Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 17LE SIFFLET

Ils n’avaient pas amené Zonzon, encore moinsinsisté auprès de D’Artagnan qui préparait sa blague :

– Je suis malade.

L’affaire était simple, comme on eût dit unevisite de rien, histoire de vérifier que les pendules marquaientl’heure et que l’argenterie pesait son poids. La veille, Kiki avaitfait son dernier tour : combien de portes, comment lesserrures, où les pièges que des poteaux signalaient autour de labaraque ? La nuit, aussi, était bonne : de la lune,peut-être un peu trop ; par contre, dans les arbres, ce grandvent qui avale à lui seul tous les autres bruits. D’ailleurs, ilsn’avaient pas à se gêner ; la maison était vide et, dans leschamps, il n’existait que celle-là, aussi loin que portait lalune.

Ils entrèrent à trois : Kiki-le-Boiteux,Gros Jules et François. Justin, qui n’était pas fort, resta dehorspour faire le guet.

Ils eurent à peine besoin de chatouiller laserrure. Ils étaient dans le vestibule et préparaient la lumière,quand, du côté de Justin, un coup de sifflet les avertit :

– Attention, y a du monde.

Puis un plus long :

– Attention, y en a trop !

– Ça c’est bête, grogna Kiki.Décampons.

Il semblait furieux, mais resta calme. Il nese hâta pas : il prit en main son revolver, alla en boitant,jusqu’au fond du vestibule, crocheter une porte. Puis ilappela :

– Venez, gn’a personne.

On voyait le jardin. Ils s’engagèrent, à lafile, sous une allée de petits arbres avec des fruits. Même quec’était des poires. À cause des pièges, Kiki venait devant, l’œilsur tout.

À mi-chemin, il souffla :

– C’est tout de même drôle qu’on ne voitpersonne.

Au contraire, c’était assez naturel, vu qu’onavait sifflé, non du côté du jardin, mais du côté de la route.Pourtant, à cause de ce mot, puisque aussi bien il y avait dumonde, ils auraient aimé autant le rencontrer tout de suite. Etpuis on devait les voir, en plein, par cette sacrée lune !

Ils arrivèrent au bout du jardin, où s’étalaitun peu d’ombre à cause d’un mur. Kiki connaissait le mur. Ildit :

– Je vas voir de l’autre côté.

Il s’aida par les épaules de Gros Jules,regarda à ras du faîte, ensuite plus haut, puis sauta par-dessus.Les autres l’entendirent retomber et dire :

– Zut ! gn’a toujourspersonne !

Qu’eurent-ils besoin alors de se hâter commeils le firent ? Se bousculant tous trois, ils se hissèrent, enmême temps, pour passer de l’autre côté ; ils virent qu’eneffet, il n’y avait personne, et alors, devant cette garce decampagne, sous cette diablesse de lune, ils eurent peur.

Ils restèrent une grosse minute àpenser :

– Nous sommes fichus.

Après, ils se reprirent, et Gros Jules, leplus calme, en était à demander si, avec leurs sifflets, ilsn’avaient pas eu la berlue, quand il y en eut un nouveau, très longcelui-là, mais beaucoup plus loin.

– Zut ! fit Kiki.

On ne s’expliqua jamais ce qu’il prit alors àKiki. Ayant combiné l’affaire, il avait le droit d’être nerveux,mais ce n’était pas une raison pour détaler, comme il le fit, encriant :

– Zut !

Sur l’instant, François et Gros Jules neraisonnèrent pas tant. Ils dirent :

– Si Kiki file, c’est qu’il a des motifsde filer.

Ils filèrent derrière lui. Après ils nepensèrent qu’à une chose : filer encore plus vite.

Ce fut, ils durent l’avouer, une fameusepanique : Ils traversèrent un pré. Ils passèrent par-dessus unpont. Ils aperçurent un étang ; Dieu sait où ils seraientarrivés, si le Boiteux, qui galopait, à sa manière, en sautant sursa bonne jambe, ne se fût brusquement embarrassé dans la mauvaise,puis étalé par terre. Clair comme il faisait, les autres le virentétendre les mains, piquer de la tête, puis plonger. À la mêmeseconde, il y eut un coup de feu. En tombant, Kiki venait de fairepartir son revolver.

Il aurait pu se blesser. Heureusement, il nese plaignait pas de mal. Quand Jules et François le rejoignirent ilse ramassait, déjà, et disait :

– C’est mon bibelot qu’a pété.

On trouva un peu de boue sur sa maingauche.

Kiki, d’aplomb, cet accident eut ceci debon : il leur avait coupé la frousse. D’ailleurs, après cecoup, s’il y avait un danger, il aurait dû se montrer et il ne vintpersonne. Mais, alors, pourquoi Justin avait-il sifflé ?

Kiki s’était mis à l’écart et semblaitréfléchir. Gros Jules lui dit :

– Si on allait voir ce que devientJustin ?

– Allez vous deux, dit Kiki, je crois queje me suis fait mal à la jambe.

Ils n’eurent pas besoin d’aller loin. En pleindans la lune, Justin accourait :

– Eh bien ? cria-t-il.

Ne les voyant pas sortir, il était entré dansla maison, avait traversé le jardin, franchi le mur. Oui, il avaitentendu le revolver ; non il n’avait pas sifflé.

– Je n’ai même pas entendu qu’onsifflât.

Alors quoi ?

Quoi ? Ils ne tardèrent pas à lecomprendre : ils avaient été bêtes, car tout là-bas, en mêmetemps qu’un nouveau coup de sifflet, ils reconnurent cette fois legrondement d’un train qui roule. Mille dieux ! Ce qui lesavait effrayés, ce qui les avait lancés comme des pleutres,c’était, tout bonnement, le sifflet d’une locomotive.

– Bin vrai, dit Gros Jules, ce que leBoiteux va nous en faire une tête.

Ah oui ! il leur en faisait unetête ! Il ne les avait pas attendus. Quand ils arrivèrent, ilse gondolait par terre. Il trépignait des jambes, il jetait lesbras, il se tenait le ventre, tant il avait du plaisir. Ilsdevinèrent d’un seul coup : il savait, lui, qu’il passait unchemin de fer. Il s’était moqué. Son « décampons », sagalopade, son revolver, tout cela, de la frime pour leur flanquerla frousse.

Tout de même, ils auraient pu se fâcher !Gros Jules, qui était susceptible, dit :

– Mon P’tit, ce n’est pas à faire.

Et Joseph commença :

– Tu sais, mon vieux…

Mais Kiki continuait de si bon cour que, toustrois à la fois, ils éclatèrent.

Après, ils pouffèrent encore plus, parce quese tenant toujours le ventre il leur faisait une drôle de grimace,un œil fermé, la bouche ouverte et les fixait ainsi.

Ils ne virent pas tout de suite qu’il étaitmort.

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