Cinq-Mars (Une conjuration sous Louis XIII)

Chapitre 21LE CONFESSIONNAL

C’est pour vous, beauté fatale, que
je viens dans ce lieu terrible !

LEWIS, Le Moine.

C’était le lendemain de l’assemblée qui avaiteu lieu chez Marion de Lorme. Une neige épaisse couvrait les toitsde Paris, et fondait dans ses rues et dans ses larges ruisseaux, oùelle s’élevait en monceaux grisâtres, sillonnés par les roues dequelques chariots.

Il était huit heures du soir et la nuit étaitsombre ; la ville du tumulte était silencieuse à cause del’épais tapis que l’hiver y avait jeté. Il empêchait d’entendre lebruit des roues sur la pierre, et celui des pas du cheval ou del’homme. Dans une rue étroite qui serpente autour de la vieilleéglise de Saint-Eustache, un homme, enveloppé dans son manteau, sepromenait lentement, et cherchait à distinguer si rien neparaissait au détour de la place ; souvent il s’asseyait surl’une des bornes de l’église, se mettant à l’abri de la fonte desneiges sous ces statues horizontales de saints qui sortent du toitde ce temple, et s’allongent presque de toute la largeur de laruelle, comme des oiseaux de proie qui, prêts à s’abattre, ontreployé leurs ailes. Souvent ce vieillard, ouvrant son manteau,frappait ses bras contre sa poitrine en les croisant et lesétendant rapidement pour se réchauffer, ou bien soufflait dans sesdoigts, que garantissait mal du froid une paire de gants de bufflemontant jusqu’au coude. Enfin, il aperçut une petite ombre qui sedétachait sur la neige et glissait contre la muraille.

– Ah ! santa Maria ! quelsvilains pays que ceux du Nord ! dit une petite voix entremblant. Ah ! le duzè di Mantoue !que ze voudrais y être encore, mon vieux Grandchamp !

– Allons ! allons ! ne parlezpas si haut, répondit brusquement le vieux domestique ; lesmurs de Paris ont des oreilles de cardinal, et surtout les églises.Votre maîtresse est-elle entrée ? mon maître l’attendait à laporte.

– Oui, oui, elle est entrée dansl’église.

– Taisez-vous, dit Grandchamp, le son del’horloge est fêlé, c’est mauvais signe.

– Cette horloge a sonné l’heure d’unrendez-vous.

– Pour moi elle sonne une agonie. Mais,taisez-vous, Laura, voici trois manteaux qui passent.

Ils laissèrent passer trois hommes. Grandchamples suivit, s’assura du chemin qu’ils prenaient, et revints’asseoir ; il soupira profondément.

– La neige est froide, Laura, et je suisvieux. M. le Grand aurait bien pu choisir un autre de ses genspour rester en sentinelle comme je fais pendant qu’il fait l’amour.C’est bon pour vous de porter des poulets et des petits rubans, etdes portraits et autres fariboles pareilles ; pour moi, ondevrait me traiter avec plus de considération, et M. lemaréchal n’aurait pas fait cela. Les vieux domestiques fontrespecter une maison.

– Votre maître est-il arrivé depuislongtemps, caro amico ?

– Et cara ! caro !laissez-moi tranquille. Il y avait une heure que nous gelions quandvous êtes arrivées toutes les deux ; j’aurais eu le temps defumer trois pipes turques, Faites votre affaire, et allez voir auxautres entrées de l’église s’il rôde quelqu’un de suspect ;puisqu’il n’y a que deux vedettes, il faut qu’elles battent lechamp.

– Ah ! SignorJesu ! n’avoir personne à qui dire une parole amicalequand il fait si froid ! Et ma pauvre maîtresse ! venir àpied depuis l’hôtel de Nevers. Ah ! Amorequi regna, amore !

– Allons ! Italienne, faisvolte-face, te dis-je ; que je ne t’entende plus avec talangue de musique.

– Ah ! Jésus ! la grosse voix,cher Grandchamp ! vous étiez bien plus aimable à Chaumont,dans la Turena, quand vous me parliez de mieiocchi noirs.

– Tais-toi, bavarde ! encore unefois, ton italien n’est bon qu’aux baladins et aux danseurs decorde, pour amuser les chiens savants.

– Ah ! Italiamia ! Grandchamp, écoutez-moi, et vous entendrez lelangage de la Divinité. Si vous étiez un galant uomo,comme celui qui a fait ceci pour une Laura comme moi…

Et elle se mit à chanter àdemi-voix :

Lieti fiori e felici, e ben nate erbe

Che Madona pensanda premer sole ;

Piaggia ch’ ascolti su dolci parole

E del bel piedo alcun vestigio serbe[16].

Le vieux soldat était peu accoutumé à la voixd’une jeune fille ; et, en général, lorsqu’une femme luiparlait, le ton qu’il prenait en lui répondant était toujoursflottant entre une politesse gauche et la mauvaise humeur.Cependant, cette fois, en faveur de la chanson italienne, il semblas’attendrir, et retroussa sa moustache, ce qui était chez lui unsigne d’embarras et de détresse ; il fit entendre même unbruit rauque assez semblable au rire, et dit :

– C’est assez gentil, mordieu ! celame rappelle le siège de Casai ; mais tais-toi, petite ;je n’ai pas encore entendu venir l’abbé Quillet ; celam’inquiète ; il faut qu’il soit arrivé avant nos deux jeunesgens, et depuis longtemps…

Laura, qui avait peur d’être envoyée seule surla place Saint-Eustache, lui dit qu’elle était bien sûre que l’abbéétait entré tout à l’heure, et continua :

Ombrose selve, ove percote il sole

Che vi fa co’ suoi reggi alte e superbe.

– Hon ! dit en grommelant lebonhomme, j’ai les pieds dans la neige et une gouttière dansl’oreille ; j’ai le froid sur la tête et la mort dans le cœur,et tu ne me chantes que des violettes, du soleil, des herbes et del’amour : tais-toi !

Et, s’enfonçant davantage sous l’ogive dutemple, il laissa tomber sa vieille tête et ses cheveux blanchissur ses deux mains, pensif et immobile. Laura n’osa plus luiparler.

Mais pendant que sa femme de chambre étaitallée trouver Grandchamp, la jeune et tremblante Marie avaitpoussé, d’une main timide, la porte battante de l’église :elle avait rencontré là Cinq-Mars, debout, déguisé, et attendantavec inquiétude. À peine l’eut-elle reconnu qu’elle marcha d’un pasprécipité dans le temple, tenant son masque de velours sur sonvisage, et courut se réfugier dans un confessionnal, tandis queHenry refermait avec soin la porte de l’église qu’elle avaitfranchie. Il s’assura qu’on ne pouvait l’ouvrir du dehors, et vintaprès elle s’agenouiller, comme d’habitude, dans le lieu de lapénitence. Arrivé une heure avant elle avec son vieux valet, ilavait trouvé cette porte ouverte, signe certain et convenu quel’abbé Quillet, son gouverneur, l’attendait à sa place accoutumée.Le soin qu’il avait d’empêcher toute surprise le fit resterlui-même à garder cette entrée jusqu’à l’arrivée de Marie :heureux de voir l’exactitude du bon abbé, il ne voulut pourtant pasquitter son poste pour l’en aller remercier. C’était un second pèrepour lui, à cela près de l’autorité, et il agissait avec ce bonprêtre sans beaucoup de cérémonie.

La vieille paroisse de Saint-Eustache étaitobscure ; seulement, avec la lampe perpétuelle, brûlaientquatre flambeaux de cire jaune, qui, attachés au-dessus desbénitiers, contre les principaux piliers, jetaient une lueur rougesur les marbres bleus et noirs de la basilique déserte. La lumièrepénétrait à peine dans les niches enfoncées des ailes du pieuxbâtiment. Dans l’une de ces chapelles, et la plus sombre, était ceconfessionnal, dont une grille de fer assez élevée, et doublée deplanches épaisses, ne laissait apercevoir que le petit dôme et lacroix de bois. Là s’agenouillèrent, de chaque côté, Cinq-Mars etMarie de Mantoue ; ils ne se voyaient qu’à peine, ettrouvèrent que, selon son usage, l’abbé Quillet, assis entre eux,les avait attendus depuis longtemps. Ils pouvaient entrevoir, àtravers les petits grillages, l’ombre de son camail. Henry d’Effiats’était approché lentement ; il venait arrêter et régler, pourainsi dire, le reste de sa destinée. Ce n’était plus devant son Roiqu’il allait paraître, mais devant une souveraine plus puissante,devant celle pour laquelle il avait entrepris son immense ouvrage.Il allait éprouver sa foi et tremblait.

Il frémit surtout lorsque sa jeune fiancée futagenouillée en face de lui ; il frémit parce qu’il ne puts’empêcher, à l’aspect de cet ange, de sentir tout le bonheur qu’ilpourrait perdre ; il n’osa parler le premier, et demeuraencore un instant à contempler sa tête dans l’ombre, cette jeunetête sur laquelle reposaient toutes ses espérances. Malgré sonamour, toutes les fois qu’il la voyait, il ne pouvait se garantirde quelque effroi d’avoir tant entrepris pour une enfant dont lapassion n’était qu’un faible reflet de la sienne, et qui n’avaitpeut-être pas apprécié tous les sacrifices qu’il avait faits, soncaractère ployé pour elle aux complaisances d’un courtisan,condamné aux intrigues et aux souffrances de l’ambition, livré auxcombinaisons profondes, aux criminelles méditations, aux sombres etviolents travaux d’un conspirateur. Jusque-là, dans leurs secrèteset chastes entrevues, elle avait toujours reçu chaque nouvelle deses progrès dans sa carrière avec les transports de plaisir d’unenfant, mais sans apprécier la fatigue de chacun de ces pas sipesants que l’on fait vers les honneurs, et lui demandant toujoursavec naïveté quand il serait Connétable enfin, et quand ils semarieraient, comme si elle eût demandé quand il viendrait auCarrousel, et si le temps était serein. Jusque-là, il avait souride ces questions et de cette ignorance, pardonnable à dix-huit ansdans une jeune fille née sur un trône et accoutumée à des grandeurspour ainsi dire naturelles, et trouvées autour d’elle en venant àla vie ; mais à cette heure, il fit de plus sérieusesréflexions sur ce caractère, et lorsque, sortant presque del’assemblée imposante des conspirateurs, représentants de tous lesordres du royaume, son oreille, où résonnaient encore les voixmâles qui avaient juré d’entreprendre une vaste guerre, fut frappéedes premières paroles de celle pour qui elle était commencée, ilcraignit, pour la première fois, que cette sorte d’innocence ne fûtde la légèreté et ne s’étendît jusqu’au cœur : il résolut del’approfondir.

– Dieu ! que j’ai peur, Henry !dit-elle en entrant dans le confessionnal ; vous me faitesvenir sans gardes, sans carrosses ; je tremble toujours d’êtrevue de mes gens en sortant de l’hôtel de Nevers. Faudra-t-il doncme cacher encore longtemps comme une coupable ? La Reine n’apas été contente lorsque je le lui ai avoué ; si elle m’enparle encore, ce sera avec son air sévère que vous connaissez, etqui me fait toujours pleurer : j’ai bien peur. Elle se tut, etCinq-Mars ne répondit que par un profond soupir. – Quoi ! vousne me parlez pas ! dit-elle.

– Sont-ce bien là toutes vosterreurs ? dit Cinq-Mars avec amertume.

– Dois-je en avoir de plus grandes ?Ô mon ami ! de quel ton, avec quelle voix meparlez-vous ! êtes-vous fâché parce que je suis venue troptard ?

– Trop tôt madame, beaucoup trop tôt,pour les choses que vous devez entendre, car je vous en vois bienéloignée.

Marie, affligée de l’accent sombre et amer desa voix, se prit à pleurer.

– Hélas ! mon Dieu ! qu’ai-jedonc fait, dit-elle, pour que vous m’appeliez madame et me traitiezsi durement ?

– Ah ! rassurez-vous, repritCinq-Mars, mais toujours avec ironie. En effet, vous n’êtes pascoupable ; mais je le suis, je suis seul à l’être ; cen’est pas envers vous, mais pour vous.

– Avez-vous donc fait du mal ?Avez-vous ordonné la mort de quelqu’un ? Oh ! non, j’ensuis bien sûre, vous êtes si bon !

– Eh quoi ! dit Cinq-Mars,n’êtes-vous pour rien dans mes projets ? ai-je mal comprisvotre pensée lorsque vous me regardiez chez la Reine ? nesais-je plus lire dans vos yeux ? le feu qui les animaitétait-ce un grand amour pour Richelieu ? cette admiration quevous promettiez à celui qui oserait tout dire au Roi, qu’est-elledevenue ? Est-ce un mensonge que tout cela ?

Marie fondait en larmes.

– Vous me parlez toujours d’un aircontraint, dit-elle ; je ne l’ai point mérité. Si je ne vousdis rien de cette conjuration effrayante, croyez-vous que jel’oublie ? ne me trouvez-vous pas assez malheureuse ?avez-vous besoin de voir mes pleurs ? les voilà. J’en verseassez en secret, Henry ; croyez que si j’ai évité, dans nosdernières entrevues, ce terrible sujet, c’était de crainte d’entrop apprendre : ai-je une autre pensée que celle de vosdangers ? ne sais-je pas bien que c’est pour moi que vous lescourez ? Hélas ! si vous combattez pour moi, n’ai-je pasaussi à soutenir des attaques non moins cruelles ? Plusheureux que moi, vous n’avez à combattre que la haine, tandis queje lutte contre l’amitié : le Cardinal vous opposera deshommes et des armes ; mais la Reine, la douce Anne d’Autriche,n’emploie que de tendres conseils, des caresses, et quelquefois deslarmes.

– Touchante et invincible contrainte, ditCinq-Mars avec amertume, pour vous faire accepter un trône. Jeconçois que vous ayez besoin de quelques efforts contre de tellesséductions ; mais avant, madame, il importe de vous délier devos serments.

– Hélas ! grand Dieu ! qu’ya-t-il contre nous ?

– Il y a Dieu sur nous et contre nous,reprit Henry d’une voix sévère ; le Roi m’a trompé.

L’abbé s’agita dans le confessionnal. Maries’écria :

– Voilà ce que je pressentais ;voilà le malheur que j’entrevoyais. Est-ce moi qui l’aicausé ?

– Il m’a trompé en me serrant la main,poursuivit Cinq-Mars ; il m’a trahi par le vil Joseph qu’onm’offre de poignarder.

L’abbé fit un mouvement d’horreur qui ouvrit àdemi la porte du confessionnal.

– Ah ! mon père, ne craignez rien,continua Henry d’Effiat ; votre élève ne frappera jamais detels coups. Ils s’entendront de loin, ceux que je prépare, et legrand jour les éclairera ; mais il me reste un devoir àremplir, un devoir sacré : voyez votre enfant s’immoler devantvous. Hélas ! je n’ai pas vécu longtemps pour lebonheur ; je viens le détruire peut-être, par votre main, lamême qui l’avait consacré.

Il ouvrit, en parlant ainsi, le léger grillagequi le séparait de son vieux gouverneur ; celui-ci, gardanttoujours un silence surprenant, avança le camail sur son front.

– Rendez, dit Cinq-Mars d’une voix moinsferme, rendez cet anneau nuptial à la duchesse de Mantoue ; jene puis le garder qu’elle ne me le donne une seconde fois, car jene suis plus le même qu’elle promit d’épouser.

Le prêtre saisit brusquement la bague et lapassa au travers des losanges du grillage opposé ; cettemarque d’indifférence étonna Cinq-Mars.

– Eh quoi ! mon père, dit-il,êtes-vous aussi changé ? Cependant Marie ne pleuraitplus ; mais élevant sa voix angélique qui éveilla un faibleécho le long des ogives du temple, comme le plus doux soupir del’orgue, elle dit :

– Ô mon ami ! ne soyez plus encolère, je ne vous comprends pas ; pouvons-nous rompre ce queDieu vient d’unir, et pourrais-je vous quitter quand je vous saismalheureux ! Si le Roi ne vous aime plus, du moins vous êtesassuré qu’il ne viendra pas vous faire du mal, puisqu’il n’en a pasfait au Cardinal, qu’il n’a jamais aimé. Vous croyez-vous perduparce qu’il n’aura pas voulu peut-être se séparer de son vieuxserviteur ? Eh bien, attendons le retour de son amitié ;oubliez ces conspirateurs qui m’effrayent. S’ils n’ont plusd’espoir, j’en remercie Dieu, je ne tremblerai plus pour vous.Qu’avez-vous donc, mon ami, et pourquoi nous affligerinutilement ? La Reine nous aime, et nous sommes tous deuxbien jeunes, attendons. L’avenir est beau, puisque nous sommes uniset sûrs de nous-mêmes. Racontez-moi ce que le Roi vous disait àChambord. Je vous ai suivi longtemps des yeux. Dieu ! quecette partie de chasse fut triste pour moi !

– Il m’a trahi ! vous dis-je,répondit Cinq-Mars ; et qui l’aurait pu croire, lorsque vousl’avez vu nous serrant la main, passant de son frère à moi et auduc de Bouillon, qu’il se faisait instruire des moindres détails dela conjuration, du jour même où l’on arrêterait Richelieu à Lyon,fixait le lieu de son exil (car ils voulaient sa mort ; maisle souvenir de mon père me fit demander sa vie) ? Le Roidisait que lui-même dirigerait tout à Perpignan ; et cependantJoseph, cet impur espion, sortait du cabinet des Lys ! ÔMarie ! vous l’avouerai-je ? au moment où je l’ai appris,mon âme a été bouleversée ; j’ai douté de tout, et il m’asemblé que le centre du monde chancelait en voyant la véritéquitter le cœur d’un roi. Je voyais s’écrouler tout notreédifice : une heure encore, et la conjurations’évanouissait ; je vous perdais pour toujours ; un moyenme restait, je l’ai employé.

– Lequel ? dit Marie.

– Le traité d’Espagne était dans ma main,je l’ai signé.

– Ô ciel ! déchirez-le.

– Il est parti.

– Qui le porte ?

– Fontrailles.

– Rappelez-le.

– Il doit avoir déjà dépassé les défilésd’Oloron, dit Cinq-Mars, se levant debout. Tout est prêt àMadrid ; tout à Sedan ; des armées m’attendent,Marie ; des armées ! et Richelieu est au milieud’elles ! Il chancelle, il ne faut plus qu’un seul coup pourle renverser, et vous êtes à moi pour toujours, à Cinq-Marstriomphant !

– À Cinq-Mars rebelle, dit-elle engémissant.

– Eh bien, oui, rebelle, mais non plusfavori ! Rebelle, criminel, digne de l’échafaud, je lesais ! s’écria ce jeune homme passionné en retombant àgenoux : mais rebelle par amour, rebelle pour vous, que monépée va conquérir enfin tout entière.

– Hélas ! l’épée que l’on trempedans le sang des siens n’est-elle pas un poignard ?

– Arrêtez, par pitié, Marie ! Quedes rois m’abandonnent, que des guerriers me délaissent, j’en seraiplus ferme encore ; mais je serai vaincu par un mot de vous,et encore une fois le temps de réfléchir est passé pour moi ;oui, je suis criminel, c’est pourquoi j’hésite à me croire encoredigne de vous. Abandonnez-moi, Marie, reprenez cet anneau.

– Je ne le puis, dit-elle, car je suisvotre femme, quel que vous soyez.

– Vous l’entendez, mon père, ditCinq-Mars, transporté de bonheur ; bénissez cette secondeunion, c’est celle du dévouement, plus belle encore que celle del’amour. Qu’elle soit à moi tant que je vivrai !

Sans répondre, l’abbé ouvrit la porte duconfessionnal, sortit brusquement, et fut hors de l’église avantque Cinq-Mars eût le temps de se lever pour le suivre.

– Où allez-vous ?qu’avez-vous ? s’écria-t-il.

Mais personne ne paraissait et ne se faisaitentendre.

– Ne criez pas, au nom du ciel ! ditMarie, ou je suis perdue ! il a sans doute entendu quelqu’undans l’église.

Mais, troublé et sans lui répondre, d’Effiat,s’élança sous les arcades et cherchant en vain son gouvernement,courut à une porte qu’il trouva fermée ; tirant son épée, ilfit le tour de l’église, et, arrivant à l’entrée que devait garderGrandchamp, il l’appela et écouta.

– Lâchez-le à présent, dit une voix aucoin de la rue.

Et des chevaux partirent au galop.

– Grandchamp, répondras-tu ? criaCinq-Mars.

– À mon secours, Henry, mon cherenfant ! répondit la voix de l’abbé Quillet.

– Eh ! d’où venez-vous donc ?Vous m’exposez ! dit le grand Écuyer s’approchant de lui.

Mais il s’aperçut que son pauvre gouverneur,sans chapeau, sous la neige qui tombait, n’était pas en état de luirépondre.

– Ils m’ont arrêté, dépouillé, criait-il,les scélérats ! les assassins ! ils m’ont empêchéd’appeler, ils m’ont serré les lèvres avec un mouchoir.

À ce bruit Grandchamp survint enfin, sefrottant les yeux comme un homme qui se réveille. Laura,épouvantée, courut dans l’église près de sa maîtresse ; tousrentrèrent précipitamment pour rassurer Marie, et entourèrent levieil abbé.

– Les scélérats ! ils m’ont attachéles mains comme vous voyez, ils étaient plus de vingt ; ilsm’ont pris la clef de cette porte de l’église.

– Quoi ! tout à l’heure ? ditCinq-Mars ; et pourquoi nous quittez-vous ?

– Vous quitter ! Il y a plus de deuxheures qu’ils me tiennent !

– Deux heures ! s’écria Henryeffrayé.

– Ah ! malheureux vieillard que jesuis ! cria Grandchamp, j’ai dormi pendant le danger de monmaître ! c’est la première fois !

– Vous n’étiez donc pas avec nous dans leconfessionnal ? poursuivit Cinq-Mars avec anxiété, tandis queMarie tremblante se pressait contre son bras.

– Eh quoi ! dit l’abbé, n’avez-vouspas vu le scélérat à qui ils ont donné ma clef ?

– Non ! qui ? dirent-ils tous àla fois.

– Le père Joseph ! répondit le bonprêtre.

– Fuyez ! vous êtes perdu !s’écria Marie.

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