Nouvelles et Contes – Tome I

II

Je vous ai dit que, de ces deux dames, l’uneétait riche et l’autre pauvre. Vous devinez déjà par quelle raisonelles plurent toutes deux à Valentin. Je crois vous avoir dit aussique l’une était mariée et l’autre veuve. La marquise de Parnes(c’est la mariée) était fille et femme de marquis. Ce qui vautmieux, elle était fort riche ; ce qui vaut mieux encore, elleétait fort libre, son mari étant en Hollande pour affaires. Ellen’avait pas vingt-cinq ans, elle se trouvait reine d’un petitroyaume au fond de la Chaussée-d’Antin. Ce royaume consistait en unpetit hôtel, bâti avec un goût parfait entre une grande cour et unbeau jardin. C’était la dernière folie du défunt beau-père, grandseigneur un peu libertin, et la maison, à dire vrai, se ressentaitdes goûts de son ancien maître ; elle ressemblait plutôt à cequ’on appelait jadis une maison à parties qu’à la retraite d’unejeune femme condamnée au repos par l’absence de l’époux. Unpavillon rond, séparé de l’hôtel, occupait le milieu du jardin. Cepavillon, qui n’avait qu’un rez-de-chaussée, n’avait aussi qu’uneseule pièce, et n’était qu’un immense boudoir meublé avec un luxeraffiné. Madame de Parnes, qui habitait l’hôtel et passait pourfort sage, n’allait point, disait-on, au pavillon. On y voyaitpourtant quelquefois de la lumière. Compagnie excellente, dîners àl’avenant, fringants équipages, nombreux domestiques, en un mot,grand bruit de bon ton, voilà la maison de la marquise. D’ailleursune éducation achevée lui avait donné mille talents ; avectout ce qu’il faut pour plaire sans esprit, elle trouvait moyend’en avoir ; une indispensable tante la menait partout ;quand on parlait de son mari, elle disait qu’il allaitrevenir ; personne ne pensait à médire d’elle.

Madame Delaunay (c’est la veuve) avait perduson mari fort jeune ; elle vivait avec sa mère d’une modiquepension obtenue à grand’peine, et à grand’peine suffisante. C’étaità un troisième étage qu’il fallait monter, rue du Plat-d’Étain,pour la trouver brodant à sa fenêtre ; c’était tout ce qu’ellesavait faire ; son éducation, vous le voyez, avait été fortnégligée. Un petit salon était tout son domaine ; à l’heure dudîner, on y roulait la table de noyer, reléguée durant le jour dansl’antichambre. Le soir, une armoire à alcôve s’ouvrait, contenantdeux lits. Du reste, une propreté soigneuse entretenait le modesteameublement. Au milieu de tout cela, madame Delaunay aimait lemonde. Quelques anciens amis de son mari donnaient de petitessoirées où elle allait, parée d’une fraîche robe d’organdi. Commeles gens sans fortune n’ont pas de saison, ces petites fêtesduraient toute l’année. Être pauvre, jeune, belle et honnête, cen’est pas un mérite si rare qu’on le dit, mais c’est un mérite.

Quand je vous ai annoncé que mon Valentinaimait ces deux femmes, je n’ai pas prétendu déclarer qu’il lesaimât également toutes deux. Je pourrais me tirer d’affaire en vousdisant qu’il aimait l’une et désirait l’autre ; mais je neveux point chercher ces finesses, qui, après tout, nesignifieraient rien, sinon qu’il les désirait toutes deux. J’aimemieux vous raconter simplement ce qui se passait dans son cœur.

Ce qui le fit d’abord aller souvent dans cesdeux maisons, ce fut un assez vilain motif, l’absence de maris dansl’une et dans l’autre. Il n’est que trop vrai qu’une apparence defacilité, quand bien même elle n’est qu’une apparence, séduit lesjeunes têtes. Valentin était reçu chez madame de Parnes parcequ’elle voyait beaucoup de monde, sans autre raison ; un amil’avait présenté. Pour aller chez madame Delaunay, qui ne recevaitpersonne, ce n’avait pas été aussi aisé. Il l’avait rencontrée àl’une de ces petites soirées dont je vous parlais tout à l’heure,car Valentin allait un peu partout ; il avait donc vu madameDelaunay, l’avait remarquée, l’avait fait danser, enfin, un beaujour, avait trouvé moyen de lui porter un livre nouveau qu’elledésirait lire. La première visite une fois faite, on revient sansmotif, et au bout de trois mois on est de la maison ; ainsivont les choses. Tel qui s’étonne de la présence d’un jeune hommedans une famille que personne n’aborde, serait quelquefois bienplus étonné d’apprendre sur quel frivole prétexte il y estentré.

Vous vous étonnerez peut-être, madame, de lamanière dont se prit le cœur de Valentin. Ce fut, pour ainsi dire,l’ouvrage du hasard. Il avait, durant un hiver, vécu, selon sacoutume, assez follement, mais assez gaiement. L’été venu, comme lacigale, il se trouva au dépourvu. Les uns partaient pour lacampagne, les autres allaient en Angleterre ou aux eaux : il ya de ces années de désertion où tout ce qu’on a d’amisdisparaît ; une bouffée de vent les emporte, et on reste seultout à coup. Si Valentin eût été plus sage, il aurait fait commeles autres, et serait parti de son côté ; mais les plaisirsavaient été chers, et sa bourse vide le retenait à Paris.Regrettant son imprévoyance, aussi triste qu’on peut l’être àvingt-cinq ans, il songeait à passer l’été, et à faire, non denécessité vertu, mais de nécessité plaisir, s’il se pouvait. Sortiun matin par une de ces belles journées où tout ce qui est jeunesort sans savoir pourquoi, il ne trouva, en y réfléchissant, quedeux endroits où il pût aller, chez madame de Parnes ou chez madameDelaunay. Il fut chez toutes deux le jour même, et, ayant agi engourmand, il se trouva désœuvré le lendemain. Ne pouvantrecommencer ses visites avant quelques jours, il se demanda queljour il le pourrait ; après quoi, involontairement, il repassadans sa tête ce qu’il avait dit et entendu durant ces deux heuresdevenues précieuses pour lui.

La ressemblance dont je vous ai parlé, et quine l’avait pas jusqu’alors frappé, le fit sourire d’abord. Il luiparut étrange que deux jeunes femmes dans des positions sidiverses, et dont l’une ignorait l’existence de l’autre, eussentl’air d’être les deux sœurs. Il compara dans sa mémoire leurstraits, leur taille et leur esprit ; chacune des deux lui fittour à tour moins aimer ou mieux goûter l’autre. Madame de Parnesétait coquette, vive, minaudière et enjouée ; madame Delaunayétait aussi tout cela, mais pas tous les jours, au bal seulement,et à un degré, pour ainsi dire, plus tiède. La pauvreté sans douteen était cause. Cependant les yeux de la veuve brillaient parfoisd’une flamme ardente qui semblait se concentrer dans le repos,tandis que le regard de la marquise ressemblait à une étincellebrillante, mais fugitive. – C’est bien la même femme, se disaitValentin ; c’est le même feu, voltigeant là sur un foyerjoyeux, ici couvert de cendres. Peu à peu il vint auxdétails ; il pensa aux blanches mains de l’une effleurant sonclavier d’ivoire, aux mains un peu maigres de l’autre tombant defatigue sur ses genoux. Il pensa au pied, et il trouva bizarre quela pauvre fût la mieux chaussée : elle faisait ses guêtreselle-même. Il vit la dame de la Chaussée-d’Antin, étendue sur sachaise longue, respirant la fraîcheur, les bras nus dès le matin.Il se demandait si madame Delaunay avait d’aussi beaux bras sousses manches d’indienne, et je ne sais pourquoi il tressaillit àl’idée de voir madame Delaunay les bras nus ; puis il pensaaux belles touffes de cheveux noirs de madame de Parnes, et àl’aiguille à tricoter que madame Delaunay plantait dans sa natte encausant. Il prit un crayon et chercha à retracer sur le papier ladouble image qui l’occupait. À force d’effacer et de tâtonner, ilarriva à l’une de ces ressemblances lointaines dont la fantaisie secontente quelquefois plutôt que d’un portrait trop vrai. Dès qu’ileut obtenu cette esquisse, il s’arrêta ; à laquelle des deuxressemblait-elle davantage ? Il ne pouvait lui-même endécider ; ce fut tantôt à l’une et tantôt à l’autre, selon lecaprice de sa rêverie. Que de mystères dans le destin ! sedisait-il ; qui sait, malgré les apparences, laquelle de cesdeux femmes est la plus heureuse ? Est-ce la plus riche ou laplus belle ? Est-ce celle qui sera la plus aimée ? Non,c’est celle qui aimera le mieux. Que feraient-elles si demain matinelles s’éveillaient l’une à la place de l’autre ? Valentin sesouvint du dormeur éveillé, et sans s’apercevoir qu’il rêvaitlui-même en plein jour, il fit mille châteaux en Espagne, il sepromit d’aller, dès le lendemain, faire ses deux visites, etd’emporter son esquisse pour en voir les défauts ; en mêmetemps il ajoutait un coup de crayon, une boucle de cheveux, un plià la robe ; les yeux étaient plus grands, le contour plusdélicat. Il pensa de nouveau au pied, puis à la main, puis aux brasblancs ; il pensa encore à mille autres choses ; enfin ildevint amoureux.

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