La mort dans les nuages Agatha Christie

— Avouer quoi ? Je ne comprends pas.

— Mais si, vous me comprenez fort bien. Il s’agit d’un meurtre, monsieur Perrot. Je vous prie de ne point perdre de vue cette idée. Si vous omettez sciemment de nous fournir les renseignements exacts, les conséquences peuvent être fâcheuses pour vous. La police se montrera sévère si vous contrecarrez son travail.

Jules Perrot le dévisagea, bouche ouverte, mains tremblantes.

— Avouez ! commanda Poirot. Nous désirons des renseignements précis. Combien avez-vous touché et qui vous a payé ?

— Je ne croyais point mal faire… je ne pensais pas… jamais je n’aurais cru…

— Combien et qui ?

— Cinq… cinq mille francs. Je voyais ce monsieur pour la première fois. Je… je suis un homme perdu.

— Oui, si vous ne dites pas tout ce que vous savez. Allons, parlez, nous savons le pire. Racontez-nous comment tout cela s’est produit.

La transpiration lui coulant sur le front, Jules Perrot s’exprima d’une voix saccadée.

— Je ne m’imaginais pas mal agir… sur mon honneur, je n’y ai vu aucun mal. Un homme est entré et m’a dit qu’il partait pour l’Angleterre le lendemain matin. Il voulait emprunter de l’argent à Mme Giselle, et il croyait augmenter ses chances de succès en ayant l’air de la rencontrer par hasard. Il savait que cette dame se rendait en Angleterre le lendemain. Mon rôle se bornait à lui dire que le premier avion était complet et à lui réserver le siège n°2 dans le Prométhée. Je jure, messieurs, que je n’ai vu aucune malice là-dedans. Les Américains sont ainsi faits : ils traitent les affaires à leur manière…

— Les Américains ? interrompit vivement Fournier.

— Oui, ce monsieur était Américain.

— Décrivez-nous-le.

— Grand, voûté ; il avait des cheveux gris, des lunettes bordées d’écaille et une petite barbiche.

— A-t-il retenu une place pour lui-même ?

— Oui, monsieur, le siège n°1… à côté d’elle… de celui que je devais réserver à Mme Giselle.

— A quel nom ?

— Silas… Silas Harper. Poirot hocha lentement la tête.

— Il n’y avait aucun passager de ce nom, et le siège était vide.

— J’ai lu dans les journaux que cette place était inoccupée, voilà pourquoi j’ai cru inutile de parler de cette affaire. Etant donné que cet homme n’a pas voyagé dans le Prométhée…

Fournier lui lança un coup d’œil glacial, et lui dit :

— Vous avez caché à la police des renseignements de la plus haute importance, monsieur. Vous avez commis une faute très grave.

Puis il quitta le bureau en compagnie de Poirot, laissant là Jules Perrot qui les suivait des yeux d’un air effaré.

Sur le trottoir, Fournier retira son chapeau et salua Poirot.

— Mes compliments, monsieur Poirot. Comment cette idée vous est-elle venue ?

— De deux phrases bien distinctes. La première fut prononcée ce matin même par un voyageur qui se trouvait dans notre avion. Il disait à son voisin que, le matin du crime, il était monté dans un avion presque vide. Et la seconde me vient d’Elise : à l’heure où elle téléphona à l’Universal Airlines, a-t-elle dit, il ne restait plus de place pour le départ du matin. Ces deux témoignages ne concordaient point. Je me rappelai aussi que le garçon du Prométhée affirmait avoir déjà vu Mme Giselle dans l’avion du matin… elle avait donc l’habitude de prendre l’avion de huit heures quarante-cinq.

Mais quelqu’un avait intérêt à ce qu’elle partît par celui du midi… quelqu’un qui voyageait sur le Prométhée. Pourquoi l’employé a-t-il répondu que l’avion était au complet ? Etait-ce une erreur ou un mensonge ? Je penchais pour la seconde hypothèse et… j’avais raison.

— De minute en minute, l’affaire se complique, s’écria Fournier. D’abord, nous suivons la piste d’une femme. À présent, c’est d’un homme qu’il s’agit. Cet Américain…

Il fit une pause et regarda Poirot. Celui-ci hochait doucement la tête.

— Oh ! mon ami, il est extrêmement facile de se faire passer pour un Américain… ici à Paris ! Une voix nasale, une petite barbiche, des lunettes à bord d’écaille, de la gomme à mâcher dans la bouche… cela suffit pour improviser un Américain d’opérette.

Il prit dans sa poche la feuille arrachée du Sketch.

— Que regardez-vous ?

— Une comtesse en costume de bain.

— Vous croyez ?… mais non ! Elle est petite, jolie, délicate… elle ne saurait se déguiser en un Américain grand et voûté. Elle a fait du théâtre, je vous l’accorde, mais tout de même, il lui est impossible de jouer ce rôle. Non, mon ami, cette supposition ne tient pas debout.

— Soit, dit Hercule Poirot.

Cependant, il examinait l’image avec un redoublement d’attention.

CHAPITRE XII : Au château d’Horbury

Debout près du buffet, lord Horbury se servit distraitement de rognons.

Stephen Horbury avait trente-huit ans. Avec son crâne étroit et son menton allongé, il paraissait ce qu’il était en réalité : un amateur de la vie au grand air, sans rien de transcendant au point de vue intellectuel. Ajoutez à cela un cœur généreux, une pointe de vanité, une loyauté à toute épreuve et une opiniâtreté inébranlable.

Il s’attabla devant son assiette garnie et commença à manger. Il ouvrit un journal, puis le mit de côté presque aussitôt en fronçant le sourcil. Enfin, il repoussa son assiette à demi pleine, avala une tasse de café, et se leva. Un instant, il demeura l’air hésitant, puis avec un léger mouvement de tête, il quitta la salle à manger, traversa le spacieux vestibule et monta l’escalier. Il frappa à une porte et attendit. De l’intérieur une voix claire se fit entendre :

— Entrez !

Lord Horbury ouvrit la porte et pénétra dans la superbe chambre à coucher où Cicely Horbury reposait, assise dans un immense lit en chêne sculpté de style Elisabeth. Elle était délicieuse en pyjama de soie rose et auréolée des boucles d’or de sa chevelure. Elle venait de déjeuner d’un jus d’orange et d’une tasse de café et le plateau se trouvait placé sur un guéridon à côté d’elle. Tandis qu’elle ouvrait ses lettres, sa femme de chambre allait et venait dans la pièce.

Tout homme eût été excusable de sentir son cœur battre un peu plus vite en présence de tant de grâce, mais lord Horbury n’éprouvait nulle émotion devant le tableau ravissant que présentait son épouse à cette heure matinale.

Il fut un temps – il y avait de cela trois ans — où la beauté éblouissante de sa Cicely bouleversait le cœur de lord Horbury. Il avait été passionnément amoureux d’elle. A présent, tout était fini. Il avait été fou ; maintenant, il recouvrait sa raison.

Surprise de cette visite, lady Horbury l’interrogea :

— Eh bien, Stephen ? Que se passe-t-il ?

D’un ton bref, il répondit :

— Je voudrais vous parler un instant seul à seule.

— Madeleine, dit lady Horbury à sa femme de chambre, veuillez vous retirer.

— Très bien, milady.

La jeune Française quitta la pièce après avoir lancé un coup d’œil dans la direction de lord Horbury. Quand elle eut refermé la porte, lord Horbury prit la parole :

— Je désirerais savoir pourquoi vous revenez ici, Cicely.

Lady Horbury haussa les épaules.

— Et pourquoi n’y reviendrais-je pas ?

— Pourquoi ? Il y a, ce me semble, d’excellentes raisons pour cela.

— Oh ! des raisons…

— Parfaitement. Il a été convenu entre nous, vous le savez bien, que, vu l’état de nos relations, mieux valait ne plus vivre sous le même toit. Je vous abandonne la maison de Londres, avec une très généreuse pension. Jusqu’à un certain point, je vous laissais libre de vivre à votre fantaisie. Pourquoi ce retour soudain ?

De nouveau, Cicely haussa les épaules.

— Je croyais… plus convenable…

— Oui… pour des questions d’argent ?

— Dieu ! que je vous hais ! cria soudain Cicely. Vous êtes l’homme le plus vil qui existe sur terre !

— Vil ! Vous osez me traiter ainsi alors que, pour satisfaire à vos caprices, j’ai dû hypothéquer Horbury !

— Horbury… Horbury… vous ne pensez qu’à Horbury ! Les chevaux, la chasse, les moissons et les vieux fermiers raseurs. Quelle existence, pour une femme !

— Certaines femmes s’en accommoderaient très bien.

— Oui, des femmes comme Venetia Kerr, qui elle-même ressemble à un cheval. Vous auriez dû choisir une compagne comme celle-là.

Lord Horbury se dirigea vers la fenêtre.

— Il est bien temps de me le conseiller. N’est-ce pas vous que j’ai épousée ?

— Et vous êtes lié pour la vie, dit Cicely, éclatant d’un rire malicieux et triomphant. Vous voudriez vous débarrasser de moi, mais vous voyez bien que c’est impossible.

— Pourquoi me rabâcher encore ces sornettes ?

— Avec votre religion et vos idées rétrogrades… Mes amis rient comme des fous lorsque je leur répète vos propos ridicules !

— Grand bien leur fasse ! Revenons à ma question première. Pour quelle raison revenez-vous ici ?

Mais sa femme s’obstinait à faire dévier la conversation.

— Vous avez annoncé dans les journaux que vous ne répondiez pas de mes dettes. Vous trouvez cette attitude digne d’un homme bien élevé ?

— J’ai dû prendre cette décision malgré moi. Je vous ai déjà avertie. Deux fois, j’ai réglé vos factures, mais il y a une limite. Votre passion effrénée du jeu… à quoi bon discuter ? Mais je voudrais savoir ce qui vous amène à Horbury. Ce château vous déplaît, vous vous y ennuyez à mourir. Pourquoi y êtes-vous revenue ?

Cicely Horbury répondit, avec une petite moue :

— J’estime que cela vaut mieux ainsi, pour l’instant.

— Pour l’instant ?

Il répéta ces mots pensivement. Puis il interrogea sa femme d’une voix incisive :

— Cicely, avez-vous emprunté de l’argent à cette vieille usurière ?

— Qui ça ? Je ne sais même pas de qui vous parlez.

— Vous le savez parfaitement. Je fais allusion à cette vieille femme qui a été assassinée dans le Prométhée. Lui avez-vous emprunté de l’argent ?

— Bien sûr que non ! Quelle idée !

— Ne dites pas de sottises, Cicely. Si cette femme vous a prêté de l’argent, mieux vaut me l’avouer. Sachez que cette affaire n’est pas close. Le jugement du tribunal d’enquête concluait à un meurtre avec préméditation commis par un ou plusieurs inconnus. Cette prêteuse laisse sûrement des traces de ses opérations. Si jamais l’on découvre quelque relation entre vous et elle, nous devons prendre l’avis de Floulkes et préparer notre réponse.

Floulkes, Floulkes, Wilbraham et Floulkes étaient les avoués de la famille Horbury depuis des générations.

— N’ai-je pas affirmé devant le tribunal que je ne connaissais pas cette femme ? dit Cicely.

— Cela ne prouve pas grand-chose, observa sèchement son mari. Si vous avez eu affaire avec cette Giselle, soyez certaine que la police s’en apercevra.

Cicely se redressa, frémissante de colère.

— Vous me soupçonnez peut-être de l’avoir tuée… de m’être levée dans l’avion pour lui envoyer des dards empoisonnés au moyen d’un chalumeau. Quelle démence !

— Evidemment, tout cela paraît absurde, acquiesça Stephen. Je souhaiterais néanmoins que vous me rendiez exactement compte de votre situation…

— Ma situation ? Ma situation ? Vous ne croyez pas un mot de ce que je dis. C’est scandaleux ! Pourquoi vous soucier à ce point de moi subitement ? Que vous importe mon sort ? Vous me haïssez et seriez ravi d’apprendre ma mort demain. Pourquoi vouloir prétendre le contraire ?

— Vous exagérez ! Si vieux jeu que je puisse vous paraître, je tiens en tout cas à l’honneur de mon nom… sentiment que vous méprisez sans doute, mais que vous ne changerez pas !

Là-dessus, il fit demi-tour et quitta la chambre.

Le sang battait à ses tempes et les pensées se succédaient dans son esprit avec une rapidité foudroyante.

« La détester ? La haïr ? oui, c’est peut-être vrai. Me réjouirais-je de sa mort ? Eh bien ! oui ! Je me sentirais libre comme un homme à qui l’on ouvre les portes de sa prison. Quelle vaste blague que l’existence ! Lorsque je vis Cicely pour la première fois dans la revue Allez-y ! qu’elle était ravissante ! Si blonde et si jolie ! Espèce d’idiot que j’étais ! J’en perdais la tête. Alors que je la croyais douce et adorable, jamais elle ne cessa d’être ce qu’elle est à présent ; une tête sans cervelle, une femme vulgaire, perverse et méprisable… Aujourd’hui, je ne lui trouve même plus de beauté ! »

Il siffla et un épagneul accourut vers lui, le regardant de ses bons yeux fidèles.

Il caressa ses longues oreilles :

— Ma bonne vieille Betsy, murmura-t-il.

Il pensait en lui-même :

« Et dire qu’on traite parfois une femme de chienne ! Une chienne comme toi, Betsy, vaut presque toutes les femmes de ma connaissance ! » Enfonçant un vieux chapeau de pêcheur sur sa tête, il s’éloigna de la maison, accompagné de sa chienne.

Cette flânerie sans but à travers sa propriété calma peu à peu sa nervosité. Il passa la main sur le cou de sa chienne favorite, dit un mot au valet d’écurie, puis se rendit à la ferme du château et échangea quelques propos avec la femme de son métayer. Il suivait un sentier étroit, avec Betsy sur ses talons, lorsqu’il rencontra Venetia Kerr sur sa jument baie.

— Tiens ! Bonjour, Venetia !

— Bonjour, Stephen.

— D’où venez-vous ? Vous avez fait trotter votre bête ?

— Oui. Elle devient belle, n’est-ce pas ?

— Superbe. Avez-vous vu ce jeune cheval de deux ans que j’ai acheté à la vente de Chattisley ?

Pendant quelques minutes, ils parlèrent chevaux, puis Stephen Horbury annonça :

— A propos, Cicely est ici.

— Ici, à Horbury ?

Il n’entrait guère dans les habitudes de Venetia d’exprimer sa surprise, mais en l’occurrence elle ne put réprimer son impression.

— Oui. Elle est arrivée hier soir.

Il y eut un silence. Puis Stephen demanda :

— Venetia, étiez-vous au tribunal d’enquête ? Comment… comment la séance s’est-elle passée ?

Elle le considéra un instant.

— Oh ! vous savez, personne n’a beaucoup parlé.

— La police n’a rien laissé entendre ?

— Non.

— Pour vous, ce fut plutôt une corvée.

— Ce ne fut pas une partie de plaisir, je l’avoue, mais je ne m’y suis pas trop ennuyée. Le juge d’instruction s’est montré très bien.

Distraitement, Stephen cravachait les buissons du talus.

— Dites, Venetia, avez-vous un soupçon… sur la personne qui a commis le crime ?

Venetia Kerr secoua lentement la tête.

— Pas le moindre soupçon.

Elle fit une pause, cherchant le moyen de traduire le plus discrètement possible en paroles ce qu’elle désirait lui faire entendre. Enfin, elle se mit à rire et déclara avec un haussement d’épaules :

— Ce n’est sûrement ni Cicely ni moi. Nous nous serions vues l’une et l’autre inévitablement.

Stephen rit à son tour.

— En tout cas, tout est pour le mieux !

Il parlait d’un ton léger, mais Venetia perçut dans sa voix un soulagement. Ainsi, il avait pu songer… Elle repoussa cette pensée.

— Venetia, lui dit Stephen, il y a longtemps que nous nous connaissons, n’est-ce pas ?

— Mais oui. Vous souvenez-vous de ces stupides leçons de danse où nous allions ensemble dans notre enfance ?

— Si je m’en souviens ! Eh bien, en ma qualité de vieux copain, puis-je vous parler à cœur ouvert ?

— Bien sûr.

Elle hésita, puis ajouta d’une voix calme :

— Il s’agit sans doute de Cicely ?

— Exactement. Dites-moi, Venetia, savez-vous si Cicely était en rapport avec cette dame Giselle ?

Lentement, Venetia répondit :

— Je l’ignore. N’oubliez pas que je viens du midi de la France et que je n’ai pas encore entendu les potins du Pinet.

— Personnellement, qu’en pensez-vous ?

— En toute franchise, j’avoue que cela ne m’étonnerait pas.

Stephen hocha la tête.

— Pourquoi vous tracasser ? lui dit Venetia. Vous vivez pour ainsi dire chacun de votre côté, n’est-ce pas ? Cette affaire ne concerne qu’elle seule.

— Tant que nos vies sont liées, cela me regarde également.

— Ne pourriez-vous… divorcer ?

— Un scandale à grand fracas ? Je doute qu’elle l’accepte.

— Divorceriez-vous si elle vous en donnait l’occasion ?

— Certainement, si elle me fournissait un motif.

Il parlait d’un ton amer.

— Et elle connaît vos intentions ?

— Oui.

Venetia pensait, en son for intérieur : « Elle n’a guère plus de moralité qu’une chatte ! Mais elle est prudente et ne se fera pas pincer. » Tout haut, elle conclut :

— Alors, rien à faire.

Stephen la regarda, pensif :

— Si j’étais libre, Venetia, consentiriez-vous à m’épouser ?

Le regardant bien en face, elle déclara d’une voix qui ne trahissait aucune émotion :

— Peut-être.

Stephen ! Elle l’avait toujours aimé, depuis les jours anciens des leçons de danses prises en commun et des courses à travers bois à la recherche des nids. Stephen l’aimait bien aussi, mais pas suffisamment pour résister aux manœuvres habiles d’une girl de music-hall.

— Et dire que nous aurions pu être si heureux ensemble ! soupira Stephen.

Des images flottèrent devant ses yeux ; scènes de chasse, le thé avec les rôties, l’odeur de la glèbe humide et des feuilles mouillées… Et puis… oui, des enfants… Tout cela serait le bonheur… le bonheur que Cicely ne lui procurerait jamais. Un brouillard embua ses yeux. Alors, il entendit la voix toujours calme de Venetia qui lui disait :

— Stephen, si vous le désirez réellement… pourquoi hésiter ? Si nous partions ensemble, Cicely serait bien obligée de demander le divorce.

Il l’interrompit :

— Croyez-vous que je puisse vous laisser commettre pareille folie ?

— Peuh ! Que m’importe l’opinion publique ?

— Eh bien, j’en tiens compte, moi ! trancha-t-il d’un ton qui n’admettait aucune réplique.

« C’est désespérant, songea Venetia Kerr. Il est farci de préjugés, mais si gentil, tout de même ! Tel quel, il me plaît. »

Tout haut, elle prononça :

— Alors, Stephen, je continue ma route.

De son talon, elle fit partir son cheval. Lorsqu’elle se retourna pour dire au revoir au jeune homme, leurs yeux se rencontrèrent et dans ce regard ils échangèrent tous les sentiments que leurs paroles n’avaient pu exprimer.

À un coude du sentier, Venetia laissa tomber sa cravache. Un promeneur la ramassa et la lui rendit avec un salut exagéré.

« Un étranger, pensa-t-elle en le remerciant. Mais il me semble avoir déjà vu cette tête-là. »

La moitié de ses pensées se perdit dans les jours ensoleillés de Juan-les-Pins, tandis que l’autre accompagnait Stephen.

Au moment où Venetia arrivait chez elle, sa mémoire, à demi endormie, se réveilla en sursaut :

« Mais oui ! C’est le petit bonhomme qui m’a cédé sa place dans l’avion. Au tribunal, on a dit qu’il était détective. » Une autre idée se présenta aussitôt à son esprit : « Que vient-il donc faire ici ? »

CHAPITRE XIII : Chez Antoine

Le lendemain de l’enquête, Jane retourna chez Antoine l’esprit plutôt mal à l’aise.

L’individu que l’on prenait habituellement pour M. Antoine, qui, en réalité, s’appelait Andrew Leech, l’accueillit d’un air glacial. Ses sourcils froncés ne présageaient rien de bon à son employée.

Andrew Leech, qui se faisait passer pour étranger, parce que sa mère était juive, ne savait plus parler l’anglais correctement, une fois franchies les limites de Bruton Street.

Il traita Jane de parfaite imbécile. Quel besoin avait-elle de voyager par avion ? Son escapade allait causer un tort considérable à la maison. Après qu’il eut exhalé toute sa colère, Jane s’éloigna et au passage salua son amie Gladys.

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