Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 7COFFRÉE

On a beau s’y attendre, quand ça vous arriveon est bête, les premières fois surtout ; et pour sa part,quand elle sentit cette grosse poigne sur l’épaule, elle ne songeamême pas à se dire :

– Merde, je suis pincée !

Elle l’était cependant, et bien, dans la patted’un de ces flics qui, à Londres, sont tous des géants. Celui quila tenait, lui parut plus géant que les autres. Il dit :« Go » et la poussant devant lui, elle se mit à marchertrès vite. C’était à Piccadily, un soir, au moment où les rupinsentrent à leur « Club ». Il passait plein de femmes, toutle monde put la voir qui de démenait aux prises avec un flic quiavait mis ses gants blancs pour la pousser comme une charrette.

Heureusement, une rue plus loin, ils prirentun cab. Mais presque aussitôt elle ragea, parce que ça la dégoûtaitde flâner en voiture avec un flic. Et puis, il lui parut bien quece salaud lui faisait de l’œil avec la cuisse. Pourtant elle ne ditrien : avec ces gens, il faut se taire.

Ils arrivèrent bientôt : une sorte deprison qu’on aurait cru une église. Elle n’y avait jamais été, onn’en fit pas plus de manières : on lui ouvrit un livre, elledut y coucher son nom, pas Zonzon, ni Pépette, le vrai, celui quisert dans les hôpitaux et les cachots ; puis, Zonzon ouPépette, on vous l’emmena par des couloirs, on vous lui ouvrit uneporte, on vous la boucla là-dedans. Crac !

Elle s’en fichait. Pour un type à la Tamise,pour un portefeuille, la prison peut être grave, mais pour cequ’elle faisait ! Le soir on vous boucle, le matin on vouslâche. Seulement elle avait faim. Elle regarda ce qu’il y avaitdans sa cellule : dans un coin, une paillasse ; dans unecruche, de l’eau ; mais de ce qui se mange, rien. Ellepensa :

– Ces salauds, quand ils enferment unefemme, feraient bien de soigner d’abord pour sa gueule !

Elle se mit à taper sur la porte :

– Eh ! garçon !

Et sans doute comprit-on. Il vint un homme quiportait une drôle de casquette et lui tendit du pain. Après il nesortit pas. Elle dit :

– Quoi c’est-y que t’attends ?Faut-y que je t’remercie : eh bien, merde.

Pas mauvais, ce pain. Elle mordit un grosmorceau. Demain, quand il la reverrait, qu’est-ce qu’il diraitP’tit homme ? Les « p’tits hommes », ça n’aime pasqu’on vous pince : il y a l’amende, il y a le temps qu’onperd : mais vraiment, ici, il n’y avait pas de sa faute ;c’était la celle au type, un balourd qui l’avait lâchée juste aumoment où ils passaient devant un flic : quand c’est comme ça,ça ne rate jamais. Elle l’expliquerait à P’tit homme. Il le savaitdu reste.

Elle prit une seconde bouchée et pouah !cette bouchée lui parut du mastic. Elle venait de serappeler : au moment d’être prise, elle avait aperçuBetsy : cette rosse lui en voulait depuis l’histoire des huitcouronnes. C’est elle qui… Tonnerre ! ça ne traînerait pas,elle allait lui arranger son affaire ! Et tout desuite !

Elle se rua sur la porte ; mais sur cetteporte il y avait des verrous, autour de cette porte il y avait desmurailles et Zonzon comprit : ne pouvoir arranger, tout desuite, à Betsy son affaire, c’était ça la prison !

Elle ne s’en fichait plus : elle se mit àpleurer ; elle pleura d’abord comme pleurent les femmes quandil n’y a plus rien à faire ; puis elle pleura plus fort – derage ; puis encore plus : de rage de rager parce quec’était de rage qu’elle pleurait.

On ne sait comment toutes ces rages auraientpu finir. Au bruit qu’elle fit, un homme vint regarder ce qui sepassait dans cette cellule. C’était celui de tout à l’heure. Il sepencha, il dit :

– Poor woman !

De quoi ? On sait bien ce qu’ils veulentavec leur : Poor woman ! Elle en oublia Betsy. Elleattrapa sa cruche, elle cria :

– Si tu crois que j’accepterai tescochonneries dans c’trou.

Puis merde pour lui, merde pour Betsy, merdepour tous ; elle colla sa jupe sur le voyeur de la porte ets’endormit sur sa paillasse.

En ce temps, ce n’était pas, à Londres, commec’est devenu depuis : pas ce qu’on appelle les mœurs, pas decartes, pas ces chichis de Saint-Lazare qui vous ennuient à Paris.Le matin on vous menait devant un juge. Il disait : « Dixshellings ! », on payait, puis on recommençait.

Cela se passa le lendemain. Seulement sa nuitl’avait tellement abrutie qu’elle n’aurait jamais su dire si ce futdans la prison ou si l’on prit une voiture.

P’tit homme se trouvait dans la salle. Onl’avait averti. De la main, il fit signe « à tantôt » etqu’il n’était pas furieux. Alors elle s’en ficha. Elle laissaparler l’agent, elle laissa parler le juge. Il avait une dent enor. Elle pensa :

– Avec ta dent, tout ce que tu voudras,ce ne sera quand même que dix shellings.

Il finit en effet :

– Ten shellings.

Comme elle n’avait pas d’argent, P’tit hommedut courir en chercher au dehors. Cela dura un peu.

Il était à la sortie. Avant toute autre chose,il dit :

– Bin vrai ! C’est la première foisque je casque pour une môme.

Ce n’était pas sérieux. Quand c’est pourl’amende, on sait bien : l’homme peut casquer – sansdéshonneur.

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