Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

XXI – Suite de la villégiature deM. Hilaire

Qui donc aurait pu dire queM. Hilaire, qui conduisait cet après-midi une énormelimousine, n’était point le maître de cette magnifiquevoiture ? Certes, il n’avait point l’air d’undomestique !

Du reste, M. Hilaire n’avait jamaiseu l’air d’un domestique, même au temps qu’il servait un certainmarquis qui le considérait lui-même plutôt comme un confident quecomme un valet.

Ce jour-là, M. Hilaire avaitparticulièrement soigné sa toilette d’homme du monde. Un complet àcarreaux, des guêtres blanches, un feutre gris avec lavallièrebleue à petits pois blancs lui donnaient, en même temps qu’unnouvel air de jeunesse, une allure des plus distinguées. Il avaitmême une fleur à la boutonnière.

Arrivé à la gare, il stoppa et sauta deson auto avec une désinvolture charmante. Il trouva le moyen, grâceà quelque pourboire, d’aller attendre le train de Paris sur lesquais défendus à un vulgaire public.

Comme toujours, le train de Paris étaiten retard. M. Hilaire alluma un cigare et se promena les mainsderrière le dos. Qui attendait-il donc ? Soyons assurés ques’il avait attendu Virginie, il ne se fût point si avancé en fraisde toilette.

En dépit de toutes les complicationsinattendues d’une villégiature qu’il avait espérée de tout repos,M. Hilaire était bien décidé à passer sur la Côte d’Azurquelques bonnes heures agréables. Le moment est peut-être venu demontrer M. Hilaire sous un jour qui n’est point tout à faitcelui de la vertu. Assurément M. Hilaire, qui avait été élevéà l’école de la plus austère morale en ce qui concerne les mœurs etqui s’était nourri, dès la plus tendre enfance des propos les pluspurs de Chéri-Bibi, lequel avait la haine non seulement dudévergondage, mais encore du manque de tenue avec les dames,assurément M. Hilaire eût été incapable de commettre dans legenre une mauvaise action !… et la candeur de Mlle Zoé necourait point trop de risques avec lui. Il avait longtemps traitécette petite en véritable gamine qu’elle était. Il ne se gênaitpas, par exemple, pour traverser sa mansarde, aux fins de quelqueescapade nocturne qui ne portait de préjudice à personne, si l’onen excepte Virginie ; mais, depuis quelque temps, cetteeffrontée bohémienne l’amusait prodigieusement. Elle l’amusaitd’autant plus que Virginie l’ennuyait davantage. Mme Hilaireabusait vraiment du droit d’une honnête épouse à se montrerdésagréable et si M. Hilaire prenait tant de plaisirs auximaginations fantasques et aux reparties souvent cocasses deMlle Zoé, la faute en était pour beaucoup à Virginie qui étaitd’un commerce par trop maussade. Si bien que le cœur deM. Hilaire qui se détachait tous les jours un peu plus decelle-ci se rapprochait, sans qu’il s’en défendît trop, un peu plusde celle-là. Si bien que ce n’était pas Virginie qu’il attendaitpar le train de Paris, mais Mlle Zoé elle-même. Hélas !Son malheur voulut qu’elles arrivassent toutes lesdeux !

D’abord il n’en vit qu’une, pour labonne raison qu’elles n’avaient pas voyagé ensemble et surtout queMlle Zoé qui s’était offert carrément une première, ignoraitqu’elle eût derrière elle sa chère patronne qui voyageait enseconde.

Si M. Hilaire avait fait unetoilette remarquable, Mlle Zoé ne s’était pas moins mise enfrais. Elle avait arboré, pour voyager, une petite robe rose etcertain chapeau qui n’avaient pas attendu Nice pour avoir leursuccès.

Si elle se jeta dans les bras deM. Hilaire, sitôt qu’elle l’aperçut, ce ne fut point par excèsd’effronterie ni manque d’innocence, mais son cœur débordait dereconnaissance pour celui qui venait de lui procurer une place deseconde femme de chambre chez une danseuse aussi célèbre que laNina-Noha et dans un si beau pays ! Inutile de dire qu’elleavait « plaqué » Virginie avecenthousiasme !

Tout cela s’attestait par desembrassements qui faisaient rire M. Hilaire et aussi quelquesvoyageurs qui ne pouvaient s’arracher à la contemplation de la roberose et du chapeau de la jeune voyageuse.

Et c’est dans le moment d’un si beautriomphe que l’on vit surgir d’on ne sait où et gesticulant commeune folle, une dame au corsage opulent qui se mit incontinent àcasser son parapluie sur le dos de Mlle Zoé et sur le dos deM. Hilaire !

Celui-ci ne demanda pas son reste. Ayantreconnu d’où le coup venait, il se sauva avec une rapidité que lesvoyageurs qui se bousculaient à la sortie trouvèrentincivile.

Il ne s’arrêta néanmoins que lorsqu’ilfut hors de la gare, derrière son auto, à l’abri de laquelle ilpouvait attendre les événements. Pour plus de sûreté du reste, ilen avait mis le moteur en marche !

À sa grande stupéfaction, son attente nefut pas longue. Il vit apparaître Mlle Zoé au milieu d’unjoyeux concours de populaire. Elle avait à la main quelqueslambeaux de son chapeau auquel il ne restait plus de plumes et ellesaignait du nez.

Il ne se montra point tout d’abord, maisquand elle passa près de lui, tournant la tête de droite et degauche dans le dessein de le découvrir évidemment et quand il futassuré que Virginie n’avait pas encore quitté la gare, il se montratout à coup, la jeta plutôt qu’il ne l’installa dans savoiture, sauta sur son siège et démarra en beauté, suivi desbravos et des acclamations d’un public en délire.

Ce ne fut qu’assez loin, hors de laville, qu’il se retourna pour demander à Zoé, par-dessus la glacebaissée, ce qu’elle avait fait de sa femme.

« Je lui ai flanqué une bonnepeignée, répondit la charmante enfant. On nous a conduites toutesles deux dans le bureau du commissaire spécial. On a pris nos noms.Comme j’avais, moi, des papiers en règle, on m’a relâchée, maiscomme Madame n’avait aucun papier, on l’a embarquée dans un trainqui partait pour Paris !

– Et comment n’avait-elle pas depapiers ?

– Parce que je les avais chipésavant mon départ ! Tenez, les voici ! »exprima doucement l’innocente en ouvrant son réticule.

M. Hilaire montra aussitôt une joiedésordonnée et fit une embardée telle que Mlle Zoé l’engagea àne point procurer si tôt à Mme Hilaire la joie trop violentedu veuvage !…

Sur quoi M. Hilaire proposa àMlle Zoé de venir s’asseoir sur le siège, à son côté, cequ’elle fit incontinent.

« La patronne, lui dit Zoé, avaitcertainement eu vent de mon départ…

– Ne parlons plus d’elle !…répliqua M. Hilaire, souhaitons-lui bon voyage !… etqu’il n’en soit plus question !… »

L’épicier portait encore à la jouegauche les traces du parapluie de Mme Hilaire, et cetteblessure, si légère fût-elle, ne le disposait pas à plaindrebeaucoup les tourments de Virginie.

« Ma petite Zoé, tu peux êtremaintenant tranquille. Tu vas servir chez des maîtres puissants. Lecélèbre docteur Ross va t’introduire chez la non moins célèbreNina-Noha qui saura te garer mieux que moi, hélas ! desextravagances de Mme Hilaire et si, par hasard, il lui prenaitfantaisie de revenir dans ce pays où elle n’a que faire, cesgens-là trouveront bien le moyen de nous en débarrasser tous lesdeux. »

Ayant prononcé toutes ces parolesrassurantes, M. Hilaire et Mlle Zoé n’eurent plus qu’àadmirer le paysage. Il était fort joli. La promenade qu’ilsfaisaient était en bordure de la mer, sur la route deCannes.

L’air était doux bien que de gros nuagescommençassent de monter à l’horizon, poussés par le vent d’ouest,ce qui, à l’ordinaire, présageait quelque méchante perturbationatmosphérique pour la soirée prochaine. Mais les amoureux nes’occupent que de l’heure qui passe. M. Hilaire avait tout leciel dans son cœur ; aussi l’autre, avec ses nuages, nel’intéressait guère. Auprès de Zoé il oubliait tout, même larecommandation que son maître, M. de Saynthine lui avaitfaite, ce jour-là, d’être à cinq heures précises au coin de la rueBasse, dans la vieille ville, avec la limousine aux volets defer !…

Une pareille recommandation avait étéportée, tout de suite, naturellement, à la connaissance deM. Casimir ! Et M. Casimir avait, lui aussi, faitcomprendre à M. Hilaire qu’il ne devait, pour rien au monde,manquer à ce rendez-vous fixé. M. Casimir avait mêmeajouté : « Probable que j’aurai moi-même besoin d’uneauto ! Ce M. Saynthine est bien aimable de me prêter lasienne ! »

Mais de tels propos, qui avaient, sur lecoup, fort intéressé la Ficelle, n’étaient plus à cette heure, quede la fumée dans sa cervelle d’amoureux…

Les joues de M. Hilaire se rosirentsous un regard plein de malice et de reconnaissance que lui lançala charmante Zoé.

Il sentait son genou près du sien :cela donnait des troubles à sa direction.

« Comme vous conduisez bien,monsieur Hilaire ! disait-elle, vous m’apprendrez, n’est-cepas ?

– Mais, comment donc, quand vousvoudrez ! la voiture n’est pas àmoi !

– Vous êtesrigolo, monsieur Hilaire ! Avec vous on ne s’ennuiejamais ! Voulez-vous un pruneau ?

– Comment ! tu as apporté despruneaux ?

– J’en ai rempli mon sac de voyage…tenez ! reconnaissez-vous vos pruneaux ? les vrais, lesseuls, les pruneaux de l’« Épicerie moderne et des Deux MondesRéunis ! »

Mlle Zoé ayant ouvert sa petitevalise, M. Hilaire put voir qu’elle contenait plusieurs sacs àla marque de la Maison ! et ils étaient tous pleins depruneaux. Cette attention attendrit M. Hilaire au-delà detoute expression : ses yeux en devinrent humides et il ne putque dire à la charmante enfant :

« Tiens, ma petite Zoé, il faut queje t’embrasse ! »

Si bien qu’ils s’embrassèrent enmangeant des pruneaux. Or, dans le même moment, il y eut un grandtumulte sur leur droite. C’était le train de Paris qui remontaitsur Marseille, car, à cet endroit, la voie suit pendant deskilomètres la route en bordure de la mer.

Mais le train faisait moins de bruit enpassant que certaine dame de notre connaissance qui se trouvait àune portière et qui, littéralement, s’était mise à hurler ! Lafureur de ses invectives dominait de beaucoup le ramage des roueset la démence de ses gestes épouvantait le garde-voie.

« Virginie !… C’estVirginie !…

– Madame ! C’estMadame ! »

Oui, c’était Madame ! et dans quelétat !… Il faut se rendre compte de ce que la vitesse del’auto égalait celle du train, si bien que depuis un instant ilsvoyageaient de compagnie et que la dame de la portière n’avait pasperdu une ligne de ce qui se passait dans la voiture. Elle avaitreconnu M. Hilaire ! Elle avait reconnu Zoé ! Elleavait reconnu ses pruneaux !

L’indignation la projetait hors de laportière et s’il ne s’était trouvé dans le compartiment despersonnes charitables pour la retenir par ses jupes, on aurait eucertainement à déplorer un affreux accident :

« Prends garde, Virginie ! tuvas te faire écraser ! lui cria ce bon M. Hilaire qui,oubliant toute rancune, lui conseillait de se réserver pour unmoins cruel trépas !

– Voulez-vous un pruneau,madame ? lui demandait Zoé en lui tendant un sac où lamalheureuse pouvait reconnaître à ne s’y point tromper les couleurset la marque de l’« Épicerie moderne ».

– Messieurs et dames, c’est monmari ! mon mari avec ma commise ! c’est du gibierd’échafaud ! »

Cette dernière invective froissabeaucoup M. Hilaire qui ralentit sa vitesse cependant queMlle Zoé jetait au vent du train qui lesdépassait :

« Amuse-toi bien, machérie !

– Maintenant, nous pouvons rentrerà Nice, exprima M. Hilaire, nous sommes sûrs de ne pas l’ytrouver ! Mais quand elle reviendra, qu’est-ce que je vaisprendre ? »

Cette perspective du retour deMme Hilaire fit que, toute son exaltation partie,M. Hilaire tomba dans une soudaine mélancolie.

Il se rappela aussitôt, dans satristesse, la fidèle recommandation de M. de Saynthine etde Chéri-Bibi. Il jura comme un portefaix et donna toute savitesse.

« Comme vous voilà drôle tout d’uncoup, lui dit Zoé… Qu’est-ce qu’il vous arrive ?…

– Rien ! je suis enretard…

– Dites donc ! Eh ! nevous cassez pas la figure !… Quand est-ce que je rentre enplace ?

– Demain !…

– Où meconduisez-vous ?

– À l’hôtel où je t’ai retenu unechambre d’avance… »

Il ne pouvait décemment pas avouer à Zoéqu’ayant conservé pour lui une chambre en ville, il lui avaitd’abord retenu une chambre dans son propre hôtel, mais queChéri-Bibi, mis par hasard au courant, était rentré dans une colèreépouvantable en s’imaginant que M. Hilaire avait pu avoir desidées contraires aux bonnes mœurs… En vain M. Hilaire avait-ilprotesté avec indignation, affirmant que sa sympathie pour sacommise était on ne pouvait plus platonique… et qu’il n’avaitéchangé avec elle jusqu’à ce jour que des pruneaux… « Ilne faut qu’une fois !… avait répliqué tout net Chéri-Bibien roulant ses gros yeux…Sufficit !… »

« C’est dans cet hôtel-là que voushabitez ?… demanda Zoé.

– Non ! » répondit, sansplus, M. Hilaire en rougissant…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer