Nouvelles et Contes – Tome I

III

Devenir amoureux n’est pas le difficile, c’estde savoir dire qu’on l’est. Valentin, muni de son esquisse, sortitde bonne heure le lendemain. Il commença par la marquise. Unheureux hasard, plus rare que l’on ne pense, voulut qu’il latrouvât ce jour-là telle qu’il l’avait rêvée la veille. On étaitalors au mois de juillet. Sur un banc de bois, garni de fraiscoussins, sous un beau chèvrefeuille en fleur, les bras nus, vêtued’un peignoir, ainsi pouvait paraître une nymphe aux yeux d’unberger de Virgile ; ainsi parut aux yeux du jeune homme lablanche Isabelle, marquise de Parnes. Elle le salua d’un de cesdoux sourires qui coûtent si peu quand on a de belles dents, et luimontra assez nonchalamment un tabouret fort éloigné d’elle. Au lieude s’asseoir sur ce tabouret, il le prit pour se rapprocher, etcomme il cherchait où se mettre : Où allez-vous donc ?Demanda la marquise.

Valentin pensa que sa tête s’était échaufféeoutre mesure, et que la réalité indocile allait moins vite que ledésir. Il s’arrêta, et, replaçant le tabouret un peu plus loinencore qu’il n’était d’abord, s’assit, ne sachant trop quoi dire.Il faut savoir qu’un grand laquais, à mine insolente etrébarbative, était debout devant la marquise, et lui présentait unetasse de chocolat brûlant, qu’elle se mit à avaler à petitesgorgées. La présence de ce tiers, l’extrême attention que mettaitla dame à ne pas se brûler les lèvres, le peu de souci qu’enrevanche elle prenait du visiteur, n’étaient pas faits pourencourager. Valentin tira gravement l’esquisse qu’il avait dans sapoche, et, fixant ses yeux sur madame de Parnes, il examinaalternativement l’original et la copie. Elle lui demanda ce qu’ilfaisait. Il se leva, lui donna son dessin, puis se rassit sans endire davantage. Au premier coup d’œil, la marquise fronça lesourcil, comme lorsqu’on cherche une ressemblance, puis elle sepencha de côté, comme on fait lorsqu’on l’a trouvée. Elle avala lereste de sa tasse ; le laquais s’en fut, et les belles dentsreparurent avec le sourire.

– C’est mieux que moi, dit-elleenfin ; vous avez fait cela de mémoire ? Comment vous yêtes-vous pris ?

Valentin répondit qu’un si beau visage n’avaitpas besoin de poser pour qu’on pût le copier, et qu’il l’avaittrouvé dans son cœur. La marquise fit un léger salut, et Valentinapprocha son tabouret.

Tout en causant de choses indifférentes,madame de Parnes regardait le dessin.

– Je trouve, dit-elle, qu’il y a dans ceportrait une physionomie qui n’est pas la mienne. On dirait quecela ressemble à quelqu’un qui me ressemble, mais que ce n’est pasmoi qu’on a voulu faire.

Valentin rougit malgré lui, et crut sentirqu’au fond de l’âme il aimait madame Delaunay ; l’observationde la marquise lui en parut un témoignage. Il regarda de nouveauson dessin, puis la marquise, puis il pensa à la jeune veuve. Celleque j’aime, se dit-il, est celle à qui ce portrait ressemble leplus. Puisque mon cœur a guidé ma main, ma main m’expliquera moncœur.

La conversation continua (il s’agissait, jecrois, d’une course de chevaux qu’on avait faite au champ de Marsla veille).

– Vous êtes à une lieue, dit madame deParnes. Valentin se leva, s’avança vers elle.

– Voilà un beau chèvrefeuille, dit-il enpassant.

La marquise étendit le bras, cassa une petitebranche en fleur et la lui offrit gracieusement.

– Tenez, dit-elle, prenez cela, etdites-moi si c’est vraiment moi dont vous avez cherché laressemblance, ou si, en en peignant une autre, vous l’avez trouvéepar hasard.

Par un petit mouvement de fatuité, Valentin,au lieu de prendre la branche, présenta en riant à la marquise laboutonnière de son habit, afin qu’elle y mît le bouquetelle-même ; pendant qu’elle s’y prêtait de bonne grâce, maisnon sans quelque peine, il était debout, et regardait le pavillondont je vous ai parlé, et dont une persienne était entr’ouverte.Vous vous souvenez que madame de Parnes passait pour n’y jamaisaller. Elle affectait même quelque mépris pour ce boudoir galant etrecherché, qu’elle trouvait de mauvaise compagnie. Valentin crutvoir cependant que les fauteuils dorés et les tentures brillantesne souffraient pas de la poussière. Au milieu de ces meubles àforme grecque, superbes et incommodes comme tout ce qui vient del’empire, certaine chaise longue évidemment moderne lui parut sedétacher dans l’ombre. Le cœur lui battit, je ne sais pourquoi, ensongeant que la belle marquise se servait quelquefois de sonpavillon ; car pourquoi ce fauteuil eût-il été là, sinon pouraller s’y asseoir ? Valentin saisit une des blanches mainsoccupées à le décorer, et la porta doucement à ses lèvres ; cequ’en pensa la marquise, je n’en sais rien. Valentin regardait lachaise longue ; madame de Parnes regardait le dessin deValentin ; elle ne retirait pas sa main, et il la tenait entreles siennes. Un domestique parut sur le perron ; une visitearrivait. Valentin lâcha la main de la marquise, et (chose assezsingulière) elle ferma brusquement la persienne.

La visite entrée, Valentin fut un peuembarrassé ; car il vit que la marquise cachait son esquisse,comme par mégarde, en jetant son mouchoir dessus. Ce n’était pas làson compte : il prit le parti le plus court, il souleva lemouchoir et s’empara du papier ; madame de Parnes fit un légersigne d’étonnement.

– Je veux y retoucher, lui dit-il touthaut ; permettez-moi d’emporter cela.

Elle n’insista pas, et il s’en fut avec.

Il trouva madame Delaunay qui faisait de latapisserie, sa mère était assise près d’elle. La pauvre femme, pourtout jardin, avait quelques fleurs sur sa croisée. Son costume,toujours le même, était de couleur sombre, car elle n’avait pas derobe du matin ; tout superflu est signe de richesse. Unevelléité de fausse élégance lui faisait porter cependant desboucles d’oreille de mauvais goût et une chaîne de chrysocale.Ajoutez à cela des cheveux en désordre et l’apparence d’une fatiguehabituelle ; vous conviendrez que le premier coup d’œil ne luirendait pas en ce moment la comparaison favorable.

Valentin n’osa pas, en présence de la mère,montrer le dessin qu’il apportait. Mais lorsque trois heuressonnèrent, la vieille dame, qui n’avait pas de servante, sortitpour préparer son dîner. C’était l’instant qu’attendait le jeunehomme. Il tira donc de nouveau son portrait, et tenta sa secondeépreuve. La veuve n’avait pas grande finesse, elle ne se reconnutpas, et Valentin, un peu confus, se vit obligé de lui expliquer quec’était elle qu’il avait voulu faire. Elle en parut d’abordétonnée, puis enchantée, et, croyant simplement que c’était uncadeau que Valentin lui offrait, elle alla décrocher un petit cadreen bois blanc à la cheminée, en ôta un affreux portrait de Napoléonqui y jaunissait depuis 1810, et se disposa à y mettre le sien.

Valentin commença par la laisser faire ;il ne pouvait se résoudre à gâter ce mouvement de joie naïve.Cependant l’idée que madame de Parnes lui redemanderait sans douteson dessin le chagrinait visiblement ; madame Delaunay, quis’en aperçut, crut avoir commis une indiscrétion ; elles’arrêta embarrassée, tenant son cadre et ne sachant qu’en faire.Valentin, qui, de son côté, sentait qu’il avait fait une sottise enmontrant ce portrait qu’il ne voulait pas donner, cherchait en vainà sortir d’embarras. Après quelques instants de gêne etd’hésitation, le cadre et le papier restèrent sur la table, à côtédu Napoléon détrôné, et madame Delaunay reprit son ouvrage.

– Je voudrais, dit enfin Valentin,qu’avant de vous laisser cette petite ébauche, il me fût permisd’en faire une copie.

– Je crois que je ne suis qu’uneétourdie, répondit la veuve. Gardez ce dessin qui vous appartient,si vous y attachez quelque prix. Je ne suppose pourtant pas quevotre intention soit de le mettre dans votre chambre, ni de lemontrer à vos amis.

– Certainement non ; mais c’est pourmoi que je l’ai fait, et je ne voudrais pas le perdreentièrement.

– À quoi pourra-t-il vous servir, puisquevous m’assurez que vous ne le montrerez pas ?

– Il me servira à vous voir, madame, et àparler quelquefois à votre image de ce que je n’ose vous dire àvous-même.

Quoique cette phrase, à la rigueur, ne fûtqu’une galanterie, le ton dont elle était prononcée fit lever lesyeux à la veuve. Elle jeta sur le jeune homme un regard, non passévère, mais sérieux ; ce regard troubla Valentin, déjà ému deses propres paroles ; il roula l’esquisse et allait laremettre dans sa poche, quand madame Delaunay se leva et la luiprit des mains d’un air de raillerie timide. Il se mit à rire, et àson tour s’empara lestement du papier.

– Et de quel droit, madame,m’ôteriez-vous ma propriété ? Est-ce que cela ne m’appartientpas ?

– Non, dit-elle assez sèchement ;personne n’a le droit de faire un portrait sans le consentement dumodèle.

Elle s’était rassise à ce mot, et Valentin, lavoyant un peu agitée, s’approcha d’elle et se sentit plus hardi.Soit repentir d’avoir laissé voir le plaisir qu’elle avait d’abordressenti, soit désappointement, soit impatience, madame Delaunayavait la main tremblante. Valentin, qui venait de baiser celle demadame de Parnes, et qui ne l’avait pas fait trembler pour cela,prit, sans autre réflexion, celle de la veuve. Elle le regarda d’unair stupéfait, car c’était la première fois qu’il arrivait àValentin d’être si familier avec elle. Mais, quand elle le vits’incliner et approcher ses lèvres de sa main, elle se leva, luilaissa prendre sans résistance un long baiser sur sa mitaine, etlui dit avec une extrême douceur :

– Mon cher monsieur, ma mère a besoin demoi ; je suis fâchée de vous quitter.

Elle le laissa seul sur ce compliment, sanslui donner le temps de la retenir et sans attendre sa réponse. Ilse sentit fort inquiet, il eut peur de l’avoir blessée ; il nepouvait se décider à s’en aller, et restait debout, attendantqu’elle revînt. Ce fut la mère qui reparut, et il craignit, en lavoyant, que son imprudence ne lui coûtât cher ; il n’en futrien : la bonne dame, de l’air le plus riant, venait lui tenircompagnie pendant que sa fille repassait sa robe pour aller le soirà son petit bal. Il voulut attendre encore quelque temps, espéranttoujours que la belle boudeuse allait pardonner : mais la robeétait, à ce qu’il paraît, fort ample ; le temps de se retirerarriva, et il fallut partir sans connaître son sort.

Rentré chez lui, notre étourdi ne se trouvapourtant pas trop mécontent de sa journée. Il repassa peu à peudans sa tête toutes les circonstances de ses deux visites ;comme un chasseur qui a lancé le cerf, et qui calcule sesembuscades, ainsi l’amoureux calcule ses chances et raisonne safantaisie. La modestie n’était pas le défaut de Valentin. Ilcommença par convenir avec lui-même que la marquise luiappartenait. En effet, il n’y avait eu de la part de madame deParnes ombre de sévérité ni de résistance. Il fit cependantréflexion que, par cette raison même, il pouvait bien n’y avoir euqu’une ombre légère de coquetterie. Il y a de très belles dames depar le monde qui se laissent baiser la main, comme le pape laissebaiser sa mule : c’est une formalité charitable ; tantmieux pour ceux qu’elle mène en paradis. Valentin se dit que lapruderie de la veuve promettait peut-être plus, au fond, que lelaisser-aller de la marquise. Madame Delaunay après tout, n’avaitpas été bien rigide. Elle avait doucement retiré sa main, et s’enétait allée repasser sa robe. En pensant à cette robe, Valentinpensa au petit bal : c’était le soir même ; il se promitd’y aller.

Tout en se promenant par la chambre, et touten faisant sa toilette, son imagination s’exaltait. C’était laveuve qu’il allait voir, c’était à elle qu’il songeait. Il vit sursa table un petit portefeuille assez laid, qu’il avait gagné dansune loterie. Sur la couverture de ce portefeuille était un méchantpaysage à l’aquarelle, sous verre, et assez bien monté. Il remplaçaadroitement ce paysage par le portrait de madame de Parnes ;je me trompe, je veux dire de madame Delaunay. Cela fait, il mit ceportefeuille en poche, se promettant de le tirer à propos et de lefaire voir à sa future conquête. – Que dira-t-elle ? sedemanda-t-il. Et que répondrai-je ? se demanda-t-il encore.Tout en ruminant entre ses dents quelques-unes de ces phrasespréparées d’avance qu’on apprend par cœur et qu’on ne dit jamais,il lui vint l’idée beaucoup plus simple d’écrire une déclaration enforme, et de la donner à la veuve.

Le voilà écrivant ; quatre pages seremplissent. Tout le monde sait combien le cœur s’émeut durant cesinstants où l’on cède à la tentation de fixer sur le papier unsentiment peut-être fugitif : il est doux, il est dangereux,madame, d’oser dire qu’on aime. La première page qu’écrivitValentin était un peu froide et beaucoup trop lisible. Les virguless’y trouvaient à leur place, les alinéas bien marqués, touteschoses qui prouvent peu d’amour. La seconde page était déjà moinscorrecte ; les lignes se pressaient à la troisième, et laquatrième, il faut en convenir, était pleine de fautesd’orthographe.

Comment vous dire l’étrange pensée quis’empara de Valentin tandis qu’il cachetait sa lettre ?C’était pour la veuve qu’il l’avait écrite, c’était à elle qu’ilparlait de son amour, de son baiser du matin, de ses craintes et deses désirs ; au moment d’y mettre l’adresse, il s’aperçut, ense relisant, qu’aucun détail particulier ne se trouvait dans cettelettre, et il ne put s’empêcher de sourire à l’idée de l’envoyer àmadame de Parnes. Peut être y eut-il, à son insu, un motif cachéqui le porta à exécuter cette idée bizarre. Il se sentait, au fonddu cœur, incapable d’écrire une pareille lettre pour la marquise,et son cœur lui disait en même temps que, lorsqu’il voudrait, il enpourrait récrire une autre à madame Delaunay. Il profita donc del’occasion, et envoya, sans plus tarder, la déclaration faite pourla veuve à l’hôtel de la Chaussée-d’Antin.

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