Cinq-Mars (Une conjuration sous Louis XIII)

Chapitre 2LA RUE

Jem’avançais d’un pas pénible et mal assuré
vers le but de ce convoi tragique.

CH.NODIER, Smarra.

Ce règne dont nous vous voulons peindrequelques années, règne de faiblesse qui fut comme une éclipse de lacouronne entre les splendeurs de Henry IV et de Louis leGrand, afflige les yeux qui le contemplent par quelques souilluressanglantes. Elles ne furent pas toute l’œuvre d’un homme, de grandscorps y prirent part. Il est triste de voir que, dans ce siècleencore désordonné, le clergé, pareil à une grande nation, eut sapopulace, comme il eut sa noblesse ; ses ignorants et sescriminels, comme ses savants et vertueux prélats. Depuis ce temps,ce qui lui restait de barbarie fut poli par le long règne deLouis XIV, et ce qu’il eut de corruption fut lavé dans le sangdes martyrs qu’il offrit à la Révolution de 1793. Ainsi, par unedestinée toute particulière, perfectionné par la monarchie et larépublique, adouci par l’une, châtié par l’autre, il nous estarrivé ce qu’il est aujourd’hui, austère et rarement vicieux.

Nous avons éprouvé le besoin de nous arrêterun moment à cette pensée avant d’entrer dans le récit des faits quenous offre l’histoire de ces temps, et, malgré cette consolanteobservation, nous n’avons pu nous empêcher d’écarter les détailstrop odieux en gémissant encore sur ce qui reste de coupablesactions, comme en racontant la vie d’un vieillard vertueux onpleure sur les emportements de sa jeunesse passionnée ou lespenchants corrompus de son âge mur.

Lorsque la cavalcade entra dans les ruesétroites de Loudun, un bruit étrange s’y faisait entendre, ellesétaient remplies d’une foule immense ; les cloches de l’égliseet du couvent sonnaient de manière à faire croire à un incendie, ettout le monde, sans nulle attention aux voyageurs, se pressait versun grand bâtiment attenant à l’église. Il était facile dedistinguer sur les physionomies des traces d’impressions fortdifférentes et souvent opposées entre elles. Des groupes et desattroupements nombreux se formaient, le bruit des conversations ycessait tout à coup, et l’on n’y entendait plus qu’une voix quisemblait exhorter ou lire, puis des cris furieux mêlés de quelquesexclamations pieuses s’élevaient de tous côtés ; le groupe sedissipait, et l’on voyait que l’orateur était un capucin ou unrécollet, qui, tenant à la main un crucifix de bois, montrait à lafoule le grand bâtiment vers lequel elle se dirigeait. –Jésus Maria ! s’écriait une vieille femme,qui aurait jamais cru que le malin esprit eût choisi notre bonneville pour demeure ?

– Et que les bonnes Ursulines eussent étépossédées ? disait l’autre.

– On dit que le démon qui agite lasupérieure se nomme Légion, disait une troisième.

– Que dites-vous, ma chère ?interrompit une religieuse ; il y en a sept dans son pauvrecorps, auquel sans doute elle avait attaché trop de soin à cause desa grande beauté ; à présent, il est réceptacle del’enfer ; M. le prieur des Carmes, dans l’exorcismed’hier, a fait sortir de sa bouche le démon Eazas, et lerévérend père Lactance a chassé aussi le démon Beherit.Mais les cinq autres n’ont pas voulu partir, et, quand les saintsexorcistes, que Dieu soutienne ! les ont sommés, en latin, dese retirer, ils ont dit qu’ils ne le feraient pas qu’ils n’eussentprouvé leur puissance, dont les huguenots et les hérétiques ontl’air de douter ; et le démon Elimi, qui est le plusméchant, comme vous savez, a prétendu qu’aujourd’hui il enlèveraitla calotte de M. de Laubardemont, et la tiendraitsuspendue en l’air pendant un Miserere.

– Ah ! sainte Vierge !reprenait la première, je tremble déjà de tout mon corps. Et quandje pense que j’ai été plusieurs fois demander des messes à cemagicien d’Urbain !

– Et moi, dit une jeune fille en sesignant, moi qui me suis confessée à lui il y a dix mois, j’auraisété sûrement possédée sans la relique de sainte Geneviève quej’avais heureusement sous ma robe, et…

– Et, sans reproche, Martine, interrompitune grosse marchande, vous étiez restée assez longtemps, pour cela,seule avec le beau sorcier.

– Eh bien, la belle, il y a maintenant unmois que vous seriez dépossédée, dit un jeune soldat qui vint semêler au groupe en fumant sa pipe.

La jeune fille rougit, et ramena sur sa joliefigure le capuchon de sa pelisse noire. Les vieilles femmesjetèrent un regard de mépris sur le soldat, et, comme elles setrouvaient alors près de la porte d’entrée encore fermée, ellesreprirent leurs conversations avec plus de chaleur que jamais,voyant qu’elles étaient sûres d’entrer les premières, et,s’asseyant sur les bornes et les bancs de pierre, elles sepréparèrent par leurs récits au bonheur qu’elles allaient goûterd’être spectatrices de quelque chose d’étrange, d’une apparition,ou au moins d’un supplice.

– Est-il vrai, ma tante, dit la jeuneMartine à la plus vieille, que vous ayez entendu parler lesdémons ?

– Vrai comme je vous vois, et tous lesassistants en peuvent dire autant, ma nièce ; c’est pour quevotre âme soit édifiée que je vous ai fait venir avec moiaujourd’hui, ajouta-t-elle, et vous connaîtrez véritablement lapuissance de l’esprit malin.

– Quelle voix a-t-il, ma chèretante ? continua la jeune fille, charmée de réveiller uneconversation qui détournait d’elle les idées de ceux quil’entouraient.

– Il n’a pas d’autre voix que la voixmême de la supérieure, à qui Notre-Dame fasse grâce. Cette pauvrejeune femme, je l’ai entendue hier bien longtemps : celafaisait peine de la voir se déchirer le sein et tourner ses piedset ses bras en dehors et les réunir tout à coup derrière son dos.Quand le saint père Lactance est arrivé et a prononcé le nomd’Urbain Grandier, l’écume est sortie de sa bouche, et elle a parlélatin comme si elle lisait la Bible. Aussi je n’ai pas biencompris, et je n’ai retenu que Urbanus magicusrosas diabolica ; ce qui voulait dire que lemagicien Urbain l’avait ensorcelée avec des roses que le diable luiavait données, et il est sorti de ses oreilles et de son cou desroses couleur de flamme, qui sentaient le soufre au point queM. le lieutenant criminel a crié que chacun ferait bien defermer ses narines et ses yeux, parce que les démons allaientsortir.

– Voyez-vous cela ! crièrent d’unevoix glapissante et d’un air de triomphe toutes les femmesassemblées en se tournant du côté de la foule, et particulièrementvers un groupe d’hommes habillés en noir, parmi lesquels setrouvait le jeune soldat qui les avait apostrophées en passant.

– Voilà encore ces vieilles folles qui secroient au sabbat, dit-il, et qui font plus de bruit quelorsqu’elles y arrivent à cheval sur un manche à balai. Jeunehomme, jeune homme, dit un bourgeois d’un air triste, ne faites pasde ces plaisanteries en plein air : le vent deviendrait deflamme pour vous, par le temps qu’il fait.

– Ma foi, je me moque bien de tous cesexorcistes, moi ! reprit le soldat ; je m’appelleGrand-Ferré, et il n’y en a pas beaucoup qui aient un goupilloncomme le mien.

Et, prenant la poignée de son sabre d’unemain, il retroussa de l’autre sa moustache blonde et regarda autourde lui en fronçant le sourcil ; mais comme il n’aperçut dansla foule aucun regard qui cherchât à braver le sien, il partitlentement en avançant le pied gauche le premier, et se promena dansles rues étroites et noires avec cette insouciance parfaite d’unmilitaire qui débute, et un mépris profond pour tout ce qui neporte pas son habit.

Cependant huit ou dix habitants raisonnablesde cette petite ville se promenaient ensemble et en silence àtravers la foule agitée ; ils semblaient consternés de cetteétonnante et soudaine rumeur, et s’interrogeaient du regard àchaque nouveau spectacle de folie qui frappait leurs yeux. Cemécontentement muet attristait les hommes du peuple et les nombreuxpaysans venus de leurs campagnes, qui tous cherchaient leur opiniondans les regards des propriétaires, leurs patrons pour laplupart ; ils voyaient que quelque chose de fâcheux sepréparait, et avaient recours au seul remède que puisse prendre lesujet ignorant et trompé : la résignation et l’immobilité.

Néanmoins le paysan de France a dans lecaractère certaine naïveté moqueuse dont il se sert avec ses égauxsouvent, et toujours avec ses supérieurs. Il fait des questionsembarrassantes pour le pouvoir, comme le sont celles de l’enfancepour l’âge mûr ; il se rapetisse à l’infini pour que celuiqu’il interroge se trouve embarrassé dans sa propreélévation ; il redouble de gaucherie dans les manières et degrossièreté dans les expressions, pour mieux voir le but secret desa pensée ; tout prend, malgré lui cependant, quelque chosed’insidieux et d’effrayant qui le trahit ; et son souriresardonique, et la pesanteur affectée avec laquelle il s’appuie surson long bâton, indiquent trop à quelles espérances il se livre, etquel est le soutien sur lequel il compte.

L’un des plus âgés s’avança suivi de dix oudouze jeunes paysans, ses fils et neveux ; ils portaient tousle grand chapeau et cette blouse bleue, ancien habit des Gauloisque le peuple de France met encore sur tous ses autres vêtements,et qui convient si bien à son climat pluvieux et à ses laborieuxusages. Quand il fut à portée des personnages dont nous avonsparlé, il ôta son chapeau, et toute sa famille en fit autant :on vit alors sa figure brune et son front nu et ridé, couronné decheveux blancs fort longs ; ses épaules étaient voûtées parl’âge et le travail. Il fut accueilli avec un air de satisfactionet presque de respect par un homme très-grave du groupe noir, qui,sans se découvrir, lui tendit la main.

– Eh bien, mon père Guillaume Leroux, luidit-il, vous aussi, vous quittez votre ferme de la Chênaie pour laville quand ce n’est pas jour de marché ? C’est comme si vosbons bœufs se dételaient pour aller à la chasse aux étourneaux, etabandonnaient le labourage pour voir forcer un pauvre lièvre.

– Ma fine, monsieur le comte du Lude,reprit le fermier, quelquefois le lièvre se vient jeter devanticeux ; il m’est advis qu’on veut nous jouer, et je v’nonsvoir un peu comment.

– Brisons là, mon ami, reprit lecomte ; voici M. Fournies l’avocat, qui ne vous tromperapas, car il s’est démis de sa charge de procureur du roi hier ausoir, et dorénavant son éloquence ne servira plus qu’à sa noblepensée : vous l’entendrez peut-être aujourd’hui ; mais jele crains autant pour lui que je le souhaite pour l’accusé.

– N’importe, monsieur, la vérité est unepassion pour moi, dit Fournier.

C’était un jeune homme d’une extrême pâleur,mais dont le visage était plein de noblesse et d’expression ;ses cheveux blonds, ses yeux bleus, mobiles et très-clairs, samaigreur et sa taille mince lui donnaient d’abord l’air d’être plusjeune qu’il n’était ; mais son visage pensif et passionnéannonçait beaucoup de supériorité, et cette maturité précoce del’âme que donnent l’étude et l’énergie naturelle. Il portait unhabit et un manteau noirs assez courts, à la mode du temps, et,sous son bras gauche, un rouleau de papiers, qu’en parlant ilprenait et serrait convulsivement de la main droite, comme unguerrier en colère saisit le pommeau de son épée. On eût dit qu’ilvoulait le dérouler et en faire sortir la foudre sur ceux qu’ilpoursuivait de ses regards indignés. C’étaient trois capucins et unrécollet qui passaient dans la foule.

– Père Guillaume, poursuivit M. duLude, pourquoi n’avez-vous amené que vos enfants mâles avec vous,et pourquoi ces bâtons ?

– Ma fine, monsieur, c’est que jen’aimerions pas que nos filles apprinssent à danser comme lesreligieuses ; et puis, pa’ l’ temps qui court, les garçonssavont mieux se remuer que les femmes.

– Ne nous remuons pas, mon vieuxami, croyez-moi, dit le comte, rangez-vous tous plutôt pour voir laprocession qui vient à nous, et souvenez-vous que vous avezsoixante et dix ans.

– Ah ! ah ! dit le vieux père,tout en faisant ranger ses douze enfants comme des soldats, j’avonsfait la guerre avec le feu roi Henry, et j’savons jouer du pistolettout aussi bien que les ligneux faisiont. Et il branla latête et s’assit sur une borne, son bâton noueux entre les jambes,ses mains croisées dessus et son menton à barbe blanche par-dessusses mains. Là, il ferma à demi les yeux comme s’il se livrait toutentier à ses souvenirs d’enfance.

On voyait avec étonnement son habit rayé commedu temps du roi béarnais, et sa ressemblance avec ce prince dansles derniers temps de sa vie, quoique ses cheveux eussent étéprivés par le poignard de cette blancheur que ceux du paysanavaient paisiblement acquise. Mais un grand bruit de cloches attiral’attention vers l’extrémité de la grande rue de Loudun.

On voyait venir de loin une longue processiondont la bannière et les piques s’élevaient au-dessus de la foulequi s’ouvrit en silence pour examiner cet appareil à moitiéridicule et à moitié sinistre.

Des archers à barbe pointue, portant de largeschapeaux à plumes, marchaient d’abord sur deux rangs avec delongues hallebardes, puis, se partageant en deux files de chaquecôté de la rue, renfermaient dans cette double ligne deux lignespareilles de pénitents gris ; du moins donnerons-nous ce nom,connu dans quelques provinces du midi de la France, à des hommesrevêtus d’une longue robe de cette couleur, qui leur couvreentièrement la tête en forme de capuchon, et dont le masque de lamême étoffe se termine en pointe sous le menton comme une longuebarbe, et n’a que trois trous pour les yeux et le nez. On voitencore de nos jours quelques enterrements suivis et honorés par descostumes semblables, surtout dans les Pyrénées. Les pénitents deLoudun avaient des cierges énormes à la main, et leur marche lente,et leurs yeux qui semblaient flamboyants sous le masque, leurdonnaient un air de fantômes qui attristait involontairement.

Les murmures en sens divers commencèrent dansle peuple.

– Il y a bien des coquins cachés sous cemasque, dit un bourgeois.

– Et dont la figure est plus laide encoreque lui, reprit un jeune homme.

– Ils me font peur ! s’écriait unejeune femme.

– Je ne crains que pour ma bourse,répondit un passant.

– Ah ! Jésus ! voilà donc nossaints frères de la Pénitence, disait une vieille en écartant samante noire. Voyez-vous quelle bannière ils portent ? quelbonheur qu’elle soit avec nous ! certainement elle noussauvera : voyez-vous dessus le diable dans les flammes, et unmoine qui lui attache une chaîne au cou ? Voici actuellementles juges qui viennent : ah ! les honnêtes gens !voyez leurs robes rouges, comme elles sont belles ! Ah !sainte Vierge ! qu’on les a bien choisis !

– Ce sont les ennemis personnels du curé,dit tout bas le comte du Lude à l’avocat Fournier, qui prit unenote.

– Les reconnaissez-vous bien tous ?continua la vieille en distribuant des coups de poing à sesvoisines, et en pinçant le bras à ses voisins jusqu’au sang pourexciter leur attention : voici ce bon M. Mignon qui parletout bas à messieurs les conseillers au présidial dePoitiers ; que Dieu répande sa sainte bénédiction sureux !

– C’est Roatin, Richard et Chevalier, quivoulaient le faire destituer il y a un an, continuait à demi-voixM. du Lude au jeune avocat, qui écrivait toujours sous sonmanteau, entouré et caché par le groupe noir des bourgeois.

– Ah ! voyez, voyez, rangez-vousdonc ! voici M. Barré, le curé de Saint-Jacques deChinon, dit la vieille.

– C’est un saint, dit un autre.

– C’est un hypocrite, dit une voixd’homme.

– Voyez comme le jeûne l’a rendumaigre !

– Comme les remords le rendentpâle !

– C’est lui qui fait fuir lesdiables.

– C’est lui qui les souffle.

Ce dialogue fut interrompu par un crigénéral : – Qu’elle est belle !

La supérieure des Ursulines s’avançait suiviede toutes ses religieuses ; son voile blanc était relevé. Pourque le peuple pût voir les traits des possédées, on voulut que celafût ainsi pour elle et six autres sœurs. Rien ne la distinguaitdans son costume qu’un immense rosaire à grains noirs tombant deson cou à ses pieds, et se terminant par une croix d’or ; maisla blancheur éclatante de son visage, que relevait encore lacouleur brune de son capuchon, attirait d’abord tous lesregards ; ses yeux noirs semblaient porter l’empreinte d’uneprofonde et brûlante passion ; ils étaient couverts par lesarcs parfaits de deux sourcils que la nature avait dessinés avecautant de soin que les Circassiennes en mettent à les arrondir avecle pinceau ; mais un léger pli entre eux deux révélait uneagitation forte et habituelle dans les pensées. Cependant elleaffectait un grand calme dans tous ses mouvements et dans tout sonêtre ; ses pas étaient lents et cadencés ; ses deuxbelles mains étaient réunies, aussi blanches et aussi immobiles quecelles des statues de marbre qui prient éternellement sur lestombeaux.

– Oh ! remarquez-vous, ma tante, ditla jeune Martine, sœur Agnès et sœur Claire qui pleurent auprèsd’elle ?

– Ma nièce, elles se désolent d’être laproie du démon.

– Ou se repentent, dit la même voixd’homme, d’avoir joué le ciel.

Cependant un silence profond s’établitpartout, et nul mouvement n’agita le peuple ; il sembla glacétout à coup par quelque enchantement, lorsque à la suite desreligieuses parut, au milieu des quatre pénitents qui le tenaientenchaîné, le curé de l’église de Sainte-Croix, revêtu de la robe dupasteur ; la noblesse de son visage était remarquable et rienn’égalait la douceur de ses traits ; sans affecter un calmeinsultant, il regardait avec bonté et semblait chercher à droite età gauche s’il ne rencontrerait pas le regard attendri d’unami ; il le rencontra, il le reconnut, et ce dernier bonheurd’un homme qui voit approcher son heure dernière ne lui fut pasrefusé : il entendit même quelques sanglots ; il vit desbras s’étendre vers lui, et quelques-uns n’étaient pas sansarmes ; mais il ne répondit à aucun signe ; il baissa lesyeux, ne voulant pas perdre ceux qui l’aimaient, et leurcommuniquer par un coup d’œil la contagion de l’infortune. C’étaitUrbain Grandier.

Tout à coup la procession s’arrêta à un signedu dernier homme qui la suivait et qui semblait commander à tous.Il était grand, sec, pâle, revêtu d’une longue robe noire, la têtecouverte d’une calotte de même couleur ; il avait la figured’un Basile, avec le regard de Néron. Il fit signe aux gardes del’entourer, voyant avec effroi le groupe noir dont nous avonsparlé, et que les paysans se serraient de près pourl’écouter ; les chanoines et les capucins se placèrent près delui, et il prononça d’une voix glapissante ce singulierarrêt :

« Nous, sieur de Laubardemont, maître desrequêtes étant envoyé et subdélégué, revêtu du pouvoirdiscrétionnaire relativement au procès du magicien UrbainGrandier, pour le juger sur tous les chefs d’accusation,assisté des révérends pères Mignon, chanoine ;Barré, curé de Saint-Jacques de Chinon ; du pèreLactance et de tous les juges appelés à juger iceluimagicien ; avons préalablement décrété ce qui suit :Primo, la prétendue assemblée de propriétaires nobles,bourgeois de la ville et des terres environnantes est cassée, commetendant à une sédition populaire ; ses actes seront déclarésnuls, et se prétendue lettre au roi contre nous, juges, interceptéeet brûlée en place publique, comme calomniant les bonnes Ursulineset les révérends pères et juges. Secundo, il sera défendude dire publiquement ou en particulier que les susdites religieusesne sont point possédées du malin esprit, et de douter du pouvoirdes exorcistes, à peine de vingt mille livres d’amende et punitioncorporelle.

« Les baillis et échevins s’yconformeront. Ce 18 juin de l’an de grâce 1639. »

À peine eut-il fini cette lecture, qu’un bruitdiscordant de trompettes partit avant la dernière syllabe de sesparoles, et couvrit, quoique imparfaitement, les murmures qui lepoursuivaient ; il pressa la marche de la procession, quientra précipitamment dans le grand bâtiment qui tenait à l’église,ancien couvent dont les étages étaient tous tombés en ruine, et quine formait plus qu’une, seule et immense salle propre à l’usagequ’on en voulait faire, Laubardemont ne se crut en sûreté quelorsqu’il y fut entré, et qu’il entendit les lourdes et doublesportes se refermer en criant sur la foule qui hurlait encore.

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