Nouvelles et Contes – Tome I

I

Vers les dernières années de la Restauration,un jeune homme de Besançon, nommé Frédéric Hombert, vint à Parispour faire son droit. Sa famille n’était pas riche et ne luidonnait qu’une modique pension ; mais, comme il avait beaucoupd’ordre, peu de chose lui suffisait. Il se logea dans le quartierLatin, afin d’être à portée de suivre les cours ; ses goûts etson humeur étaient si sédentaires, qu’il visita à peine lespromenades, les places et les monuments qui sont à Paris l’objet dela curiosité des étrangers. La société de quelques jeunes gens aveclesquels il eut bientôt occasion de se lier à l’École de droit,quelques maisons que des lettres de recommandation lui avaientouvertes, telles étaient ses seules distractions. Il entretenaitune correspondance réglée avec ses parents, et leur annonçait lesuccès de ses examens au fur et à mesure qu’il les subissait. Aprèsavoir travaillé assidûment pendant trois ans, il vit enfin arriverle moment où il allait être reçu avocat ; il ne lui restaitplus qu’à soutenir sa thèse, et il avait déjà fixé l’époque de sonretour à Besançon, lorsqu’une circonstance imprévue vint pourquelque temps troubler son repos.

Il demeurait rue de la Harpe, au troisièmeétage, et il avait sur sa croisée des fleurs dont il prenait soin.En les arrosant, un matin, il aperçut, à une fenêtre en face delui, une jeune fille qui se mit à rire. Elle le regardait d’un airsi gai et si ouvert, qu’il ne put s’empêcher de lui faire un signede tête. Elle lui rendit son salut de bonne grâce, et, à compter dece moment, ils prirent l’habitude de se souhaiter ainsi le bonjourtous les matins, d’un côté de la rue à l’autre. Un jour queFrédéric s’était levé de meilleure heure que de coutume, aprèsavoir salué sa voisine, il prit une feuille de papier qu’il plia enforme de lettre, et qu’il montra de loin à la jeune fille, commepour lui demander s’il pouvait lui écrire ; mais elle secouala tête en signe de refus, et se retira d’un air fâché.

Le lendemain, le hasard fit qu’ils serencontrèrent dans la rue. La demoiselle rentrait chez elle,accompagnée d’un jeune homme que Frédéric ne connaissait pas, etqu’il ne se rappela point avoir jamais vu parmi les étudiants. À latournure et à la toilette de sa voisine, quoiqu’elle portât unchapeau, il jugea qu’elle devait être ce qu’on appelle à Paris unegrisette. Le cavalier, d’après son âge, n’était sans doute qu’unfrère ou un amant, et semblait plutôt un amant qu’un frère. Quoiqu’il en fût, Frédéric résolut de ne plus songer à cette aventure.Les premiers froids étant venus, il ôta ses fleurs de la placequ’elles occupaient sur sa croisée ; mais, malgré lui, ilregardait toujours dehors de temps en temps ; il rapprocha dela fenêtre le bureau où il travaillait, et arrangea son rideau defaçon à pouvoir guetter sans être aperçu.

La voisine, de son côté, ne se montra plus lematin. Elle paraissait quelquefois à cinq heures du soir pourfermer ses persiennes, après avoir allumé sa lampe. Frédéric sehasarda un jour à lui envoyer un baiser. Il fut surpris de voirqu’elle le lui rendit aussi gaiement qu’autrefois son premiersalut. Il prit de nouveau son morceau de papier, qui était restéplié sur sa table, et, s’expliquant par signes du mieux qu’il put,il demanda qu’on lui écrivît ou qu’on reçût son billet. Mais laréponse ne fut pas plus favorable que la première fois ; lagrisette secoua encore la tête, et il en fut de même pendant huitjours. Les baisers étaient bienvenus, mais, quant aux lettres, ilfallait y renoncer.

Au bout d’une semaine, Frédéric, dépitéd’essuyer sans cesse le même refus, déchira son papier devant savoisine. Elle en rit d’abord, resta quelque temps indécise, puistira de la poche de son tablier un billet qu’elle montra à son tourà l’étudiant. Vous jugez bien qu’il ne secoua pas la tête. Nepouvant parler, il écrivit en grosses lettres, sur une grandefeuille de papier à dessin, ces trois mots : « Je vousadore ! » Puis il posa la feuille sur une chaise et plaçaune bougie allumée de chaque côté. La belle grisette, armée d’unelorgnette, put lire ainsi la première déclaration de son amant.Elle y répondit par un sourire, et fit signe à Frédéric dedescendre pour venir chercher le billet qu’elle lui avaitmontré.

Le temps était obscur, et il faisait un épaisbrouillard. Le jeune homme descendit lestement, traversa la rue etentra dans la maison de sa voisine ; la porte était ouverte,et la demoiselle était au bas de l’escalier. Frédéric, l’entourantde ses bras, fut plus prompt à l’embrasser qu’à lui parler. Elles’enfuit toute tremblante.

– Que m’avez-vous écrit ?demanda-t-il ; quand et comment puis-je vous revoir ?

Elle, s’arrêta, revint sur ses pas, et,glissant son billet dans la main de Frédéric :

– Tenez, lui dit-elle, et ne découchezplus.

Il était arrivé en effet à l’étudiant, depuispeu, de passer, malgré sa sagesse, la nuit hors du logis, et lagrisette l’avait remarqué.

Quand deux amoureux sont d’accord, lesobstacles sont bien peu de chose. Le billet remis à Frédéricannonçait les plus grandes précautions à prendre, parlait dedangers menaçants, et demandait où il fallait aller pour se voir.Ce ne pouvait être, disait-on, dans l’appartement du jeune homme.Il fallut donc chercher une chambrette aux alentours. Le quartierLatin n’en manque pas. Le premier rendez-vous était fixé, lorsqueFrédéric reçut la lettre suivante :

« Vous dites que vous m’adorez, et vousne me dites pas si vous me trouvez jolie. Vous m’avez mal vue, et,pour pouvoir m’aimer, il faut que vous me voyiez mieux. Je vaissortir avec ma bonne ; sortez de votre côté, et venez à marencontre dans la rue. Vous m’aborderez comme une connaissance,vous me direz quelques mots, et regardez-moi bien pendant cetemps-là. Si vous ne me trouvez pas jolie, vous me le direz et jene m’en fâcherai pas. C’est tout simple, et d’ailleurs je ne suispas méchante.

Mille baisers. BERNERETTE. »

Frédéric obéit aux ordres de sa maîtresse, etje n’ai que faire de dire que l’épreuve ne fut pas douteuse.Cependant Bernerette, par un raffinement de coquetterie, au lieu dese munir de tous ses atours pour cette rencontre, se présenta ennégligé, les cheveux relevés sous son chapeau. L’étudiant lui fitun respectueux salut, lui répéta qu’il la trouvait plus belle quejamais, puis rentra chez lui, ravi de sa nouvelle conquête ;mais elle lui sembla bien plus belle encore le lendemain,lorsqu’elle vint au rendez-vous, et il vit là qu’elle pouvait sepasser non seulement d’atours, mais encore de toute espèce detoilette, même la plus négligée.

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