Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

XIII – M. Hilaire

Remontons maintenant de quelques heuresen arrière et voyons ce qui s’était passé, dans ce magasin, quidevait avoir son heure de célébrité.

M. Hilaire était un personnage forthonorablement connu dans son quartier. Sa maigreur et saphysionomie singulière, qui semblait à la fois rire et pleurer, yétaient célèbres. C’était un bon compagnon pour ceux qu’il honoraitde son amitié et un joueur à la manille redoutable, car il avaitquelques habitudes de cabaret, d’esprit farce au fond, en dépit desairs bourgeois qu’il affectait pour obéir à sa femme.

Celle-ci était le point noir dansl’heureuse existence de M. Hilaire, car Virginie étaitjalouse, et le Ciel l’avait douée dès sa naissance du plusdétestable caractère. S’il n’y avait pas eu Virginie et laconcurrence toute proche de la maison du coin : Auxproduits alimentaires, M. Hilaire eût été un hommeparfaitement heureux. On disait dans le quartier qu’il était partide peu et que c’était à son avantage. Ses ennemis seuls (lesclients des Produits alimentaires, le patron et lapatronne et toute leur clique) affirmaient que la jeunesse deM. Hilaire avait été plus qu’orageuse et que ce devait être unancien anarchiste, tant ses propos, quand il avait bu un petit coupde trop, étaient peu respectueux pour l’ordre social.

Cette nuit-là, M. Hilaire veillaitdans sa boutique, mettant de l’ordre dans sa comptabilité. S’iln’était point encore couché, c’est qu’il attendait encore sa femme,avec laquelle il avait eu une discussion orageuse, à propos d’unepetite commise qui était tout leur domestique, depuis queles deux jeunes gens qui s’instruisaient chez eux dans le commercede la mélasse et des pruneaux étaient partis pour la guerre, où ilsavaient fait, même, figures de héros, et d’où ils étaient revenusde temps en temps les voir avec des galons sur les manches et desmédailles sur la poitrine.

Pour en revenir à cette petitecommise, elle avait dix-sept ans, toutes ses dents et unnez en trompette. Elle était noire comme une taupe ou encore commeune bohémienne. Bohémienne, elle l’était peut-être. Elle parlaitl’italien. C’était peut-être une enfant ramassée sur les routes.M. Hilaire, dans ces temps difficiles, ne s’était pointattardé à ces détails pour l’engager. La demoiselle avait un nomqui sentait le fagot. Elle s’appelait Sarah. Mme Hilairel’appela Zoé.

Or, cette petite, qui sous les ordres dela patronne abattait de l’ouvrage comme quatre hommes et étaittoujours d’une bonne humeur exaspérante, avait un gravedéfaut : deux yeux noirs magnifiques et qui semblaienttoujours se moquer du monde. M. Hilaire s’amusait beaucoup deces deux yeux-là et ne pouvait les regarder sans rire. Il n’enallait pas de même pour Mme Hilaire. Elle avait surprisplusieurs fois son mari et la commise en train de se faire quelquespetites agaceries. Cela n’avait pas été de son goût et les scènesqui s’en étaient suivies l’avaient bien prouvé.

Ce soir-là même, elle les avait trouvésse jetant des pruneaux à la figure ! Cela avait fait un beautapage ! Zoé avait reçu une gifle et M. Hilaire aussi.Après quoi, Mme Hilaire était montée s’habiller, déclarantqu’elle en avait assez de l’existence avec un homme qui nerespectait pas la marchandise et ne savait pas tenir son rang avecles domestiques.

Après avoir enfermé Sarah-Zoé dans samansarde et mis la clef dans sa poche, elle avait annoncé à sonmari qu’elle se retirait chez sa mère en attendantmieux !

Cette menace, qui visait de touteévidence l’honneur de M. Hilaire et qui se renouvelait aumoins une fois par semaine, n’était point faite pour anéantirl’épicier. Il savait que sa Virginie n’était guère portée sur labagatelle et qu’elle n’avait qu’un défaut : les cartes !« Va faire un petit poker, se dit-il en aparté, et tâche quela partie dure le plus longtemps possible. »

Elle rentrerait décavée, c’étaitréglé ! En attendant, M. Hilaire, pour se fournir desarmes qui lui rendraient l’avantage, s’était mis à éplucher dans ledétail la comptabilité que tenait sa chère femme et qu’ellefalsifiait de temps à autre pour dissimuler les menus empruntsqu’elle faisait à la caisse sans en rien dire à son pingred’époux.

Ainsi les heures passaient…M. Hilaire, qui venait d’avoir la preuve que sa femme avaitdétourné quarante-deux francs cinquante centimes, l’attendait avecune impatience bien compréhensible, quand deux coups de poingformidables retentirent sur le rideau de fer ; aussitôt unevoix gronda :« Fatalitas ! »

Il était alors deux heures du matin.C’était à peu près à cette heure-là que le capitaine Didierd’Haumont, dans son train, pensait au bagne, pour la première fois,sans trop de honte…

En entendant ces syllabes fatidiques,M. Hilaire surgit de son comptoir comme eût fait hors de saboîte un diable poussé par un ressort puissant, et il chavira dansle magasin comme s’il avait reçu un de ces coups qui étourdissentleur homme.

M. Hilaire pensait bien reconnaîtrecette voix qui avait jeté le mot formidable ! Était-ce bienpossible, une chose pareille ?

C’était si bien possible que le mot futrépété et que de nouveaux coups ébranlèrent la devanture. Et lavoix, l’étrange voix qui bouleversait follement M. Hilaire,reprit :

« Ouvre donc ! Je sais que tues seul ! »

Tremblant comme un enfant qui a peur ouqui a trop de joie, M. Hilaire se pencha vers la petite portebasse qui s’ouvrait dans la devanture et fit jouer les serrures.Aussitôt, une chose énorme se glissa par là dans la boutique. Laporte fut repoussée d’un coup de pied et la forme se développa danstoute son ampleur.

C’était un homme, ou plutôt une bêtehumaine de haute taille, carrée, trapue, avec des membresredoutables, des poings à foudroyer le front des ruminants, unetête extraordinairement farouche, où l’on ne voyait bien que laflamme de deux yeux…

« Chéri-Bibi ! soupiraM. Hilaire en portant la main à son cœur, comme font lespersonnes sensibles, en proie à une émotion.

– Si on te le demande, tu diras quetu n’en sais rien ! gronda l’autre… Tu as été bien longtemps àm’ouvrir !… Tu ne m’aimes donc plus, laFicelle ! »

À ces mots, M. Hilaire, plus pâleque le pécheur au jour du jugement dernier, ouvrit ses bras ettomba sur la vaste poitrine de celui qu’il avait le plus aimé aumonde !

Chéri-Bibi se laissait embrasser avecune certaine satisfaction.

« Tu me prouves en ce moment,déclara-t-il de sa voix rugueuse, au fond de laquelle tremblait uneémotion dont il voulait rester le maître, tu me prouves qu’il y aencore de braves gens sur la terre ! La prospérité n’a pointdesséché ton cœur, mon brave la Ficelle !…

– Voyez en moi le plus heureux deshommes, puisque je vous retrouve, monsieur lemarquis !…

– Chut ! gronda Chéri-Bibi,que ce nom ne revienne plus jamais sur tes lèvres ! Oublie lepassé, la Ficelle, comme je veux l’avoir oublié moi-même !N’aie plus un souvenir pour des aventures qui ont fait leur tempset dont les événements présents nous éloignent à jamais ! Àcette heure terrible, d’autres devoirs nous sont nés ! Je suisrevenu en France pour protéger l’innocence, mon cherami !

– Ah ! jereconnais bien là monsieur le marquis !

– Veux-tu me ficher la paix avecton « monsieur le marquis » ! Sache que je m’appellemaintenant « le Saigneur ».

– Bien, monsieur leseigneur…

– Le Saigneur ! C’estun nom qu’ils m’ont donné à la Villette, je travaille auxabattoirs… c’est moi qui suis chargé de donner du couteau dans lagorge des bêtes ! Alors, là-bas, ils m’ont appelé leSaigneur ! c’est bien simple ! C’est un nom quime va ! Je l’ai gardé…

– Il y a longtemps que vous êteslà-bas, monsieur le Saigneur ?

– Je te prie de m’appeler leSaigneur, tout court !

– Je ne peux pas ! je ne peuxpas ! j’ai trop de respect pour vous, monsieur lemarquis !

– Ah ! le b…, il est toujoursaussi bête ! Embrasse-moi, mon vieux la Ficelle ? Sais-tuque tu as un peu engraissé.

– Ce n’est pas de la faute àVirginie, déclara M. Hilaire… Elle me fait des scènes tout letemps ! »

Chéri-Bibi ricana :

« Et tu te laisses faire desscènes !… Ah ! mon brave la Ficelle, il ne te manquaitplus que ça !… C’est vrai que tu es devenu unbourgeois !… »

Ils se regardèrent un instant ensilence. Ils s’étaient assis en face l’un de l’autre et ils setenaient les mains et leurs yeux parlaient pour leur cœur, oùs’épanouissait la fleur rouge de leur amitié. Alors, touteconfiance revenue en eux, comme aux beaux jours de leur jeunessequand ils avaient eu tant de luttes à soutenir contre le sortcontraire, ils remontèrent le cours de leurs plus doux souvenirs,mais la vie de Chéri-Bibi était ainsi faite que ses plus douxsouvenirs s’entouraient toujours de quelques décès tragiques… etceux qui les eussent entendus, ces deux hommes, évoquer ainsi avecattendrissement leur aimable passé se seraient certainement enfuis,poursuivis par l’épouvante…

« Je vous ai demandé s’il y avaitlongtemps que vous étiez arrivé en France, monsieur leSaigneur ?

– La date ne te regarde pas,répliqua l’autre. Je me suis occupé de me reclasser. C’estfait. Me voilà tranquille maintenant à la Villette ! sanscompter que j’ai encore en vue une boutique de bougnat. Aussitôtque j’ai eu une heure de libre, je suis venu te trouver… Je savaisque tu étais seul, car je faisais surveiller les sorties de tafemme ! Je ne veux pas que tu aies des ennuis dans ton ménageà cause de moi !… tu comprends ?

– Monsieur le Saigneur a toujoursété d’une délicatesse !

– Quand Mme Hilaire reviendra,je serai averti par le cri de l’oiseauvoyons-voyons…

– Je vois que lapolice de monsieur le Saigneur est toujours bienfaite !…

– Alors, tu me cacheras quelquepart et je sortirai quand vous vous serez en allés vouscoucher !… Et maintenant, la Ficelle, parlons de chosessérieuses ! »

Le visage de Chéri-Bibi devint alors sigrave que M. Hilaire crut bien qu’il allait être question decertaines choses dont il était défendu de parler et dontil avait eu la discrétion de ne pas souffler mot.

« Depuis quatre ans, tu n’as pas eude nouvelles », commença Chéri-Bibi…

L’épicier l’interrompit tout desuite.

« Non ! depuis cinq ans quemadame la marquise… »

Chéri-Bibi se leva, terrible.

« Qui est-ce qui t’a permis de meparler d’elle ? » râla-t-il.

Mais il parvint à dominer sur-le-champson effrayante agitation ; il se laissa retomber sur sachaise, se passa une main sur le front et prononça ces mots avecune douceur sombre et un air de suprêmemélancolie :

« Mon bon la Ficelle, tu sais bienqu’il ne faut jamais me parler d’elle ni de sonenfant ! Nos lèvres ne sont pas assez pures pour que nouspuissions oser prononcer son nom ! et quant à sonenfant, j’aurais peur que ça lui porte malheur !… je suismort ! en réalité ! voilà ce qu’il faut que tun’oublies jamais ! Chéri-Bibi peut vivre ! Maismonsieur le marquisest mort ! Et Chéri-Bibi lui-mêmeest mort pour eux ! tant qu’ils n’auront pas besoin delui !… Je sais qu’en ce moment ils sont àl’étranger et heureux ! Son fils grandit auprès d’elle et elleen fait le plus beau et le plus noble des fils des hommes ! Sil’on a besoin de moi plus tard, on verra ! En attendant,rompons avec le passé ! c’est entendu, laFicelle ?

– Mon cher monsieur le Saigneur,j’ai bien de la peine d’avoir inconsidérément remué tant dedouleurs…

– Assez ! »

Et il ne fut plus question entre eux dece passé mystérieux que nous respecterons comme eux-mêmes, jusqu’aujour où la destinée le rejettera dans le cours de leurexceptionnelle vie…

Chéri-Bibi, après un dernier soupir,reprit :

« Je voulais te demander simplementsi quelqu’un n’était pas venu te parler de moi ?

– Non ! pas depuis plus decinq ans !… »

Chéri-Bibi resta un instant songeur,puis il dit :

« Tant mieux ! il m’aoublié ! »

Et comme la pensée de Chéri-Bibisemblait partie à l’autre bout du monde, M. Hilaire, pour luidonner l’occasion de revenir près de lui, émit cetapophtegme :

« Partout, toujours, il y aura desingrats !

– Je ne demande de gratitude àpersonne et je n’en ai pour personne ! gronda Chéri-Bibi…Ici-bas, chacun pour soi et Dieu contretous !… »

M. Hilaire ne tressaillit mêmepoint à cet affreux blasphème. Il avait si souvent entendu son ami« arranger » le ciel et la terre dans des termes sifoudroyants, c’est-à-dire si susceptibles d’attirer le feu qui, unjour ou l’autre, doit brûler l’impie, qu’il avait décidé de ne plusse faire de bile en attendant cette inévitablecatastrophe.

Depuis quelques secondes, autre choseretenait son attention que les propos apocalyptiques deChéri-Bibi.

Il y avait eu des pas précipités dans larue, on s’était arrêté devant sa boutique. On venait de frôler ladevanture de fer. Ce n’était point là, certes, des pas de femme etil ne pouvait s’agir de Mme Hilaire !

Il allait se lever pour se rendre comptede ce qui se passait quand un coup de poing fut frappé et quand lemot fatidique fut à nouveau jeté aux échos de larue :

« Fatalitas ! »

Chéri-Bibi bondit :

« Lui ! s’écria-t-il…J’arrive donc à temps ! Dieu, cette fois, serait-il avecmoi !… »

Puis il dit à M. Hilaire, qui leregardait avec stupeur et ne comprenait rien à ce qui se passaitaussi bien chez lui que dehors :

« Ouvre, fais bon accueil à celuiqui entrera et ne dis pas que je suis là ! »

Sur quoi, Chéri-Bibi passa dans la salleà manger.

M. Hilaire ouvrit une seconde foisla petite porte basse, non sans avoir sorti d’un tiroir un revolverqui était toujours là en cas de mauvaise aventure. Palas seprécipita dans la boutique. M. Hilaire referma le portillonet, pour plus de précautions, ferma également le volet defer.

Il regarda son étrange visiteur et futrassuré tout de suite en découvrant une figure d’honnête homme,bien que tout à fait effarée.

Le nouveau venu respirait fortement etse passait une main fébrile sur son front en sueur.

« Asseyez-vous, monsieur »,dit l’épicier avec infiniment de politesse.

L’autre s’assit. Maintenant Palas étaitplus calme.

M. Hilaire se mit àsourire.

« Vous voilà bien essoufflé !…Que vous est-il donc arrivé, monsieur ?

– Des bandits me poursuivent…exprima Palas… Ils ne doivent pas être loin ! Si je n’avaispas aperçu un peu de lumière sous votre porte et si vous n’aviezpas veillé à cette heure, je ne sais ce qui me seraitarrivé ! »

Il cessa de parler !

On entendait le glissement de pasfurtifs et même quelques paroles échangées par des voix assourdies,sur le trottoir, à cinq pas d’eux. Et puis, il y eut un grandsilence, mais ils ne s’y trompèrent point et Hilaire dit à voixbasse :

« Ils sont encorelà !

– Oui ! Ils ont dû me voirentrer ! En ce cas, ils ne sont pas près departir !…

– Que vous veulent-ilsdonc ?

– Monsieur, je ne puis vous ledire !

– Monsieur, je vous en ai déjà tropdemandé. Excusez-moi ! Je n’ai besoin de rien savoir, je suistout entier à vos ordres et prêt à vous rendre tous les servicesqui seront en mon pouvoir. Vous avez prononcé un mot en frappant àma porte qui me fait votre esclave ! »

Palas, visiblement, rougit.

« Oui, fit-il dans unsouffle : Fatalitas ! »

Et il se tut. Ils écoutaient la nuit quigardait son grand silence. Le capitaine prononça au bout d’uninstant et non sans quelque embarras :

« C’est un mot de passe que m’adonné un ami qui, paraît-il, est le vôtre !

– Oui, monsieur, acquiesça ens’inclinant M. Hilaire, un grand ami, le meilleur, le plus sûrdes amis… et aussi le plus malheureux !

– Je lui dois tout ! ditsimplement le capitaine. Encore aujourd’hui, c’est lui qui mesauve, grâce à vous ! »

M. Hilaire s’inclina encore. Nil’un ni l’autre n’avaient prononcé le nom de Chéri-Bibi, mais ilsne pensaient qu’à lui, dans le moment, tous les deux.

« Monsieur, reprit Palas, voici cequ’au nom de cet ami je vais vous demander ! vous me direz sila chose est possible…

– Je vous écoute,monsieur !

– D’abord, je m’excuserai auprès devous de ne point vous dire mon nom et je vous serai reconnaissantde ne point essayer de le connaître.

– Monsieur, quand vous sortirezd’ici, je ne me rappellerai même point que vous y êtesvenu. »

Palas mit sa main dans la main deM. Hilaire :

« Mon ami, fit-il, m’avait bien ditque je pouvais compter sur vous. Ce que vous venez de me dire estplein d’une délicatesse que je n’oublierai jamais…

– La délicatesse, c’est lui qui mel’a apprise ! soupira M. Hilaire… Que puis-je encorefaire pour vous, monsieur ?

– Monsieur, il faut que je sorte dechez vous au plus tôt, sans être vu…

– On vous attend dans la rue !objecta M. Hilaire en montrant d’un geste de la tête la portederrière laquelle se passait certainement quelque chose.

– Oui ! fit le capitaine… jevoudrais éviter cette rue en sortant de chez vous…, est-cepossible ?

– C’est possible, monsieur, maisc’est peut-être imprudent ! Voulez-vous m’attendre ici uninstant ? »

Sur ces mots, M. Hilaire sortit dumagasin et pénétra dans la salle à manger, d’où il ressortit, dureste, presque aussitôt.

« Monsieur, voici ce que je vouspropose : une promenade sur les toits !

– Où meconduira-t-elle ?

– Hors de la rue Saint-Roch et toutprès de l’hôtel d’Ar… »

Déjà l’officier étaitdebout :

« Je vous suis,monsieur ! »

M. Hilaire ouvrit une porte quidonnait sur un petit escalier intérieur : ils furent bientôtarrivés dans le couloir des chambres de bonnes. M. Hilaireavait une bougie allumée dans la main. Il l’éteignit.

« Inutile que l’on voie de lalumière dans la pièce où nous allons entrer, expliqua-t-il, carcette mansarde donne sur la rue.

– Elle est inhabitée ? demandale capitaine.

– Non, monsieur ! Ma femme,qui est absente ce soir, y a enfermé notre commise avant departir… »

Et M. Hilaire frappa.

« Qui est là ? demanda la voixde Zoé.

– C’est moi ! ne t’occupe derien ! Et surtout n’allume pas ! »

Mlle Zoé se dit, en se retournantdans son lit contre le mur : « Quel enragé que lepatron ! Il va encore aller faire son tour degouttière ! Un beau jour madame s’en apercevra et c’estencore la pauvre Zoé qui trinquera ! »

Soudain, elle se redressa sur soncoude :

« Mais vous savez bien que vous nepouvez pas passer ! Madame a emporté laclef !

– J’ te dis de te tournercontre le mur ! » souffla la voix sur lepalier.

Et aussitôt Zoé entendit que l’on« trifouillait » la serrure. Ça ne fut pas long. Zoé enfut elle-même tout étonnée. Elle ne connaissait pas àM. Hilaire ce joli talent d’amateur.

La porte s’ouvrit. Deux hommesentrèrent. Mlle Zoé avait beau être tournée contre le mur,elle n’en trouvait pas moins le moyen de satisfaire sa curiosité,grâce à un pâle rayon de lune qui perçait les rideaux.

Son maître était déjà à la fenêtre etl’ouvrait avec la plus grande précaution et sans faire le moindrebruit. Il fit signe à l’homme qui l’accompagnait, grimpa le premiersur le toit et l’homme suivit.

« Tiens, pensa Zoé, il a uncompagnon ce soir ! Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ceque c’est que cet homme-là ? D’où vient-il ? Par oùest-il passé ? »

La petite Sarah-Zoé avait trop le goûtdes aventures pour n’être pas intéressée au plus haut point parcelle-ci. Elle avait déjà glissé ses deux petites pattes hors desdraps, quand sa porte s’ouvrit de nouveau et une ombre formidableapparut. Elle eut peur et poussa un cri. Mais l’ombre l’avait déjàrejetée sur son lit :

« Ne bouge pas si tu tiens à tapeau, manouche (bohémienne). As pas peur d’unRomani ! »

« Tiens ! un frangin !Paraît qu’il me connaît », pensa-t-elle en grelottant de tousses petits os.

Elle essayait de se rassurer, mais elle« n’en menait pas large ». Elle fut bien contente de voircelui-ci prendre le chemin des toits comme les autres.

« Sainte Sarah !soupira-t-elle, il y a du monde au balcon ce soir ! Quellemi-carême dans la gouttière !… »

Et elle disparut sous la couverture… Sonpetit museau n’en sortit que pour voir entrer, une demi-heure plustard, M. Hilaire, lequel, après avoir refermé la fenêtre, lamenaça de châtiments terribles, si elle n’oubliait pas ce qu’elleavait pu voir cette nuit-là.

Sur quoi, M. Hilaire descenditrapidement car il entendait Mme Hilaire qui revenaitdéjà de chez sa mère…

Le lendemain matin, en aidant son patronà faire l’étalage, Mlle Zoé vit un officier qui s’arrêtait enpassant devant M. Hilaire, et comme elle avait l’oreille trèsfine, elle l’entendit qui lui disait :

« Monsieur, vous vous êtes conduitcette nuit comme le plus brave et vous m’avez sauvé la vie !Nous nous reverrons, monsieur ! »

À quoi, M. Hilairerépondit :

« Quand il vous plaira,monsieur ! je ne ferme que le dimanche à midi. Tous les soirs,de cinq à sept, je fais une petite partie au café du coin. Là-bas,il y a un cabinet pour causer. Je serai toujours heureux de vousrendre service ! »

Et il ajouta, comme une clienteapprochait :

« Et avec ça, monsieurdésire ?… »

L’officier ne désirait sans doute plusrien, car il quittait avec assez de hâte le quartier, montait dansun taxi et se faisait conduire rapidement à la gare del’Est.

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