Zonzon Pépette- Fille de Londres

Chapitre 4LA SOUPE AU CAMPHRE

Certes, malgré sa déception, Françoisl’Allumette désirait toujours la Zonzon, mais si on lui avaitprédit les complications qu’il faudrait, il auraitrépondu :

– Pas de ça, Lisette ! Je préfèrepatienter.

Il retint le jour. Le 3 mai, au matin, il setrouva au nombre des copains qui allèrent en compagnie de la môme,attendre Joseph son homme à la sortie de prison. C’était pour onzeheures : et, en effet, à onze heures, plus les minutes qu’ilfallut, la porte s’ouvrit et Joseph sortit avec son baluchon. Ceuxqui se trouvaient là, remarquèrent aussitôt qu’il avait quelquechose de changé. Il ne marchait pas droit ; il portait sacasquette dans les yeux ; et, avec cela, la mâchoire en avant,il avait l’air furieux. Plus tard on se souvint que, lui, sijaloux, qui tenait tant à sa môme, il ne l’avait même pasembrassée.

Il s’en expliqua, d’ailleurs. Ildit :

– Les salauds ! Y m’ont fait boufferdu camphre !

Un peu après, dans la taverne où ilss’installèrent, il s’en expliqua plus longuement. Ilcommença :

– Je savais t’y, moi, qu’on m’feraitbouffer du camphre ?

Ensuite il raconta : Les premiers jours,il avait bien remarqué un drôle de goût, à sa soupe. Il avaitpensé :

– Bah ! c’est le régime. Unesemaine, ça file.

Mais un matin, le troisième, lui si chaudquand il pensait à sa môme, il eut beau y penser, il ne sentit plusrien. Et alors, en avalant sa soupe, il s’était rappelé que, pourles refroidir, on foutait, aux prisonniers, du camphre dans lasoupe. Mille dieux ! Pendant cinq jours, tout seul, sans unmot à personne, il avait retourné cette idée : qu’on luifoutait du camphre dans la soupe. Il en était venu à se dire qu’auxprêtres, aux béguines, on foutait aussi du camphre dans la soupe.Et l’idée de manger comme cette racaille l’avait dégoûté si fortqu’il s’était mis à jeûner plutôt que de bouffer leur camphre avecleur soupe. Tonnerre ! Il en avait encore plein la gueule.

On le laissa jurer. Quand il eut fini, lesautres, pour le remonter, lui dirent :

– Allons ! Allons !

Et François qui l’aimait, ajouta :

– Mon vieux, je m’y connais : c’estdes idées de prisonnier. Maintenant tu es libre. Un bon gin, parlà-dessus…

Tout de même, il finit par comprendre qu’ilétait bête avec son camphre. Il ne se contenta pas d’un gin. Il enprit deux. Il en prit trois. Pour aller plus vite, il vida celui desa môme.

Elle fut si contente qu’elle ne se retint pasde dire :

– Tu sais, P’tit homme, moi je t’feraioublier ton camphre !

Elle eut certainement tort. À peine eut-ellelâché ce mot, que Joseph, lançant le poing, recommença :

– Ah ! les salauds ! Ils m’ontfait bouffer du camphre !

À la rue, quand ils sortirent, tout alla denouveau bien. Il avait pris le bras à Zonzon. Comme s’il la voyaitpour la première fois, il demanda :

– Eh ! dites donc ! Commentqu’ça va, ma môme ?

Il fit ensuite :

– C’est t’y qu’t’as de la galette pourune autre tournée ?

Bien sûr qu’elle en avait de la galette !Ils entrèrent dans une seconde taverne. Il était gai. Sa casquetteavait retrouvé sa place en arrière. Il commanda le gin. Quand onapporta les verres, il plaisanta :

– J’espère qu’on ne m’a pas mis decamphre, dans cette soupe ?

Et cette fois, sans l’irriter, sa môme putrépondre :

– Et puis ! on l’emmerdera toncamphre…

Il comprit ce qu’elle voulait dire etrépondit :

– Et vite, encore !

On sortit tous ensemble pour les mener chezeux.

Au coin de la rue, il eut été préférable de nepas rencontrer cet agent. Joseph l’aperçut. Il marchait en avant.Se tournant vers les camarades, il cria :

– C’est pour un de ces salauds, qu’ilsm’ont fait bouffer du camphre !

Heureusement la phrase était longue. L’agentne comprit pas. De la main, il fit signe :

– Votre chemin est par là.

Après cet agent, ce fut une malchance d’enrencontrer un deuxième. Il avait l’air mauvais, celui-là ! Quese passe-t-il dans le cerveau de Joseph ! Il était toujours entête et roucoulait avec sa môme. Il la lâcha, marcha droit surl’autre, tomba sur lui, le coucha par terre et, par-dessus la tête,comme pour une noix, leva le talon. Cela ne fit presque pas debruit. L’agent saignait. Un deuxième coup le fit saignerdavantage ; au troisième, on vit sortir de la tête quelquechose de rouge et de blanc comme un œil.

Enragé de Joseph ! Zonzon le tirait parla veste, les autres le tiraient par le bras, il se mit à genouxpour cogner plus à l’aise. Voyant tout le sang, Zonzon, à son tour,commença de cogner. Ce n’était pas une chose à faire, surtout danscette rue où il passait du monde. François cria :

– Acré, Joseph, file, lesagents ! !

Cette fois, Joseph comprit. Il ressauta surses pieds et partit au galop. Mais les autres eurent beau se jeteren travers, puis jouer du coude, puis jouer du poing, il avait dusang plein la culotte, on l’attrapa. Il fallut cinq agents. Au boutde la rue, on l’entendait qui gueulait encore :

– Salauds… bouffer du camphre !

Pauvre Zonzon ! Elle, qui avait comptésur Joseph, sans François l’Allumette, elle aurait dû rentrerseule. Elle avait les mains rouges. Elle était triste. Juste cematin, le reste étant fini, elle avait changé de linge, enl’honneur de son homme. Elle le dit à François, et François compritcela. Elle se mit à pleurer, et François comprit qu’elle pleurât.Il dit :

– Faut pas pleurer, Zonzon.

Il dit encore :

– Si je vois que tu pleures, jepleurerai, Zonzon !

… Et voilà pourquoi, malgré son désir,François l’Allumette ne devint pas son petit homme ce jour-là.

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