Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 30LA DERNIÈRE NUIT

Il ne faut pas l’oublier : Un soir, auCercle, ayant payé du gin aux copains, Zonzon se fâchacontre Marie la Flamande, cria « Merde » dans la gueulede Fernand, son homme, et, le temps de voir la béquille de Loiss’envoler vers la lampe, tomba sur ses grosses fesses, avec durouge tout plein sur le blanc du corsage.

On aurait voulu le contraire, mais, quand onralluma, Zonzon resta par terre : elle était morte.

Qui avait fait le coup ? Le dira-t-onjamais ? Fernand, qui l’aurait pu, se taisait comme une brutepour qui une môme par terre n’est déjà plus une môme. D’Artagnan, àla sienne, faisait de la morale :

– Toi ! si tu parles !…

Les autres n’avaient rien vu.

Il y avait là Valère. Au moment de la lampe,il jouait aux cartes avec Louis. Il préparait le sept de trèfle. Ilattendit la lumière :

– Voilà, un sept.

Et se rendit compte.

Il ne pleura pas, parce que c’est bête, maisil fut tout de suite évident que c’était lui, et pas Fernand, lemaître. Il l’écarta, s’agenouilla près du corps, déchira lecorsage. Il eut ainsi les mains toutes rouges, et, ensuite, laculotte, quand il s’y fut essuyé.

– Moi, dit-il, je m’en fous. Mais celuiqui a fait ça…

Personne ne répondit : Louis, qui buvait,toussa dans son verre, ce qui fit, de nouveau, remuer sabéquille : cette fois, elle tomba. Les autres pensaientailleurs. Une môme, quand ça arrive, c’est triste, c’estennuyant ; pourtant qu’y faire ? Voyez la rue, voyez laTamise ; et la police, si elle est curieuse, qu’elles’arrange. Comme Valère restait là, ils crurent :

– Tu t’en charges ?

– Oui.

– C’est-y que tu veux un coup demain ?

– Non.

Il ne retint que François et son TendreMouton. Il aimait bien ces deux. Quand ils furent seuls, il lesprit dans ses bras :

– François, j’ai dit que je m’en charge.La Tamise, elle n’aurait pas aimé ça.

– Non, dit François.

– La rue, elle n’aurait pas aimé ça…

– Non, fit François.

– Alors, si qu’on essayait, on laramènerait chez moi.

– Dangereux, dit François.

– Quand même, si qu’on essayait.

Et François voulut bien.

À cause du sang, le Mouton prêta son châle.Pauvre Zonzon ! On la roula là-dedans ; elle se laissaitfaire ; on lui arrangea sur le front un peu de franges, puis,chacun par un bras, ils la mirent debout pour aller.

Par chance ce n’était pas loin ; sur lestrottoirs, les gens qu’elle avait, tantôt, enjambés, dormaienttoujours pour leur compte, il ne faisait plus tout à fait noir.Jamais elle n’avait paru si lasse.

On ne sait ce qu’il prit alors à Valère.Depuis le Cercle, il n’avait plus rien dit ; il semit tout à coup à parler ; il parlait à Zonzon avec des motscomme si elle était vivante :

– Un trottoir, Zonzon… Courage, Zonzon…Je savais bien que tu reviendrais, Zonzon !

Un peu plus loin, à cause d’un flic, il se mità rire :

– Tipsy, Zonzon ! T’as bu,tiens-toi…

Devant le flic, il rigola plus fort.

Arrivé devant sa maison, il parut à bout deforce. Il restait un escalier à monter. Il s’assit sur unemarche :

– François, je n’en suis plus. Si tuveux, tu la porteras seul.

François, qui avait pris Zonzon, le Mouton quimontait en avant, le virent qui se cramponnait à la rampe, ensoufflant de fatigue.

Là haut, il parut se reprendre :

– Entre, Zonzon.

Il alluma la lampe, il découvrit le lit.

– Couche-toi, Zonzon.

Il voulait faire tout par lui-même :arranger les draps, reboutonner le corsage, mettre ensemble lespieds. En route, elle avait semé une chaussure : il arrachal’autre. Pour les mains, il hésita : il les prit pour lesjoindre comme à une morte ; puis il les lâcha où ellesétaient.

– Et maintenant, fit-il, laissez-moi.

Sur le palier, François et le Mouton nedescendirent pas tout de suite. François mit l’œil au trou de laserrure. On voyait tout de la chambre : Zonzon couchée, unbout de table, Valère qui allait et venait. À un moment, il cessade marcher et se pencha sur le lit. Il pleurait. Il avait pris sagrosse lampe. Il la tenait tout de travers.

– Zut, dit François, décampons.

D’en bas, ils regardèrent…

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