que la reine la ferait appeler. Mais donaLouise, absorbée par la grande résolution qu’elle venait deprendre, priait et méditait. Une de ses femmes vint cependant direà la comtesse que la reine ne la recevrait point ce soir.

Les deux dames regagnèrent leur litière ;le couvre-feu était sonné et nulle lumière ne brillait plus dansles rues. Au loin, par la ville, on entendait un bruit étrange etqui eût été inexplicable à pareille heure, partout ailleurs qu’àLisbonne ; c’était comme une fanfare de chasse, interrompue,puis reprise. Chaque fois que le cortège de la veuve de Souzapassait devant une des rues qui mènent au faubourg d’Alcantara,quelques notes éclataient brusquement. La rue passée, onn’entendait plus rien.

Pour ceux qui connaissaient les mœurs de lacour, c’était là un avant-coureur terrible et trop significatif.Mais les gens de Souza arrivaient, comme leur maîtresse, du châteaude Vasconcellos ; ils écoutèrent avec distraction et ne sepressèrent pas. Ils étaient au nombre de douze, outre les porteurs,bien armés et montés, et croyaient n’avoir rien à craindre dans uneville paisible, à cette heure peu avancée de la nuit.

Cependant le bruit approchaitrapidement : on pouvait maintenant distinguer les pas deschevaux. Au détour d’une rue, les cavaliers de Souza virentsoudain, à cent pas en avant, une douzaine d’hommes à cheval,courant au grand galop, en agitant des torches. En même temps,quelques bourgeois, rendus de fatigue et de frayeur, passèrententre la litière et la muraille en criant :

– Sauve qui peut… la chasse duroi !

Ce cri n’était que trop célèbre. Le cortège deSouza comprit enfin le danger et voulut rebrousser chemin. Iln’était plus temps. Les cavaliers, qui l’avaient aperçu,éteignirent aussitôt leurs torches en criant : Tayaut !tayaut ! Au même instant une escouade de Fermes, ou gens depied de la patrouille, arriva de l’autre côté de la rue, et lalitière se trouva environnée de toutes parts.

Le premier choc des Fanfarons à chevalarrivant à toute bride mit le désordre dans la petiteescorte ; mais c’étaient tous vieux et braves soldats, ancienscompagnons d’armes du comte Jean ; ils se reformèrentpromptement. Les quatre porteurs, quittant leurs bâtons, tirèrentl’épée, afin de défendre la portière de la chaise. La mêlée étaitvive, sanglante, et menaçait de se prolonger, car l’obscuritécomplète favorisait le petit nombre ; mais bientôt, des deuxcôtés de la rue, de bruyantes fanfares annoncèrent l’arrivée denouveaux assaillants.

La comtesse, toujours ferme et intrépide,avait mis la tête à la portière.

– Que signifie cette indignité,seigneurs ? dit-elle.

– Tayaut ! tayaut ! répondit àquelque distance la voix aigre d’Alfonse VI lui-même.

– Vous ne savez pas à qui vous vousattaquez, reprit dona Ximena, je suis la comtesse deCastelmelhor.

– Oh ! oh ! s’écria le roi, cebambin de comte ne nous avait pas dit qu’il fût marié. C’esttrahison à son âge… Tayaut ! tayaut !

Et le combat continua, animé par les crisexcitants du roi et des chefs de la patrouille.

Plusieurs des Champions de la comtesse étaienttombés ; les bras des autres commençaient à se lasser,lorsqu’un homme de taille gigantesque, et portant le costume desFanfarons du roi, rompit leur ligne et, faisant sauter l’épée del’un des laquais qui défendait encore le flanc de la litière,secoua violemment la porte et l’ouvrit. Il avança la tête àl’intérieur.

Dona Inès se rejeta en arrière avec horreur.La comtesse elle-même ne put s’empêcher de trembler.

– Laquelle de vous est la fiancée deSimon de Vasconcellos ? demanda le nouveau venu.

– Prétendriez-vous enlever l’héritière deCadaval ? s’écria la comtesse.

– Pourquoi pas ? prononça froidementle Fanfaron du roi.

Dona Ximena se souvint d’avoir entend cettevoix et ce mot quelque part ; mais dans ce moment de troubleet de terreur, elle n’essaya pas de rassembler ses souvenirs, et semit en avant, pour faire à sa pupille un rempart de son corps.

– Pourquoi pas, répéta Balthazar, s’iln’y a que ce moyen de la sauver ? Hâtons-nous, mesdames, letemps presse, et je ne puis sauver que la fiancée de Simon deVasconcellos.

– Qui êtes-vous ?

– Vous ne savez pas mon nom, car je vousai envoyé un billet qui contenait un bon avis, et cet avis, vousl’avez méprisé, puisque vous voilà. Je pense bien que vous êtes lamère, vous qui venez de parler, mais on n’y voit goutte et jecrains de me tromper. Répondez !

La victoire, cependant, était restée auxchasseurs nocturnes, et l’autre portière fut brusquementouverte.

– Où est notre très-cherVintimille ? disait Alfonse. Sonnez la mort, fanfares… C’esttrès-plaisant !

– Ma fille ! ma pauvre enfant !s’écria la comtesse navrée.

Un bras puissant la repoussa de côté. Quandelle se retourna, Inès n’était plus dans la voiture.

Les torches avaient été de nouveau allumées.Il se faisait un assourdissant fracas de jurements, de cris, defanfares et de gémissements. La comtesse se précipita à laportière, cherchant des yeux Inès de Cadaval. Voici ce qu’ellevit.

À vingt pas d’elle, un homme de grande taille,dont elle ne put découvrir le visage, tenait dona Inès d’une mainet une longue épée de l’autre. Il était entouré d’une foulecompacte qui riait, trépignait et cherchait à lui arracher saproie.

– Pitié ! seigneurs, pitié !cria la comtesse défaillante ; c’est ma fille : tuez cethomme qui m’a volé mon enfant !

Mais sa voix se perdait dans le tumulte.

Balthazar, nous avons déjà dit que c’étaitlui, repoussait tranquillement les efforts de ses camarades. Ilprenait son temps et guettait le moment où la foule allaits’éclaircir. La comtesse regardait avec un effroi mortel tous ceshommes qui, la face rougie par la lueur des torches, semblaientautant de démons conjurés contre la pauvre Inès ; elleregardait toujours néanmoins et ne perdait pas tout espoir.

– Le roi, se disait-elle, le roi vavenir.

– Belle dame, dit à ce moment Alfonse,qui s’impatientait à l’autre portière, ne nous montrerez-vous pointvotre charmant visage ?

Il voulut prendre sa main.

– Arrière ! s’écria dona Ximenaretrouvant toute son énergie. Qui es-tu pour toucher la main de laveuve de Jean de Souza ?

– Seulement le fils de son amiJean IV de Portugal, répondit Alfonse avec une ironiquehumilité.

– Le roi ! murmura la comtesseatterrée.

– Laissez passer le gibier du roi !cria en ce moment la voix tonnante de Balthazar, qui bondit enavant.

Dona Ximena tourna la tête et ne vit plusInès.

– Enlevée ! dit-elle, et c’est vous,vous, le roi ! Ah ! maudit soistu, indignefils d’un grand prince !

Et, sa force l’abandonnant avec sa dernièreespérance, elle tomba évanouie au fond de sa chaise.

Un grand tumulte se faisait à l’endroit oùnous avons laissé Balthazar. Celui-ci, en effet, voyant que lafoule, loin de diminuer, augmentait sans cesse autour de lui, pritson parti tout à coup et poussa le cri qu’avait entendu lacomtesse.

En même temps, brandissant sa lourde épée, ils’élança au plus fort de la foule, qu’il perça en ligne droite,comme un boulet de canon percerait les pousses jeunes et serréesd’un épais taillis.

De temps à autre, chaque fois qu’un hommeessayait de lui faire obstacle, il répétait son cri :

– Laissez passer le gibier duroi !

Et chaque fois que son arme levée tombait,l’obstacle tombait aussi.

Bientôt il se trouva dans une rue sombre etdéserte.

Il n’y avait plus personne devant lui, mais unhomme le suivait encore.

– Attends-moi donc, attends-moi donc, monbrave ! criait celui-ci. Les preux de l’Arioste, mon divincompatriote, n’étaient que des enfants auprès de toi. Oh ! labonne comédie ! et comme tu les malmenais, mon excellentcamarade !… Or çà, arrête un peu que je puisse souffler etrire à mon aise.

Balthazar faisait la sourde oreille et couraittoujours.

– Arrête donc ! reprenaitl’autre ; ne reconnais-tu point ton bon compagnon AscanioMacarone, qui t’a promis vingt pistoles neuves et qui a grande hâtede te les compter ?… Arrête donc !

Balthazar ne s’arrêtait point. Ascaniocommença à concevoir des soupçons, car son bon compagnonne courait point dans la direction d’Alcantara, mais bien danscelle de la ville basse. Il redoubla d’efforts. Quelle que fût lavigueur de Balthazar, son fardeau retardait sa course et l’Italienl’eut bientôt atteint.

– As-tu perdu l’esprit, mon excellentcamarade ? dit-il en se plaçant devant lui de manière à luibarrer le passage ; je crois que le combat de géants que tuviens de soutenir t’aura donné le transport. Tourne bride, coursierfougueux ; nous avons une longue traite à faire avantd’arriver au palais.

– Vous allez au palais, vous ?demanda tranquillement Balthazar, qui déposa son fardeau sur unbanc de pierre pour reprendre haleine.

– Sans doute, avec toi, mon brave,répondit le Padouan.

Inès avait perdu connaissance, mais lafraîcheur de la pierre où Balthazar l’avait déposée lui fitreprendre ses sens.

– Ma mère… Simon ! sauvez-moi,murmura-t-elle.

– Tranquillisez-vous, senora, ditBalthazar, vous êtes désormais sous ma garde, et je suis le plusfidèle serviteur de Vasconcellos.

– Merci, oh ! merci ! ditencore Inès, dont les yeux se refermèrent.

– Ce colosse est un trésor ! pensaMacarone ; il frappe comme Hercule et ment presque aussi bienque moi… En route, mon brave, reprit-il tout haut.

– Seigneur Ascanio, répondit Balthazar,je ne suis pas le même chemin que vous.

– Je prendrai celui que tu voudras, moncamarade… en route !

– Je prendrai, moi, celui que vous neprendrez pas, seigneur Ascanio.

– Plaisantes-tu ? s’écria celui-ci,dont les soupçons revinrent.

– Je plaisante rarement, et jamais avecles gens de votre sorte. Vous venez d’entendre ce que j’ai dit àcette jeune dame ; c’est la vérité.

Ascanio regarda en dessous Balthazar et crutqu’il n’était point sur ses gardes. Faisant glisser subtilement sonstylet jusque dans sa main, il visa et lança son arme droit au cœurdu trompette. Par malheur pour Macarone, ce dernier, malgré son aird’indifférence, n’avait pas perdu un seul de ses gestes, il fit unmouvement de côté ; le stylet alla s’enfoncer profondémentdans les battants de chêne d’un portail voisin. Avant que l’Italieneût pu prendre la fuite, Balthazar lui appliqua sur le crâne uncoup du plat de son épée, et le renversa, étourdi, sur le pavé.

Cela fait, il reprit son fardeau et sacourse.

Le roi, cependant, était resté à l’endroit oùnous l’avons laissé, auprès de la litière de la comtesse. Il avaitavancé la tête à l’intérieur et reconnu que dona Ximena étaitseule. Quelques secondes après, Conti vint lui apprendre d’un airsingulièrement confus et affligé, que la plus jeune des deux damess’était échappée. Sous cette apparence chagrine, le favori cachaitune joie qu’il avait peine à contenir ; il croyait l’héritièrede Cadaval en sa puissance. Par le fait, ses mesures avaient étéparfaitement prises, et l’expédient du beau cavalier de Padoueaurait dû réussir suivant toutes les probabilités. Par malheur, onavait compté sans Balthazar.

– Ami Vintimille, dit le roi en bâillant,la mère de ce bambin de comte dit que tu me déshonores, et moi, jecrois que tu ne sais plus m’amuser.

Tous les différents postes qu’on avaitembusqués dans les carrefours des rues comme s’il se fût agi d’unevéritable chasse en forêt, se trouvaient alors réunis à cette haltegénérale, et Conti put voir que cette marque publique de défaveuramenait un sourire sur presque toutes les lèvres.

Il se consola en pensant à son duché deCadaval. Inès, en ce moment, était sans doute en sûreté dans lesappartements qu’il occupait au palais, et le fidèle Ascanio luichantait les louanges du puissant seigneur de Vintimille, quil’avait tirée de vive force des mains du roi, au péril de savie.

– Quand un pareil conte a-t-il manqué soneffet sur le cœur d’une jeune fille ? se disait le favori. Jevais lui apparaître comme un héros, comme un dieu…

– Tu ne sais plus rien faire de bouffon,reprit le roi ; il y a un siècle que je ne t’ai entendu jurerpar tes nobles ancêtres ; c’était très-plaisant.

– Votre Majesté a le droit de railler sondévoué serviteur, dit Conti, dévorant son dépit ; veut-elleque nous poursuivions la chasse ?

Le roi bâilla à se démettre la mâchoire ;c’était un terrible symptôme.

– Je veux dormir, dit-il. Tu es un bonserviteur, Conti ; mais tu n’es pas le fils dequelqu’un (hidalgo) et tu te fais ennuyeux… Ce bambin de comtea plus d’esprit dans son petit doigt que toi dans toute tapersonne.

– Sire… voulut dire Conti.

– Tes nobles ancêtres ne t’ont rienlaissé qu’un peu d’effronterie ; Jean, ton frère, valait mieuxque toi ; mais il ne valait pas grand’chose… Va-t-en, et nereviens plus, mon bon ami, j’ai assez de toi.

Conti s’inclina profondément. Les courtisans,partagés entre l’aversion qu’ils avaient pour le favori, et lacrainte que le roi n’eût oublié le lendemain matin ce momentd’humeur, lui ouvrirent passage avec un froid respect.

– Demain, Alfonse régnera ! sedisait Conti avec rage, en prenant la route d’Alcantara, et il mechasse ! J’ai travaillé pour un autre !

– Et maintenant, reprit le roi, qu’onm’amène ce bambin de comte, mort ou vif ! je le veux ! ilm’amuse… Sûrement, cette dame qui est là dans ce carrosse ne peutêtre sa femme, puisqu’on me fit signer hier certain ordre. C’est samère, seigneurs, je l’ai deviné : il faut que la comtesse deCastelmelhor soit reconduite à l’hôtel de Souza avec tous leshonneurs convenables, et qu’on lui fasse des excuses en notre nomroyal : Ceci, à cause de ce bambin de comte qui auraitpeut-être l’idée de se fâcher… Notre litière, et enroute !

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