Les Mohicans de Babel

Chapitre 21LE DIMANCHE DE M. BARNABÉ

Nous n’avons pas à retracer ici ce que furent les trois semainesqui suivirent le scandale que l’on a appelé le procès del’U. R. B. ; elles appartiennent à l’histoirecontemporaine et les manuels scolaires seront là pour inscrire lesdates des décrets-lois qui donnèrent au gouvernementMilon-Lauenbourg une puissance tyrannique à laquelle on ne sauraitcomparer que l’état de siège.

Soutenu dans cette lutte suprême par tous ceux qui se sentaientperdus avec lui, il donna un spectacle rare de force etd’invulnérabilité dans le moment même qu’il sentait tout craquersous ses pas.

Pour nous, rentrons dans la coulisse, où l’on tire les ficellesde ce grand mouvement. Nous n’aurons point, jusqu’à la dernièreminute, d’autre ambition que de laisser entrevoir l’envers deschoses, la pauvreté des ressorts, toute la tristesse de lamécanique pendant que l’on fait de grandes phrases et que l’on setue devant la toile de fond.

Et puis, cela repose des grands gestes et des attitudes depremier plan.

Allons donc, ce dimanche, pêcher avec M. Barnabé.

Ce dimanche-là, il sortit dès potron-minet du petit pavillon depeintre dont il s’était rendu acquéreur dans des conditions quenous ne saurions avoir oubliées.

Il était muni de tous ses engins de pêche.

En attendant que son café au lait fût prêt, il prit une bêche ets’en fut dans le potager chercher des vers de terreau. Rienn’existait plus pour M. Barnabé dès qu’il avait sa passion entête, nous parlons de celle de pêcheur à la ligne, sans quoi sonattention eût été attirée par le bruit que fit la fenêtre d’unechambre en s’ouvrant au-dessus de la tonnelle.

S’il avait levé les yeux, il eût reconnu, bâillant à sedécrocher la mâchoire, mais restant la bouche ouverte à sa vue, sonfils Daniel.

– Non, mais des fois ! Le paternel ! Qu’est-ceque papa peut bien f… ici ?

Le jeune homme se retourna vers le fond de la chambre, commepour interroger quelqu’un ou quelqu’une qui eût pu, sans doute, luifournir quelques renseignements, Or, Thérèse, la première femme dechambre de Mme Lauenbourg, dormait si profondémentque Daniel n’eut pas le courage de la réveiller.

Toutefois il réfléchit et il se dissimula derrière le rideau dela fenêtre. Depuis quelque temps il s’était rendu compte que toutce que faisait ou disait Thérèse paraissait avoir un but qu’il nedémêlait pas encore très bien, mais où elle l’entraînait avec uneardeur persistante.

Daniel pensa que ce ne devait pas être par hasard que Thérèselui avait donné rendez-vous, la veille au soir, à Pontoise, pourl’amener dans ce patelin et le faire coucher dans cette auberge, oùse trouvait déjà son père qu’il croyait au château des Romains, àquelques kilomètres de là, où dès le samedi soir, Lauenbourg luidonnait l’hospitalité. C’est là qu’ils traitaient de leurs affairesparticulières, de celles dont il ne devait pas rester trace àl’U. R. B.

C’est là aussi que Mme Lauenbourg vivait commeune recluse depuis que sa fille Sylvie, après le scandale duprocès, brisant ouvertement avec son père, avait suivi ClaudeCorbières qui l’avait conduite chez une vieille parente, enattendant le mariage annoncé.

À Pontoise, Thérèse avait simplement dit à Daniel :« J’ai un congé jusqu’à lundi ; je connais une bonnepetite auberge où l’on fait la matelote, tu m’en diras desnouvelles… Vingt-quatre heures de tranquillité dans les champs,dans les bois, au bord de la rivière ! Ça nous reposera un peude la politique ! Et puis, tu sais, personne ! Loin de lagrande route. Des clients qui ne pensent qu’à pêcher à laligne ! »

Programme de tout repos. Cependant, le premier pêcheur queDaniel apercevait dans cette auberge, c’était son père !Certes, ce n’était pas que sa pudeur en fût gênée ! Mais, toutde même, pour un coin où ces deux amoureux ne devaient rencontrerpersonne de connaissance !

Le père Barnabé se lavait maintenant les mains à la pompe.Mariette lui avait servi son déjeuner sous la tonnelle. Il retintla servante. « Tiens ! lui dit-il, voici la clef ;et tâche que le pavillon soit propre ! que rien netraîne ! Tu prépareras tout comme pour la dernière fois… Jedéjeunerai à l’auberge. Je ne sais pas si on viendradîner, mais en tout cas on viendra souper… J’ai apporté untombereau de foie gras. Il est au frais. Tâche que je sois contentde la salade ; la dernière fois, la betterave n’avait pasassez mariné… J’ai apporté aussi des truffes… Mets-moi de côté ungros morceau de glace pour le seau à champagne. Laisse-le dans laglacière tel quel. Je le briserai moi-même. Dans la chambre, tusais ce que tu as à faire. Ah ! j’ai apporté des Galeries unpaquet pour le cabinet de toilette. Tu rempliras les flacons. Etpuis, nettoie les vitres de l’atelier, elles en ontbesoin ! »

– Mais aujourd’hui, protesta la servante, je n’aurai pas letemps, monsieur Barnabé ! Les vitres ! c’est toute uneaffaire, mais je pourrais dire à Froissard…

M. Barnabé frappa du poing sur la table.

– Si jamais j’apprends qu’un autre que toi a mis les piedschez moi…

– Suffit, monsieur Barnabé, mais dites un mot à Madame.

– Entendu ! Tiens ! voilà cinquante francs…Ah ! mon pyjama chinois est dans le bahut de l’atelier… Il y aun bouton à recoudre.

Il avait fini de boire sa tasse. Il ramassa ses ustensiles ets’éloigna. Daniel entendit encore Mariette qui disait àmi-voix : « Ce que c’est que la passion ! »

Deux minutes plus tard, c’était Daniel qui était sous latonnelle et réclamait son déjeuner. Les propos qu’il avait surprisl’avaient plongé dans un état d’esprit voisin de l’imbécillité. Lepyjama du père Barnabé ! Le seau à champagne ! Lestruffes ! Cinquante francs à la chambrière pour nettoyer lescarreaux de sa bicoque ! Mais on lui avait changé sonavare ! Il dut s’avouer qu’il n’avait jamais connu son père.Le galant M. Barnabé ! En pyjama chinois ! Danielessayait de se faire une idée de ça… Il y parvenait difficilement…et ça ne le faisait pas rire… ça lui faisait peur !

Il faisait une si drôle de figure que Mariette, qui luiapportait la tasse de café qu’il avait réclamée, lui demanda s’iln’était pas malade.

– Écoutez, ce n’est pas moi qui suis malade, lui dit-il, enfaisant un effort pour plaisanter, c’est, je crois bien, lebonhomme qui habite en face ! J’ai tout entendu ! J’étaisà ma fenêtre, là-haut. Alors, il a des pyjamas chinois, cebonhomme-là ?

Mariette éclata de rire.

– Et des robes de chambre avec des oiseaux dessus. Jevoudrais que vous voyiez ça ! Oh ! c’est un vieuxdégoûtant… Mais je ne dois rien dire… Tout de même, il y a deschoses que tout le monde sait et puisque tout le monde s’en amuseon peut bien faire comme les autres… ça n’est un secret pourpersonne que c’est un vieux dégoûtant !

– Il y a longtemps qu’il vient ici ?

– Voilà quatre ans que je le vois, mais d’abord, il a bientrompé son monde… Il venait à peu près tous les dimanches… Ça avaitl’air d’un brave homme, très regardant, par exemple. On sedisait : Il n’est pas riche ! C’est employé dans uneadministration… ça doit être veuf ! Pendant deux ans il esttoujours venu ici tout seul… Il semblait n’avoir qu’une passion, lapêche à la ligne !

« Un jour, on a été bien épaté ! Il s’estdérangé ! Il est venu avec une dactylo qu’on a dit, une petiteParigote qu’il appelait Mlle Julie et qui luifaisait voir du chemin. C’est pour elle qu’il a acheté le pavillondu verger, et il a fait faire des travaux ! et il y a mis desmeubles, et rien ne paraissait trop beau ! Lui qui passaitpour avare, on disait qu’il se ruinait pour cette gamine. Lesvieux, tout de même, quand ça se dérange ! Enfin ; c’estleur affaire ! mais vous pensez si ici, on s’amusait del’aventure !

« Et puis, il y eut la catastrophe ! Figurez-vous quele jour où ils allaient pendre la crémaillère, le vieux est arrivédans un moment où on ne l’attendait pas. Il a trouvéMlle Julie très occupée avec un monsieur qui était,paraît-il, le patron du vieux ! Pauvre père Barnabé ! Ilme faisait peine, car tout le monde se fichait de lui… Croyez-vousqu’il n’a pas fait de chichi ! qu’il n’a pas eu un cri,rien !

« Ça s’est passé en douce, Mlle Julie estpartie et on ne l’a jamais revue… et quant au patron du vieux,c’est tout juste si le vieux ne lui a pas dit merci !

– Et alors ? questionna Daniel, qui commençait àcomprendre des choses… des choses…

– Eh bien ! vous savez ! Après cette histoire-là,on avait bien cru qu’on ne le verrait plus et qu’il vendrait labicoque… Pas du tout… Il est venu le dimanche suivant comme s’il nes’était rien passé.

– Non ?

– C’est comme je vous le dis ! et pour ce qui est dupavillon, il continuait à l’orner, à l’arranger à sa façon… Ilarrivait quelquefois le samedi soir avec des paquets qu’il mefaisait porter là-bas… c’étaient des tapis, des tentures…quelquefois un tableau… et même des statues… mais toujours desfemmes nues… Je vous dis que c’est un vieux dégoûtant !

– Sans doute, il se consolait avec d’autres dactylos ?émit Daniel.

– Pas du tout ! voilà ce qui vous trompe… Dans sonpavillon il ne venait jamais personne… Ça lui a bien duré deux ans…On n’y comprenait rien ! Les plus malins avaient fini par sedire qu’il était devenu gâteux et qu’il vivait, tout seul, au fondde sa boîte, avec le souvenir de Mlle Julie… Quand,il y a quelque temps, il est venu quelqu’un. Une femme du monde,j’en jurerais…

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

– Elle se cache trop. Elle arrive vers minuit, quelquefoismême à deux heures du matin, en auto par la petite route du bois.L’auto reste dans le bois. Elle prend le chemin de traverse etpénètre dans le pavillon par la porte de derrière. Elle esttoujours enveloppée dans un grand manteau et il est impossible devoir sa figure. Mais c’est une femme chic. J’en ai eu la preuve.Une femme qui doit être en grande toilette sous son manteau…

– Vous avez vu les traces de l’orgie ? fit Daniel,complètement abruti.

– Il y a des choses que je ne peux pas dire, et puis, dureste, que je ne comprends pas. Ainsi, je mets toujours deuxcouverts. Eh ! bien ! je jurerais qu’il n’y a que lui quimange et qui boit. Pour ça, il ne s’en prive pas. Lui,ordinairement si sobre et qui se contente d’une soupe à l’auberge.Là-bas, il lui faut des soupers de prince. Je vous dis tout çaparce que vous êtes jeune et que ça doit vous amuser. Mais tenezvotre langue et surtout n’ayez pas l’air de vous moquer de lui.C’est une bonne pâte d’homme, mais il y a des moments où il me faitpeur… Je me sauve ; j’entends Mme Pinchard quim’appelle.

Daniel ne fit qu’un bond jusqu’à sa chambre où il trouva Thérèsequi l’accueillit avec un sourire qui lui en disait long.

– Et alors ? fit-elle… il va bien, le vertueuxBarnabé ! j’ai tout entendu !

– Oh ! tu as tout entendu… et tu sais tout ! quiest-ce que ça peut bien être que cette femme-là ?

– Ah ça, mon petit, je n’en sais rien ! mais tu asentendu l’histoire de Mlle Julie et tu saismaintenant pourquoi le tout dévoué fondé de pouvoir deM. Lauenbourg aura la peau de ce dernier ! Ce sont deschoses qui ne se pardonnent pas… et le paternel est rancunier,c’est moi qui te le dis… si tu savais le bout de conversation quej’ai surpris, derrière une porte, lors de la fameuse soirée de galadu Trianon, tu comprendrais que, ce soir-là, ma lanterne a étéallumée…

– Tu as été bien discrète avec moi, Thérèse !…

– Eh ! mon petit, tu étais encore bien amoureux deMlle Rikiki… Qu’il te suffise de savoir que, cesoir-là, le père Barnabé, qui a une véritable adoration pourMme Milon-Lauenbourg, apprenait à la malheureusefemme qu’elle était mariée à… celui que tu sais !

– Cela ! je ne peux pas encore lecroire !

– Mme Lauenbourg non plus ne voulait pas ycroire… mais il a bien fallu qu’elle y crût… Et c’est ce jour-làque M. Barnabé, qui, décidément, n’a peur de rien, jurait àMme Lauenbourg qu’il la sauverait, elle et safamille, de « M. Legrand ! ». Mon petitDaniel, apprends à connaître ton père ! – C’est une tâche àlaquelle il s’attelait avec d’autant plus de plaisir qu’il tenait,lui aussi, à entrer dans la famille.

– Eh bien ! comme beau-père, ça ne lui a pasréussi ! ricana Daniel. S’il avait compté sur Sylvie, il avaitcompté sans André ! Ah ! c’est un joli coco,celui-là ! et un beau gâcheur ! Tant mieux ! je nelui aurais jamais pardonné ce mariage-là !

– Tandis que toi tu étais obligé de te contenter de lafemme de chambre ! Mon pauvre Daniel tu es bien àplaindre…

– Ne dis donc pas de bêtises ! Tu sais comme jedéteste André…

– Ce n’est pas d’une belle âme !… car ce qu’il a faitlà, lui, est très beau… Songe ! On le laisse faire sacour à Mlle Lauenbourg qu’il aime, le pèreBarnabé lui a dit qu’il ne tardera pas à l’épouser ; mais ilsait que Mlle Lauenbourg aime Corbières ! etqu’est-ce qu’il fait ! Il s’arrange pour queMlle Lauenbourg, qui est gardée étroitement auTrianon du bois de Boulogne, qui ne peut communiquer avec personne,qui ne peut même pas écrire mais qui a appris, par André lui-même,ce qui se passe en cour d’assises, arrive à s’échapper pour venirtémoigner devant le jury en faveur de son Claude…

– Son amant ! reprit avec un méchant rire le jeunehomme… et André devait savoir ça aussi ! La petite ne le luiaura pas caché pour bien lui enlever tout espoir ! Tu en faisvite un héros, de mon frère ! Tout de même, c’est unepoire ! Il y avait mieux à faire que de recoller les deuxautres ensemble, je t’assure ! Écoute, Thérèse ! danscette nuit où tu lui as amené chez Corbières sa Sylvie pour que« je travaille » avec plus de sécurité, veux-tu que je tedise ce qui me faisait le plus rigoler ? C’était de penser quependant que je raflais les paperasses chères à Lauenbourg, le jeunehomme d’à côté ne s’embêtait pas ! que mon frèrel’était pour de bon, quoi qu’il arrivât, avant lalettre ! Une belle nuit pour moi ! une belle revanche etcent mille francs ! Mais, dis-moi, qu’est-ce que faisait mamanLauenbourg pendant ce temps-là ?

– Quand Sylvie m’a eu rejointe dans le taxi, nous sommesrentrées au petit jour par le bord de la Seine. Personne ne s’étaitaperçu de rien ! À dix heures, mademoiselle m’a demandé à voirsa mère… Elle m’a trouvée en train de faire des malles. Je lui aiappris que sa mère était partie dans la nuit pour le château desRomains, avec Nounou et que j’allais les rejoindre… Elle medit : « Ne partez pas sans moi,attendez-moi ! » et elle est rentrée dans sa chambre. Jene l’ai plus revue. Milon avait donné des ordres. La mère et lafille étaient désormais séparées… Et il s’est passé ce que je t’aidit avec André… tandis que ton père était chargé de la hautesurveillance de la mère au château des Romains ! Crois-tu quec’est drôle ! Je te jure que pour une femme de chambre, il y ade quoi s’occuper !

– Oh ! je sais que tu ne perds pas ton temps !Mais dis donc, tu m’as dit que mon père était au mieux avecMme Lauenbourg ?

– Ils ne sont pas mal ensemble ! sourit Thérèse…Daniel bondit.

– Ah ! ça, par exemple ! jamais, tuentends ! jamais tu ne me feras croire une chosepareille ! Non, mais tu n’as pas regardé mon père !

– Mais, mon chéri, je ne veux rien te faire croire du tout,moi ! Tiens ! fit-elle en se penchant à la fenêtre…qu’est-ce que c’est que cet olibrius-là ?

En même temps, on entendait la voix de Mariette :« Madame Pinchard, c’est le Norvégien qui réclame sondéjeuner… »

Daniel se pencha à la fenêtre… Un bonhomme d’une cinquantained’années, habillé d’un étrange vêtement de sport, laissé pourcompte sans doute des magasins du « Petit Marinier », àla chevelure rousse, abondante, à la barbe rousse, aux grossourcils roux et à la figure toute pleine de taches de rousseur,traversait la cour, une canne de pêche et une épuisette à lamain ; il entrait dans la grande salle de l’auberge.

Daniel se retourna vers Thérèse, étrangement impressionné.

– Mais dis donc ! je connais ce déguisement-là,moi ! je l’ai déjà vu quelque part. Mais dans quellecirconstance ?… Tu ne vois pas, toi ? Et puis, cetteallure ?…

Tout à coup, il se frappa le front :« Dumont ! »

– Tu es fou, mon chéri !

Mais l’autre dégringolait déjà l’escalier… Il s’arrêta sous latonnelle d’où il pouvait voir ce qui se passait dans la salle. LeNorvégien prenait tranquillement son café au lait. Si c’était RogerDumont, il était méconnaissable… Aussi, c’était moins sa personneque, comme nous l’avons dit, son déguisement, que Daniel avaitreconnu… Oui, il avait vu, il y avait quelques mois, ce déguisementà Roger Dumont, alors qu’il travaillait au Moulin… Etpuis, à certains gestes, il n’y avait pas à se méprendre. La façondont il roula une cigarette, par exemple.

Quand l’homme eut quitté l’auberge, prenant la direction de larivière, Daniel pénétra à son tour dans la salle. Mariettedesservait.

– Décidément, fit-il, il n’y a plus un coin en France oùl’on ne soit envahi par l’étranger ! Qu’est-ce que cetexotique vient faire ici ?

– Oh ! celui-là, on ne l’avait pas vu depuis deux ans.Et voilà trois dimanches qu’il revient, toujours tout seul. Il ditqu’il est Norvégien, mais il est Norvégien comme vous et moi. Ou ilest de la police, ou c’est un homme qui se cache. Sa barbe ?elle est fausse… J’ai vu ça, moi !… Enfin, ça ne me regardepas. Dans le temps, quand il venait, il devait surveiller lagrande clique.

– Qu’est-ce que c’est ça, la grande clique ?

– Des tas d’étrangers qui étaient venus échouer ici et quiparlaient un charabia ! On ne les a jamais revus. Ils sefaisaient servir en haut, dans la grande salle, à côté de votrechambre. Ils buvaient jusqu’au milieu de la nuit. C’étaient de bonsclients et puis des gars costauds ! Ils me faisaient peur…Chut ! voilà la patronne…

Daniel se dirigea, lui aussi, vers la rivière.

« Drôle d’auberge ! murmurait-il. Je serais curieux desavoir ce que Roger Dumont peut bien venir faire ici. »

Arrivé à l’Oise, il longea un instant le bord de l’eau, sedissimulant derrière les arbres… À une boucle que faisait larivière, il aperçut soudain dans deux bachots, peu éloignés l’un del’autre, le Norvégien et papa Barnabé… Ils ne se disaient pas unmot ; chacun était uniquement préoccupé de sa pêche.

Daniel les observa longtemps en silence :« Sûr !… se dit-il, mon père ne se doute de rien !Et Roger Dumont est venu ici pour le surveiller !… qu’est-ceque tout cela cache, et à quelle besogne Dumont, qui avait si bienfait le plongeon, et que la police de Baruch cherche partout,travaille-t-il donc en ce moment ?

Ne voulant pas être aperçu, il reprit fort précautionneusementle chemin du retour… Soudain, il entendit des pas derrièrelui !… Il se rejeta dans un boqueteau. L’homme qui venaitétait le Norvégien… Il avançait de son pas tranquille, un seau à lamain, son seau à amorçage… Il fut bientôt à la hauteur du jeunehomme. En passant, il dit : « Tu ne m’as pas reconnu,Daniel !… Pas un mot !… attention ! »

Médusé, le jeune homme ne broncha pas. Il aperçut, venant ensens inverse, et de l’auberge probablement, un individu assez fort,aux épaules carrées, une figure de bifteck cuit, fumant la pipe,les mains dans les poches de son manteau de cuir, tenue d’auto. Ille reconnut sur le champ : « Buwler Aram ! Ehbien ! Il en a un toupet ! »

Dans la bande de M. Legrand et chez les« Birds’eyes » il passait pour l’Homme deLondres ! « Sûr, il doit avoir dans sa poche unpasseport de M. Legrand ! » Si Daniel connaissait devue Buwler Aram, celui-ci ignorait ce pauvre petit« Birds’eyes » qu’était Daniel !…

En se croisant avec le Norvégien, l’« Homme deLondres » demanda avec un fort accent britannique :« Aoh ! ça né mord pas ? »

Le Norvégien passa son chemin sans répondre. L’autre lui lançaun mauvais propos et continua sa route en ricanant grossièrement.C’était un brutal, un mauvais coucheur… et le poing toujours prêt.Il avait commencé sa carrière comme soigneur, puis dans le rings’était fait disqualifier. Un héros à Whitechapel où, sur un signede lui, les bouges se vidaient.

Arrivé derrière M. Barnabé, il s’arrêta, cracha etl’interpella avec éclat : « Mossieu lepêcheur ! » Barnabé ne broncha pas. « Je souis poliavec vô ! » et il jeta plusieurs pierres sur « lecoup » du père Barnabé. Il devait être déjà gonflé d’alcool.Barnabé était furieux, mais ne fit rien entendre qu’une timideprotestation. Les cailloux maintenant tombaient presque dans lebachot.

Daniel allait intervenir, quand, en moins de temps qu’on nesaurait le dire, ce bon Barnabé avait détaché sa barque et ladirigeait sur l’autre rive. En même temps, sa colère se montrait sipeureuse, que Daniel lui-même ne put s’empêcher de rire. Il sedépêcha de rentrer à l’auberge.

Thérèse parut. Elle avait une toilette d’une fraîcheurprintanière et des plus coquettes : « Allons faire untour, lui dit-il. Où m’as-tu amené ? Je viens de rencontrerBuwler Aram l’homme de Londres !… Et tu sais, leNorvégien, c’est bien Roger Dumont, il m’a parlé !… Ehbien ! en voilà un petit endroit bientranquille ? »

– Qu’est-ce que tout ça peut nous faire ? répliquaThérèse, innocente. L’auberge est à tout le monde…

Une auto de grand luxe cornait et pénétrait dans la cour.

– Bon Dieu ! fit d’une voix sourde Daniel. Le princeboche de Rikiki et Vladimir !…

– Oui, je les ai reconnus !… mais, tu sais, moi,pourvu que Rikiki ne soit pas là !…

– Mais c’est tous les hommes de M. Legrand,ça !

– Eh bien, fit-elle, ne te plains pas !…M. Legrand va peut-être arriver, lui aussi ! Alors onsaura une fois pour toutes qui c’est !

– Plaisantes-tu, oui ou non ?

– Eh ! je plaisante, grand niais !… Moi, tu sais,le dimanche, je ne m’occupe plus d’affaires !

Ils avaient pénétré sous bois ; elle cueillait des fleurset il ne pouvait s’empêcher d’admirer la grâce de ses moindresmouvements, cependant que son esprit troublé par tout ce qu’ilvenait de voir lui représentait Thérèse comme une redoutableénigme.

– Ça te plaît donc bien d’être femme de chambre ?

– Oh ! oui, chez ces gens-là, mon petit… ce qu’on peutapprendre ! Ça me servira plus tard… sans compter que jem’applique à être grande dame en regardant la patronne. Celle-là,tu sais, elle m’en bouche un coin !… Ça supporte lacatastrophe !

– Alors, elle n’a pas le droit desortir ?

– On dit que non ! Tu penses que je ne lui ai pasdemandé. Elle ne se plaint jamais ! Elle devient plus fière,voilà tout ! Elle en est arrivée à ne plus vous adresser laparole !… Alors, on ne lui parle pas !… On dirait qu’ellese pétrifie, mais en beauté !

– Tout de même, on ne lui cache pas les journaux !

– Oh ! je suis là pour qu’elle n’en manque pas. Tupenses que je n’ai pas raté le coup de lui laisser sur sa table detoilette le Réveil et les comptes-rendus les plusintéressants de l’affaire Corbières… Il y avait unemanchette : « Mlle Lauenbourg en courd’assises ! » Eh bien, elle n’a pas bronché ! Elle atout lu, tranquillement, et sais-tu, le soir, ce qu’elle disait àNounou ?… car elle parle encore à Nounou quand elles secroient seules toutes deux : « Ma fille a bien fait… Etcette fois, elle ne reviendra plus !… qu’ils s’aiment !qu’ils s’épousent ! s’ils ont un enfant, j’en mourrais dejoie… je l’aurais bien mérité… que le sang des Corbières rachètecelui des Lauenbourg !… Plus tard, j’essaierai de lesrejoindre, je ne vis plus que dans cet espoir-là. J’espère qu’ilsne me mettront pas à la porte !… »

– Pauvre femme !… Et elle n’a le droit de recevoirpersonne ?

– Si !… ton père !… Et tu sais, il vient au moinsune fois par jour… c’est sa seule distraction !

– À qui ?

– Je te laisse à deviner !

– Thérèse, je te jure que je n’y comprends plusrien !

– Parce que tu ne le veux pas !

Et elle s’échappa devant lui, mais il se sentait mal disposé àsuivre ses jeux. Cependant, au bout d’un instant, il se dit :« Qu’est-ce que je ferais au milieu de tout ça, si ellen’était pas là ! » Et il alla lui déposer sur la nuque unbaiser reconnaissant.

Quand ils revinrent pour le déjeuner, deux nouvelles autosvenaient d’arriver. Mariette, qui passait, glissa sans avoir l’airde rien à Daniel : « Eh bien, la voilà laclique !… Qu’est-ce que je vousdisais ?… »

Ils étaient six maintenant, tous étrangers, qui se serraient lesmains, se congratulaient dans toutes les langues, en ne cachant àpersonne leur bonheur de vivre.

Le père Barnabé était déjà installé sous sa tonnelle etépluchait ses radis. Thérèse entraîna Daniel dans la grande salleet ils s’assirent à une petite table, à un bout de la pièce ;à l’autre extrémité, le Norvégien avait, lui aussi, commencé sonrepas. La porte donnant sur la cour était restée ouverte, ce quifacilitait le service de Mariette. Daniel dit à Thérèse :

– Le rôle de Roger Dumont m’inquiète. Mon père ne se douteseulement pas qu’il est ici… J’ai bien envie d’aller l’avertir…

– Ton père se fiche pas mal de tout ce qui se passeici !… il pense à sa pêche et a sa petite orgie de ce soir. Sajournée est occupée, crois-moi.

– Mariette leur apporta une friture. « Vous avezvu ?… Le Norvégien ne les quitte pas des yeux !… Je vousdis que c’est un bonhomme de la police. Du reste, les autres m’ontdemandé : « Qu’est-ce que c’est que cebonhomme-là ?… Est-ce qu’il n’était pas déjà là quand noussommes venus, il y a deux ans ? Nous croyons bien lereconnaître. » Je leur ai répondu que c’était un habitué. Toutde même, il fera bien de se tenir tranquille… ils l’ontflairé !…

– Ils ne déjeunent pas encore ?

– Ils en attendent encore un, pour être au complet.Oh ! un drôle de type… beau gars par exemple… et habillé commeun acteur d’opéra-comique. Des bottes… un manteau sur l’épaule,cravate rouge, (Thérèse et Daniel échangèrent un rapide coupd’œil). Faut croire qu’il a toujours le même costume depuis deuxans… Ce sont eux qui m’ont demandé si je n’avais pas vu aujourd’huiun type habillé comme ça ! Bon, maintenant… qu’est-ce qu’il ya encore ?

On entendait une discussion dans la cour. C’était toutsimplement Buwler Aram qui voulait chasser ce pauvreM. Barnabé de la tonnelle. Il prétendait que lui et ses amisavaient retenu la tonnelle pour déjeuner. M. Barnabé répondittranquillement que ces messieurs ne le gênaient point. Mais Buwlerrevint à la plaisanterie assez lourdement et les autresaccaparèrent la tonnelle sans vergogne. M. Barnabé faisaittriste figure. La scène devenait pénible. Daniel voulut se lever,mais Thérèse le retint d’autorité. « Quoi qu’il arrive, luisouffla-t-elle, n’interviens que lorsqu’on te ledira ! »

– Qui, on ?

– Tu le verras bien !…

– N… de D… ! la partie me paraît assez sérieuseaujourd’hui. Encore une fois, tu ferais mieux de parler !…

– Il ne faut jamais parler avant de savoir comment leschoses tourneront ! Tu as compris, mon petit… Les uns ni lesautres n’auront rien à nous reprocher… Nous avons bien le droit demanger une friture dans une auberge !…

– Messieurs ! laissez donc déjeuner ce bon monsieurBarnabé ! faisait entendre Mariette sous la tonnelle.

À ce nom, tous les autres s’esclaffèrent. Ils trouvaient ce nomtrès drôle ! Barnabé ! et ils le répétèrent sur tous lestons. C’est alors qu’à la grande stupéfaction de Daniel, leNorvégien se leva, s’en fut jusqu’au seuil de la tonnelle etdit : « Monsieur Barnabé, si vous dérangez ces messieurs,vous me feriez un grand plaisir en acceptant de déjeuner à matable ».

– Merci, monsieur !… j’ai fini ! réponditM. Barnabé en se levant, mais je ne vous en remercie pasmoins !…

Et il inclina la tête fort dignement devant le Norvégien, puis,à petits pas, il gagna son pavillon dans lequel il s’enferma.

Roger Dumont se hâta de terminer son repas et disparut. Cesmessieurs de la tonnelle tenaient sur son intervention des propospeu rassurants. Il n’eut même pas un coup d’œil pour Daniel quandil passa.

– Tu as vu ? fit Thérèse.

– Oui !… ça, c’est encore nouveau ! Le paternel arelié partie avec Roger Dumont !…

– Je te dis qu’ils auront M. Legrand comme dans uneépuisette.

Maintenant on entendait à peine ceux de la« clique ». Ils parlaient à voix basse.Finalement, ils donnèrent à Mariette l’ordre de leur servir le caféet les liqueurs dans la grande salle du premier.

« Montons dans notre chambre ! » dit Thérèse.

Ils y restèrent tout l’après-midi. Ils avaient pour se distrairedu champagne, des biscuits, l’attente de M. Legrand et… et laconversation d’à côté.

Malheureusement, celle-ci avait lieu le plus souvent dans unlangage que les deux amoureux ne comprenaient pas toujours.Quelques phrases d’anglais tombées du gosier enflammé de Buwlerleur furent cependant d’un précieux renseignement.

– Pas de doute ! souffla Daniel, c’est un sacré coupqu’ils préparent ! Tu penses, une pareille réunion d’as !Et pour sûr qu’ils attendent M. Legrand…

– Daniel ! si tu voyais arriver Lauenbourg en cemoment ! au lieu du costume de carnaval de ce pauvre Martinl’Aiguille, qu’est-ce que tu dirais ?

– Tu crois que c’est lui qu’ils attendent ?

– Ils attendent M. Legrand !… Jusqu’à ce jour, jeparierais qu’ils ne connaissent encore que Martin l’Aiguille et tusais bien que Martin l’Aiguille ne reviendra jamaisplus !…

Le soir était tombé depuis longtemps. En attendantM. Legrand qui n’arrivait toujours pas, la cliquefaisait une fameuse partie de poker à côté.

Tout à coup on frappa à la porte. Daniel et Thérèse entendirentun remue-ménage rapide ; il y eut la voix de Buwler. Avant detirer les verrous, il demanda : « What isthere ? »

Une voix humble, un peu cassée, répondit : « C’estmoi, monsieur Barnabé ! »

Il y eut des rugissements ; évidemment ce n’était pasM. Barnabé qu’ils attendaient !… et pourquoi ce satanébonhomme venait-il troubler leur partie ?… Buwler ouvrit,débordant de fureur… mais ce bon M. Barnabé les arrêta tousd’un mot : « Excusez-moi, messieurs, je suis venu pourvous dire que M. Legrand ne viendra pas ! »

Et il referma la porte derrière lui. « Messieurs, je croisqu’il est arrivé un grand malheur à M. Legrand !… je nesais si je me fais bien comprendre… je ne sais que lefrançais… »

– Well ! nous le comprenons tous !grogna Buwler ; mais qui êtes-vous, et qui est ceM. Legrand dont nous n’avons jamais entendu parler ?

– Je suis, moi, M. Barnabé… et M. Legrand m’adit : « Si je ne suis pas à l’auberge à neuf heures, vousdirez à ces messieurs que tout est cassé !… et qu’il n’y aplus qu’à sauver sa peau !… » Ce sont ses propresexpressions, messieurs. J’espère que vous en saisissez le sens…M. Legrand a encore ajouté : « Si je ne suis pas làà neuf heures, c’est qu’il n’y aura plus deM. Legrand !… » Il n’y a plus deM. Legrand !… Pauvre M. Legrand !… iln’avait pas de secrets pour moi !…

– S’il n’avait pas de secrets pour toi, prouve-le !fit le prince.

– Messieurs, vous perdez un temps précieux, répondit sansse troubler ce bon M. Barnabé !… mais, questionnez-moi,je vous répondrai.

– Pourquoi étions-nous ici ? lui jeta VladimirVolski.

– Pour l’affaire de la succursale de la Banque de France,fit M. Barnabé, en baissant la voix. C’est elle qui a toutgâté. Cette fois, vous alliez un peu fort !… Rafler lestrésors de la banque, la réserve enfermée dans ses caves !… Ilvous a fallu trop de complices !… et puis vous avez eu tort decommencer à faire creuser votre souterrain sous la rueCroix-des-Petits-Champs. Il fallait acheter l’immeuble du coin dela rue Marsolier, là vous étiez chez vous et à pied d’œuvre !Enfin, n’en parlons plus !…

Il y eut un énorme silence.

– Mais master Legrand, où est-il ? grogna encoreBuwler.

– Je dois m’attendre à tout, m’a-t-il dit, quand je l’aiquitté hier soir.

– Que nous conseillez-vous de faire ?

– De rentrer dans vos chères patries au plus tôt !… etde faire le mort si on vous en laisse le temps !… Cequi me fait croire, messieurs, que vous courez les plus grandsdangers et que l’on n’est point sans soupçonner votre présence àParis, c’est la rencontre que j’ai faite ici d’un individu que l’onappelle le Norvégien qui m’a invité à sa table quand vous mechassiez de la mienne, et qui, j’en suis assuré, appartient à lapolice de sûreté générale.

– Nous l’avons déjà vu ici, il y a deux ans ! fitWladimir… et nous n’avons pas été inquiétés.

– C’est qu’alors il y avait à la Sûreté générale un hommetrès intelligent et qui avait certainement des raisons pour ménagerM. Legrand ! Il s’appelait Roger Dumont, tandisqu’aujourd’hui, allez donc les chercher, les RogerDumont !…

Daniel et Thérèse entendirent une conversation rapide et desplus confuses, puis ces mots de M. Barnabé :« Tâchez que le Norvégien ne vous voie pas… partez en douce,les uns après les autres… et sans payer… que l’on vous croietoujours ici… laissez les autos. Tant qu’elles seront là on nese méfiera de rien ! gagnez Pontoise ; vous trouverez làtout ce qu’il vous faudra pour fuir… autos, chemins de fer… surtoutégaillez-vous, qu’on ne vous voie pas ensemble ! Bonne chanceet sans rancune !… Ah ! voilà ce que M. Legrand, àtout hasard, m’a donné pour vous, monsieur Volski. C’est un pli quiconcerne vos comptes avec l’agence Kromer ! vous voyez que jesuis au courant de tout… M. Legrand était un honnêtehomme !… Il n’aurait pas fait de tort à unemouche ! »

Il referma la porte, on entendit son pas dans le couloir etsoudain il ouvrit la porte de la chambre où se tenaient Thérèse etDaniel, tous deux encore sous le coup de ce qu’ils venaientd’entendre.

« Chut ! » fit-il, un doigt sur les lèvres. Et ils’assit, l’oreille contre la muraille.

Une demi-heure plus tard, la salle à côté était vide. Et en bas,dans l’auberge, on n’en savait rien. Alors, M. Barnabé se levaet dit : « Daniel, tu peux aimer mademoiselle (et il luimontrait Thérèse), elle t’a sauvé la vie dix fois !… vraiment,comme père, je n’ai pas de veine ! » et il ricana :« J’ai deux fils : l’aîné un honnête homme, le second unepetite crapule, mais ils sont aussi bêtes l’un quel’autre ! »

– Merci, papa ! fit Daniel.

– Il n’y a pas de quoi !… Enfin, avec l’aide deThérèse, on essaiera de faire quelque chose de toi.Suis-moi !

– Va ! dit Thérèse.

Daniel suivit son père.

Ils traversèrent la cour, le verger, se trouvèrent derrière lepavillon, gagnèrent la lisière du bois. Le vieux dit àDaniel : « Tu vas rester ici, tu ne bougeras pas !Quoi que tu voies ! Ne fume pas ! Roger Dumont sait quetu es là. Il viendra te trouver. Tu feras tout ce qu’il tedira. »

– Bien, papa !

Le père Barnabé s’éloigna de la même allure, sous la lune quivenait de se montrer, éclatante. Il rentra dans son pavillon par laporte de derrière. Un instant après, les vitres de l’ateliers’éclairaient… puis on tira les rideaux. Soudain, l’attention deDaniel fut attirée par le bruit encore lointain d’une auto.Derrière lui, au-delà de la futaie qui le cachait, une petite routevicinale assez bien entretenue allongeait son ruban blanc où venaitaboutir le sentier qui conduisait au pavillon. Une auto fermée vints’arrêter là. Le chauffeur, qui n’était autre que le Norvégien,ouvrit la portière. Une forme féminine très enveloppée, dont ilétait impossible de voir la figure, descendit. Rapidement, presqueen courant, elle prit le sentier, arriva au pavillon, frappa à laporte. D’un mouvement dont il n’avait pas été le maître, Daniel,poussé par la plus ardente curiosité, avait suivi.

Cette taille, cette démarche !…

La porte du pavillon fut ouverte… et, pendant que la femme sejetait dans la maison, le jeune homme entendit distinctement sonpère : « Enfin ! vous voilà, ma chèreIsabelle ! »

Puis tout retomba au silence. Daniel pouvait croire qu’il avaitrêvé. Il se retourna. Roger Dumont était derrière lui :« Petit curieux ! » lui dit le policier.

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