Palas et Chéri-Bibi – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome I

XXIII – Le héros et le bandit

Palas avait pu enfin sortir de sachausse-trappe. Il courait à Chéri-Bibi. En entendant le forçat luiannoncer qu’il avait une jambe cassée, il ne put retenir une sourdeexclamation.

« Et maintenant,cavale !lui souffla Chéri-Bibi, pendant qu’il en estencore temps ! Il est moins cinq broquilles (cinq minutes) situ veux en réchapper !… T’occupe pas de moi ! Je ne peuxplus remuer ma jambe de laine !… Écoute : aufond de la cour à droite, passe par la piaule du biffin(chiffonnier), n’y a personne ! Tu sautes au montant(escalier) de droite, les autres courent à gauche ! Arrive auxmansardes… Trotte sur les toits jusqu’au coin de la petite place…Descends comme tu pourras ! Tu trouveras là l’auto avec tonami Hilaire. Il sera pas épaté de te voir, il nous attend !Bonne chance !… »

Palas s’était penché et avait passé unbras sous les aisselles de Chéri-Bibi. D’un effort puissant, il lesouleva :

« Què qu’ tu fais », fitl’autre qui était en train de bander sa main ensanglantée avec unmouchoir grand comme une serviette.

« Je t’emporte ! fitsimplement Palas. Tu n’imagines pas que je vais te laisserici !…

– Ah ! n… de D…, tu vas me f…la paix ! dis ! Moi, j’ suis f… j’ te dis quej’ai une jambe de laine ! T’as pas l’idée dem’emporter comme une poupée ! Tu ne sais pas ce que jepèse ! Et pis f… le camp ! mais f… lecamp ! L’arnac (la police) va revenir ! Tu vaste faire pincer !… et tu ne me sauveras pas ! tu serasbien avancé !

– Écoute, Chéri-Bibi, c’est toi quias chouriné le Caïd ! On recherche son assassin. Cette fois,tu n’y échapperas pas de la veuve (la guillotine) je ne telaisserai pas là ! »

Il s’était agenouillé, avait pris lesbras de Chéri-Bibi et le chargeait sur sesépaules !

Chéri-Bibi lui sanglota dans lecou :

« Ah ! bien, ça c’est le plusbeau que j’aie jamais vu de ma vie !… S’il y a un Dieu, qu’ilnous protège !… Et maintenant, laisse-moi glisser, puisque tule veux absolument, je m’appuierai à ton épaule, tu me soutiendras…Mais si tu les vois arriver, plaque-moi !… »

Ils traversèrent la cour qui était toutenoire : c’était une manière de puits sur lequel donnaientd’infâmes logements qui paraissaient vides, car il n’y avaitpersonne aux lucarnes. Toute la gent misérable qui grouillait là setenait chez elle, ne voulant point connaître l’affaire et ne semêlant du reste à ces drames que pour aider les« monte-en-l’air » à échapper aux« cognes ».

Chéri-Bibi guidait Palas. Depuis qu’ilsavait que son ancien patron était décidé à se rendre à l’appel des« fagots », il avait dû étudier les lieux. Ce n’étaitpoint du ciel qu’il était tombé au milieu de la bagarre.

Bientôt, ils furent dans un escalier siétroit que Palas avait de la peine à tourner avec sonfardeau.

« Lâche-moi, mon vieux !lâche-moi. Je te dis que tu vas te faire pincer !… Une vieillecarne comme moi, qu’est-ce que ça peut te f… »

L’autre montait toujours… Pendant cetemps, « l’arnac » comme ils disaient, était redescenduepar un autre escalier. Les policiers qui avaient perdu la piste destrois bandits, mais qui pensaient qu’ils ne pouvaient leur échapperfinalement à cause des dispositions prises tout autour du pâté demaisons, repassaient par la boutique et s’arrêtaient stupéfaits dene plus retrouver l’homme, ni son compagnon qui semblait sisérieusement blessé ! Ils ne trouvaient plus que des traces desang…

Ils allèrent à la porte de la rue… Là,les policiers de garde déclarèrent que personne n’étaitsorti !…

« Bizarre ! fit un inspecteurde la Sûreté. Par où donc ces deux oiseaux-là se sont-ilsenvolés ? Il y en avait un qui paraissait avoir la pattecassée et l’autre était bien mal en point. M’est avis que lesvictimes doivent être encore plus intéressantes à retrouver que lesassassins ! »

Il suivait sur les dalles les traces desang. Elles le conduisirent à la courette, à la bauge deschiffonniers, à l’escalier sordide qui escaladait les murs humidesde la bâtisse de droite…

« Doivent pas être bienloin ! »

Et ils se ruèrent à cette chassenouvelle.

Chéri-Bibi entendit leur galop dansl’escalier. Il dit :

« Nous sommes f… »

Une porte était entrouverte sur unpalier. Palas poussa.

Une petite fille et un petit garçon semirent à jeter des cris perçants. Chéri-Bibi les regarda d’unefaçon si terrible que les deux enfants se turent instantanément,mourant d’effroi.

Palas avait tourné la clef dans laserrure. Les agents passèrent sur le palier sans s’arrêter,continuant vers les toits.

Malheureusement, dans le même moment,survint la mère qui s’était absentée pour faire une course dans lequartier ou pour bavarder avec quelque voisine et qui accouraitretrouver ses petits, dans l’angoisse que lui causait tout letumulte dont la maison était pleine. Elle fut stupéfaite de nepouvoir ouvrir sa porte.

Elle appela : « Didi !Gégé ! » Aussitôt les petits revinrent à la vie et semirent à miauler de nouveau et puis, tout à coup ils se turentdevant les yeux épouvantables de Chéri-Bibi !

La mère secouait la porte avecfurie :

« Mais qu’est-ce qui a fermé cetteporte ? Ce n’est point les petits ! Didi !Gégé ! »

Nouveaux cris, nouveausilence !

Crise de désespoir de la mère sur lepalier. Retour des agents. Elle leur expliqua qu’elle venait derentrer chez elle, qu’elle avait trouvé la porte fermée à clef, queses petits étaient seuls et qu’il devait se passer quelque chosed’affreux ! Dans le moment, les enfants jetèrent des clameursd’écorchés. Le souffle leur était revenu, car Chéri-Bibi ne lesregardait plus. La mère hurla…

« Parbleu ! Ils sontlà ! » firent les agents.

Alors la mère comprit et fut prise d’uneépouvante sans nom. Elle se rua contre la porte en vomissant desimprécations :

« À l’assassin ! Àl’assassin ! On assassine mes enfants ! »

Les agents essayaient d’enfoncer laporte, mais cette femme les gênait et lorsqu’ils voulaientl’écarter, elle leur labourait le visage de ses griffes. Elledevenait folle…

Dans la chambre, Palas avait ouvert unefenêtre qui donnait sur une ruelle déserte, une espèce decul-de-sac. Chéri-Bibi s’était traîné jusque-là et ilsregardaient.

Il y avait une gouttière retenue au murpar des grappins de fer. C’était le dernier espoir ! Ens’aidant de cette gouttière, on pouvait atteindre des échafaudages,et de là, gagner un toit.

« Va ! souffla Chéri-Bibi.Adieu ! Ne t’occupe plus de moi ou je me f… par lafenêtre ! »

Encore cette fois, tout ce que put direChéri-Bibi ne servit de rien… Comment Palas accomplit-il le miraclede le prendre avec lui, de le sauver avec lui ? Voilà ce qu’iln’eût pu dire cinq minutes plus tard !

Ils se trouvaient à l’avant-dernierétage et les étages étaient très bas. Les crampons tenaientsolidement. La corniche de l’autre fenêtre au-dessus servitégalement de point d’appui à Palas !

Ils purent croire qu’ils allaient êtreprécipités. On entendait toujours les cris des enfants, de la mère,des agents, et les coups formidables dont on ébranlait la portequi, heureusement, était solide, comme il arrive dans les trèsvieilles maisons.

Enfin, ils atteignirent le toit, setrouvèrent en face d’une fenêtre, traversèrent une chambre videqui, par une autre fenêtre, donnait sur un autre toit. Ils s’yjetèrent mais là, ils se heurtèrent à une cheminée et faillirentrouler dans la rue.

Palas commençait à souffler comme uneforge.

Ils entendaient la poursuite des agentsqui avait repris sur les toits et les cris qu’ils échangeaient avecceux de la rue.

Chéri-Bibi guidait toujours la marche deplus en plus difficile de Palas, qui le portait presque.

« Là ! arrête-toi ! toutle monde descend ! »

Ils se glissèrent par une lucarne,furent dans une soupente, traversèrent un escalier.

« Lâche-moi, je vais descendre àcloche-pied ! »

Palas ne l’entendait mêmepas.

Des figures effarées se montrèrent surle pas des portes.

« Couchez-vous tous ! n… deD… ! leur jetait Chéri-Bibi, que je ne vois plus vos g… !Faites le mort, ou je vous rentre dedans !

« Encore une minute et nous sommesà l’auto ! souffla-t-il à Palas. Tout de même, je ne t’auraisjamais cru aussi fort ! Il est vrai que dix ans au pré, çadonne des muscles ! »

Enfin ils arrivèrent dans le couloir durez-de-chaussée, d’où ils allaient pouvoir faire signe àl’auto ! Après, on n’avait plus qu’à démarrer envitesse.

« J’entends le teuf-teuf ! LaFicelle a compris ! Il nous attend ! Il a mis son moteuren marche. »

Palas, qui avait toujours son fardeauformidable sur l’épaule, risqua un coup d’œil dans larue.

« Oui ! fit-il, l’auto estlà !

– Mais non ! elle n’est paslà ! glapit aussitôt Chéri-Bibi. Fatalitas !c’est l’auto des agents ! »

Et il pensa que M. Saynthine et sesacolytes avaient réussi, dans leur fuite, à se jeter avant eux dansla voiture conduite par Hilaire, ce qui n’était pas évidemment dansle plan de Chéri-Bibi… Mais Chéri-Bibi, dans cette affaire, avaittout prévu…, sauf l’intervention de la police…

Soudain, ils aperçurent les agents quibondissaient dans leur auto et qui ordonnaient à leur chauffeur defaire le tour de la vieille ville…

Et immédiatement après leur départsurvenait la limousine avec M. Hilaire…

Chéri-Bibi et Palas firent un mouvementhors de leur couloir… Hilaire les aperçut et leur fitsigne…

M. Hilaire vit venir à lui deuxombres énormes, l’une portant l’autre…

Il aida Palas à installerChéri-Bibi :

« Tu es arrivé à semerSaynthine ?… souffla Chéri-Bibi…

– Et comment ! » répliquaM. Hilaire, qui venait simplement de déposer Mlle Zoé àson hôtel et qui s’attendait à un accueil farouche de Chéri-Bibi.Il encaissa les compliments et sauta au volant : « Au capFerrat ! et mets-en tant que tu peux ! » commanda lebandit…

L’auto repartit. Presque aussitôt lavoiture dans laquelle s’étaient jetés les agents revenait sur laplace et voyant devant elle la limousine démarrer en trombe, luicourait sus :

« Si tu ne les sèmes pas aussi,ceux-là, nous sommes f… ! » hurla Chéri-Bibi.

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