Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 21LA CLEF SOUS L’OREILLER

Une fois, on s’en souvient, François guettaune môme qui priait dans une église, ne lui fit aucun mal et, lanuit, revint au cercle en disant qu’il garderait toute sa vie leshilling qu’il avait reçu de cet ange.

Ce fut quelque temps après. Lisette étaitrevenue. Ils avaient eu très faim : un soir il eut la migraineet le lendemain il ne se reconnut plus François : il étaitdevenu Jésus et, de plus, était mort.

Le premier jour, puisqu’il était Jésus, ilvoulut prêcher, en latin comme de juste. Il commença :« Dominus », mais le reste ne vint pas, alors il se mit àpisser par terre pour changer, en vin, toute cette eau.

Le second jour, puisqu’il était mort, ilprétendit que Lisette le couchât au tombeau. Il sacrait :« Tire ma couronne, Madeleine, elle me pique », et duttanner dessus parce que Madeleine pleurnichait : « T’aspas d’couronne, je vais te mouiller un linge sur latête ».

Tout cela, bien entendu, c’était des trucs demaboule. Mais ce qui survint le troisième jour ?

Le troisième, il se trouvait dans son lit. Iln’avait pas gueulé ; qu’il fût Jésus ou bien François, il lesavait, il n’en avait rien dit ; qu’il portât sa couronne, ille gardait pour lui ; quant à pipi, Lisette pouvait le dire,il l’avait fait comme tout le monde, dans un pot.

Seulement voilà :

On devait avoir dépassé le soir, ilsommeillait, quand Lisette, en enlevant sa jupe, alla jusqu’à laporte, en retira la clef et la glissa sous l’oreiller. Les autresjours elle la tournait dans la serrure.

Hé hé ! parce qu’il était malade ?D’abord, il ne l’était pas : ce n’est pas être malade, quandon s’appelle Jésus de sentir des épines en couronne sur la tête.D’ailleurs, sur le moment, il n’en pensa rien du tout. La clef enplace, il regarda Lisette, elle changeait de chemise, et avait unechair bien chaude : simplement il fit de la place pour qu’ellene se blessât pas à ses épines et recevoir près de lui sa Lisettedont il aimait la chair bien chaude.

Un peu plus tard, comme Lisette dormait, ilfut obligé de songer à cette clef. Lisette dormait, et tantôt elleavait glissé la clef sous l’oreiller. Lisette dormait et hier, ils’en souvenait, puis d’autres jours, elle avait aussi glissé laclef sous l’oreiller… Du reste, qu’elle l’eût glissée ou non, ça nel’empêcherait pas de dormir. Il ferma les yeux, il les tint ferméscinq minutes…

Pourtant cette clef… cette clef sousl’oreiller… Encore si elle l’avait glissée comme on glisse un clef.Non ! Elle l’avait glissée un peu comme une voleuse, un peucomme une sournoise, un peu comme si elle ne voulait pas qu’il vità quelle place elle glissait cette clef sous l’oreiller.

D’ailleurs, elle était naïve. Il pensa :« Si elle ne veut pas que je la trouve, pourquoi glisser tousles soirs, à la même place, cette clef sousl’oreiller ? »

Mais à peine eut-il prononcé : « queje la trouve », que puisqu’il l’avait trouvée, il eut besoinde prendre cette clef. Et cette clef il devait la prendre, noncomme on prend une clef, mais un peu comme un voleur, un peu commeun sournois, un peu comme un qui ne voudrait pas qu’on le vît,pendant qu’il prendrait cette clef qu’on avait glissée sousl’oreiller.

Lisette dormait, la clef se trouvait sous satête. Il remua le pied, elle ne bougea ; il compta jusqu’àcent pour être sûr, il reprit jusqu’à cinquante. Il était si tendu,que si Lisette avait bougé, il eût sauté dessus pour reprendre,même à une morte, cette clef glissée sous l’oreiller.

Elle y était la clef ; il mit la maindessus, tira pour l’avoir et voilà qu’en tirant, au bout de laclef, il amena un anneau, au bout de l’anneau, l’œil d’une autreclef qu’avec la première, elle avait glissée sous l’oreiller.

Tiens, pourquoi deux clefs ? Lisettedormait. Il se leva, il fit ce qui lui parut nécessaire, puisqu’aulieu d’une, il avait trouvé deux clefs sous l’oreiller. La premièreservait pour la chambre, il sortit de la chambre. La seconde… ildescendit très vite, parce que la seconde, c’était celle de la ruequ’avec celle de la chambre elle avait glissée sous l’oreiller.

Une fois à la rue, il oublia cette histoire declef. Il ne passait personne : aller à droite, ou bien àgauche, puisqu’il était sorti, il était libre. Mais à peine eût-ilfait trois pas vers la droite, qu’il eut besoin de faire trois pasvers la gauche, puis de nouveau vers la droite, puis de nouveau…Finalement, à tourner ainsi et retourner, il revint devant saporte, et se planta.

Et c’est alors que survint la chose. Ce n’estpas pour rien qu’on sent des épines dans la tête, qu’on a vu saLisette cacher des clefs, qu’on les a prises et que, d’abord àdroite et puis à gauche, on se retrouve devant sa porte. La rueétait une de ses rues où les gens, quand il fait chaud, prennent lanuit le frais par terre. Il faisait chaud. Peut-être ne lesavait-il pas vus, mais dans cette rue où tantôt il ne passaitpersonne, il se bousculait maintenant plein de gens. Les uns leregardaient, et les autres, quand il se tourna, mon Dieu oui, aussile regardaient. Il y en avait dont il pensait : « V’làZonzon ! V’là Valère ! » ; d’autres dont jamaisil n’aurait su découvrir le nom ; il y en avait même deux dontil se dit : « Qu’est-ce qu’ils viennent fout’dans not’rueces rupins ? »

Et tous, rupins ou pauvres, le regardaient, lemontraient du doigt, avaient cet air de méchante bête que l’on aparce que l’on est des hommes, parce qu’on a tanné sur sa môme,parce que, faim ou pas faim, il y a des jours où, contre lesautres, il faut « penser à son affaire ».

Pourtant lui ! Un soir, dans une église,il n’avait pas pensé à son affaire. En récompense, il avait reçu unshilling de cet ange ; en récompense il sentait une couronned’épines sur la tête. Alors ces gens, il aurait voulu leur donnerquelque chose : par exemple à caresser, et pour rien, sa môme,ou bien à toucher son shilling, ou mieux prendre une de ses épines,et leur sortir de son cour un mot, qu’après on n’aurait plus été desales bêtes, ni de pauv’femmes à mioches, ni des âmes à goguenots,ni des crapules comme ces deux là-bas, dont ce n’était pas la fautes’ils se fichaient de lui en se tapant sur les fesses.

Ce mot, il l’aurait trouvé, il préparait déjàson geste, mais à ce moment on le prit par l’épaule, il reconnutLisette qui pleurait de ne l’avoir plus trouvé dans la chambre.

C’est vrai : il se vit alors tel qu’ilétait : entre ces gens qui riaient, avec ses deux clefs et nuparce que tantôt, à se frotter à sa môme, il avait tiré sa chemise.Il fit, comme s’il s’agissait d’une blague : « Messieurset dames, c’est pour avoir l’honneur de vous remercier », maisil ne s’agissait pas d’une blague : sa couronne, il laportait ; pendant une minute, il avait senti quelque chose dece qui a fait de l’autre à la couronne, un homme au-dessus de tousles hommes.

Quand il fut là-haut, il le dit à sa manière.On le roula de force sur son lit, on le lia qu’il eût à se sentirtranquille. Il se débattit :

– Mais nom de Dieu, puisque je vous disque je suis Jésus…

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