En route vers le Pôle – Au pays des boeufs musqués – Voyages, explorations, aventures – Volume 12
À la fin du XIXe siècle, et au début du XXe, à une époque où le roman-photo, la bande dessinée ou surtout, la télévision,n’existaient pas encore, étaient publiés un très grand nombre de livres d’aventure, écrits parfois très rapidement, dans une langue un peu « basique », et vendus pour la modique somme de15, 20 ou 25 centimes.
Un auteur représentatif de cette littérature populaire est Louis Noir. En cette année 1899, où sont publiés chez Fayard Frères les 27 volumes de la collection Voyages, explorations, aventures – au rythme d’un livre par semaine !… –, plus de 150 livres de cet auteur sont déjà parus…
Même si ce n’est pas de la grande littérature, même si le style est souvent sommaire, soumis aux exigences de l’écriture au kilomètre et de la parution hebdomadaire, il nous a paru intéressant de tirer quelques volumes de l’oubli définitif. Nous vous proposons donc 6 épisodes des Voyages, explorations, aventures qui relatent les aventures du capitaine d’Ussonville et de ses amis qui, devenus riches, décident de construire une chaîne d’hôtels au Pôle nord.
Lutte contre les éléments, batailles avec les indiens et aventures diverses alternent avec des descriptions à volonté « éducative » : vous apprendrez ainsi tout sur la chasse à courre ou la chasse au morse…
Coolmicro
Je dédie ce livre à mon ami Charles Altaine.
Son tout dévoué,
Louis Noir
Partie 1
LES MOTELS DU POLE NORD
Chapitre 1 CHAPITRE I La grotte aux cristaux
Senoncourt !
Le plus joli bourg de la très grande banlieuede Paris.
Trois hameaux !
L’un au bord de la Seine ; les deuxautres sur un des plus beaux plateaux du Gâtinais.
Deux châteaux !
Villas nombreuses !
Maisonnettes parisiennes, les unes trèsréussies comme celle du père Touard, d’autres abominablementconstruites par des prétentieux voulant trancher del’architecte ; peu nombreux ceux-là.
On se montre du doigt en riant leurs« turnes ratées. »
Mais l’ensemble est charmant.
À cinq cents mètres la forêt, dans un arc decercle immense, encadre les trois hameaux. La Seine forme la cordede I’arc et baigne la base d’une colline en dos de chameau quecouronne les villages de Claire-Fontaine, de Tivry et deCharbettes.
Au loin, Melun.
À mi-chemin, le fameux pavillon de Roquebrune,le plus beau de France et de Navarre.
Et tout près, Fontainebleau, son palais et sonparc.
Mais parc plus immense, plus splendide, laforêt où l’on peut marcher pendant sept heures, en ligne droite,sous les arbres !
Un monde cette forêt avec ses gardes del’État, ses gardes de chasses particulières, ses gardes-biches, quicourent toute la nuit pour empêcher les grands animaux d’aller sefaire tuer sur les terres de Senoncourt par les affûteurs, ce quin’empêche pas ceux-ci d’en abattre un ou deux par semaine.
Seize sous la livre, la viande de cerf ou debiche.
On s’en paie !
C’est qu’elle est riche en bêtes fauves ounoires, cette forêt de Fontainebleau où l’on compte plus de huitcents cerfs ou biches, ou hères ou faons, ou daguets.
Chevreuils, faisans, lapins, lièvres y font lajoie des bons chasseurs et le désespoir des mauvais tireurs quiviennent faire de l’épate avec leurs costumes de Nemrod,posent dans le train, posent au restaurant, posent dans le pays,posent sous bois, mais ne tuent jamais rien… si, pourtant,quelquefois… un écureuil.
Très peuplée, cette forêt que l’on croiraitdéserte.
Des bûcherons partout pendant l’hiver. Aucours d’une promenade, prêtez l’oreille. Un bruit semblable à uncoup de canon. C’est un arbre qui s’abat.
Et autour de vous, les haches infatigablestroublent le silence des futaies.
Et ces retentissements métalliques, ces coupsde mine ?
Ce sont les carriers taillant les grès etfaisant sauter les rocs.
Point d’eau dans la forêt deFontainebleau ! nous dira-t-on.
Erreur !
Sous les blocs de grès, beaucoup de petitesfontaines, filtrant l’eau des mares goutte à goutte.
Connues des seuls forestiers qui ne lesmontrent jamais aux profanes.
Pourquoi ?
Parce que, parmi les promeneurs, il y a desfarceurs imbéciles qui prennent plaisir à souiller cesfontaines.
Il faut vider la vasque taillée dans le blocpar les carriers, la laver et attendre pendant deux jours et plusqu’elle soit remplie.
Comme c’est intelligent, de la part de ceuxqui font ces blagues-la.
Aussi, vous Parisien, promené par le pèreGarnier, guide officiel de la forêt, qui tient la buvette de laGrotte-aux-Cristaux, près la Belle-Croix, saisi par la soif, aucours d’une promenade dans les merveilleux sites duCuvier-Chatillon, serez-vous tout étonné de vous entendre dire parce guide expérimenté :
– Puisque vous avez soif, asseyez-vous làet attendez.
Sur ce, il dévale et disparaît pour reveniravec quelque vieux gobelet rouillé ou quelque pot ébréché pleind’eau bien limpide, bien fraîche.
Il reporte le récipient où il l’a pris.
Et vous, à son retour :
– Il y a donc de l’eau près d’ici, pèreGarnier ?
– Oui, monsieur.
– Où ça ?
Et le père Garnier, au lieu de répondre,détourne la conversation.
– Je crois avoir vu une vipère s’enfuirdans la bruyère.
Une vipère.
Ça vous intéresse.
Il fait semblant de chercher, ne trouve pas etl’on s’éloigne.
– À propos, père Garnier, et cettefontaine ? J’aurais bien voulu la voir.
Lui, tranquillement :
– Monsieur, une fontaine, c’est précieuxpour les gardes, les carriers et les bûcherons. Eh bien ! il ya eu des Parisiens qui se sont amusés à les remplird’excréments.
» Aussi ne les montrons-nous jamais.
– Comment, père Garnier, vous mesupposeriez capable…
– Pas vous.
» Mais vous pourriez la montrer à desamis et connaissances.
Vous êtes peu flatté et très étonné de cesréflexions.
Mais je vous ai parlé de laGrotte-aux-Cristaux, il faut que je vous dise ce que c’est.
Des grès cristallisés mis sous grille et sousclef.
Il n’y a que deux grottes aux cristaux de grèsen Europe.
Celle de la forêt de Fontainebleau et uneautre dans le Wurtemberg.
À voir ces cristaux on ne se douterait pasqu’ils sont si rares, par conséquent si précieux. Les savantsviennent de loin pour les voir. De là, ils se font conduire par lepère Garnier à la grande caverne des Sorcières.