Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

X – Quatre ans plus tard

« Et pourquoi donc, mon chercapitaine, n’avez-vous pas accepté la Légion d’honneur ? C’estincompréhensible !

– Parce que, mon cher ange gardien,j’estime que je ne l’ai pas méritée, voilà tout !

– Ça, c’est tropfort !… »

Et Mlle Françoise de la Boulays seleva du banc où elle venait de faire asseoir le capitaine Didierd’Haumont, convalescent ; décidément, il y avait des minutesoù elle ne comprenait plus du tout son cher malade !… Didierd’Haumont avait été plusieurs fois blessé, avait eu de nombreusescitations, portait avec une joie orgueilleuse sa croix de guerre,mais avait obstinément refusé la Légion d’honneur !…« Plus tard ! quand je l’auraiméritée ! »

« Voulez-vous que je vousdise ?… Eh bien, c’est de l’orgueil !… s’écria la jeunefille délicieusement irritée.

– C’est peut-être bien quelquechose comme cela ! » répliqua le capitaine en souriant,puis, soudain, il devint grave et se tut.

Or, ces silences subits du convalescent,au milieu des conversations les plus enjouées, étaient encore unede ces choses que Mlle de la Boulays ne s’expliquaitpoint… C’est vrai qu’il y avait, comme cela, des moments où lecapitaine lui échappait complètement, et non seulement par sessilences, mais, quelquefois encore, par certaines réflexionsinexplicables à propos de l’opinion la plus courante etgénéralement acceptée des cerveaux les plus raisonnables… Eh bien,lui, il avait parfois un mot, accompagné d’un extraordinairesourire, qui pouvait faire croire qu’il ne pensait pas, là-dessus,absolument comme tout le monde !

Et, cependant, Françoise était bienpersuadée qu’elle n’avait jamais rencontré sur son chemin une plusnoble intelligence que celle du capitaine Didier d’Haumont, unesprit plus sympathique au service d’un cœur plusvaillant.

Elle avait été attirée vers lui dès lepremier jour, lors de cette fameuse soirée à bord de laDordogne,où l’on avait appris et fêté la victoire de laMarne, et où elle avait assisté à l’émotion si intense, siardemment personnelle, de ce voyageur inconnu, son voisin detable…

Ils avaient fait tout de suite une joliepaire d’amis, pendant la traversée. Le commandant Lalouette avaitprésenté Didier à M. de la Boulays ; et le père deFrançoise, ardent patriote, avait été touché du généreuxenthousiasme avec lequel un homme comme M. d’Haumont, quin’était plus un jeune homme, quittait d’importantes affaires pourvenir réclamer en France sa place au combat. Certes !l’exemple n’était pas rare, mais ce qui était remarquable dans lecas de M. Didier d’Haumont, c’était la joie presque enfantineavec laquelle il parlait des batailles prochaines, et cette sorted’allégresse mystique au milieu de laquelle il entrevoyait lamort :

« Mourir comme ça, disait-il, jedonnerais tout ce que j’ai, pour mourir commeça ! »

Or, on disait M. d’Haumont trèsriche.

Françoise avait caché son émotionlorsque, le paquebot arrivé à destination, il avait fallu seséparer. Et Didier lui avait dit :

« Adieu pourtoujours ! »

Elle n’avait même pas eu le temps de luidemander l’explication de cette singulière parole, tant le départde Didier avait été brusque.

M. de la Boulays possédait unchâteau à la limite de la zone des armées. Il avait consacré, toutde suite, une grande partie des locaux et des dépendances de lapropriété aux besoins de la Croix-Rouge.

Dans cet hôpital temporaire, Françoiseprodigua ses soins aux blessés avec un dévouementinlassable.

Pendant plus de deux ans elle n’avaitpas entendu parler de M. Didier d’Haumont. Un jour vint,cependant, où elle lut son nom dans un journal. Malgré la grandediscrétion avec laquelle on identifiait alors les exploits de noshéros, on y racontait comment le lieutenant Didier d’Haumont avaittenu toute une nuit avec sa compagnie, contre deux régimentsboches, sur une position qui était de la dernière importance etdont nos réserves n’avaient pu approcher avant l’aurore. Il enétait revenu sur une civière, grièvement blessé, entouré de septhommes qui lui restaient. Le jour où elle avait lu ce haut fait àson père, M. de la Boulays avait à sa table un généralcommandant un groupe d’armées, dont le nom était célèbre depuisl’Yser. Il connaissait le lieutenant d’Haumont pour avoir été soncolonel et avait pu apprécier sa folle bravoure dans la batailledes Flandres. Du reste, cet homme lui avait été exceptionnellementsignalé par la place de Paris, où il devait avoir des amis, entreautres un banquier israélite attaché au ministre de la guerre, etpar l’intermédiaire duquel, s’il fallait en croire ce qui seracontait sous le manteau, Didier d’Haumont aurait versé au Trésor,à titre de don, environ deux millions de poudre d’or, toute safortune !

Mlle de la Boulays s’étaitretirée sur ces derniers mots, ne voulant pas laisser voir à sonpère jusqu’à quel point tout ce que l’on disait de M. Didierd’Haumont la touchait et même la « bouleversait ». Lejournal qui narrait son dernier exploit rapportait en même tempsqu’après avoir été quelques jours entre la vie et la mort, lelieutenant était maintenant hors de danger.

Des mois et des mois passèrent… Et, unsoir de grande offensive, on avait apporté dans la salled’opérations, un capitaine qui avait été sérieusement« amoché » par un éclat d’obus.

Françoise reconnut Didier d’Haumont dansle moment que celui-ci rouvrait les yeux. Leur émotion à tous deuxfut grande et ils ne se la dissimulèrent point. Il voulut savoir lavérité sur son cas. Il supplia la jeune fille de le sauver d’uneopération qui ferait de lui un infirme. Il préférait disparaître.Et, en vérité, il ne demandait obstinément qu’une chose :qu’on le laissât mourir !

Ce fut elle qui le sauva et sut legarder d’une amputation qui était déjà décidée. Et maintenant, ilétait guéri… et traité en vieil ami de la famille, dans lesappartements mêmes de M. de la Boulays. Ses forcesétaient, disait-il, tout à fait revenues, bien queMlle de la Boulays en doutât, et il parlait déjà departir…

L’armistice, qui venait d’être signé,lui créait, disait-il, de nouveaux devoirs…

« Vous me dites tout le temps quevous me devez la vie, exprimait Françoise sur un ton à peu prèsfâché, et il semble que vous ne puissiez me prouver votrereconnaissance que par votre prompt départ ! »

C’est au milieu d’une de ces aimablesquerelles, que nous surprenons Didier et Françoise dans le parc dela Boulays.

Après un silence, la jeune filledemanda :

« Vous n’avez plus de parents,monsieur d’Haumont ?

– Non !… Je n’ai plus defamille… »

Elle eut encore une hésitation et puiselle lança vivement, en détournant la tête, car elle était devenuerouge comme une cerise :

« Et vous n’avez jamais songé àvous en refaire une ?

– Ma foi, non ! Maintenant, ilest trop tard !… »

Et il ajouta en riant :

« Vous oubliez que j’ai des cheveuxgris !

– Oh ! si peu ! Et puis,qu’est-ce que ça prouve ?

– Cela prouve que j’ai passé l’âgede me marier…

– C’est bête ce que vous diteslà ! Notre ami, le vicomte d’Arly, s’est marié à soixanteans !

– Eh bien,j’attendrai. »

Elle se prit à rire :

« Dites-moi, vous n’avez jamaispensé à cette coïncidence qui nous a fait nous rencontrer ici, dansdes circonstances aussi tragiques, alors que vous m’aviez fait vosadieux pour toujours ! C’est le destin qui se vengeait devous ! Et combien cruellement ! Pourquoi vouliez-vous mequitter pour toujours ? »

Il la regarda bravement en face. Ilétait très pâle et il dit :

« Parce que ma vie ne m’appartientpas ! »

Françoise s’appuya un instant sur lemarbre d’un balustre. Visiblement elle chancelait. Il en eut pitiéet il eut aussi pitié un peu de lui-même.

« En temps de guerre, ajouta-t-il,ne trouvez-vous pas que cela porte malheur de se dire au revoir…quand notre vie appartient tout entière aupays ?… »

Elle respira. Elle avait pensé, tout desuite, que le cœur de Didier n’était plus libre !…

Elle fut rassurée, mais elle restaitfurieuse de cette obstination incompréhensible à ne pointcomprendre qu’il était aimé et qu’il n’avait qu’un mot àdire…

« Je vous quitte, fit-elle trèsnerveuse. Il faut que je me fasse belle pour le dîner. J’attendsmon flirt ce soir ! »

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