Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 10LE CIMETIÈRE

En ce temps, Zonzon Pépette faisait le truc àParis. Elle n’avait pas de petit homme, elle essayait de vivresans, depuis son dernier, qui était un salaud. Elle habitait enface d’un cimetière, juste devant la grille où l’on entre lesmorts. Il y avait, alentour, un mur en briques, avec, au-dessus, degrosses pierres plates pour faire le faîte. Elle connaissait cemur ; depuis des mois elle passait tout du long chaque nuit.Elle s’en moquait d’ailleurs. Elle n’était pas froussarde.

Une nuit, elle rentrait. Il n’y avait pas delune et peu de réverbères. On y voyait cependant. Le mur était làcomme toujours. Elle ne pensait à rien. Et voilà que, le temps decligner, quelque chose qui, tout à l’heure, ne s’y trouvait pas,s’y trouvait maintenant. On aurait dit une boule. C’était un peublanc, avec deux trous plus noirs. Zut ! c’était une tête demort !

On ne pose pas des têtes de mort sur unmur.

– Si que j’aurais bu, pensa Zonzon, jeserais saoule. Ce que je vois… je ne le vois pas.

Mais, tout aussitôt, à côté de la premièretête, elle en reconnut une deuxième, puis une troisième, puisd’autres, une longue rangée aussi loin qu’allait le mur. Et, commepour la première, tantôt elles n’y étaient pas et maintenant ellesy étaient.

– Si que j’aurais bu, recommença Zonzon,je serais saoule. Ce que je vois… je ne le vois pas.

Et pourtant si. Elle dut même s’avouer autrechose : c’est que toutes ces têtes n’avaient pas d’yeux et,pourtant, la regardaient. Il y en avait de grosses, de pluspetites, puis de migonnes, comme des crânes de moutards. Il y enavait bien mille.

– C’est-y, se demanda Zonzon, que tout lecimetière s’a découché pour me voir ? Ce n’est d’ailleurs pasvrai.

Elle voulut rire, et comme elle riait, elleobserva que toutes ces têtes riaient aussi, en montrant leursdents.

Évidemment, puisqu’elles n’avaient pas delèvres.

Elle rit encore et, presque aussitôt, sansqu’elle les eût vu bouger, ces crânes, qui étaient posés sur lemur, se trouvèrent plus haut, avec, en dessous, un buste desquelette. Ils s’appuyaient sur les bras et la regardaient, commeon regarde par-dessus un mur.

Elle se dit de nouveau :

– Ce n’est pas vrai ! Ce que jevois, je ne le…

Et pourtant si… Elle constata même qu’à mesurequ’elle avançait, ces squelettes s’arrangeaient pour continuer à lavoir. Ainsi : quand elle regarda en arrière, ceux qui, tantôt,se tournaient à droite pour la voir venir, s’étaient tournés àgauche pour la voir s’éloigner : ceux d’en face la regardaientde face et, tout là-bas, à l’autre bout, les derniers sepenchaient, comme quand on veut voir plus vite quelque chose quiapproche.

Tout de même, elle se mit à courir ; ellearriva à hauteur de la grille, et, derrière, il y en avaitd’autres, de tout entiers, massés jusqu’au fond de l’avenue. Lespremiers s’accrochaient aux barreaux, avec leurs doigts en os.

Elle se disait :

– Non, je ne les vois pas.

Et pourtant, si qu’elle les voyait. Elle serépétait :

– Non que je ne les vois pas.

Et encore, si.

Elle atteignit sa porte, et, lorsqu’avec saclef, elle chercha la serrure, il est vrai, elle ne les vit plus,mais elle les sentit dans son dos. Ils étaient comme des types quiattendent qu’on ouvre, ils la poussaient au coude, ils lapoussaient si fort que sa main tremblait et qu’elle sedit :

– S’ils entrent, le pipelet, ce qu’il enfera du chambard !

À la longue, elle trouva la serrure et leurclaqua la porte. Mais, quand elle se boucla dans sa chambre, ilsétaient là avant elle. Il en arrivait par la fenêtre ; ceuxqui entraient, en appelaient d’autres ; et ils s’amenaienttous de la même manière : les doigts qui s’accrochaient àl’appui, leur crâne se montrait, leurs pattes qui se levaient pourenjamber. Seulement, quand ils sautaient, cela ne faisait pas debruit.

Elle aurait voulu se dire encore… mais il envenait toujours. Ils se tassaient autour d’elle ; ilsformaient un cercle, un plus grand cercle, puis d’autres, de plusen plus grands et de plus en plus loin. Elle se trouvait au milieu,et tous, montrant les dents, la regardaient.

Et pourquoi eût-elle pensé encore à sonpipelet ? Sa chambre n’était plus une chambre. Il n’y avaitplus de meubles. Il n’y avait plus de murs. Il n’y avait plus quedes squelettes, plein comme sur une grand’place, et, au milieu,elle, qu’ils regardaient.

Et, nom de Dieu, non qu’elle ne les voyaitpas ! Et pourtant si. Ils la bousculaient. Ils la poussaientaux reins, ils lui touchaient les fesses, pendant qu’un grand latravaillait, avec un os.

Les autres attendaient leur tour. Ils laserraient comme on vous serre dans une foule. Elle se disaitencore :

– Ce n’est pas vrai…

Et pourtant si… Même qu’à un moment, ellepensa :

– J’en ai assez, je vas me fiche parterre.

Et, serrée comme elle l’était, elle ne parvintpas à tomber par terre…

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