Les Mohicans de Babel

Chapitre 12JEUX MÊLÉS

La journée de travail touchait à sa fin dans les bureaux del’U. R. B. Les couloirs se vidaient. Quelques employéscouraient encore en hâte après une dernière signature. Dans lapartie de l’immense bâtisse réservée à la haute administration, lessalons d’attente étaient à peu près déserts. Cependant, deuxpersonnages venaient de se rencontrer dans le vestibule qui donnaitsur les bureaux de M. le secrétaire général. C’étaientMM. André et Daniel Ternisien. Nous savons qu’ils nes’aimaient pas. André paraissait très déprimé. Il avait perdu toutecouleur. Ils parurent étonnés de se trouver là tous lesdeux :

– Tu ne sais pas ce que papa nous veut ? demandal’ancien élève de Polytechnique, pour rompre un silence gênant.

– Ma foi ! je pourrais te poser la même question,répliqua Daniel. J’ai reçu tout à l’heure un mot qui me convoquaitpour six heures. Voilà six heures et demie bientôt et j’airendez-vous au Cambridge à sept avec Rikiki. Le paternel feraitbien de se hâter… je ne sais pas avec qui il est enfermé, mais jecommence à en avoir marre de faire le poireau.

À ce moment, une porte s’ouvrit et les deux jeunes gens virentsortir du bureau de leur père une statue de marbre. C’étaitMme Milon-Lauenbourg. D’une démarche automatique,elle passa près d’eux sans les voir. Sa voilette ne parvenait pointà dissimuler son effroyable pâleur. Un manteau sombrel’enveloppait. Une statue ? non ! une ombre ! unspectre ! Elle atteignit l’escalier de son pas de somnambule,s’accrocha à la rampe et disparut.

Barnabé était resté dans le cadre de la porte ; il aperçutses fils : « Vous êtes là ! dit-il à Daniel et àAndré. Je ne puis vous faire entrer tout de suite, je viens derecevoir un coup de téléphone de la Chambre. J’attends M. leministre. Je vous ferai signe !

– Ça peut durer longtemps ! grogna Daniel.

– Dix minutes ou une heure, mais dussiez-vous m’attendre làtoute la nuit, ne quittez pas cette antichambre…

Dans ce moment, Martin l’Aiguille apparut au haut del’escalier.

– Ah ! ah ! on est en famille ? Commentallez-vous, Daniel ? Ce pauvre André m’a l’air souffrant,ajouta-t-il en regardant le jeune homme du coin de l’œil.

– Il ira mieux tout à l’heure, répliqua M. Barnabé, ense frottant les mains, c’est moi qui en réponds…

– J’arrive de la Chambre ! reprit Martin l’Aiguille.Le patron arrive. Succès sur toute la ligne ! Corbièresinvisible. Roger Dumont dans le scieau ! Je viens de mecroiser avec Mme Lauenbourg… Elle ne m’a pasreconnu.

– Elle sort de chez moi, dit Barnabé. La pauvrefemme ! Elle ne m’a parlé que de sa fille !

– Bah ! on finira bien par la lui rendre, répliquaMartin l’Aiguille en jetant un coup d’œil à Daniel, et il s’enfermaavec Barnabé.

Il n’y avait pas cinq minutes qu’il était dans le bureau dusecrétaire général que Milon-Lauenbourg apparaissait, sedébarrassait de son pardessus et jetait à Martin l’Aiguille :« Laissez-nous, j’ai à parler à Barnabé. » L’autre sedirigea vers la porte en haussant les épaules : « On seméfie de moi, maintenant ! »

– Oui ! j’en ai assez de ton jeu avec Turmache…Va-t’en je te parlerai demain.

Et il alla fermer lui-même la porte.

– Qu’est-ce qu’il vous disait ? demanda Milon àBarnabé.

– Mme Lauenbourg sort d’ici… Il l’arencontrée… elle était méconnaissable. La pauvre femme ne vit plus,monsieur le ministre, depuis le rapt abominable deMlle Sylvie. Elle m’a tenu des propos égarés…M. le comte m’a dit qu’elle serait bientôt consolée… que safille lui serait rendue avant vingt-quatre heures.

– Qu’est-ce qu’il en sait ?

– D’après lui, ce serait M. Roger Dumont qui auraitfait le coup dans le dessein de perdre Claude Corbières, mais quedepuis il s’était passé beaucoup de choses qui font queM. Roger Dumont n’a plus aucune raison de vouloir perdreM. Corbières, si bien que Mlle Sylvie seraitramenée d’ici peu chez ses parents et qu’elle aurait ainsi toutloisir de proclamer que M. Corbières n’est pour rien dans sonenlèvement.

– Je me réjouis de retrouver ma fille, grogna Lauenbourg…Je savais qu’elle ne courait aucun danger… mais il ne s’agit plusde Claude Corbières, maintenant, il s’agit de Roger Dumont et devous, il est furieux de n’être pas encore ministre. Je le briserai.Demain, il ne sera plus chef de la Sûreté. Ça lui apprendra àm’enlever ma fille sans ma permission et à se mêler de me rendredes services que je ne lui demande pas… À vouloir être trop malin,on y perd !

– Oh ! moi, monsieur le ministre, je m’y perds tout àfait… je ne comprends rien à toutes ces histoires… Je vous plainset je plains Mme Lauenbourg, tout simplement et detout cœur, d’être en proie à tant de difficultés, de méchancetés,de vilenies…

– De trahisons ! mon bon Barnabé.

– Hélas ! monsieur le ministre, chacun a ses peines,ici-bas. Moi qui vous suis dévoué jusqu’à la mort, j’ai faillimourir de douleur – je vous dis tout, monsieur le ministre, carvous devez tout savoir et je ne vous ai jamais rien caché – enapprenant que mon second fils, Daniel, un garnement…

– Je l’ai entrevu tout à l’heure.

– Oui, c’est moi qui l’ai fait appeler… Ce terrible garçonfait partie de la police !

– De la police ! Et de laquelle ?

– De la police de M. Roger Dumont, de la brigademondaine, monsieur le ministre. Il mène une vie ! Il s’afficheavec une demoiselle Rikiki. Il lui faut de l’argent !Oh ! il va falloir qu’il avoue tout à l’heure. Je veux luifaire honte devant son frère, qui est l’honneur même… le n° 2de l’École Polytechnique ! le plus brillant avenir ! ungarçon qui est appelé à faire un mariage admirable ! Enfin maconsolation et ma récompense sur la terre, monsieur leministre.

– Dites donc, Barnabé, mais j’y songe… Votre Daniel, s’ilfait partie de la brigade mondaine… Lui qui a dansé avec ma fille,devait être l’autre soir, chez moi, en service commandé… Il a serviRoger Dumont… Il sait où est ma fille, lui !

– Ciel ! monsieur le ministre, vous m’y faitespenser ! Il aurait trempé dans cet affreux complot ?

Depuis quelques instants, Lauenbourg se promenait de long enlarge, paraissant profondément réfléchir… Tout à coup, ildit :

– Barnabé… Votre fils peut nous rendre de gros services,qu’il reste dans la brigade mondaine…

– Que ne ferais-je pas pour vous, monsieur leministre ?

– Il sait où est ma fille. C’est peut-être lui qui l’aséquestrée. Il a peut-être déjà reçu l’ordre de la ramener.Questionnez-le ! menacez-le ! achetez-le ! le prixqu’il voudra. Je paie ! Et je vais vous dire une chose… carj’ai ma police moi aussi, – c’est que Roger Dumont a fait savoir àPalafox, par sa maîtresse Roxelane, où se trouve ma fille. Palafoxl’a fait savoir ou va le faire savoir à Corbières ! Corbières,naturellement, va courir la délivrer… Eh bien ! si votre filsn’est pas trop bête, dites-lui donc qu’il se mêle un peu del’affaire… avec quelques-uns de ses amis, et qu’il arrive sur ledos de Corbières avec éclat… Vous comprenez ! Il délivre mafille ! il a l’air de servir Roger Dumont, mais Corbières estcompromis ! c’est lui le coupable, quoi qu’il puisse dire… etquoi que puisse dire ma fille… Et pour tout le monde, lecoup a été monté contre moi par Corbières, Turmache et consorts quiveulent me faire chanter ! Et je reste sur mes positionsmalgré Roger Dumont qui me trahit !

– Monsieur le ministre, vous êtes un génie ! Je suisconfus d’admiration. Comptez sur moi… et sur monfils ! ou plutôt sur mes fils !

– Quoi ! sur vos fils ? Daniel mesuffit ! Je vous laisse le polytechnicien !

– Et moi, je vous le donne, monsieur le ministre ! caril faut songer en tout cela à la réputation deMlle Sylvie.

Lauenbourg releva vivement la tête et regarda Barnabé de façon àle faire rentrer sous terre…

– Je répète : « de la réputation deMlle Sylvie ».

– Et moi, monsieur Barnabé, je vous dis que la réputationde ma fille est au-dessus de toute médisance : C’est unevictime. On a voulu me faire chanter. On l’a séquestrée, un pointc’est tout ! l’affaire est nette.

– Elle ne le sera point pour tout le monde… si mon secondfils, qui a une fichue presse et qui a rendu quelques services àRoger Dumont, est mêlé ostensiblement à l’affaire… On dira ce quel’on a dit pour les bijoux volés : affaire montée entre RogerDumont et Milon-Lauenbourg… ce qu’il faut éviter à tout prix sil’on veut compromettre Corbières !

– Vous avez peut-être raison, Barnabé !

– J’ai tout à fait raison, monsieur le ministre ! QueDaniel fasse réussir l’affaire mais qu’il reste dans l’ombre.

– Et alors ?

– Et alors, j’ai mon second fils…

– Le n° 2 de Polytechnique !

– Insoupçonnable, celui-ci ! L’honneur même ! Ilsauve Mlle Sylvie de Corbières…Mlle Sylvie peut rentrer à la maison paternelle aubras de son sauveur. On ne dira pas que c’est la police qui l’yramène après l’en avoir fait sortir !

– Oui, mais on se demandera comment il s’est trouvé là pourla sauver !

– Parce qu’il la cherchait, monsieur le ministre ! Cequi est la vérité ; depuis la disparition deMlle Sylvie, mon pauvre André ne vit plus.

– Il est donc bien dévoué à nos intérêts ?

– C’est moi qui l’ai élevé, monsieur le ministre, et dansma seule religion : la religion Lauenbourg. Il se ferait tuerpour vous et votre famille. Enfin, monsieur le ministre, en ce quiconcerne Mlle Sylvie… vraiment, je n’ose dire… carc’est tellement, c’est tellement…

– Mais dites donc, Barnabé, vous m’ahurissez, monami !

– Il ne faut pas être ahuri, monsieur le ministre…Non ! je ne dirai rien, car monsieur le ministre riraittrop.

– Ah bah ! Mais j’ai envie de rire, moi !

– Eh bien, rions ensemble !… Mais quevoulez-vous ? Mlle Sylvie est tellementcharmante qu’on ne peut l’avoir vue une fois sans que l’oncomprenne que chacun, surtout à l’âge d’André, en soit un peu… unpeu…

– Dites donc ! Un peu amoureux ! Votre fils estamoureux de ma fille !

Et il éclata d’un rire formidable.

– Là, monsieur le ministre ! qu’est-ce que je vousavais dit. Et au rire formidable de Son Excellence se mêlaitmaintenant le petit rire de crécelle de M. Barnabé… Seulementsi, en riant, M. le ministre était cramoisi d’éclatanteallégresse, M. Barnabé était devenu jaune à faire croire queses veines ne charriaient plus que de la bile…

Il reprit, en toussotant : « Le pire qu’il puissearriver, c’est que tout le monde rie comme nous ! monsieur leministre m’avouera que ce n’est pas bien grave ! »

– Barnabé ! vous me ferez mourir ! Allez-y doncavec vos deux fils. Roulez Roger Dumont. Compromettez Corbières. Etramenez mon enfant. Ah ! voilà une famille qui m’estdévouée.

– Plus encore que vous ne croyez.

– Et vous n’êtes pas un imbécile !

– Moins que vous ne croyez, monsieur le ministre !

Milon-Lauenbourg regarda l’heure à sa montre :« Affaire réglée ! Laissons cela ! j’ai encore cinqminutes à vous accorder… Où en sommes-nous de nos changements enprovince et à l’étranger ? »

– Voici le dossier Legrand, monsieur le ministre, fitl’autre en tirant une chemise du tiroir de son bureau. Çamarche ! mais nous ne pourrons être garés que dans quinzejours au plus ! Songez que nous devons refaire tout notresystème de correspondance, modifier nos clefs, créer des centresnouveaux, indépendants, des maisons où nous avions établi unservice dont nous ne sommes plus sûrs, et cela sans que l’on sedoute dans ces maisons des mesures de méfiance et de protectionauxquelles nous nous sommes arrêtés !

– Oui, c’est du travail !

– C’est la Pologne qui me donne le plus de mal !

– À cause de l’agence Kromer, celle dont je croyais être leplus sûr ! ce Legrand est décidément terrible. Je le trouvepartout devant moi, ou derrière. Roger Dumont en cela avaitraison ! Ce n’est pas un mythe, hélas !

– J’étais comme vous, monsieur le ministre, moi non plus jen’y croyais pas ! Mais il faut bien se rendre àl’évidence.

– Barnabé, nous l’aurons !…

– Oui, par Volski !

Et M. Barnabé donne à lire à Milon-Lauenbourg une lettretimbrée de Varsovie.

– Je ne sais plus rien ! fit Lauenbourg, après avoirlu… Volski est-il prêt à trahir Legrand ou continue-t-il à nousrouler pour le compte de Legrand ?

– Patience, monsieur le ministre ! Depuis que vousm’avez parlé, j’organise quelque chose du côté de la rue desSaussaies… c’est ainsi que j’ai appris que mon fils enétait, le petit misérables ! Or, M. Legrand a biendes amis là-bas !

– Oui, je le crois ! Sans quoi nous l’aurions déjàdepuis longtemps ! je crois Roger Dumont capable detout ! Et il veut que je le fasse ministre, que je lui donnela gendarmerie !

– Monsieur le ministre, il faut tout lui accorder ! oule réduire en poudre !

– D’accord ! On aurait pu s’entendre, tant pis pourlui !

Milon-Lauenbourg rentra dans son bureau.

Il n’avait pas plus tôt quitté Barnabé que celui-ci seprécipitait sur son téléphone. Une sonnerie répondit à lasienne.

– Vous dites ? Aussitôt rentrée chez elle, elle s’estretirée dans sa chambre ? Et depuis ? Plus rien ?Elle a demandé de quoi écrire ? Il me faut la lettre…bien !

Il raccrocha, se frotta les mains avec un entraindouceâtre : « Ça va ! ça va ! » puis ilouvrit la porte qui donnait sur le vestibule et appela sesfils.

« Ça n’est pas trop tôt ! » lui jeta Daniel.

Il leur fit signe de s’asseoir, alla fermer la porte. Saphysionomie avait changé. Elle exprimait maintenant une douleurintense et si sincère qu’André se précipita vers lui :« Papa ? Qu’as-tu ? »

– Ah ! mon pauvre petit André ! mon pauvrepetit !

Et il se mit à pleurer, tout simplement. André était bouleversé.Enfin, M. Barnabé tira un immense mouchoir de la poche arrièrede sa jaquette, s’essuya les yeux, se moucha… Pendant tout ce tempsil ne regardait pas Daniel.

– Assieds-toi, mon André ! Tu sais, toi, comment jevous ai élevés ! les espoirs que j’ai fondés sur vous !les travaux sans nombre qu’il m’a fallu accomplir pour tenir lerang que j’occupe… Tu connais surtout l’honnêteté de toute ma vie.Je n’avais d’autre joie au monde que mes fils ! Quand tu esentré à Polytechnique, quand tu en es sorti avec le n° 2, j’aifailli mourir de bonheur ! mais j’ai trouvé encore la force devivre pour toi, André, qui mérites d’occuper dans la société uneplace que l’on ne donne pas toujours au plus vertueux ! Moiqui me suis toujours trouvé parmi les humbles et qui, encoreaujourd’hui, suis le plus humble serviteur de ce bonM. Lauenbourg, je me disais : Mon fils dominera ! etje ne regretterai pas la vie. Il fera un riche mariage ! cartu peux aspirer à tout ! à tout ! Quelle est la jeunefille qui ne serait pas heureuse de t’accorder sa main ?

– Tu devrais demander pour lui la main deMlle Lauenbourg ! ricana Daniel, que cettelarmoyante comédie commençait à agacer.

M. Ternisien bondit à ces mots : « Et pourquoipas ? Qui te dit que je n’y ai pas songé ? »

– Oh ! papa ! papa ! suppliait André.

Quant à Daniel, il riait comme avait ri tout à l’heureM. le ministre… « Ça y est ! ça y est ! je m’endoutais ! Ah ! il y a de quoi en crever ! Le malheurest qu’on ne sait pas où elle est,Mlle Lauenbourg. »

– Bandit ! râla le père, tu le sais, toi !

Cette fois, il s’était retourné vers lui et ses petits yeuxlançaient à Daniel deux flèches mortelles.

– Moi ?

– Oui ! toi ! toi qui l’as enlevée sur l’ordre deRoger Dumont, car il faut que tu saches, André, que ton frère estde la police ! Voilà pourquoi je vous ai fait venir ici !Voilà le frère que tu as, André ! Un Ternisien touche à la ruedes Saussaies ! Quelle honte ! quelle honte ! cegarçon nous déshonore. Eh bien, oui, c’est vrai, j’avais fait cerêve magnifique de marier André à Mlle Sylvie… Dieum’a puni de mon orgueil. Il m’a donné un fils mouchard !

– Oh ! les mouchards, tu sais ce que c’est, papa… lamaison ici en est pleine, et c’est toi qui les y as mis !

– Petit malheureux ! C’est comme si tu reprochais auministre de l’Intérieur d’avoir un service de Sûreté ! Monfils mouchard ! Et M. Milon-Lauenbourg le sait !

– C’est peut-être toi qui le lui as appris !

– Oui, c’est moi !

– Permets-moi de te dire, papa, que tu as une façon de tefaire valoir dans cette famille qui… qui me fait rigoler.

– Apache ! J’ai toujours sacrifié mes intérêts à ceuxde mon patron. La police lui a enlevé sa fille… J’ai un fils quiest de la police… Mon fils la lui rendra !

– Et comme récompense, il en fera cadeau à André. Ah !Papa… tu es à encadrer !

– Eh bien ! mon garçon, laisse-moi descendre de moncadre et te dire : Si tu ne fais pas ce que je vais te dire,je te tue de ma propre main ! Tu vas changer de vie ! Tuvas devenir un honnête homme… du moins en apparence, c’est tout ceque je te demande ! Et tu ne feras jamais plus parler detoi ! Seulement, avant de tirer ta révérence à Roger Dumont,tu vas nous rendre un petit service.

À ce moment, on frappa à la porte d’une certaine façon.

– Entrez ! commanda Barnabé.

Un domestique, à la livrée de la maison, entra. À sa vue Danielsursauta : « Spartacus ! »

Spartacus, le propre valet de chambre de Daniel, le saluagravement et dit à M. Ternisien : « La voitureest là ! »

– Dans dix minutes ! répliqua l’autre.

Spartacus referma la porte.

– Ça t’épate de voir ton domestique chez moi ?

– Un peu ! répondit Daniel, qui ne pouvait cacher sonahurissement.

– Je l’ai pris à mon service parce que c’est un trèsbon espion, comprends-tu ? et je t’ai rendu service enmême temps ! Spartacus t’espionnait, mon garçon, pour lecompte de Roger Dumont ! Il est bien payé ici, j’espère qu’ilme sera fidèle.

– Décidément, papa, tu es un as !

– Je ne sais pas si je suis un as, mais toi, tu es sûrementune gourde, pour parler ton langage, mon garçon ! Laisse-moidonc diriger les affaires de la famille et tu verras que tout lemonde s’en trouvera bien ! Écoute-moi et fais ce que je tedis : Tu sais où est Mlle Lauenbourg et je lesais peut-être aussi bien que toi. Prends quelques camarades etdélivre-la, avec éclat, mais sans que tu paraisses,toi ! sans que ton nom soit prononcé… Tes petits camarades laramèneront chez ses parents… c’est tout ce que je te demande, aunom de M. Lauenbourg, qui m’a encore dit de te remettrececi.

Barnabé tira un chéquier de son tiroir, le remplit et le tendità son fils :

– Vingt-cinq mille francs ! un service pareil, c’estpour rien ! Merci, papa ! J’accepte tout de même.

– Que tout soit fini cette nuit !

– C’est promis.

– Parce que, si tout se passe comme je te dis, il y aencore un autre chèque de vingt-cinq mille.

– Alors, ça va ! Tu m’en veux toujours ?

– Je t’en veux, parce que tu ne viens jamais consulter tonpère !

Daniel regarda son père… Il avait retrouvé sa petite figureratatinée et fadasse de tous les jours, et, de nouveau, Barnabé secaressait les mains.

– Redeviens honnête, mon garçon ! redeviens honnête…Songe à l’avenir de ton frère !

Daniel se mordit les lèvres jusqu’au sang, tendit la main à sonfrère comme s’il allait lui donner un coup de poing, jeta avant departir un coup d’œil sur l’armoire américaine qui tenait lalongueur du mur et disparut.

Il quitta l’U. R. B. dans un singulier état d’esprit.Il ne savait plus exactement où il en était avec son père.Jusqu’alors, il l’avait considéré comme un pauvre homme qui avaitle génie de la bureaucratie, mais par-dessus tout le talent de selaisser tondre la laine sur le dos et dont Milon-Lauenbourg abusaitsans retour. Ce que Daniel venait d’entendre lui ouvrait deshorizons si gigantesques qu’il en était fort troublé. Le Barnabé,qui n’était pas un rêveur, avait rêvé de marier André àMlle Lauenbourg ! Au premier abord, Danielavait bien ri, mais l’apparition si inattendue de Spartacus, quiétait à son père maintenant, après avoir été à lui, Daniel, etaussi à Roger Dumont, le secret de l’enlèvement de Sylvie par RogerDumont, que son père avait pénétré, la manière dont il allait enuser, par le truchement de Daniel, pour le faire servir à sondessein dont il faisait payer les frais parMilon-Lauenbourg, tout cela attestait une suite dans lacombinaison, qui n’était pas le fait d’un simple d’esprit.

Quoi qu’il en fût, il résolut d’obéir en tout, ce soir-là, à sonpère, de lui donner d’abord ce gage, Roger Dumont n’aurait rien àlui reprocher puisqu’il voulait, lui aussi, délivrer Sylvie. Et lelendemain, pour obéir à Roger Dumont, il cambriolerait son père.Ainsi il aurait satisfait à tous ses devoirs et serait en droit depasser à toutes les caisses.

« Ça se complique, mais ça s’arrange ! conclut-il, etpourvu que les chèques continuent à pleuvoir et que M. Legrandne s’en mêle pas, il y aura encore des beaux jours. »

Comme il en était là de sa cogitation, il lui sembla entendredes pas derrière lui. Il eut tout de suite le sentiment d’êtresuivi. À tout hasard il se rejeta dans l’ombre de la rueGodot-de-Mauroy, au coin de laquelle il était parvenu. Et ilregarda. L’homme était encore en pleine lumière du boulevard.C’était Spartacus qui, lui aussi, entra dans la rueGodot-de-Mauroy. Daniel l’attendit de pied ferme, mais il n’eut pasle temps de placer un mot.

– Chut, « monsieur », j’ai quelque chose de trèsimportant à vous dire. Entrons là, dans ce bar,voulez-vous ?

Daniel hésita une seconde et poussa la porte du bar. Quelqueshabitués hissés sur les hauts tabourets jouaient aux dés. Personnedans la petite pièce qu’isolait une cloison de planches cirées, àmi-hauteur du plafond. Ils s’y installèrent et ce fut Spartacus quicommanda les consommations. Quand ils furent seuls, le larbin pritla parole à voix basse :

– Mousieur, je n’ai jamais rien tant aimé que leservice de mousieur… et s’il n’avait tenu qu’à moi…

– Tais-toi ! je sais tout ! tu m’espionnais pourle compte de Roger Dumont.

– C’est la vérité, mousieur, mais vous n’avez rienà me reprocher, j’obéissais à mousieur Roger Dumont quim’avait placé chez vous !…

– Tu appartiens donc à la rue des Saussaies ?

– Oui mousieur ! Et c’est encore Roger Dumontqui m’a placé auprès de mousieur Barnabé, pour vousservir, « mousieur ».

– En quoi donc peux-tu me servir ? questionnaDaniel en dressant l’oreille.

– « Mousieur » doit « travailler »prochainement chez « mousieur » Barnabé, je suis là pouraider « mousieur ».

– En quoi peux-tu donc m’aider ?

– C’est moi qui introduirai « mousieur » dans lamaison, qui surveillerai le veilleur de nuit. Je couche dans lamaison et j’ai une clef qui ouvre le bureau de M. Barnabé…« mousieur » sait où se trouve le coffre-fort ?

– À peu près, Spartacus !

– Oui, je sais que M. Roger Dumont a dit ce qu’ilsavait à « mousieur » !… Mais ce que« mousieur » Roger Dumont ne sait pas, c’est que lorsque« mousieur » aura trouvé le coffre-fort, il ne trouverarien de ce qu’il cherche dans le coffre-fort !

Comment cela, Spartacus ?

– Le coffre-fort est à triple paroi, avec des cachettes quine s’ouvrent plus ! Voilà ce que « mousieur » fera.Avec le chalumeau, il découpera la paroi du fond, il ne trouverarien, puis la paroi de droite, il ne trouvera rien, puis la paroide gauche, dans le dessous, là, il trouvera ! mais il arriveralà en dernier ! Il faut que l’on voie que le« travailleur » a cherché.

– Spartacus, comment sait-tu tout cela, si RogerDumont ne te l’a pas dit ? interrogea Daniel stupéfait.

– M. Roger Dumont ne sait pas cela, mais M Legrandsait tout !

– Bah ! tu connais doncM. Legrand ?

– « Mousieur » sait bien que personne ne leconnaît, mais j’ai eu affaire à quelqu’un qui m’a parlé de la partde « mousieur » Legrand.

– Et ce que tu me dis là, tu l’as dit à M. RogerDumont ?

– Non « mousieur ». Cela ne le regarde pas.

– Tu trahis donc Roger Dumont pourM. Legrand ?

– Non « mousieur », je ne trahis personne !Spartacus franc comme son œil !… Spartacus est, depuis qu’il adébarqué à Marseille, au service de M. Legrand. Il fait cequ’il lui ordonne. C’est M. Legrand qui l’a fait entrer chezM. Roger Dumont, comme M. Roger Dumont m’a fait entrerchez vous ! Mais Spartacus n’a qu’un maître : c’estM. Legrand !

– Bon D… ! souffla Daniel, on ne sort décidément pasde M. Legrand ! Enfin ! soupira-t-il, il n’y aurapas trop de casse pour cette fois-ci ! Les ordres deM. Legrand ne font que m’aider à accomplir les instructionsque j’ai reçues de Roger Dumont !…

– Très bien ! « mousieur » ! Mais jedois dire à « mousieur » que M. Dumont compte surles papiers que « mousieur » trouvera dans lecoffre-fort ! mais moi, je suis venu pour dire à« mousieur » qu’il ne faut pas donner à M. RogerDumont ces papiers-là !

– Aïe ! sursauta Daniel. Et à qui donc faut-il lesdonner, Spartacus ?

– À moi !

– À toi ! et qu’est-ce que tu en feras, toi ?

– Je les ferai parvenir à M. Legrand.

– Sale histoire ! grogna Daniel. Je me serais bienpassé de cette commission !… (Il avait les bras et jambescassés…) Tu n’as plus rien à me dire ?

– Non, « mousieur », je ne veux pas abuser desinstants de « mousieur », on se reverra !… Si« mousieur » veut que je téléphone au Cambridge ?Ghersain ou Rafa y seront certainement là !

– Oui ! Tu leur diras que je les attends chez moi etqu’ils donnent le mot d’ordre aux « snobs »… Ah ! tudemanderas si Rikiki est toujours au bar. Fais-lui savoir qu’ellene compte pas sur moi ce soir.

Spartacus passa dans l’autre pièce et alla s’enfermer dans lacabine du téléphone pour donner libre cours à sa mauvaise humeur.Il voua aux enfers M. Legrand : « Qui nous endébarrassera, de celui-là ? Avec lui, on n’est sûr de rien,sauf d’un sale coup qui vous tombe dessus au moment où l’on s’yattend le moins ! Avec Roger Dumont, il y a moyen des’entendre. Au moins, on le voit. On peut causer avec lui.Seulement, voilà, est-il de taille ? de taille à nousdébarrasser de M. Legrand ? Que faire ?Ah ! je le gagne, mon pognon. »

À ce moment réapparut Spartacus. Il avait les yeux chavirés. Untremblement l’agitait. Il ne pouvait prononcer une parole. Il fitsigne à Daniel de le suivre et se dirigèrent vers la porte desortie.

En passant dans la salle du bar, Daniel aperçut, assis sur labanquette qui s’appuyait à la cloison de séparation, un type auxyeux bridés, coiffé d’une toque ronde de soie noire, habillé d’unecamisole de soie de même couleur qui tombait sur son pantalon. Ilavait une tasse de thé devant lui et fumait une cigarette d’Orientau bout d’un porte-cigarette de jade d’une longueur inusitée.

– Tiens ! fit-il, le père Kaolin !

Et il alla lui serrer la main.

– Ça va toujours à la Péniche ?

L’autre répondit d’un signe de tête distrait, et se remit àfumer sa cigarette.

Daniel rejoignit Spartacus sur le trottoir, qui l’entraînarapidement :

– Qu’as-tu donc, Spartacus ?

– Vous avez vu le Chinois ?

– Oui ! c’est Kao-Ping-Lang, un nom à coucherdehors ! À Paris, on l’appelle le père Kaolin. C’est le patronde la Péniche Chinoise. J’y suis allé souper quelquefois.On y rigole !

– « Mousieur » y a vraiment rigolé ?

– Oh ! je sais, des bruits ont couru… on a dit qu’ils’y passait des choses… des choses qu’on n’aurait encore vues qu’àBerlin, après la grande guerre, mais ce sont des histoires. Lapolice a été avertie, on y soupe, on y rigole, voilà tout. Maiscomme tu as l’air agité.

– « Mousieur », je n’aime pas rencontrer le pèreKaolin, assis sur une banquette derrière une cloison, après laconversation que nous avons eue tout à l’heure ! Heureusementque je n’ai fait que vous transmettre les ordres deM. Legrand ?

– Le père Kaolin est donc aussi à M. Legrand ?Spartacus se pencha à l’oreille de Daniel : « C’estson bourreau, mousieur ! »

Le jeune homme eut un haut-le-corps :

– Son bourreau ?

– Chut !… C’est lui qui est chargé de punir… Vouscomprenez… quand M. Legrand n’est pas satisfait ?

– Tu es maboule ! Qu’est-ce qu’il peut« leur » faire ?

– Ah ! « mousieur » j’en ai vu sortir dansun bien triste état de chez le père Kaolin, des gens qui y étaientvenus, comme vous dites, pour rigoler !

– Et ils ne se plaignaient pas !

– Oh ! non, « mousieur » !… Ils étaienttrop contents de pouvoir en sortir comme ça ! Je dis tout celaà « mousieur » pour que « mousieur » prenne sesprécautions, moi aussi, je suis allé à la PénicheChinoise, et je vous jure que je n’y ai pas« rigolé ».

– Qu’est-ce qu’il t’a donc fait, le père Kaolin ?

– Il ne m’a rien fait, mais j’ai vu !

– Quoi ?

– J’ai vu le cimetière deM. Legrand !

– Spartacus, tu es tout à fait fou, mon ami. Tu asvu un cimetière dans une péniche ?

– Non, « mousieur », le cimetièren’était pas dans la péniche, mais il faut entrer dans la pénichepour voir le cimetière. Je souhaite à « mousieur » de nejamais le voir !

Là-dessus, Spartacus, qui n’avait pas cessé de marquer le plussombre effroi pendant cette courte expédition, quitta brusquementle chef de la bande des snobs.

Daniel, tout à fait mélancolique, complètement désemparé,continua de s’acheminer vers la rue de Ponthieu. Il avait résolu detéléphoner à Roger Dumont. Or, il le trouva chez lui.

Le jeune homme se laissa tomber sur un divan et lui dit :« Tout sera prêt pour cette nuit, mais je suis content de vousvoir. Je ne veux plus jouer au plus malin avec vous, ni avecpersonne. J’en ai ma claque. On me manœuvre. Je ne sais pas où jevais…

– Vous voilà bien accablé, mon pauvre Daniel, lui dit lepolicier. Ce que je vous ai dit tient toujours ! Nous avons euun incident fâcheux, mais demain tout rentrera dans l’ordre !Mlle Lauenbourg délivrée, Corbières innocentéredevient menaçant et d’autant plus redoutable que je lui faisremettre le dossier des chèques sous lequel seront écrasésLauenbourg et sa clique, si je le veux !Allons ! un peu d’énergie. Daniel ! Demain soir je seraiministre et Lauenbourg « qui l’aura senti passer » ne meprendra plus pour un niais ! Avez-vous vu Spartacus ?

– Oui, je l’ai vu !… Merci pour m’avoir donné un sibon domestique, Roger Dumont !

– Du moment où il me sert, il vous sert !…

– Vous l’aviez mis là pour m’espionner !

– Pour vous empêcher de faire des bêtises ! Qu’est-cequ’il vous a dit ?

– M. Legrand veut que je lui remette à lui, par lessoins de Spartacus, les documents que vous me faites cambriolerdemain chez mon père.

Roger Dumont pâlit :

– Non ! fit-il, cela je ne le savais pas !

– Eh bien ! je vous l’apprends !… car je ne veuxplus rien vous cacher ; aussi, je vous avoue que cesdocuments, je les lui ferai remettre, car il y a quelqu’un que jeredoute plus que vous, Roger Dumont, c’estM. Legrand !

– Tu as tort, siffla le policier avec un regard affreux quiimpressionna singulièrement Daniel. Il n’y aura pas huit jours queje serai ministre de la police que je lui passerai les menottesmoi-même, à M. Legrand.

« Nous devons marcher la main dans la main et triomphercoûte que coûte ! Ce qui ne manquera point si tu fais tout ceque je te dis !

– Possible ! fit Daniel, toujours sceptique, mais pourun pacte pareil, faudrait s’expliquer !

– Oui… il vaut mieux que tu saches tout, nous pourronsmieux nous servir !… Seulement, je t’avertis que si, par uneimprudence quelconque, le moindre mot vient à transpirer de labrève conversation que nous allons avoir, la famille Ternisienpourra se mettre en deuil… il y aura un bel enterrement dans lafamille !

Daniel pensa : « Entre le cimetière deM. Legrand et le Dies irae » de RogerDumont à la Trinité, j’aurai de la veine si j’enréchappe ! »

Roger Dumont reprit d’une voix lente :« M. Legrand est fort, mais, quoi que tu en dises, j’aila prétention d’être aussi fort que lui. La rue des Saussaies estpleine de ses agents ; je finirai par croire qu’ils en sonttous ou à peu près. Mais je suis-là, moi ! Et si je n’ai plusd’agents à moi, chez moi, j’en ai chez lui !… De cecôté-là, je crois que nous sommes quittes.

– Chez lui ?

– Oui !

– Où, chez lui ?

– Nous nous disons tout ? C’est bien à la vie, à lamort ?

– Allez !

– Eh bien, à l’U. R. B. !

Daniel eut un mouvement : « Vous voulez parler decette vieille histoire du comte de Martin l’Aiguille ? Voussavez aussi bien que moi que ce n’est qu’unlieutenant ! »

L’autre restait muet.

– Oh ! je sais qui vous soupçonnez depuislongtemps ! Mais ça, mon cher, c’est de la poésie !Puisque vous voulez connaître les secrets de la maison… il y a beautemps que Lauenbourg et le comte se détestent. Je vous dirai mêmemieux : ils se haïssent. Il n’y a plus rien entre eux decommun. J’ai su dernièrement en couchant avec Thérèse, la premièrefemme de chambre de la belle Isabelle… que Lauenbourg, malgré tousles airs qu’il affecte, adore sa femme !… Il en estjaloux à crever… Et il paie Thérèse pour la surveiller !…ainsi que Godefroi !… Vous pensez bien que si Lauenbourg étaitce que vous pensez, ce qui me paraît absurde, il n’auraitpas mis dans un pareil secret le cousin Godefroi et n’en aurait pasfait « l’homme de M. Legrand ! »

– Voilà bien le rideau qui m’a empêché de voir depuis silongtemps ce qu’il y avait derrière… le rideau qui continue àt’aveugler.

– Quel rideau ?

– Celui sur lequel nous avons écrit :« absurde ! »

– Pourquoi absurde ?

– Parce que, lança Daniel impatienté, un homme dela puissance réelle de Lauenbourg, qui tient à tous lesrouages de l’État, n’a que faire des combinaisons feuilletonesquesd’un aventurier comme votre M. Legrand !… Ils sont auxantipodes, ne demandant qu’à se broyer l’un l’autre et, enattendant, ne feront de nous que des morceaux !

Roger Dumont souleva Daniel avec une force que l’autre ne luisoupçonnait pas :

– C’est le même !… Maintenant, je le sais !

– Vous en avez la preuve ?

– Non !… Il n’y en a qu’un qui a cettepreuve !

– Qui ?

– Ton père !

– N… de D… !

– Tu vois pourquoi tu vas cambrioler ton père !

– Papa sait que M. Legrand c’est…

– C’est son patron… et comme c’est un honnête homme, tonpère, et qu’il ne veut pas conserver pour lui un secret pareil… unsecret d’État… comme, d’un autre côté, il ne peut pas trahir sonpatron, ce qui serait le plus abominable des crimes… eh bien !il se laisse cambrioler.

– Hein ?

– Dame ! Spartacus n’est venu chez lui que pourcela !

– Eh bien, et moi, est-ce qu’il sait ce que je vaisfaire ?

– Évidemment !

– Prodigieux ! Et Milon ?

– M. Legrand ? D’après ce que tu me dis, il doitêtre averti de la combinaison, puisque, par Spartacus, il exige quetu lui rendes les papiers !

– Et Martin l’Aiguille ?

– Sait tout ! Il en a assez, lui aussi deM. Legrand, et croit à sa fin prochaine !

– Dans quelle histoire me suis-je fourré ! Quandj’aurai les papiers, qu’est-ce que j’en ferai ?

– Tu les donneras à Spartacus.

– Mais il les fera parvenir à M. Legrand.

– Non !… Aussitôt qu’il les aura en mains,Spartacus ne fera plus rien parvenir à personne ! ettoi, tu ne seras pas brûlé auprès de M. Legrand !

Il y eut un silence, assez bref, entre les deux hommes :« Eh bien ? » finit par jeter Roger Dumont,impatient.

– À Dieu vat !

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