Chapitre 15CHICHE
Ils avaient combiné la partie entre eux, lescinq de l’autre jour : Zonzon, Justin son homme, François quila voulait toujours, Gros Jules, Kiki.
– Pas de femmes ! avait ditZonzon.
Quant à D’Artagnan, il avait été malade pourl’ouvrage, il n’avait qu’à crever pour la fête.
On avait rigolé dès le chemin de fer. On avaitchanté ! On s’avait baigné dans la Tamise – et Zonzon lapremière, même que François avait juré :« Mazette ! » en lorgnant de si près sa balafre surle ventre. Après, pour prouver, elle avait pompé, à elle seule, levin qu’il y avait dans trois bouteilles ; puis on avaitdîné.
Arrivés dans ce pré, ils firent ce que Zonzonproposa :
– Si qu’on faisait la vache ?
Ils s’étalèrent.
Il faisait chaud, il y avait de l’ombre. Ilsétaient un peu gris. Depuis son « Mazette », Françoissemblait bouder :
– Hé ! la môme ! fit tout àcoup François.
Zonzon, sur le dos, suçait une orange. Elleavala son jus :
– Tiens ? Tu renais ?… Qué qu’ya ?
Il ne répondit pas tout de suite. Il avait sonidée. Il fit signe aux autres :
– Attention ! on va rire.
Puis il revint à Zonzon.
– Rien.
– Alors, pourquoi que tu mesonnes ?
– Je n’te sonne pas, dit François. Maisje pense que nous sommes, ici, quatre…
– Cinq ! rectifia Zonzon.
– Oui, cinq, si je te compte. Mais jeparle des hommes.
– Dis donc ! fit Zonzon. C’est-y queje n’vaux pas mon homme ?
– Voire… dit François.
Il en resta là. Il prit unecigarette :
– Hé, Jules, du feu !
Ce fut Zonzon qui revint :
– Dis donc, François, qué qu’c’estqu’t’as voulu dire avec ton « voire ».
– Moi ? s’étonna François. Rien.
– C’est-y, insista Zonzon, que je nevaille pas mon homme ?
– Voire… dit de nouveau François.
Du coup, elle se cala sur son derrière. Lesautres rigolaient. Elles les regarda tous :
– Vous saviez bien que je n’ai pas peurd’un homme, ni d’deux, ni d’trois, ni d’quatr’, tas de fainéantsque vous êtes.
Elle se fâchait : cela prenait bien. Ilspouffèrent. Puisque François avait commencé, c’était à François àpoursuivre :
– Oh ! je sais ; quant auxbras, tu les as solides ; mais pour le reste !
– Le reste, s’étonna Zonzon. Quelreste ?
– Tout, expliqua François. Unesupposition que l’aut’jour, au lieu de rester dehors, tu nousaurais suivis. Qui qu’t’aurais fait ?
– Bé !… comme vous autres. J’auraisrempli les sacs.
– Bon. Une supposition qu’au lieu deveiller à l’agent, t’aurais pu, comme nous, rencontrer cet agent.Qué qu’t’aurais fait ?
– Tu parles trop !… En tout cas, pasdécampé, comme vous l’auriez peut-être fait, tas de fainéants quevous êtes !
– Il est quelquefois plus dur de fuir,observa François… Mais une supposition qu’au lieu d’être ici lestrois fainéants qu’tu dis et ton homme, nous le soyons tous quatre,ton homme. Qué qu’tu ferais ?
– Moi ! fit Zonzon.
– Oui, qué qu’tu ferais ?
– Mais… j’ferais avec quatre, ce que jefais avec un.
– Voire, dit François.
Ils éclatèrent, et Justin plus haut que lesautres. Tout de même, après réflexion, il parut inquiet :
– Écoute, vieux, c’est pas des choses àdire. Et toi, Zonzon, fourre ta langue dans ton orange !
– T’es bon, toi ! dit Zonzon.
Elle se tourna vers François :
– Ne blague pas. C’est-y que tu prétendsque je n’pourrais pas être la femme de quat’z hommes ?
– Heu ! douta François.
– C’est-y qu’tu crois que je n’serais pasd’force ?
– Heu ! répéta François.
– C’est-y que tu veux dire que j’enaurais, avant vous autres, mon compte ?
– Heu ! dit encore François.
– Eh ! bien ! fit Zonzon,chiche !
Elle était sautée debout.
Quand Zonzon avait dit :« Chiche ! » c’était aussi grave que si elle avaitcraché par terre, en jurant :
– Que j’en crève.
Tout de même, il rigola :
– Chiche quoi ?
– Chiche, déclara Zonzon, que vous êtesquatre, et que je tiens le coup.
Alors, c’était sérieux ?
– En ce cas, dit François, il nous resteà nous mettre aux ordres de Madame. Si, bien entendu, Justin lepermet.
– Permet ou pas, dit Zonzon. Et puisquet’as commencé, tu passeras le premier. Et tout de suite !
– Bon, bon, fit François, en traînant dela voix.