Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 2BETSY-L’ANGLICHE

Il est peut-être idiot de commencer la vied’une femme par sa mort, mais enfin si l’on vit, c’est pour qu’onmeure.

Et même, c’est comme on vit, que l’onmeurt.

En ce temps Zonzon ne pensait pas à mourir.Elle était avec Valère, un petit homme amusant qui ne regardait pastrop à la galette. Un jour, avec Betsy, elle fit un type. Il lesavait prises, Betsy pour la causette parce qu’elle était Angliche,Zonzon parce qu’à défaut de mots, les Françaises ont, au lit,beaucoup de gestes. Il se proposait de faire un tas de choses, maiscomme toujours, à peine satisfait de l’une, il n’eut plus envie del’autre et préféra s’endormir.

Il avait commencé par Zonzon, c’est plusflatteur. Betsy au fond, lui au milieu, elle se trouvait à l’entréedu lit. Quand elle entendit qu’il ronflait, il ne lui fut pasdifficile de se lever pour voir, dans ses poches, si elle netrouverait pas un petit supplément. Il ne s’était guère montrégénéreux : trois couronnes à Betsy, trois à Zonzon. Et encore,après beaucoup de manières !

Dans une poche de la culotte, elle ne trouvarien. Dans une autre, une clef, puis le porte-monnaie : il n’yavait qu’un shelling.

– Merde, pensa Zonzon Pépette.

Quand ce fut le tour du veston, où l’on trouvele portefeuille, cette rosse de Betsy, qui la surveillait, se levapour prendre sa part.

– Vieux chameau ! pensa Zonzon.

Elle n’avait pas l’habitude de marcher avecl’Angliche. Elle avait accepté, parce que cela se trouvait ;mais, pour le travail à deux, elle préférait une camarade plusaccommodante et, surtout, moins maigre que cette maigre d’Angliche.Tous ces os, ça la dégoûtait un peu.

Ah ! voilà ! Elle tenait leportefeuille. Déjà Betsy avançait ses vilains doigts desquelette.

– Bas les pattes, grogna Zonzon.

Le portefeuille pesait lourd. Commentfaire ? Elles auraient pu, l’une ou l’autre, l’empocher pourse le partager au dehors. Mais qui ? Elles ne pouvaient pasdavantage le couper en deux. Il fallait bien l’ouvrir. D’ailleurs,le type dormait toujours.

Ce qu’elles virent d’abord, ce fut uneenveloppe, avec une lettre, une autre enveloppe avec une lettre,d’autres lettres, des papiers ; mais de billets qu’ellescherchaient, elles n’en trouvèrent pas un.

Bast ! Zonzon n’en fut pas trop furieuse.Il aurait fallu, quand même, partager. Il lui vint une idée ;elle fit :

– Oh ! merde alors.

Tant cette idée lui parut amusante.

Elle n’avait pas encore renfilé sa chemise,elle n’en prit pas le temps. Elle chuchota vers Betsy :

– Dites donc, Betsy.

– Quoâ ? fit l’Angliche.

– C’est, demanda Zonzon, trois couronnesqu’il t’a données ?

– Yes, dit l’Angliche.

– Eh bien, passe-les-moi.

– À toâ ? Pourquoâ ?

– Parce que, répondit Zonzon, parce queje t’emmerde.

Comme ce français n’était pas clair, elleajouta :

– Si tu ne me les donnes pas, je dirai àton homme que t’as couché avec Nénest, et pour rien.

– Oh ! No ! supplial’Angliche.

Et maigre, comme elle l’était, en chemise, surses longues pattes, elle dut aller farfouiller dans sa jupe,prendre les trois couronnes et les remettre à Zonzon.

– Maintenant, dit Zonzon, passe-moi lesautres.

– Les autres ? Quelsautres ?

Zonzon n’avait pas beaucoup depatience :

– Ceux que t’as ! Sinon je dirai àton homme que t’as couché avec le mien.

Sale putain d’Angliche ! Une secondefois, en chemise, sur ses longues pattes, elle dut retourner à sajupe et ramener ce qu’elle trouva : cinq couronnes.

À la bonne heure ! Zonzon compta :cinq plus trois… huit ; plus les trois qu’elle avait, plussept qu’elle trouva : cela faisait dix-huit couronnes. Ellesles mit dans un papier et très vite, avec ses doigts de voleuse,les glissa dans la poche du type.

Puis elle pensa :

– Vieux panné, je t’emmerde !

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