Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 11À LA FOIRE

Ceci se passa quelques jours après sonaventure du cimetière.

Le trottoir donnant mal, Zonzon en eut assezet voulut redevenir une honnête femme. Elle alla se présenter dansune loge de foire où l’on demandait quelqu’un.

Il s’agissait d’un homme :

– À cela près, fit Zonzon.

Bon ! On la fourra sous une table, avecun trou ; elle y entra le cou ; il y avait un jeu deglace, un fond tout noir : quand le rideau se leva, les genseurent devant eux, avec ses yeux, ses boucles et sa grande bouche,la tête coupée frais de Zonzon. On connaît le truc.

À la vérité, la première fois, il réussit trèsmal. À cause de la concurrence, le patron l’avaitavertie :

– En face, il y a un DécapitéParlant ; toi, tu ne diras rien : tu seras laDécapitée Muette.

À peine sous sa table, elle sentit dans lapeau toute espèce de raison de bouger. Et puis, il y avait un typequi s’amusait à lui souffler la fumée de sa pipe. Les spectateursne comprirent jamais pourquoi cette décapitée qu’on annonçaitmuette, loucha tout à coup vers le bout de son nez en leur tirantune grosse langue.

Mais, aux séances suivantes, elle avait eu letemps de s’étudier : Comment se contenir ; où se rendrepâle avec du noir et de la poudre, comment prendre l’air mort, leslèvres ouvertes, un œil tout grand, l’autre fermé.

Et cela marcha. Des femmes filaient tout desuite ; les autres se taisaient comme devant un mort. Ellepensait :

– Sont-ils bêtes.

Mais, quelquefois, ces yeux fixes, ce silence,elle s’effrayait elle-même et devait s’assurer, sous la table,qu’elle était, quand même, autre chose qu’une tête sans corps.

À la longue, cela vous rend impressionnable.Elle eut une aventure, ou plutôt deux, mais la première ne compteguère.

La première lui survint à cause de la Canette,une vilaine rousse qui faisait la femme-poisson et intriguait pourlui chiper sa place.

Un jour, le patron à son boniment, Zonzon à satoilette, quelqu’un se faufila jusqu’à la table et, autour du trou,sema du poivre. Acré ! Zonzon crut bien que son nez allaitpartir comme une bombe. Mais on est artiste ou on ne l’est pas.Elle se contint jusqu’à la fin, puis elle sauta chez laCanette :

– Ah ! tu m’as fourré dupoivre !

– Non ! que j’tai pas fourré dupoivre !

– Si qu’tu m’as fourré dupoivre !

Et, vlan ! avec ses pieds, avec sespoings, elle l’envoya éternuer au fond de sa baignoire.

Sale rouquine ! Ce n’était même paselle.

Alors, pour l’aventure suivante, elle auraitdû se tenir sur ses gardes. Mais, quand ça commence, on ne saitjamais.

Ce ne fut rien d’abord. Le rideau levé, satête en place, Zonzon jeta un coup d’œil comme toujours. Elle leremarqua très vite : au second rang, un petit garçon étaitdistrait. Il ne regardait pas la tête ; il regardait, à côté,la toile qui formait le fond alentour ; il devait y avoiraperçu quelque chose. Quoi ? Après tout, c’était son affaire.Mais :

– Si tu ne te dépêches pas, t’en auraspas pour ton argent, pensa simplement Zonzon.

Une seconde après, elle y revint. Petitnigaud ! croyait-il vraiment que c’était le fond et pas latête, le spectacle. Il le regardait toujours et, ce qu’il y avaitde drôle, il ouvrait, pour le voir, des yeux tout grands, comme lesautres pour regarder la tête.

– Si que j’osais, je tousserais.

Puis, de nouveau, elle pensa ailleurs.

Mais voilà qu’à la troisième fois, le petitouvrait encore plus grands les yeux et regardait toujours le fond.Acré ! s’il s’obstinait ainsi, c’est qu’il voyait là quelquechose d’effrayant. Et ce quelque chose se trouvait bien près de sapropre tête, là, à sa gauche, au point de le sentir contre sonoreille. Quand on respire du poivre, on sait, on se domine :mais ici, cette chose si près et qu’elle ne pouvait voir !

Elle essaya pourtant de seraisonner :

– Gn’a rien. Si qu’il y avait quelquechose, les autres aussi le verraient.

Et voilà qu’en ce moment un spectateur sepencha vers sa voisine et, que pouvaient-ils dire, sinon :

– Voyez donc ! Qu’y a-t-il là,derrière la tête ?

Près de la porte, un vieux aussi regardaitderrière la tête, une femme aussi, d’autres : Acré !toute la loge l’avait oubliée pour regarder ce qu’il y avaitderrière la tête. Elle resta une minute à attendre si la choseallait frapper ou bien mordre ; elle pensa ce que l’on voit,lorsqu’on rentre le soir au long d’un cimetière ; et ce futplus fort que tout ; sa tête tourna d’elle-même, et :

– Aaah !

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