Les Fanfarons du Roi

XII – LES CHEVALIERS DU FIRMAMENT

Il y avait au palais d’Alcantara une vastesalle qui, du vivant de Jean IV, avait servi aux conseils etséances des ministres État, réunis, pour les cas d’urgence, auxTitulaires et à la cour des Vingt-Quatre. Depuis la régence, cesassemblées se tenant sous la présidence de la reine, au palais deXabregas, la salle dont nous parlons avait été affectée à un autreusage. Elle servait aux réunions solennelles et bouffonnes à lafois des chevaliers du firmament.

On croit savoir que la création de cet ordredérisoire eut pour prétexte la terreur inspirée au roi enfant parConti qui lui montrait la ville toute hérissée des poignardsdirigés contre sa poitrine. Au siècle suivant un favori plusinfâme, le sinistre Pombal se servit des mêmes craintes chimériquespour entraîner un roi encore plus fou à des excès plus détestablesencore. Conti était de sang italien, Pombal était protestant ensecret et vendu aux Anglais. Comme production de rois imbéciles etde ministres coquins, cet illustre petit pays de Portugal fut, envérité, plus riche qu’il n’est gros.

Alfonse et ses courtisans faisaient touspartie de cet ordre burlesque aussi bien que le dernier soldat dela patrouille. Il est probable que le recrutement d’une pareillemilice, nécessitant au moins au commencement, une apparence demystère, Conti ou quelque autre flatteur du malheureux Alfonseavait songé, pour le distraire, à donner à chaque nouvelleréception une forme imposante et théâtrale.

Les Fermes ou soldats à pied étaient reçus enassemblée de leurs camarades ; les Fanfarons ou cavaliersn’étaient admis que devant toute la milice réunie. Enfin, lesgentilshommes, qui devaient recevoir l’accolade du roi et avoir unparrain de nom noble, étaient reçus par-devant le haut chapitre,composé des dignitaires de l’ordre, assistés d’une députation desimples chevaliers. Alfonse était de droit grand-maître, mais Contiétait le chef réel de cette troupe nombreuse, effroi des bourgeoisde Lisbonne. Quant aux commandeurs et autres dignitaires,c’étaient, les uns, en très-petit nombre, des seigneurs denaissance, qui avaient, par ambition ou par faiblesse, acceptécette ignominie, les autres, des fils de bourgeois déguisés, commeVintimille, en gentilshommes.

Ce n’est pas sans beaucoup de répugnance quenous nous sommes déterminés à mettre sous les yeux du lecteur cettehonteuse parodie d’une chose éminemment noble et belle ensoi : la chevalerie ; mais cette peinture est comme lecomplément nécessaire du tableau de la cour d’Alfonse ; elleservira ! non seulement à éclairer certaines parties de cettehistoire, mais aussi à faire comprendre comment 80 ans plus tard,cette même cour, complice des violences de Pombal, put effrayerVoltaire lui même qui plaignit un jour les Jésuites martyrisés etdonner au monde 50 ans par avance une image du hideux rêve de93.

Le peuple est étranger aux révolutions ;ce sont les Conti et les Pombal, tyrans mécréants qui engendrent lemécréant bourreau Robespierre !

Aujourd’hui la comédie commença dans lachambre du roi. À la nuit tombante, au moment où l’on apportait leslumières, tous les courtisans arrachèrent à la fois, et d’un communmouvement, les décorations qui couvraient leur poitrine. Alfonselui-même mit bas le cordon du Christ et l’ordre de la Toison d’Or,que lui avait envoyé le vieux roi Philippe d’Espagne, son courtoisennemi. Un de ses gentilshommes lui jeta au cou un cordon toutresplendissant de pierreries et composé d’étoiles à cinq flammes,reliées par des croissants demi-pleins.

À ce signal, on vit briller sur toutes lespoitrines une décoration en forme d’étoile, surmontée d’uncroissant les cornes en l’air. Un héraut, vêtu du costume nocturnede la patrouille, que nous avons décrit au commencement de cerécit, éleva une bannière portant sur champ d’azur les insignes del’ordre et dit :

– Messeigneurs de l’Étoile et duCroissant, le Soleil est vaincu. À vous le monde !

– Comment trouves-tu cela petitcomte ? demanda tout bas Alfonse à Castelmelhor, le nouveauchevalier, qui se tenait debout près de son fauteuil.

– C’est un beau spectacle et uneingénieuse allégorie, sire.

– L’idée est de moi. Mais ce n’estrien ; tu vas voir !

À ces mots, le roi se leva. Ce tristesouverain, qui ne savait pas garder sur son trône le sérieux quiconvient à un homme, trouvait dans ces sortes d’occasions unedignité bouffonne et déplacée.

– Bien que ce ne soit ni la première nila centième victoire que nous remportons sur notre insolentcompétiteur, le soleil, dit-il gravement, nous en éprouvons unejoie vive et sincère. Or, maintenant que le monde est à nous, ils’agit de gouverner avec sagesse, et nous allons nous rendre dansla salle de nos délibérations.

Les courtisans se rangèrent en haie, et le roitraversa la chambre d’un pas solennel, appuyé sur le bras deCastelmelhor. Le héraut agitait devant lui sa bannière. Sur lapremière marche de l’escalier, le roi s’arrêta.

– Seigneurs, dit-il, quelqu’un de vousa-t-il vu notre très-cher Conti ?

Personne ne répondit.

– C’est que, reprit Alfonse, voici cebambin de comte qui remplit sa place à merveille. Je veux mourir sije sais pourquoi Vintimille ne l’a pas fait assassiner…

– C’est un oubli qui se peut réparer, ditentre haut et bas le cadet de Castro.

– Entends-tu cela, petit comte ?C’est très-plaisant. À ta place, je remercierais Castro de sonavis.

Le roi descendit les degrés et s’arrêta encoredevant la porte grande ouverte de la salle desdélibérations. Il lâcha le bras de Castelmelhor.

– Seigneur comte, lui dit-il, nosrèglements ordonnent que vous restiez dehors. On vous introduiraquand il en sera temps.

Alfonse entra suivi de son cortège, etCastelmelhor se trouva plongé subitement dans la plus complèteobscurité. Les portes de la salle s’étaient refermées.

Le jeune comte éprouva un mouvement de vagueinquiétude, et sentit battre violemment son cœur, lorsque deuxmains vigoureuses saisissant les siennes dans l’ombre, les tinrentserrées comme si elles eussent été prises dans un étau.

– Traître ! lâche !menteur ! dit une voix si près de lui qu’il sentit sur sonvisage le souffle d’une haleine.

Il fit un effort pour se dégager, mais le brasqui le retenait jouissait d’une force évidemment supérieure ;il se contint, pensant que c’était là une épreuve faisant partie dela grotesque cérémonie où il lui faudrait jouer un rôle.

– Ton frère souffre, reprit lavoix ; ta mère pleure ; ton père te voit et te maudit… etla fortune d’Inès t’échappe !

– Qui es-tu ? s’écria Castelmelhorconfus et effrayé.

– Je suis celui dont le poignard aeffleuré ta poitrine au bosquet d’Apollon. Aujourd’hui comme alors,ta vie est entre mes mains, et j’ai de nouveaux forfaits à venger…Ne tremble pas ainsi, Castelmelhor. Aujourd’hui, comme alors,j’épargnerai ta vie. Pauvre insensé ! tu as stipulé un prixpour trahir ton frère, et l’on t’enlève le prix de tatrahison !

– Qui que tu sois,explique-toi !

– Ce soir, quand tu auras consommé tondéshonneur, quand l’étoile de la honte brillera sur ta poitrine,esquive-toi, seigneur comte ; va frapper à la porte de lamaison de tes pères, et tu verras si la femme dont les titres etles richesses ont tenté ton cœur avide est encore en tonpouvoir.

– Inès enlevée ! s’écria dom Louisen proie à l’agitation la plus violente.

– Pas encore, et tu pourrais lasauver.

– Qu’on introduise le postulant !dit à l’intérieur la voix éclatante du héraut.

– Vite ! reprit Castelmelhor,réponds ; comment la sauver ? comment faire ?

– Quitte le palais, rends toi sur l’heureà l’hôtel de Souza…

– Ouvrez les portes ! dit encore lavoix du héraut.

– Va ! il est temps encore.

Castelmelhor hésita une seconde.

– Va donc ! répéta la voix.

– Je ne te crois pas, murmura lecomte ; prouve-moi…

Une clef joua bruyamment dans la serrure de lagrand’porte, qui s’ouvrit aussitôt.

Le vestibule fut inondé de lumière.Castelmelhor put voir près de lui Balthazar, qui avait redressé sagrande taille et lui montrait la porte d’un geste plein demépris.

– Entre, chevalier déloyal, dit-il, cœurdégénéré ! Un autre que toi veillera sur la fiancée deVasconcellos !

Les trompettes de la patrouille firententendre une fanfare, et deux chevaliers du Firmament vinrentprendre Castelmelhor, qui entra pâle et la mort au cœur. Balthazarentra, lui aussi ; il avait son costume de Fanfaron du Roi.Ascanio, qui se tenait au premier rang de la députation descavaliers, lui fit un signe de bienveillante protection.

On se figurerait difficilement une décorationplus splendide que celle de la salle où fut ainsi introduitCastelmelhor. Alfonse, malgré la différence totale des mœurs, noussemble avoir eu quelques traits de ressemblance avec le bon roiRené d’Anjou. Sil n’eût été constamment mal conseillédurant tout le temps de son règne, il aurait été, non pas un grandmonarque ni même un monarque estimable, mais un de ces débonnaireset faibles souverains auxquels l’histoire, en les blâmant, accordequelque sympathie.

Alfonse, comme René d’Anjou, avait en lui lesentiment intime du beau artistique. Il protégea chaudement lesmédiocres peintres qui florissaient alors à Lisbonne, et montra uneintelligence remarquable dans la restauration qu’il fit des vieuxmonuments portugais. Sa musique, qu’il ne nommait point, comme lesautres rois, sa chapelle, mais son bal, étaitcomposée d’exécutants choisis et appelés à grands frais de toutesles parties de l’Europe. Enfin, pour dernier trait de ressemblance,Alfonse faisait aussi des vers. Il est à peine besoin d’ajouterqu’il eût mieux fait de s’en abstenir.

Quoi qu’il en soit, des qu’il s’agissait defaire preuve de goût artistique, Alfonse devenait un autre homme.Trop étourdi pour songer à la dépense, il jetait l’or à pleinesmains, et poursuivait sans sourciller l’exécution des plans lesplus coûteux.

La salle où se tenait l’assemblée deschevaliers du Firmament semblait, en effet, le palais du dieu de lanuit. La voûte représentait le ciel, diapré de constellationsdiverses, et, immédiatement au-dessus du trône royal, untransparent, doucement illuminé, figurait un gigantesque croissant.Les insignes de l’ordre brillaient partout sur les tentures develours azuré ; les meubles et les tapis offraient les mêmesreprésentations. Toutes ces étoiles, scintillant aux feux de cinqgrands lustres et d’une multitude de candélabres, éblouissaient lavue. On se croyait transporté dans la retraite de quelque géniedont le pouvoir surpassait l’imagination de l’homme.

Au fond, un rideau de velours couvrait uneniche où, en guise de saint, on avait placé Bacchus avec sesattributs païens. Ce rideau ne devait s’ouvrir que dans lescirconstances solennelles.

Alfonse jouit quelque temps de l’étonnement deCastelmelhor à la vue de tant de magnificences ; puis, serenversant sur son fauteuil, placé au haut d’une estraderecouverte, comme tout le reste, de velours étoile, ildit :

– Approchez, seigneur comte, nous avonsfait prévenir notre cher Conti, afin qu’il soit lui-même votreparrain… Mais comme tu es pâle ! À coup sûr, ce bambin a eupeur dans l’antichambre, où nous l’avons laissé sans lumière…

Un éclat de rire universel accueillit cettesaillie d’Alfonse. Castelmelhor rougit d’indignation et ne réponditpas.

– Or çà, continua le roi, notre cherVintimille prend les façons d’une tête couronnée : il se faitattendre. Qui de vous, seigneurs, veut être parrain à saplace ?

Personne ne bougea, tant on craignait lacolère du favori. Mais le roi ayant répété sa demande, un simplechevalier sortit des rangs des Fanfarons et vint se placer au piedde l’estrade, où il exécuta une douzaine de courbettes consécutivesavec un inimitable aplomb.

– S’il plaît à Votre majesté, dit-il enmettant son feutre sous le bras, je suis l’intime ami de cetrès-cher seigneur Antoine Conti de Vintimille, et je me ferai unplaisir de le remplacer.

– Comment vous nomme-t-on, l’ami ?demanda le roi.

– Ascanio Macarone dell’Acquamonda, sire,pour servir Votre Majesté sur terre, sur mer, ailleurs, aussi biencontre les Maures que contre les chrétiens, et tout prêt à passersa propre épée au travers de son propre corps, à cette fin demontrer la dix-millième partie de son ardent et incommensurabledévouement pour le plus grand roi du monde !

Le beau cavalier de Padoue prononça cettepériode sans reprendre haleine.

– Voilà, dit Alfonse, un plaisantoriginal, et il ne fallait rien moins que cela pour compenserl’expression lugubre de la physionomie du petit comte. Comte,veux-tu de cet homme pour ton parrain ? Il parle bien.

– Est-il noble ? balbutiaCastelmelhor.

– Que mes glorieux ascendants vouspardonnent cette question, dom Louis de Souza ! s’écria lePadouan en levant les yeux vers le ciel. Ce fut mon trisaïeul quifit le roi François de France prisonnier à la bataille de Pavie, etle frère de ce vaillant soldat était chevalier de Rhodes, à tellesenseignes qu’il sauva le grand maître Philippe de Villiers del’Isle-d’Adam, dont les illustres seigneurs qui m’entourent n’ontpoint été sans entendre parler quelquefois par hasard.

– Bien trouvé, sur ma parole !s’écria le roi. Dites-moi, seigneur Ascagne, n’êtes-vous pointparent, du pieux Énée et de son fils, qui portait le même nom quevous ?

– J’ai toujours pensé, sire, réponditsérieusement Macarone, que c’était là une grave lacune dans lestitres de ma famille. Le fait est qu’ils ne remontent que jusqu’autemps de Tarquin l’Ancien, cinquième roi de Rome : c’est unmalheur.

– Allons petit comte, dit Alfonse, danstoute la chrétienté tu ne trouverais pas un meilleur gentil homme.Donne-lui l’accolade, et commençons.

Macarone quitta aussitôt le pied de l’estradeet s’avança vers Castelmelhor en tendant le jarret et imitant deson mieux les allures de crânerie affectée qu’il avait admirées àla cour de France où il avait été réellement laquais de quelquegrand seigneur.

Le beau cavalier de Padoue avait faitsomptueuse toilette. Sa main ne s’agitait qu’en soulevant un flotde dentelles, et le panache démesurément long de son feutrebalayait le parquet à chaque pas. Son visage était radieux. Safortune subite et le fonds qu’il faisait sur les promesses de Contilui avaient littéralement tourné la tête. Castelmelhor, le toisad’un regard hautain. À la vue de cette mine de bravache, sonpremier mouvement fut de tourner le dos avec mépris : mais,trop avancé pour reculer, il tendit sa joue avec une répugnancevisible qui réjouit fort Sa Majesté. Macarone se pencha d’une façontoute galante et donna l’accolade.

En levant les yeux, Castelmelhor put voir deloin le regard de Balthazar attaché sur lui avec une expression demépris et de pitié.

Nous passerons sous silence une multituded’épreuves bizarres que le postulant fut obligé de subir, ainsiqu’un long et paternel discours d’Alfonse, qui obtint, comme deraison, les applaudissements de l’assemblée.

L’impatience dévorait Castelmelhor, une sueurfroide découlait de son front. Non-seulement il souffrait de cettesérie d’humiliations qu’on lui imposait devant cette foule où pasun, excepté le roi, n’était son égal ; mais il songeait auxparoles de Balthazar, et tremblait que toute cette honte ne fût enpure perte.

Macarone, au contraire, se complaisait dansson office ; il ne faisait grâce ni d’une formule ni d’uneformalité. Or, il y en avait beaucoup, car ces cérémonies,destinées, comme nous l’avons dit, à divertir le roi,travestissaient à la fois les us et coutumes des associationssecrètes d’Allemagne, d’Angleterre et d’Italie, et les anciennestraditions chevaleresques. On avait mêlé à tout cela des pratiquesqui rappelaient l’origine de l’ordre, c’est-à-dire des assautsd’escrime, de barre, de lutte corps à corps, etc. C’était, on s’ensouvient, par leur habileté dans ces exercices que les frèresConti, véritables instigateurs de ces bouffonneries, s’étaientinsinués auprès du roi.

Castelmelhor, à bout de patience, contenait àgrand’peine son dégoût, lorsqu’un incident vint mettre un terme àson martyre et lui épargner les dernières épreuves. Conti entratout à coup dans la salle, traversa précipitamment la foule ets’élança vers l’estrade royale.

– Tout va bien, murmura-t-il en passant àl’oreille d’Ascanio.

Puis, franchissant les degrés, il mit un genouen terre et parla au roi à voix basse.

Alfonse le reçut d’abord d’un visage sévère,mais il paraît que le favori sut expliquer son absence d’unemanière satisfaisante, car le front d’Alfonse se dérida tout àcoup.

– Ainsi, tu as fait une battuepréparatoire ? demanda-t-il en se frottant les mains.

– Que votre majesté me permette de luiparler en quelques mots de mon entrevue avec la reine sa mère,répliqua le favori.

– Demain, Vintimille, demain, tu meparleras de cela. Ce soir, il s’agit de la chasse ; yaura-t-il du gibier ?

– Le gibier est trouvé, sire, et je saisoù le relancer.

– Quelle ramure ?

– Un cerf dix cors : la perle deLisbonne, la perle du Portugal peut-être, mais il faut sehâter.

– Au diable la réception, alors !…Comte, nous te faisons grâce de la coupe des goinfres du roi, quicontient six pintes de France, et du saut de l’épée, que nous seul,en l’univers, savons fournir d’une façon passable. Avanceici !

Castelmelhor monta les degrés, toujours suividu cavalier de Padoue, son parrain. Alfonse se leva et fit un signeà Conti, qui tira le rideau de velours dont nous avons parlé. Lastatue de Bacchus apparut splendidement illuminée.

– Seigneur comte, reprit le roi, vousjurez fidélité à Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé, notrejoyeux patron ?

– Je le jure, dit dom Louis en essayantde sourire.

– Vous jurez de garder un secretinviolable sur tout ce que vous venez de voir et d’entendre.

– Je le jure, dit encore dom Louis.

– Vous jurez, et c’est le principal, derefuser le secours de votre épée à toute créature inférieurec’est-à-dire au sexe féminin que l’ancienne chevalerie n’avait pashonte de servir : c’est à savoir, dames, demoiselles, duègnes,bourgeoises, sans distinction de noblesse ou de roture, en tantqu’elle sera poursuivie dans la forêt de Lisbonne par vos frères,les chevaliers du firmament, fût cette femme votre mère ou votrefiancée ?

Conti attacha sur le malheureux jeune homme unregard sardonique. Castelmelhor recula et garda le silence.

– Jure pour lui, seigneur Turnus, Diomèdeou tout autre nom héroïque : j’ai oublié le tien.

Ascanio se hâta de faire le sermentdemandé.

– Écrivez qu’il a juré, dit le roi augreffier chargé de rédiger procès-verbal de toutes ces misères.

Puis, saisissant l’épée d’Ascanio, il endéchargea un grand coup sur l’épaule de Castelmelhor, en riant àgorge déployée, et s’écria :

– Au nom de Bacchus, et de parmonseigneur Silène, bambin de comte, je te fais chevalier !…En chasse seigneurs, tayaut ! tayaut !

Les trompettes exécutèrent un bruyantdépart et la foule, le roi en tête s’écoulatumultueusement. Ascanio courut rejoindre Balthazar.

– Voici le moment d’agir, mon brave,dit-il ; suis-moi et tiens-toi prêt.

Balthazar le suivit en silence.

Castelmelhor était resté agenouillé surl’estrade, étourdi, affolé, par ce qui venait de se passer. Maislorsque les derniers sons de la fanfare eurent cessé de retentir àson oreille, il s’éveilla brusquement.

– Est-ce trop d’un trône, murmura-t-il,pour payer tant d’ignominies ! Alfonse ! Alfonse !je serai ton favori d’abord, puis…

Il n’acheva pas, mais l’éclair d’orgueil quibrilla dans son regard eût été, pour un tiers, une traductionsuffisante de sa pensée ambitieuse.

Au lieu de suivre la chasse royale, il fitseller un cheval et prit au grand galop le chemin de l’hôtel deSouza.

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