Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

IV – Quelques gestes dans la nuit

Nous avons vu Chéri-Bibi quitter ledortoir pour se glisser dans son trou.

Le souterrain qu’il avait creusé là avecune patience et une astuce que l’on ne rencontre qu’au bagne,constituait un travail de géant, pour peu que l’on songe à lasimplicité excessive des outils dont il disposait : uncouteau, une pointe de fer et quelques boîtes à sardines.Cependant, il en était arrivé à bout… et tout seul, défendant àquiconque de mettre le nez sur son ouvrage… Le souterrain étaitlong de plus de cent mètres, s’avançant autant que possible dans dela terre meuble, mais évitant le sable, pour déboucher entre deuxrochers… On se trouvait alors dans un endroit absolument désert,surtout la nuit. Enfin ce débouché se trouvait sur la grève le longde laquelle Chéri-Bibi devait se glisser pour atteindre le môle oùétait enchaînée la chaloupe…

Quand il apparut à l’orifice de ce trou,il n’était pas plus de neuf heures du soir.

La nuit était claire, de sa clartééquatoriale. Il fallait donc prendre de grandes précautions pourn’être point aperçu, soit des gardes de service, soit desrondes…

Mais, en dehors de ces rondes quisuivaient toujours le même chemin, à heures fixes, le service degarde était réduit à sa plus simple expression. C’était l’heure dudîner pour les autorités et du repos pour les bagnards enfermésdans leurs cases.

Un artoupan, le fusil en bandoulière,était généralement assis sur un banc, adossé à un petit baraquementà l’extrémité du môle, veillant vaguement, fumant et attendant enbâillant son heure de relève.

Ce soir-là, Chéri-Bibi en se glissant àquatre pattes, le long du môle, put constater que l’artoupan n’yétait pas. Où était-il ? S’était-il endormi dans labaraque ? Avait-il coupé à son service et buvait-il du tafiaen compagnie de quelques camarades ?

« Tant mieux pourlui ! » souffla Chéri-Bibi, et il sauta dans lachaloupe… Il ajouta même, toujours en aparté : « et tantmieux pour moi !… » Chéri-Bibi répugnait, en général, auxgestes de grande brutalité ; il ne s’y résolvait que contraintet forcé, et il avait suffisamment, à ce propos, eu l’occasiond’accuser la fatalité pour remercier, pour une fois, la Providencequi lui épargnait la vie d’un homme !…

…………………………

Une demi-heure environ après le départde Chéri-Bibi, il y avait un étrange silence dans la case. Tous lesjeux s’étaient arrêtés, tous les regards étaient tournés d’un mêmecôté. Le trou creusé par Chéri-Bibi était presque sous le hamac dePalas, qui venait de laisser glisser ses jambes sur le sol, maisqui s’arrêta soudain dans son mouvement, surpris par le silencesubit.

Et tout à coup, tous se ruèrent surlui :

« Oùvas-tu ? »

Palas les vit si menaçants qu’il compritqu’ils étaient déterminés à tout, plutôt que de le laisser sortirde la case.

Il essaya deparlementer :

« Je vais rejoindre Chéri-Bibi. Ilm’a demandé de venir l’aider. Qu’est-ce qu’il y a là qui vousgêne ? »

Palas ne parlait jamais argot. Celaencore était fait pour exciter l’animosité des bagnards, qui nepardonnaient point à Palas d’être resté aussi distant avec euxqu’aux premiers jours.

« Des vannes ! Des vannes,l’épateur ! Le batteur ! C’est pas vrai ! Chéri-Bibiveut jamais qu’on taupe (travaille) pour lui. N’a besoinde personne pour arracher son copeau !

– Il m’a dit de venir lerejoindre !

– Tu mens ! Palas ! fautrester icicaille ! Un bon conseil : range tesgadins (pieds) et « joue de l’orgue » (ronfle),c’est ce que t’as de mieux à faire ! »

C’était le Parisien qui avaitparlé.

Il se tenait, du reste, à une distancesuffisante de Palas.

De son côté Fric-Frac dirigeait sonmonde assez sournoisement, en poussant le plus possible contrePalas, se disant qu’il n’y en aurait jamais trop et qu’il allait yavoir de la casse !

La bataille fut déchaînée par unmouvement brutal de Caïd, qui avait saisi les pieds de Palas et lesavait rejetés dans le hamac.

Palas bondit hors du hamac sur le Caïd,mais celui-ci lui échappa. Ils furent vingt sur Palas… Il y eut descoups terribles. On entendait sonner des crânes sur lesdalles.

Cette case où se déchiraient des bêtesfauves était pleine de sourds rugissements, de râles effroyables.Sentant que la haine de ses compagnons ne lui permettrait jamais des’évader, Palas, dont le dernier espoir était mort, résolut demourir avec lui. Mais il se paierait en mourant de tout ce qu’ilavait souffert, de tout ce qu’il avait enduré de ses ignoblesgeôliers, plus haïssables que les artoupans et plus féroces que lesmonstres eux-mêmes qui guettent leur proie derrière les rochers dela « Royale ».

Il se battit comme un lion.

Beaucoup de ceux qui l’accablaientdevaient conserver longtemps les traces cruelles de cette luttesanglante.

Cependant, dans cet étroit espace, ilsuccomba bientôt sous le nombre.

Quasi étouffé, réduit à l’impuissance,vingt forçats pesant sur ses membres, il se vit lié étroitement etformidablement par une corde sortie d’on ne sait où. Ainsi fut-ilrejeté dans son coin, haletant et vaincu… Il ferma les yeux pourqu’on ne vît pas son désespoir !

Ainsi, au moment où il croyait en sortirpour toujours, la géhenne le reprenait tout entier. Continuer àvivre cette vie ! Plutôt mourir ! Pourquoi nel’avaient-ils pas tué tout à l’heure ? Que n’avait-il sentiautour de sa gorge rugissante l’étreinte de fer des doigtsassassins qui l’auraient délivré de cette existence maudite ?Dix ans il avait enduré ce supplice ! dix ans pendant lesquelsil n’avait cessé d’espérer sa délivrance par l’évasion ou par lemiracle qui aurait prouvé son innocence ! Maintenant iln’espérait plus rien ! Il songeait au genre de suicide àchoisir…

Et pendant ce temps-là, Chéri-Bibil’attendait !… Chéri-Bibi qui avait tout préparé, qui avaitaccompli des prodiges… pour aboutir à quoi ?…

… Parmi les têtes hideuses desbandits penchées sur Palas, celui-ci eût en vain cherché maintenantle Parisien, Fric-Frac, le Caïd et le Bêcheur ! Les quatreforçats, pendant l’atroce bataille, s’étaient glissés dans lagalerie creusée par le plus redoutable des« fagots »…

Soudain, un coup de feu éclata dans lanuit… Tous sursautèrent. Et « monsieur Désiré » quiaidait à l’ordinaire Pernambouc, le bourreau du bagne, pour uneboîte de sardines ou un paquet de « caporal supérieur »…souffla à l’oreille de Palas :

« T’as entendu ! On joue auxpruneaux, pas bien loin d’la côte !… Chéri-Bibi a bien putrinquer ! C’est pas encore c’te sorgue (cette nuit) qu’il tesauvera ! Prends garde que « l’as de carreau »apprenne que t’étais de mèche avec Chéri-Bibi. Y a du gros tempspour la chiourme. Je te dis ! je te dis qu’ils finiront par medonner ta cabèche (ta tête). »

Et il ajouta avec son rireignoble :

« Tu sais, ce ne sera pas de refus,je n’ai déjà plus de tabac ! J’ai tout donné aux pott’…monsieur Désiré a bon cœur ! »

On entendit soudain le galop despatrouilles… et une voix, au lointain, cria : « On a lapeau de Chéri-Bibi !… »

Palas pleurait…

Disons tout de suite qu’Arigonde,Fric-Frac, le Caïd et le Bêcheur, après s’être glissés dans le troude Chéri-Bibi, en étaient sortis sans encombre.

« Compliment à Chéri-Bibi… exprimale Bêcheur en humant l’air frais de la nuit… Sa mère, en le mettantau monde, a dû penser à une taupe !

– Ta g… ! ettrottons-nous ! commanda Fric-Frac… Chéri-Bibi va pas tarder àaller chercher des nouvelles de Palas !… Attention àmanœuvrer !… »

Ils suivirent les rochers en bordure demer ; les vagues, par instants, les mouillaient jusqu’auxgenoux…

« Halte ! commanda tout à coupArigonde.

– Merci pour le bain depieds ! grogna le Bêcheur.

– Moi, toujours content, jamaismalade, jamais mouri !… susurra le Caïd.

– Si nous faisons un pas de plus,Chéri-Bibi peut nous apercevoir… » déclaraArigonde.

Maintenant le Parisien et sa bande nebougeaient plus. Ils avaient aperçu la tête de Chéri-Bibi qui sehaussait prudemment au-dessus du bordage de la chaloupe, dans ledessein évident d’explorer les environs.

Ce que les quatre bandits avaient prévuarriva. Ne comprenant point pourquoi Palas se faisait tantattendre, Chéri-Bibi très inquiet, se résolut à refaire le chemindéjà accompli et à se rendre compte par lui-même des causes de ceretard.

Arigonde et ses trois acolytes le virentsortir de sa chaloupe et ramper sur le môle, ne se déplaçantqu’avec les plus grandes précautions et s’arrêtant pour écouter sile silence de la nuit n’était troublé d’aucun bruitsuspect.

Ainsi gagna-t-il la grève. Nous avonsdit que là il était facile de se cacher, en raison de la grandeaccumulation de rochers dont la plage est couverte.

Il n’en est point de même de la rive quise trouve en face de Kourou et du continent. Celle-ci est plate ettoute nue.

Chéri-Bibi, bien gardé par les rochers,continua donc son chemin sans encombre, mais aussi à cause desrochers, il n’aperçut point les quatre fuyards qui n’étaient pas àdix mètres de lui…

Quand il se fut enfoncé dans l’ombre,les bandits rampèrent à leur tour sur le môle et, de là, sejetèrent dans la chaloupe. Ce fut vite fait, mais ils n’y étaientpas plus tôt installés que Fric-Frac donna l’éveil. Chéri-Bibirevenait.

Ils se dissimulèrent tous quatre sous leroof, ne respirant plus, dans l’attente de ce qui allait sepasser.

Pourquoi Chéri-Bibi revenait-il, et sivite ? Se doutait-il de quelque chose ?…

Le redoutable ami de Palas leurinspirait une telle terreur qu’ils avaient peur de son ombre commedes enfants qui, traversant la forêt la nuit, ont peur duloup-garou.

Ils n’étaient pas armés. Chéri-Bibidevait l’être, et même s’il ne l’était pas, ils n’auraient pas pesélourd tous les quatre entre ses énormes pattes…

Enfin, ils savaient que certains avaientpayé de leur vie l’imagination qu’ils avaient eue de se mettre entravers de ses projets. C’étaient là bien des raisons pour qu’ilsse tinssent tranquilles.

Mais que pouvait bien faireChéri-Bibi ? On ne l’apercevait plus. Il avait disparuderrière la machine. Bientôt cependant ils le virent se relever ets’éloigner à nouveau avec les mêmes précautions que la premièrefois.

Quand il eut disparu, Fric-Frac, quiavait été mécanicien dans sa jeunesse, souffla :

« Acrès (vite) vous autres !faites sauter les cadenas des chaînes. »

Ses trois compagnons s’y employaientdéjà, quand un affreux blasphème de Fric-Frac les fit seretourner.

« Vingt D… ! Chéri-Bibi aremporté la pièce du moteur !

– Plus rien à faire ! noussommes flambés ! » gémit le Bêcheur consterné, et ilarrêta le Caïd qui, d’une forte poigne, continuait de tirer sur lecadenas.

« C’est donc ça qu’il est revenu,le faux frère ! gronda le Parisien. Écoutez, il faut enprendre son parti et se pagnoter sous le roof ! Quand il varevenir avec Palas, il y a des chances pour qu’il ne s’aperçoive derien ! Ils fileront sur le continent. Quand ils aurontaccosté, nous sauterons derrière eux ! Et s’ils nous pigent enroute, je ne pense pas qu’ils perdent leur temps à nous ramener aupré !… Il y a du bon, faisons lesmorts !… »

Pendant ce temps, Chéri-Bibi continuaitson chemin vers l’ouverture de son souterrain.

Il se glissait sur la terre avec sasouplesse de grand fauve.

Soudain, il s’arrêta. Il avait entendudes voix.

Et bientôt il aperçut les silhouettes del’officier de surveillance et du commandant de l’administrationpénitentiaire…

Après dîner, ces messieurs faisaient unpetit tour.

Ils avaient allumé des cigares etparlaient stratégie.

Les événements foudroyants de la guerreles passionnaient à ce point que, s’étant arrêtés pour discuter dela retraite ordonnée par Joffre et de la situation de Sarrail àVerdun et de Castelnau à Nancy, ils restèrent là, près d’un quartd’heure, sans que Chéri-Bibi pût faire un mouvement…Fatalitas ! La route était barrée !…

D’abord, très inquiet de ne pas voirvenir Palas, Chéri-Bibi redoutait maintenant de le voir sortir del’orifice du souterrain, ce qu’il ne pouvait faire dans le momentsans attirer l’attention des deux chefs.

Et le temps passait ! Et il pouvaitsurvenir tel événement qui ruinerait de fond en comble un plan silaborieusement établi !…

Or, justement voilà que Chéri-Bibi seprit à frissonner de la tête aux pieds…

Chéri-Bibi frissonnait rarement, mais ilvoyait arriver une chose terrible…

Un chien énorme, un véritable molosse,chargé, lui aussi, de la surveillance, accourait droit surlui.

« Tiens ! dit le commandant,voilà Tarasque qui fait sa petite tournée ! Ici,Tarasque !… »

Mais la bête, au lieu de se diriger versle commandant, continuait son chemin sur Chéri-Bibi.

Le bandit la vit venir à lui avec uneangoisse indicible.

Chose singulière, Tarasque ne donnaitpas de la voix. Aussi, sans plus s’en préoccuper pour le moment,les deux officiers continuaient-ils à discuter leur planstratégique…

Ils ne se doutaient point qu’à dix pasd’eux se déroulait un drame farouche.

Tarasque était un ami de Chéri-Bibi.Comment cette affection était-elle née entre le molosse etl’homme ?

Ils s’étaient aimés tout de suite, àleur première rencontre. Ce monstre de chien avait-il deviné unfrère dans ce monstre d’homme ?

Leurs mufles, à tous deux, avaient dureste plus d’une ressemblance, et leurs instincts de carnageétaient faits pour s’entendre.

Toujours est-il que Tarasque, quin’avait que des crocs pour le menu fretin des bagnards, avait unelangue pour lécher les mains de Chéri-Bibi chaque fois qu’il lepouvait.

Ceux qui ont pénétré dans la premièreaventure de Chéri-Bibi et qui savent quel singulier trésor detendresse cachait le cœur de ce grand criminel maudit du destin,comprendront l’attachement que pouvait avoir le forçat pour cettebête qui le caressait.

Eh bien, dans le moment, ses caressesallaient le perdre d’une façon aussi terrible que l’eût étél’attaque la plus forcenée et, du même coup, perdrePalas.

Chéri-Bibi aimait Tarasque, mais ilavait promis à Palas la liberté !…

Encore quelques secondes de cesdémonstrations amicales et les deux officiers, mis en éveil,seraient sur la bête et sur Chéri-Bibi…

Celui-ci, qui avait mis la tête deTarasque sous son bras, fouilla avec l’autre main dans sa poche ety prit un couteau tout ouvert…

Il s’agissait de tuer la bête de tellesorte qu’elle tombât foudroyée.

Le cœur de Chéri-Bibi agonisait. Ilavait tué bien du monde dans sa vie, et cela par suite d’événementsqui lui paraissaient inéluctables, et il en avait eu bien de lapeine, mais jamais encore il n’avait eu tant d’horreur pour sonmétier d’assassin.

Il embrassa la bête, et la bêtel’embrassa… Et, pendant ce baiser formidable la pointe aiguë etsûre de Chéri-Bibi entrait dans la gorge de Tarasque et la luitranchait d’un seul coup « sans avoir à revenir dans lablessure », comme on dit dans le jargon deboucherie.

Or, Chéri-Bibi avait été garçon boucherdans sa prime jeunesse. Il connaissait son affaire. Il l’avaitprouvé depuis, hélas ! et de toutes les manières ! Ilsavait tuer proprement. La bête eut un long et affreux soupir etexpira en inondant Chéri-Bibi de son sang.

« Fatalitas ! »gémit en lui-même Chéri-Bibi.

Et cette minute affreuse fut inscriteparmi les plus atroces de son atroce vie…

« C’est singulier, exprima lecommandant, qu’est-ce que peut avoir Tarasque à soupirerainsi ?… Tarasque ! Viens ici,Tarasque ! »

Voyant que Tarasque n’arrivait pas, lesdeux hommes se levèrent, très intrigués. Ils s’en furent au rocderrière lequel ils l’avaient vu disparaître et ils trouvèrent labête étendue sur le sol.

« Qu’est-ce qu’elle a ? Elleest malade ! Tarasque ! Tarasque ! »

Ils se penchèrent… La bête était encoretoute chaude… Soudain le lieutenant se releva en jurant et secouantsa main pleine de sang.

Il avait enfoncé sa main dans la gorgede Tarasque !…

On avait coupé la gorge duchien !

Le commandant jura à son tour. La choseétait inimaginable ! On n’avait rien vu, rienentendu !

Ça ne pouvait être que le coup d’un« fagot » évadé !… Il donna immédiatement l’alarmeen déchargeant en l’air son revolver. Une patrouille qui passait lelong de la grève accourut…

Et maintenant, pour comprendre ce qui vase passer, il faut se rendre un compte approximatif de ladisposition et de l’aspect général des lieux.

Les îles du Salut sont séparées les unesdes autres par des détroits de quelques centaines de mètres. Ellespossèdent une rade sûre, où mouillent les plus grandsnavires.

Le paquebot de la Compagnietransatlantique qui est chargé du service normal entre laMartinique et la Guyane y fait escale à l’aller comme auretour…

L’effectif du pénitencier est trèsconsidérable ; les îles, en effet, servent de dépôt, et lestransportés y séjournent un certain temps avant leurclassification, répartition et immatriculation.

C’est à l’île Royale que sont installésle commandant et les différents services administratifs, ainsi queles magasins d’approvisionnement, plus un immense hôpital surlequel sont évacués les condamnés malades des établissementspénitentiaires de Cayenne, de Saint-Laurent et des exploitationsforestières.

C’est également dans cette île que sontorganisés les ateliers de couture, cordonnerie, chapellerie, effetsà l’usage des transportés.

Enfin nous avons dit que la difficultédes évasions et la possibilité du maintien d’une discipline plussévère font de l’île Royale le pénitencier de répression pour lesincorrigibles ou les bandits célèbres.

Il y existe encore unebriqueterie.

Près de l’extrémité ouest, surl’hôpital, est allumé un phare à feu fixe, visible à plus de trentekilomètres.

On aperçoit et l’on reconnaît de loinles îles parce qu’elles sont élevées ; l’île Royale est laplus haute (60 mètres d’altitude). Du côté du continent, elle seprésente en forme de pain de sucre irrégulier.

Mais revenons à Chéri-Bibi dont lasituation était des plus mauvaises. Il avait pu rétrograder sansêtre aperçu, mais pour regagner son trou, il lui fallait traverserun espace découvert où il lui était impossible de sedissimuler.

D’autre part, il ne pouvait rester où ilse trouvait, à vingt pas du cadavre du chien, derrière un grosrocher suspendu où les artoupans l’auraient bientôttrouvé.

Ceux-ci étaient accourus à l’appel ducommandant. Chéri-Bibi entendit l’un d’eux quidisait :

« Il y a du gros temps dans lachiourme depuis hier ! Le bruit court qu’Arigonde allaitfiler ! »

Mais déjà un « sous-corne »remplissait de ses imprécations la nuit sonore !

On lui avait tué son chien, sonTarasque !

Ce ne pouvait être que Chéri-Bibi quiavait fait le coup ! Tarasque ne se laissait jamais approcherque de Chéri-Bibi…

À la nouvelle que Chéri-Bibi s’étaitévadé, ou du moins tentait de s’évader, et courait librement dansl’île, les artoupans commencèrent à perdre la tête.

Les évasions du forçat étaient sicélèbres et avaient été souvent accompagnées d’événements siincroyables qu’ils ne pouvaient, à cette idée, conserver leursang-froid.

Il fallait avertir la garde, mettretoute la garnison sur les dents !…

Le commandant et le lieutenant lesarrêtèrent. Chéri-Bibi ne pouvait être loin…

Il venait de tuer cette bête à quelquespas de l’endroit où ils se trouvaient. Cet endroit était découvert.Le bandit n’aurait pu le traverser sans qu’ils s’en fussentaperçus ! Et, logiquement, le commandant s’avança vers lapierre qui cachait Chéri-Bibi.

Celui-ci était en train desonger :

« Vais-je me laisser accrocher, melivrer maintenant, quitte à recommencer une autrefois ?… »

Il balança une seconde à cause desdifficultés formidables et imprévues qui se dressaient tout à coupdevant lui !

Et puis l’accumulation même de cesdifficultés tenta ce cœur diabolique. Il pensait aussi qu’on neréussit pas une autre fois un coup raté ! Qu’il lui faudraitretrouver autre chose, recommencer un plan, que ce serait long,qu’il serait mis au cachot pour de longs mois, que l’ondécouvrirait son souterrain et que peut-être le « truc »de la chaloupe ne serait plus possible.

Enfin, il avait donné sa paroled’honneur à Palas !

Et quand Chéri-Bibi avait donné saparole d’honneur, il n’y avait pas d’exemple qu’il nel’eût tenue à fond, pour le bien ou pour le mal, deux termes entrelesquels il se promenait depuis si longtemps le couteau à la main,qu’il n’en distinguait point toujours d’une façon bien nette ladifférence. Eh bien, cette fois encore, il vaincrait donc ! ouil y laisserait sa réputation avec sa peau.

Le commandant avançaittoujours…

Il allait le découvrir. La minute étaitdécisive pour le bandit ; il ne pouvait être sauvé que parquelque surprise et par un effort prodigieux.

Cette roche surplombait une sorte detalus au pied duquel le groupe venait de parvenir. Chéri-Bibi,depuis un instant, s’était arc-bouté et, silencieusement, dépensaitune énergie formidable.

Tout à coup, la roche, arrachée à sonlit de glaise, bascula et roula sur les artoupans. Ceux-cipoussèrent des cris horribles. Quelques-uns d’entre eux furentgrièvement blessés.

Le commandant et le lieutenant n’avaienteu que juste le temps de se jeter de côté ! Profitant dudésarroi, Chéri-Bibi avait fait un bond dans la nuit.

Il fuyait du côté du bois. Tous lesgardes qui restaient valides se précipitèrent sur sestraces…

Au moment où il allait leur échapper, ensautant d’un talus garni de hauts bambous, il aperçut tout à coup,au-dessous de lui, un artoupan qui le visait… Il n’eut même pas letemps de se baisser… le coup partit et Chéri-Bibi tomba d’un bloc,écrasant les branches sous son poids énorme de géantfoudroyé…

Une immense clameur salua ce coup bienplacé : « Chéri-Bibi estmort !… »

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