Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

XXIV – Un ange veillait

Au tournant du pont Saint-Jean, parlequel on entre dans la presqu’île qui conduit au cap Ferrat,M. Hilaire arrêta l’auto, se jeta en bas etcria :

« Descendez ! ils nousgagnent ! mon moteur a des ratés ! dans une minute ilsseront sur nous ! Mais moi je vais continuer, ils mepoursuivront croyant que vous êtes toujours dans l’auto. Je m’entirerai toujours ! allez !

– Je reste avec la Ficelle,lâche-moi ! » cria encore Chéri-Bibi à Palas.

Mais, aidé de la Ficelle, Palas chargeade nouveau Chéri-Bibi sur ses épaules et tous deux se jetèrent enbordure de la route, derrière un talus. Aussitôt la torpédo desagents réapparut, la Ficelle était reparti !

Cependant, la voiture des agentss’arrêta, elle aussi, au tournant du pont Saint-Jean. Il y eut unconciliabule. Ils devaient se douter de quelque chose, avaient dûvoir l’auto s’arrêter, si bien que leur troupe se divisa endeux : la moitié continua sa route dans la voiture, l’autremoitié traversa le pont.

Palas avait profité de cette hésitationpour faire un peu de chemin à couvert, derrière un mur. ÀChéri-Bibi, qui le suppliait une dernière fois de l’abandonner surla route, il disait :

« J’ai repris des forces, çava !… La presqu’île est un labyrinthe ! Ils ne noustrouveront pas dans la nuit ! Dans un quart d’heure, nousaurons atteint les jardins de la villa. Là, nous sommessauvés ! »

À la villa, Françoise était dans destranses mortelles, l’absence de Didier se prolongeant dans unmoment où l’esprit de la pauvre femme, encore hallucinée parl’effroyable vision, ne parvenait point à se ressaisir.Mme d’Haumont commençait de se laisser aller à un désespoirqui pouvait l’étouffer, car elle ne l’exprimait pas. Cetteinquiétude farouche qui étreignait son cœur n’était visible pourpersonne.

Elle avait eu la force de selever ; elle avait revêtu un peignoir et s’était étendue surun canapé dans le petit salon boudoir du premier étage qui faisaitsuite à leur chambre. Elle avait fait allumer une lampe et elleavait pris un livre ; et elle avait congédié la femme dechambre. Elle avait prié qu’on la laissât seule jusqu’au moment duretour de M. d’Haumont.

Elle paraissait calme. Ce qu’elle avaitvu était si horrible et si inexplicable, qu’elle sentait avant toutqu’il ne fallait point qu’il pût soupçonner, lui, qu’elle avait puvoir, elle, une chose pareille !… Et pour qu’il ne pûtsoupçonner cela, elle s’essayait devant les domestiques à cetteimpassibilité nonchalante et à cette apparence de faiblessepurement physique qui tromperait Didier !

Car il fallait le tromper pour essayerde savoir ! Pour essayer de comprendre ! Pour arriver àcela, elle ne devait compter que sur elle-même !… Le secret deson mari prenait des proportions telles, et se présentait dans desténèbres si redoutables, qu’elle imaginait facilement que Didierferait tout pour l’en écarter plutôt que de lui avouer une vérité,qui devait être d’autant plus terrible, qu’il la lui avait plusjalousement cachée !

Elle ne voulait point l’acculer aumensonge, à l’invention, aux expédients. Cela eût été indigned’elle, indigne de son amour ! Elle prendrait tout le mensongepour elle : c’était nécessaire ! Et quand ellesaurait, à force de patience et de ruse sublime, elle feraitcomme si elle ne savait pas, puisqu’il était nécessaire qu’ellene sût rien ! Est-ce que Didier qui l’adorait et quiserait mort de douleur si elle avait épousé un autre homme (de celaelle était sûre), est-ce que Didier, pour n’avoir pas à partageravec elle son secret, n’était pas allé jusqu’à lui conseillerd’accepter la demande en mariage de Gorbio.

Il avait fallu des circonstancesinouïes, pour déterminer Didier à lui dire : « Jet’aime ! » Comment n’aurait-elle pas compris que s’ilsavait maintenant qu’elle savait, elle aurait à redouter qu’ilne lui dise plus jamais : « je t’aime ! »Peut-être s’enfuirait-il ? Peut-être setuerait-il ? Leur union n’avait été possible, elle levoyait bien, que parce que Didier avait un instant oublié cequelque chose qu’il ne fallait pas qu’elle sût ! Allait-elle,par une question indiscrète, par une maladresse définitive, la luirappeler, cette chose dont elle avait surpris, une seconde, la faceépouvantable !

Non ! non ! elle ne diraitrien, et si elle voulait savoir, c’était pour lui rendre plusfacile, à lui, sa tâche effroyable de dissimulation vis-à-visd’elle !… Car maintenant, elle voyait bien qu’il ne s’agissaitplus d’une ancienne histoire d’amour ou de quelque aventure banaled’autrefois dont il se serait, vis-à-vis d’elle, exagérél’importance… Non ! non ! il y avait autre chose !Après ce qu’elle avait aperçu, elle ne pouvait douter de lamonstrueuse horreur de cette chose-là ! Mais… sans qu’ilen sût jamais rien, elle allait veiller avec un soin farouche detous les instants autour de leur amour et sa foi dans Didieréloignerait le malheur.

Car encore elle ne doutait point de luiet peut-être ne l’en aimait-elle que davantage qu’il fût ainsiaccablé par le destin ! Ces pensées l’embrasaient,l’exaltaient, la ressuscitaient ! Bien qu’il eût serrédans ses bras ce monstre, elle aimait toujoursDidier !

Où était-il à cette heure ?Pourquoi ne rentrait-il point ? Cette histoire qu’on lui avaitcontée sur la nécessité où il avait été de se rendre à la place,elle n’y croyait point ! Elle se redressa. Elle avait entendudes voix. Soudain, on sonna violemment à la grille. Elle courut àla porte-fenêtre qui s’ouvrait sur un balcon qui faisait le tour dupremier étage. Derrière les rideaux, elle regarda. La nuit étaitassez claire pour qu’elle distinguât une petite troupe de quatre oucinq hommes qui appelaient. Un domestique accourait vers eux, leurouvrait et ils se répandaient dans le jardin en courant.

Des mots parvinrent à sonoreille.

« La police ! »murmura-t-elle, et elle s’affaissa sur le canapé.

À ce moment, bien que toutes lesfenêtres fussent closes, elle entendit distinctement la voix de sonmari qui disait sur le balcon : « Tout estfermé ! nous sommes fichus ! » Elle étouffa uncri et tourna la tête. Alors, au-dessus du brise-bise de la fenêtrequi donnait sur le balcon, derrière une plantation de mimosasgéants qui cachait ce coin de la façade, elle aperçut un groupeinouï, son mari ployant sous le poids dumonstre !

Elle eut la force de se lever, d’ouvrirsans bruit une fenêtre qui était à l’autre extrémité du balcon etde se jeter dans la chambre obscure…

Du fond de cette chambre, elle vitDidier se glisser dans le boudoir, refermer la fenêtre. Quantau monstre, il avait roulé sur le palier ; Didier n’eutque le temps de pousser l’homme sous le canapé et de se jeterderrière un rideau. On frappait à la porte !

Alors Françoise rentra dans le boudoir,revint s’étendre sur le canapé, reprit son livre et dit :« Entrez ! »

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer