Les Mohicans de Babel

Chapitre 23LA DESCENTE AUX ENFERS

On suppose bien qu’après le drame,Mme Milon-Lauenbourg fut décemment enterrée, ainsique le drame lui-même.

Beaucoup plus tard cependant, grâce à certaines indiscrétionssuscitées sans doute par les amis de Turmache, on put à peu prèsétablir les faits : le fils Ternisien emportant le cadavre deMme Lauenbourg dans l’auto restée à la lisière dubois sur les derrières du pavillon, Roger Dumont, revenant avec leministre au château dans l’auto qui les avait amenés, Lauenbourgremontant directement dans son appartement tandis que Roger Dumontallait ouvrir la petite porte du parc et aidait le fils Ternisien àtransporter le cadavre dans l’appartement deMme Lauenbourg ; Nounou accourant à demi folleet qu’on fit taire, par la terreur.

Le ministre avait téléphoné à Baruch qui arrivait deux heuresplus tard. Toutes dispositions furent prises pour éviter lescandale. « Morte d’une embolie ». EtMme Lauenbourg, enterrée après une cérémonie trèssimple, dans le cimetière de Pontoise (pour obéir aux dernièresvolontés de la défunte…)

Milon y montra, lors de l’inhumation, une douleur touchante etpeut-être réelle. Sur ses indications, on construisit hâtivement unbeau caveau où il se réservait une place auprès de sa femme pourplus tard… le plus tard possible ! Voici pour l’Histoire.

Et maintenant, rentrons dans l’ombre de cette nuit terrible oùce bon M. Barnabé vient d’être si cruellement frappé dans sesplus chères affections…

Dans l’auberge, qui était placée, comme nous l’avons dit, à unedistance appréciable du pavillon, on n’avait pas entendu le coup defeu ; on ne s’était aperçu de rien.

Dans l’atelier, où il eût été difficile de relever les dernièrestraces du drame, ce bon M. Barnabé était resté, un masqueaffreux où, dans une pâte ramollie, le vice invisible et présentcreusait d’un doigt sordide toutes les marques de l’ignominie,l’aveu d’une âme pourrie.

Roger Dumont reparut devant lui : « Tout estarrangé ! »

– Pour moi, tout est fini ! Il ne me reste plus qu’àvenger la morte. Ça va être vite fait. Et ne me dis pas que tu necomptais pas là-dessus, Roger Dumont ! Tu pensais que tantqu’elle vivrait, je ne parlerais pas !… Bien calculé !Tout de même tu es un assassin !… Tu m’avais juré qu’iln’arriverait rien, que nous ne risquions rien, et tu avais glissédans la poche du monsieur un revolver…

– Je vous jure, monsieur Barnabé…

– Tu dis peut-être la vérité, mais je ne te croispas ; alors autant te taire !… Au fond ce n’est pas à toique j’en veux… c’est à moi qui ai été assez bête d’aller techercher pour organiser l’affaire. On n’est pas plus imbécile. Maisc’était plus fort que moi, tu comprends !… Je ne vivais plusque pour ça !… pour cette idée-là depuis deux ans. Jesentais que mon bonheur ne serait complet que s’il me surprenaitici, avec sa femme !… Je devrais être content !…seulement, il l’a tuée, voilà. Je m’étais mis à l’aimer, moi, cettefemme-là !… Enfin, n’en parlons plus, on n’est pas desgosses !…

Il s’était soulevé de son siège, il était courbé en deux, lesbras ballants, il vint péniblement jusqu’à Roger Dumont, et levavers lui sa tête de belette : « Qu’est-ce qu’il ditmaintenant ? »

– Il pleure dans les bras de Baruch !

– Non !… Ah çà !… M. Legrand pleure dansles bras de Baruch ! Eh bien, mon vieux, merci. Tu sais,tu es pardonné. Écoute, je vais même te dire une chose… c’estplus beau comme ça ! Il l’aimait, il ne pouvait pas ytoucher ! il la surprend quasi dans mes bras et il latue !… c’est complet ! Au fond, on ne peut pas demandermieux ! Et maintenant, cher monsieur, au travail ! lajournée n’est pas finie, elle commence. Réjouis-toi, Roger Dumont,je vais te livrer M. Legrand !

– La besogne est déjà à moitié faite.

– Oui, ça n’a pas trop mal réussi notre petit truc avec cesmessieurs de la bande… et Daniel appelle ces gens-là desas ! Alors ?

– Alors, ils se sont fait prendre, l’un aprèsl’autre comme des lapins, on peut dire dans le même trou en pleinecampagne… Oh ! ma souricière était bien établie !…

– Tiens ! voici les adresses de ces messieurs à Paris…Que les perquisitions soient faites dans la matinée.

– Comptez sur moi : aussitôt arrivé à Paris, je vaisréveiller Viennet.

– Directement !… et ne parle qu’au procureur de laRépublique, que Baruch n’en sache rien !… et que la policejudiciaire, le parquet soient saisis dès la première heure.

– Vous pensez !…

– Buwler, Volski, surtout ! qu’on les soigne !Ils ne peuvent pas nier… leurs autos sont encore ici… Qu’on lesfasse saisir, c’est une preuve !

– Et quelle preuve !… Vous savez que Milon, en passantdans la cour, a dit à Mariette : « Je suisattendu ! » et il est allé sans demander sonreste s’enfermer dans la chambre où les autres étaient censémenttoujours là, attendant M. Legrand ! Ça, c’est demoi !

– Compliments ! un enfant y aurait pensé !…

Il entra dans sa chambre et en ressortit avec un dossier énormesolidement ficelé et cacheté : « Tu vas porter tout çachez Viennet ! Une seconde ! j’ai encore un cadeau à tefaire ou plutôt à faire à Viennet : ce petit livre, sijoliment relié, je te conseille de ne pas le perdre en route…Hein ? quoi ?… Eh bien oui ! un code sur lamitoyenneté, ça peut servir à un homme de loi… ça servira àViennet, crois-moi ! Adieu, Roger ! je n’ai plus rien àte donner ! Laisse-moi à ma douleur… »

* * *

Le lendemain, il y avait un singulier mouvement au Palais etdans tous les services judiciaires. On disait que le procureur dela République était arrivé à la première heure et s’était enfermédans son cabinet où il avait reçu des visites assezmystérieuses : à deux heures, on signala l’arrivée deM. Baruch. M. Viennet et M. Baruch restèrentenfermés deux heures.

Inutile de dire combien parut sensationnelle cette entrevue duprocureur de la République et du ministre de l’Intérieur, au Palaisde Justice même. On raconta que Viennet avait refusé de se rendreau ministère, prétextant qu’il avait à expédier une besogne tropurgente.

Quelle besogne ?… Les interviewers se heurtèrent d’abord àun silence absolu… et puis le bruit courut et transpira dans lapresse qu’on était enfin sur les traces de M. Legrand, et quel’arrestation de celui-ci n’était plus qu’une questiond’heures !…

Entre-temps, on apprenait que Mme Lauenbourgvenait de succomber à une embolie au château des Romains… on neparla plus pendant vingt-quatre heures que de ces deux événements,et de la douleur de « M. le Premier… »

Jusqu’à l’inhumation, ses ennemis les plus acharnés luiaccordèrent une trêve qui fut décemment prolongée de quarante-huitheures.

Or, au Palais, le grand émoi semblait s’être calmé.M. Viennet n’y faisait plus que de courtes apparitions.Baruch, retour du château des Romains, restait invisible, se disantsouffrant ; les Chambres étaient encore en congé pour quelquesjours.

Un singulier repos pour Lauenbourg et plein d’angoisse, comme lecalme plat avant la tempête.

– Eh bien ! Et M. Legrand ? M. Legrandqu’on devait arrêter ? « Ce n’était plus qu’une questiond’heures ! » Ce thème, repris par le journal de Tromp,devenait un sujet de plaisanterie, de chroniques parisiennes. On sefaisait la main…

Deux jours avant la rentrée des Chambres, Baruch donna signe devie. Il fit téléphoner par son chef de cabinet à WilliamLauenbourg, le frère du ministre, de venir le trouver placeBeauvau.

William arriva à trois heures de l’après-midi ; il nesortit du ministère qu’à sept heures du soir.

Les journalistes qui étaient étonnés de l’absence prolongée deMilon-Lauenbourg, lequel n’avait pas reparu au Trésor ni à sabanque depuis la mort de sa femme, et qui se doutaient qu’il sepassait quelque chose de très grave, attendaient William à sasortie.

Ce cadet des Lauenbourg était corpulent et sanguin. Ils virentpasser un spectre.

Il les écarta d’un geste de la main et se jeta dans sonauto.

À partir de cette visite, les événements se précipitèrent. Lelendemain les bruits les plus étranges coururent dans les couloirsde la Chambre où les députés, retour de leurs circonscriptions etqui n’en étaient pas plus fiers pour ça, s’inquiétaient de ce quiavait pu se passer en leur absence. Un soir, on apprit que Viennetavait eu une nouvelle entrevue avec Baruch.

Pour le lendemain matin, veille de la rentrée des Chambres, onavait annoncé un conseil de cabinet, mais il n’eut pas lieu. Baruchreçut ce jour-là quelques ministres, tout à fait dans leparticulier, et il fut impossible de savoir ce qui s’était dit danscette réunion intime. D’autre part, la famille Lauenbourg restaitinaccessible. On savait seulement que le second frère, Arthur,avait passé la journée avec William et qu’ils avaient été rejointsvers les cinq heures par le beau-frère Parisol-Lauenbourg.

On s’attendait aux plus graves événements pour l’ouverture de laChambre.

L’affaire Legrand revenait sur l’eau. Certains affirmaient que,dès l’ouverture de la séance, le procureur de la République allaitintervenir pour exiger des poursuites. Des parlementaires, desministres même se seraient faits les complices, sans le savoir, dela plus grave organisation de brigandage que l’on pût rêver.

La rue était calme. On n’y était pas habitué. On trouvait celaplus grave que tout.

Revenons au château des Romains, à la veille de la rentrée duParlement.

Que s’y passa-t-il exactement ? Ce dut être plus terribleque tout ce que l’on peut imaginer. Comment mourutMilon-Lauenbourg ?

Comme, après le drame, ceux qui avaient été appelés au pouvoir –Baruch et sa séquelle – avaient un gros intérêt à ne rien élucider,peut-être n’aurait-on jamais bien connu les choses si une femme deservice qui fit secrètement un rapport pour Roger Dumont(réinstallé chef de la Sûreté générale par Baruch) n’avait complétéce rapport par une lettre à son amant, lettre qui nous est passée,beaucoup plus tard, sous les yeux. Cette femme de service n’étaitcertainement pas la première venue. Et quant à nous, nous nesaurions douter que ce fût Thérèse, la première femme de chambre deMme Lauenbourg.

« Le 12, en se mettant à table pour dîner, monsieurcommanda qu’on lui tînt son bagage prêt pour le lendemain(lendemain, rentrée des Chambres).

« On venait d’enlever le potage quand il y eut des bruitsde trompe à la grille. Trois autos. C’était toute la familleLauenbourg qui arrivait, hommes, femmes, enfants. Personne n’étaitprévenu. Le patron, étonné, alla au-devant d’eux. Williamdit : « Le bruit a couru que tu étais souffrant. Noussommes venus pour te soigner ! » Cela, jel’entendrai toute ma vie…

« Nous improvisâmes un dîner, vaille que vaille… auquel, laplupart ne touchèrent point, à l’exception des enfants quidévorèrent. Monsieur avait voulu faire asseoir deux de sesbelles-sœurs à ses côtés, mais Parisol insista pour prendre laplace de sa femme : « J’ai quelque chose à dire àMilon. »

« Quelques heures après, je me suis rappelé ce détail. Ilavait son importance. La conversation fut sans grand intérêt etdifficile. Visiblement, le patron ne paraissait pas enchanté del’arrivée inopinée de toute cette smala.

« Après dîner, ces messieurs s’enfermèrent avec le café etles liqueurs dans le bureau. Les enfants montèrent se coucher. Lesfemmes restèrent dans le petit salon. Elles n’échangèrent pas dixparoles. On avait l’impression qu’elles n’osaient pas seregarder…

« Dans le bureau, voilà ce que j’ai pu voir et entendre,grâce à des moyens à moi repérés depuis longtemps. William étaitdebout devant la table ; Milon-Lauenbourg, en face, renversésur son fauteuil, la figure écarlate, les yeux hors de la tête lefixait avec des yeux de fou. Arthur et Parisol avaient rapprochéleurs chaises.

« William disait : « Tu comprends que nousn’avons pas de temps à perdre en jérémiades… les protestations sontinutiles… Viennet a toutes les preuves… Baruch les a vues… Tescomplices sont arrêtés… Barnabé a donné tous les détails de tacomptabilité et de ta sous-comptabilité… Il est prêt àtémoigner ! et c’est sans doute à cette condition qu’on lelaissera tranquille ou à peu près ! Les histoires de Corbièresne sont que jeux d’enfants à côté de cette formidable organisationde M. Legrand ! Mais, mon cher, il faut te rendre à cetteterrible évidence qu’on ne peut à la fois commander à des honnêtesgens et à des bandits ! »

« – Vous êtes tous des bandits ! râla le patron.

« – Tu t’es cru au-dessus de tout ! continuait Williamet que tout t’était permis… eh bien ! voilà où tu en es !plutôt où nous en sommes… Nous allons tous périrignominieusement par ta faute, nous, nos femmes, nosenfants !

« – Mais, je proteste ! je vous jure… je vous jure àtous…

« – Tu ne m’as répondu que par des stupidités, indignes detoi, au questionnaire que je t’ai apporté… à la copie de quelquesdocuments que j’ai pu me procurer par Baruch… Baruch a fait tout cequ’il a pu, je te le répète… Et, au fond, s’il a obtenu de Viennetquelques jours de répit, c’est que celui-ci en avait besoin pourcontrôler certains points et aussi parce qu’il ne voulait faireéclater sa foudre qu’après la rentrée des Chambres… j’ai fait toutpromettre à Viennet. Sais-tu ce qu’il a répondu à Baruch ?« Je voudrais arrêter le scandale que je ne le pourrais plus.Il n’y a qu’une chose qui pourrait me permettre de laisser dansl’ombre le rôle primordial joué dans cette affaire parLauenbourg », mais cette chose, j’hésite à te la dire,parce qu’après tout je ne sais pas si tu as le courage del’entendre ! »

« Le patron se redressa sur son siège :« Ah ! vous êtes venus pour ça ! pour me direça ! car j’ai compris, va… Vous voulez que je metue ! »

« Il y eut un affreux silence…

« Alors l’autre retomba : « Les lâches ! ilsme doivent tout !… tout !… Toi, Arthur, que j’ai aimécomme un fils. Toi, Parisol, pour qui j’ai tant fait, à qui j’aitout donné ! Toi, William, que j’ai sauvé dix fois ! cartu allais un peu fort, toi aussi ! Et ils sont venus avecleurs femmes, avec leurs enfants, pour me crier :« Tue-toi ! » Ah ! les salauds ! maisj’aurais fait ce dont on m’accuse que je ne me tuerais pas !rien que pour vous embêter.

« William dit froidement : « J’ai mission det’avertir qu’on ne te laissera pas échapper ! Vois où ça temène ! je ne te parle plus de nous. Tu appartiens à la justicede droit commun et tu sais quel en est le dernier représentant…C’est à toi de choisir… Voilà un flacon… c’est du poison.

« – Un poison de tout repos, merci !

« – Pas de douleur et pas de traces… mais mort d’une anginede poitrine ! Choisis entre l’angine de poitrine ou autrechose… Adieu, Milon !

« Et ils sortirent. William glacé, Arthur tremblant,Parisol farouche.

« L’autre resta en face de sa fiole. Il la prit, laregarda, hésita. Je vis à ses yeux qu’il avait peur… Il baissait latête, la tournait de droite, de gauche, comme un voleur traqué, etcomme s’il essayait de découvrir un chemin par où il pourraitencore fuir son destin. C’était grand-pitié de le voir. Je n’aijamais assisté à quelque chose de plus déchirant. Il râla :« Je suis f… ! Je ne peux plus m’en tirer ! Baruchet Viennet sont d’accord… mais c’est Barnabé qui metient ! »

Là-dessus, le voilà qui se redresse comme s’il avait été touchépar une pile électrique et qu’il fiche la fiole par la fenêtre, àtravers le carreau qui vola en éclats.

« – Tout de même, hurla-t-il, ils ne m’auront pas commeça !

« Là-dessus, il court à son secrétaire, ouvre un tiroir,revient avec un dossier et se rassoit à son bureau…

« J’en avais assez vu pour le moment, j’étais curieuse desavoir ce qui se passait en bas.

« Toute la famille était réunie dans le petit salon. Leshommes fumaient des cigarettes, les femmes feuilletaient desalbums. Et le silence.

« Il était exactement onze heures et demie quand Williamdit : « Je vais voir ce que fait Milon. Il nous avait ditqu’il allait descendre ». Les trois hommes remontèrent. Je lessuivais comme si mon service m’avait appelée par là. Après un légercoup frappé à la porte, ils pénétrèrent dans le bureau ;j’entendis une sourde exclamation d’Arthur, presque unsanglot ! La porte avait été refermée rapidement, mais j’avaiseu le temps de voir Lauenbourg, renversé sur son fauteuil, les brasballants, la bouche ouverte… Je restai là, dans le couloir, commechangée en statue. Et puis la porte se rouvrit et Williamappelait : « Vite ! Thérèse ! Monsieur s’esttrouvé mal ! appelez ces dames ! Il va falloirtransporter monsieur dans sa chambre ».

« Mais ce fut plus fort que moi, j’entrai d’abord dans lebureau et courus à monsieur ; je me penchai sur lui et jem’écriai : « Mais il est mort ! » Je me retiraien constatant que le dossier qu’il avait quelques instantsauparavant devant lui avait disparu…

« Je passe sous silence les larmes de la famille, l’arrivéedu docteur dévoué, etc. Celui-là, on l’a entendu répéterpendant trois jours : « Il ne faut pas s’étonner, la mortde sa femme lui avait porté un coup terrible et puis il fumaittrop ! des cigares énormes… Pour moi qui le soigne depuislongtemps, l’angine de poitrine était indiquée ! jel’attendais… »

« Encore quelques mots et quelques faits qui ont leurimportance. Les dames passèrent la nuit à le veiller. Les hommes àbrûler des papiers… Il ne doit plus en rester un seul dans lestiroirs du château des Romains…

« Avant qu’ils ne s’enfermassent pour cette besogne,j’avais distinctement entendu William dire à Parisol :« J’ai bien cru quand nous l’avons quitté qu’il n’enaurait pas le courage ! » et Parisol luirépondit : « Moi aussi ! » mais il prononça cesdeux mots d’une façon assez singulière.

« Juste à ce moment Arthur les rejoignit ; il avaitl’air complètement abruti : « J’ai retrouvé le flacon surla pelouse ! fit-il… ça n’a pas été sans mal… mais il estintact !

« – Comment ! intact, sursauta William… tu veux direqu’il n’est pas brisé ?

« – Regarde, il est encore plein !

« Ce fut au tour de William de ne plus comprendre… Dureste, moi non plus, je ne comprenais pas ! William et Arthurregardèrent Parisol… Celui-ci était très pâle, la figure fermée,énigmatique… trop énigmatique : « Au fond, il vaut mieuxqu’il soit mort d’une vraie angine de poitrine »,laissa-t-il tomber d’une voix qui me glaça…

« Arthur regardait maintenant Parisol avec épouvante, maisWilliam fixait Parisol, si j’ose dire, avec admiration…

« William les entraîna. Ils n’avaient plus rien às’apprendre ni les uns ni les autres.

« Parisol, plus fort que les autres, avait su prendre,pendant le repas, ses précautions. Je compris pourquoi il avaittenu à s’asseoir a côté du patron. Au fond, c’est lui qui a sauvéla famille. Ils lui doivent une fière chandelle. Mais tu verras queles deux autres s’en débarrasseront. »

Nous n’avons rien à ajouter à cette lettre. Les faits quisuivirent sont connus. Deux jours plus tard Milon-Lauenbourg avaitrejoint sa femme dans le caveau de famille de Pontoise. Baruch, quivenait d’être chargé de former un nouveau cabinet, prononça l’undes plus beaux discours. Ce fut moins son prédécesseur au pouvoirqu’il pleura que son ami. Baruch a toujours passé pour unsentimental.

Tout de même, il y a des choses qui ne passent pas. On peutbeaucoup demander à la crédulité publique et puis tout à coup elledit : non ! Deux morts coup sur coup, comme celles-là,c’est trop ! Une embolie et une angine de poitrine !Peut-être que si l’on avait trouvé autre chose… peut-être aussi,que, même si ces morts avaient été naturelles, on n’y eût pointcru. La disparition du « cas Lauenbourg » de l’horizonpolitique et judiciaire arrangeait trop de monde pour ne pointexciter la furieuse curiosité des autres.

Le cadavre de Lauenbourg n’était pas plus tôt dans sa tombequ’il commença, suivant une horrible expression populaire, repriseen une autre circonstance par un historien de nos crisespolitiques, à bafouiller !

Les émanations qui s’en échappèrent ne tardèrent point àempuantir l’atmosphère gouvernementale où respirait difficilementBaruch.

Instruite en sous-main par certains agents de Turmache, lapresse d’opposition se montra bien indiscrète sur quelquesdémarches, conciliabules, rendez-vous secrets où se trouvaientmêlés le monde politique et le monde judiciaire. On se rappela lafigure que faisait William Lauenbourg en sortant de chez Baruch… Lasoirée de famille au château des Romains apparut des plussuspectes. Il y eut une interpellation. Bref, il n’y avait pas unmois que Baruch avait le pouvoir qu’il se voyait dans la nécessité« pour faire taire les mauvais bruits », de faireprocéder à l’exhumation du corps de Lauenbourg. Au bout d’un moisde décomposition, il pensait bien ne rien risquer et il avaitraison… en ce qui concernait Lauenbourg… mais son malheur fut quela presse de Turmache ne se contenta pas d’un seul cadavre et qu’illui fallut aussi celui de Mme Lauenbourg.

« Cette mort, écrivait le petit Paskin, est encore plusmystérieuse que celle de l’ancien président du conseil… Il s’estproduit au château des Romains au moment du décès deMme Lauenbourg certains faits qui restent encore àexpliquer. Mme Lauenbourg savait beaucoup dechoses ! Sa mort a pu ne pas être inutile àcertains ! »

Voilà où l’on en était, les vivants retournaient les cimetières« pour aérer l’atmosphère » (style Paskin…).

Tant est que la double exhumation eut lieu, ou plutôt futtentée, car si l’on retrouva bien le corps de Lauenbourg on neretrouva plus celui de sa femme. Le cercueil étaitvide.

Le lendemain de cette découverte, le ministère Baruch était misen minorité. Le ministère Turmache prit sa place.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer