Les Mohicans de Babel

Chapitre 3UNE SOIRÉE CHEZ LES MILON-LAUENBOURG

Si le comte d’Artois fit élever Bagatelle en soixante-quatrejours, Milon-Lauenbourg mit deux ans à faire construire sonTrianon-Boulogne, non loin du château de Madrid. Son parcparticulier atteignait la rive de la Seine.

L’œuvre de Gabriel avait naturellement servi de modèle à cette« folie » d’un nouveau riche. Les marbres les plus raresen formaient les colonnes ; les mosaïques des parquets et desdalles avaient coûté des sommes fabuleuses. L’or et les peinturesles plus brutales éclataient dans les fresques, étalant sur lesmurs une mythologie hellénique qui avait passé par l’inspirationdes Arts décoratifs de 1925, devenue source d’inspiration de tousdécor et mobilier modernes.

En pénétrant chez Milon-Lauenbourg on entrait dans un Trianonfrénétique qui n’était nullement propre à faire rêver des grâcestelles qu’on les concevait au siècle de la Pompadour, mais qui setrouvait être un cadre merveilleux et tout à fait adéquat à la modedu jour, laquelle n’avait jamais déshabillé d’une façon aussimagnifique et quelquefois aussi ahurissante la Beauté, la Voluptéet même la Vertu. Mme Tallien, dans ce milieu, eûtbien retardé. Ce que le Directoire avait fait des modes grecques,les couturiers modernes l’avaient fait de celles du Directoire. Làoù il n’y avait eu que de l’exagération, ils avaient mis del’extravagance, ils avaient poussé l’audace à ses dernièreslimites.

Le plus beau était que les plus honnêtes femmes avaient fini pars’accommoder de tout cela et ce n’était pas le moindre sujetd’étonnement que de voir Mme Milon-Lauenbourg, néeChabert (de la vieille famille de robe et de basoche, Chabert,alliée aux Martin l’Aiguille), montrer sa jambe, son dos et sapoitrine, sans en paraître gênée.

Mme Milon-Lauenbourg approchait de laquarantaine. Elle était encore admirablement belle. Son profiltoujours pur retenait le regard étonné et conquis, dès qu’ils’éclairait du moindre sourire. Sa gravité même était d’un charmetroublant. Si elle se mêlait de séduire, on était enchaîné. C’étaitune grande mondaine et c’était aussi une mère de famille modèle.Elle adorait sa fille, à l’éducation de laquelle elle avaitconsacré toutes les heures volées à ses devoirs parisiens.

Nous en avons assez dit pour faire comprendre qu’elle étaitdésirée de beaucoup ; ne rebutant personne, elle étaittoujours entourée brillamment sans jamais donner prise à lamédisance.

Lauenbourg, qui la trompait ouvertement, ne méritait point sachance.

Si sa femme était malheureuse, nul ne pouvait se vanter del’avoir consolée.

Quand Milon-Lauenbourg rentra dans les salons, ceux-ci étaient àpeu près pleins. Sa femme et sa fille Sylvie, une charmante enfantde dix-huit ans, toute blonde avec des cheveux curieusementébouriffés au-dessus d’un bandeau d’azur sombre, continuaient derecevoir les nouveaux arrivants. Il y avait là aussi, au premierrang, les deux frères de Milon, avec leurs femmes, lesbeaux-frères, les belles-sœurs, « toute la smala » que legrand chef avait poussée, établie sur Paris, comme jadis Napoléonavait « établi » ses frères sur l’Europe. William, lefameux commissaire-priseur, et Arthur, vice-président du Conseilmunicipal, devaient tout à Milon. Il y avait même un savant dans lafamille : Parisol-Lauenbourg, qui travaillait dans le sanscritet chez les antiquaires et que Milon venait de faire recevoir àl’Institut. Devant le clan tout-puissant, le Tout-Paris défilait…C’est ce que Lauenbourg appelait une réunion intime, une pendaisonde crémaillère entre soi, histoire d’essuyer les plâtres enattendant les merveilleuses fêtes qui feraient affluer toute lacapitale au bois de Boulogne.

L’orgueilleuse satisfaction que ressentit le financier devant leprodigieux empressement de tous à venir saluer sa nouvelle fortunen’était point nécessaire pour qu’il parût avec ce gonflement dutorse, ce rejet des épaules, cette élévation de tête, ce frontdominateur, cette démarche à la fois aisée et puissante qui lefaisaient reconnaître ou deviner partout où il passait. Ceux qui nel’avaient jamais vu pouvaient dire, sans se tromper : c’estlui ! c’est Milon-Lauenbourg !

Dans ses moments les plus difficiles, il avait toujours parudégagé de tout souci.

La figure entièrement rasée, légèrement empâtée sur une ossaturepuissante, son menton, sa mâchoire étaient des choses redoutables.Tout en lui, du reste, paraissait machine à broyer. Et, cependant,il ne manquait point d’une certaine élégance, celle du sportsmanqui vient de quitter le maillot après la partie de football, pourrevêtir la livrée mondaine. Il était loin d’être laid. Du reste, laforce n’est jamais laide, quand elle n’est point épouvantable. Ilavait quarante-cinq ans.

On ne l’avait pas plus tôt aperçu qu’il était entouré, félicité.Il y avait là de tout : des généraux, des magistrats, dessavants, des ministres, celui-là même qu’il avait remplacé, qu’onavait mis dehors pour lui faire place, les chefs tout-puissants duhaut commerce et de l’industrie ; des nobles, des rastas etdes femmes, des femmes surtout.

Claude Corbières, assis derrière un cactus, dans un coin dujardin d’hiver, assistait de loin à tout ce mouvement.

Il avait été l’hôte, à Dinard, pendant toute une saison, duvieux notaire – père de Mme Milon-Lauenbourg. Levieux Chabert, nommé par le conseil de famille subrogé-tuteur deClaude, avait géré la fortune du jeune homme. Claude était unsportif, une première raquette. Le double mixte le rapprocha deSylvie, encore toute jeune. Cette gamine lui plut beaucoup. De soncôté, elle l’aima. Mais alors, lui, qui s’était lancé dans lapolitique se détacha des Lauenbourg. Depuis deux ans, il ne lesvoyait plus. Désespoir, rage, pleurs secrets de Sylvie. Le combatque menait Claude contre son père la consternait. Il y mettaitpresque de l’acharnement, de la haine. Et, cependant, elle savaitbien qu’il l’aimait. Il ne le lui avait jamais dit, mais elle lesavait !

Dissimulé dans sa retraite, il la regardait danser. Et s’ill’aimait vraiment, nul n’eût pu le dire. Ses yeux, ordinairementtrès doux, devenaient de verre et c’était une glace derrièrelaquelle la pensée ne se laissait point surprendre. Alors, commedisait Sylvie, « il faisait sa statue ».

Sylvie dansait avec un grand jeune homme, qui paraissait fortembarrassé de l’honneur qui lui était échu. Il avait l’air d’uncollégien. Il avait passé par Polytechnique et cet espoir desmathématiques, pâli par l’étude et très myope, faisait, au milieude cette grande fête mondaine, la mine la plus niaise du monde. Ils’appelait André Ternisien. Après la danse, il alla s’asseoir biensagement, comme une demoiselle, auprès de son père, le fondé depouvoir de Milon-Lauenbourg, celui qui avait la haute main surtoute la comptabilité de l’U. R. B., l’austère etvertueux Barnabé. Celui-ci était fier de son fils André ; ill’était moins de son fils Daniel, qu’il ne voyait que pour luirefuser de l’argent, car l’avarice de Barnabé était aussi célèbreque sa vertu et son dévouement pour ses maîtres.

Daniel était un charmant petit gaillard, aux yeux de velourssombre, nullement efféminé, quoique fort apprécié au dancing,toujours mis à la dernière mode, que l’on voyait partout, dans lespalaces, aux premières, à toutes les fêtes mondaines, sachant fairerire les femmes et dépensant un argent de poche dont on ignoraitl’origine. Son père, Barnabé, était un homme à principes comme onn’en fait plus. Son honnêteté se révoltait à l’idée qu’un être,issu de lui, pouvait avoir des moyens d’existence inavouables. Ilavait fini par fermer sa porte à Daniel et vivait seul, sa femmeétant morte.

Maintenant, Sylvie dansait avec Daniel. Sylvie, de touteévidence, accomplissait une corvée, obéissant aux prescriptions desa mère : « Nous avons tant d’obligations à ce bonmonsieur Barnabé », mais, à la vue de Daniel dansant avecSylvie, la joie de Barnabé était tombée. « Le misérable,fit-il entre ses dents, il lui fait la cour ! » Andrérougit.

Soudain, Sylvie aperçut Claude qu’elle cherchait. Elle planta làson danseur et vint s’asseoir auprès du jeune député.

Ils se serrèrent la main, longuement.

– J’ai reçu votre mot, fit Claude. Et vous voyez, je suisvenu. Et puis, ajouta-t-il, il m’était vraiment impossible de nepoint répondre à la si gracieuse et si pressante invitation demadame votre mère. J’imagine bien, cependant, qu’elle ne l’aenvoyée que poussée par Lauenbourg. Il espère peut-être que nousferons la paix. Je ne me suis pas dérobé. Je ne veux pas avoirl’air d’avoir peur… Mais vous, pourquoi m’avez-vous fait venirici ?… le dernier endroit où je devrais memontrer.

La jeune fille secoua la tête :

– Mon père n’y est pour rien !

– Qu’avez-vous donc de si pressé à me dire,Sylvie ?

– De prendre garde, Claude. Ils sont décidés àtout…

Elle avait les yeux pleins de larmes. Il prit sa main dans lasienne :

– Ma pauvre petite Sylvie ! Mais il ne faut pas vousépouvanter, vous savez, j’en ai vu d’autres ! Quand on mène labataille que je conduis, il faut s’attendre à tout.

– Pourquoi êtes-vous si terrible avec mon père ?

À cette question directe, Claude resta silencieux… Elle dutrépéter ses paroles.

– Sylvie, finit-il par dire, pourriez-vous me jurer que cen’est pas lui qui vous a priée de me poser cettequestion ?

– Je vous le jure, Claude ! et je suis bienmalheureuse, si vous pouvez imaginer que c’est une autre pensée quecelle de votre sécurité qui me pousse à vous parler ainsi. Je nem’occupe jamais des affaires de mon père…

– Eh bien, Sylvie, je vais vous répondre à mon tour. Vousne doutez pas de mon amitié, n’est-ce pas ? et de la douleuravec laquelle j’ai dû, peu à peu, me résoudre à cesser toutesrelations avec votre famille… mais il le fallait, Sylvie, il lefallait à cause de tous ceux qui sont là. Regardez-les ! Bienpeu manquent à l’appel ; les voilà, les amis, les clients deMilon-Lauenbourg ! Tous ceux à qui j’ai déclaré une guerre àmort. Si je succombe, Sylvie, ce ne sera pas sans leur avoir portédes coups solides, allez ! Tous les mondes ! et quelsmondes, sous cette éblouissante parure ! Je ne vous parle pasdes officiels qui ne sont que les domestiques des autres,ramasseurs de miettes sous la table ! Sylvie, ne vous récriezpas ! je sais ce que je dis… tout ce monde est horrible… Jevous respecte trop pour vous faire apercevoir, même de loin,l’ignominie de cette tourbe endiamantée… Vous connaissez ma tâcheredoutable… mais pour un homme comme moi, voyez-vous, Sylvie… iln’y a que ça qui vaille la peine de vivre !

– Que ça ?… fit-elle dans un souffle.

Il la regarda. Elle était affreusement pâle, elle tremblait…

– Sylvie, murmura-t-il… ne m’enlevez pas mon courage… Ilm’en a fallu. Je n’ai pas le droit d’aimer ! Il faut que jereste seul… Tout seul !

– Avec quelle joie vous dites cela !

– Non, il n’y a pas de joie, dans ce que je vous dis là,Sylvie, puisque je sais que vous serez la première à souffrir,hélas ! de ce furieux sacrifice que je m’impose… mais si c’estsans joie que je suis un chemin qui me détourne de vous… c’estaussi, je l’avoue, avec une terrible ivresse ! car jevaincrai, Sylvie, puisque j’ai commencé par me vaincre. Tout seul,contre tous ! Et propre ! Comprenez-vous,propre ! propre ! au milieu de toute cette fange. Je mesens plus fort que la mort, puisque j’ai été plus fort quel’amour…

– Vous me piétinez, Claude ! Je sais, hélas !depuis longtemps, que je ne suis qu’une toute petite fille qui necompte pas à vos yeux… mais écoutez-moi tout de même… Ils vousbriseront avant que vous n’ayez fait les premiers pas… Si voussaviez les paroles que j’ai surprises, elles m’ont glacée.Qu’est-ce que c’est que ce Richard Palafox ? Leconnaissez-vous ?

– Ah ah ! Richard Cœur de Lion ! fit Claude avecun sourire, mais, ma chère petite Sylvie, c’est un garçon trèsbrave et très fort à l’épée !

– Ah ! voyez-vous Claude ! Ils venaient de parlerde vous. Ils disaient que vous aviez des papiers… des papierscontre l’U. R. B. et notre cousin Godefroi, sur un tonque je n’oublierai jamais… disait à mon père :« Rassurez-vous, Milon… Avec Richard, ça ne traînerapas ! L’autre n’aura pas le temps de direouf ! »

– Merci de m’avoir prévenu, Sylvie, mais les spadassins neme font pas peur, et puis celui-ci a trop servi, ils n’oseraientpas ! Qu’avez-vous, Sylvie ?

– Le voilà !

– Rassurez-vous, il ne va pas m’embrocher comme ça, devanttout le monde.

– Ne riez pas, mon Dieu ! Ne riez pas ! Éviteztoute querelle…

L’homme passait et avait tourné la tête en entendant le rire deClaude. Il s’inclina devant Sylvie et continua son chemin, aprèsavoir un instant arrêté son regard sur le jeune député. Claude nelui avait pas rendu son salut.

C’était vraiment un beau spécimen d’humanité que ce Richard, ditCœur de Lion, un bel animal lâché en liberté dans la junglemondaine, qui s’écartait hâtivement devant son pas élastique, luilaissant la voie libre pour le libre jeu de ses muscles redoutés.Il était, du reste, tout sourire, et généralement d’une politesseun peu exagérée ; très grand seigneur avec les dames. Il avaitcommencé par se faire connaître dans les salles d’armes. Bientôt,il eut ses entrées partout. On savait qu’il n’eût pas hésité àdéfoncer les portes… Le pouvoir l’utilisait dans les momentsdifficiles. Toujours prêt à risquer sa peau, il trouait facilementcelle des autres.

– Promettez-moi, Claude, que vous allez partir tout desuite.

– Enfant !

– Et si je partais avec vous, fit la jeune fille, d’unevoix sourde.

– Si vous partiez avec moi !

– Oui ! avec vous ! J’ose espérer que rien nevous retiendrait plus ici !

Cette fois, sa pâleur avait disparu, un feu ardent colorait sesjoues…

– Partir ! répéta-t-il, se refusant à comprendre…comment partir ? Où ?

– Partout où vous irez !

Il prit sa petite main et s’en voila les yeux, pour qu’elle n’ylût point sa pensée… mais elle la devina.

– Ah ! gémit-elle, on n’enlève pas la fille deMilon-Lauenbourg…

Elle se leva, frissonnante, claquant des dents, ramenant d’ungeste machinal une gaze légère sur son visage empourpré. À peineentendit-il : « Adieu ! » et elle disparut parune porte donnant sur les appartements.

Là, elle se trouva en face de sa mère… « Malheureuseenfant, tu voulais me quitter ! »

Et la porte se referma…

Comme Claude se retournait, le cœur en tumulte, la pensée endésordre et souffrant plus qu’on ne saurait le dire, car, pour lapremière fois, il venait d’apprendre combien il était attaché àcette petite fille, il aperçut Richard Palafox, qui se dirigeaitvers lui. Il en fut heureux. Il avait besoin d’une diversionviolente. Cependant, accoutumé à se discipliner, il fit un violenteffort sur lui-même, rassembla son sang-froid et montra une figurepresque indifférente.

– Monsieur Corbières, commença Cœur de Lion avec toutes sesgrâces habituelles, je crois bien avoir eu l’honneur de vous êtreprésenté dans un mauvais lieu. Vous avez trop d’esprit pour n’avoirpas deviné déjà qu’il s’agit du Palais-Bourbon, mais permettez-moide vous dire que j’ai été moins étonné de vous y voir que de voustrouver ici !

– Monsieur Palafox, riposta Claude en se levant, je ne suispas surpris du tout de vous y rencontrer, moi ! Bien mieux, jen’y suis venu que parce que je vous cherchais…

– En vérité !

– Oui, je voulais vous éviter des démarches inutiles…Voulez-vous m’accompagner dans ce salon, monsieur ? Nous yserons mieux pour continuer cette petite conversation. D’abord,nous y aurons le spectacle des dames qui n’ont jamais été aussibelles que ce soir… et, enfin, nous n’aurons pas l’air de nouscacher.

– Monsieur Corbières, je ne me cache jamais !

– Non, je sais que vous êtes un brave ! vous tuez augrand jour !

– J’ai eu, en effet, quelques duels malheureux !Ah ! monsieur Corbières, vous qui êtes un honnête homme, jevais vous dire une chose, c’est qu’il est des minutes commecelle-ci où, voyant rassemblée une aussi jolie collection debandits gardés par les lois, protégés par la fortune, sacrés par lesuccès, je regrette que mon épée ne soit pas assez longue pour lesembrocher d’un seul coup !

Il avait pris le bras de Claude qui s’était laissé faire,stupéfait.

– Vous avez une singulière façon de me chercher querelle,monsieur.

– Monsieur Corbières, je ne suis pas venu pour vouschercher querelle…

– On m’a dit que vous aviez mission de me tuer…

– C’est exact. J’ai même reçu cent mille francs pourcela ! Vous m’avouerez que cent mille francs pour tuer unhomme comme vous, ça n’est guère ! Aussi, ai-je d’abord faitla grimace, mais les temps sont durs, la vie est chère, mamaîtresse est exigeante. Mais je ne vous tuerai pas ! parceque vous êtes un homme que j’estime, que j’admire, qui mène uncombat auprès duquel mes petites histoires de duel ne sont que jeuxd’enfants… Aussi, monsieur, au lieu de vous tuer, je serai toujoursprêt à vous défendre. Voilà ce que j’avais à vous dire, monsieurCorbières !

Claude n’en revenait pas. Le plus beau est que ce terrible hommelui parlait avec une émotion à peine contenue : « Il vam’embrasser », se dit Claude « avant de me tuer et ilpleurera sur ma tombe ! »

Il desserra légèrement l’étreinte des bras. L’autre s’en montratout attristé.

– J’espère que vous me croyez sincère, fit-il en fronçantles sourcils.

– Je crois, monsieur, à votre estime pour moi, mais commevous êtes un homme d’honneur, et que vous avez accepté cent millefrancs pour me tuer, je me méfie, voilà tout !

– Et vous avez tort ! Mon honneur n’a rien à faireavec l’argent que je puis soutirer à ces brigands ! Plus jeles vole et plus j’en débarrasse la société, plus je me trouvehonorable ! J’en ai connu parmi eux qui se traitaient commedes frères et qui, au dessert, me vendaient la peau du camaradeentre deux bouteilles de champagne. Ma besogne n’était point d’unlâche car j’étais le seul à risquer quelque chose et, de plus, jevengeais les honnêtes gens ! Tout de même, j’en ai assez defréquenter cette vermine et le jour où vous aurez besoin de moi, jevous le répète, monsieur, je vous servirai pour rien !Maintenant, je vais me permettre de vous donner un conseil :Quittez cet endroit. En prolongeant votre séjour dans les salons deLauenbourg, certains pourraient croire que vous avez fait la paixavec lui, ou avec sa clique politique.

– Comme on vous regarde, monsieur Palafox !

– Oui. On doit être un peu étonné que je ne vous aie pasdéjà égorgé !

– Qu’allez-vous dire à ceux qui ?

– Aux assassins ? Je vais leur dire que j’ai réfléchi…que le cours du chantage est trop haut… que cent mille francs ne mesuffisent pas et qu’il m’en faut cinq cents… Vous ne pouvezconcevoir combien ils sont pingres ! Ils réfléchiront pendanthuit jours… Alors, je leur demanderai un million !… Vousfinirez par faire ma fortune, mon cher monsieur Corbières.

Le jeune député rit de bon cœur et lui tendit la main.

– Merci ! gronda sourdement Cœur de Lion, et il luiserra les doigts à les lui briser. Et maintenant, allez-vous-en,car je sens qu’il va se passer ici des choses pas banales… Voussavez qu’on attend M. Legrand !

– Il existe ? demanda Claude, souriant etsceptique.

– J’en suis sûr !

– C’est peut-être vous ?

– Au point où nous en sommes, je vous le dirais !Non ; ce n’est pas moi… moi, je ne suis qu’une épée… J’ai dûlui servir plusieurs fois… Je ne saurais toutefois l’affirmer… Entout cas, il est déjà là ! Quelle réunion ! etquel micmac se prépare… Regardez là-bas, Milon-Lauenbourg, qui ainvité M. Legrand… Et puis Godefroi Martin l’Aiguille, qui ensait plus que Roger Dumont peut-être sur le vraiM. Legrand…

– Vous m’en dites tant, je reste !

– Non ! je vous en supplie, ça ne va peut-être pasêtre drôle ce qui va se passer tout à l’heure ! Il y aura descoups ! scandale à coup sûr, partez.

– Adieu et merci !

– À bientôt, monsieur Corbières…

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