Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

IX – Adieux de Palas et deChéri-Bibi

Quand le paquebot fut en rade et que lemoment fut venu pour Palas et Chéri-Bibi de se faire leurs adieux,il n’y eut point, entre les deux hommes, d’inutiles paroles. Voicicomment les choses se passèrent dans toute leur simplicité :si c’est le cœur qui fait les éloquents (pectus est quoddisertos facit), c’est lui aussi qui fait les grandssilencieux.

Chéri-Bibi, comme l’on pense bien, aprèstant de tribulations, était fait comme un voleur, ce qui ne luiallait pas trop mal. Il ne lui restait plus guère de toute sadéfroque, que sa culotte de cuir et qu’un vague morceau d’étoffe detoile grossière, sous laquelle il parvenait à peine à cacher desinguliers tatouages qui ne lui avaient pas été faits par lessauvages de la Guyane.

Dès lors, on peut se faire une idée del’antithèse qu’il présentait avec Palas, lequel venait de revêtirun complet, à la dernière mode du boulevard, arrivé quelquessemaines auparavant de Rio !

Quand Palas entra dans la chambre oùChéri-Bibi, dans un silence farouche, l’attendait, celui-ci,d’abord ne le reconnut pas. Chéri-Bibi avait devant lui un homme dumonde ! Nous pouvons dire cependant que Chéri-Bibi en avaitconnu des hommes du monde ! non point seulement pour les avoirfréquentés dans le temps qu’il les faisait passer de vie à trépas,mais encore pour avoir été, pendant un certain temps, homme dumonde lui-même ! Eh bien, Palasl’« épatait » !

Sang et tripes ! ce Palas avait dela race ! Devant le spectacle d’une aussi formidablemétamorphose, le cœur de Chéri-Bibi, qui était déjà gonflé dedouceur, se remplit d’orgueil : il était fier de sonpoteau ! si bien que l’association de ces deux sentimentsexcessifs, dans un viscère pourtant habitué à d’étonnantsbouillonnements, produisit une telle émotion qu’il ne putl’exprimer que par les plus douces des larmes qui eussent coulédepuis bien longtemps de sa paupière desséchée. Palas vit que lesjambes de ce titan tremblaient sous lui quand il se leva pour luifaire honneur. Alors il le prit dans ses bras.

Et tous deux s’étreignirent. Quelquetemps ils restèrent ainsi sur la poitrine l’un de l’autre. Leursdeux cœurs battaient à l’unisson de leur commune douleur. Bien vaineût été le souffle de leurs bouches à côté du langage chaud,puissant, d’un rythme, à la fois brutal et tendrement désordonné,qui gonflait leurs artères…

Quelques coups, frappés à la porte, leurapprirent qu’il fallait se quitter. Leurs bras sedénouèrent.

« Puisque tu ne m’accompagnespoint, dit Palas, je veux au moins de tes nouvelles. M’endonneras-tu ? Je sais que, là-bas, tu reçois unecorrespondance secrète ! Me diras-tu comment je puist’écrire ? »

Chéri-Bibi secoua latête :

« Non ! non ! fit-il,tout est fini ! Je le veux !… Nous ne nous connaissonsplus ! Palas est mort !… »

Il y eut entre eux, à la suite de cetteparole terrible, mais nécessaire, un de ces courts silencesprofonds comme ces gouffres où ceux qui redoutent le vertigecraignent de regarder. Puis Chéri-Bibi dit encore :

« Écoute ceci : je crois quetu es garé pour toujours ! Mais on ne sait jamais ! J’ailà-bas un ami à qui tu peux tout demander si tu as besoin, uncompagnon la Ficelle ! Il est établi épicier à Paris, dans larue Saint-Roch, et s’appelle de son vrai nom M. Hilaire. C’estun personnage des plus honorables. Tu peux te fournirchez lui. Si tu veux être bien servi, tu n’as qu’à prononcer cemot : Fatalitas ! »

Ce furent là les dernières paroles, lessuprêmes paroles de Chéri-Bibi faisant ses adieux à Palas(novissima verba).

Et Palas se laissa emmener parFernandez…

…………………………

Les petites embarcations qui avaientamené les voyageurs de l’estuaire de l’Oyapok s’étant éloignées, laDordogne (capitaine Lalouette) recommença de fendre lesflots de ses hélices et bientôt le cap Orange disparut et avec lui,peu à peu, tout l’horizon de Guyane, de cette terre où Palas avaittant souffert. Mais c’était là l’honneur de Palas qu’en dépit de silongues tortures, il n’en pouvait détacher ses regards parce qu’ily laissait un cœur misérable et sublime sans lequel il serait mortde désespoir depuis longtemps !

Soudain, un léger cri, à côté de lui,lui fit tourner la tête… Une jeune fille, dans un émoi charmant,portait les mains à sa coiffure. Son voile, soulevé par la brise,s’était enroulé à un hauban et la retenait prisonnière…

Palas apporta son secours à ladélivrance de la belle enfant. Ses doigts et ceux de la jolievoyageuse se frôlèrent…

Le geste le plus banal, l’événement leplus insignifiant, prennent quelquefois une importance considérabledans un certain domaine secret, apanage des âmes sensibles, et dontles limites n’ont été marquées par aucun arpenteur…

Quelques minutes plus tard, Palasconnaissait le nom de la jeune fille… C’était Mlle Françoisede la Boulays… qui revenait avec son père du haut Amazone où ilavait été chargé d’une mission officielle… Ils rentraient enFrance, infiniment tristes des événements redoutables qui, depuisun mois, s’y succédaient…

… Palas n’osa point se présenter audîner, dans la salle commune…

Rentrer ainsi, sans transition, dans lavie, alors qu’on appartient au tombeau depuis plus de dix ans…Rencontrer le regard candide de cette pure jeune fille, quand il enétait encore à frémir du « mauvais œil » des artoupans,se servir des mets délicats dans une vaisselle de luxe, quand ilavait encore la nausée des baquets de service dans lesquelsclapotait la soupe des « fagots » !… Palas avaitpeur ! Palas avait peur !…

Et puis, tout à l’heure, en passantdevant une glace, il s’était découvert… et il avait vu son frontnu… son front nu de forçat… sur lequel il lisait, lui, en lettreséclatantes, le numéro 3213 !…

Il resta sur le pont…

Tout à coup, l’officier préposé à latélégraphie sans fil passa près de lui en hâte et pénétra dans lasalle à manger… et presque aussitôt la voix du commandantéclata :

« Mesdames, messieurs ! lavictoire !… la victoire des Français !… Joffre a battules Allemands sur la Marne !… »

Le délire qui suivit, nous l’avons tousconnu. Partout dans le vaste monde, où il y avait des cœursfrançais ou simplement amis de la liberté et du droit, il y eut lamême ivresse ! Le même soupir de délivrance est monté vers lescieux, le même étourdissement a fait trembler les plusforts…

Quand Mlle de la Boulaysremonta sur le pont, elle trouva Palas qui pleurait… et elle luiserra la main… et elle lui parla…

Quand elle partit, il resta. Il continuade l’écouter toute la nuit. Il était encore là, quand depuislongtemps tout reposait à bord, en dehors des hommes dequart.

Alors le soleil parut à l’orient etéclaira le front rayonnant de Palas qui, appuyé au bastingage,regardait se lever sur le monde l’aurorenouvelle !…

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