La mort dans les nuages Agatha Christie

— Tiens ! Un bouton électrique, annonça-t-il.

— Oui, il sonne chez le concierge.

— Sage précaution. Les clients de Mme Giselle pouvaient parfois faire du raffut.

Il ouvrit un ou deux des tiroirs. Il y vit du papier à lettres, un calendrier, des plumes et des crayons, mais rien d’un caractère privé.

Poirot se contenta d’y jeter un coup d’œil rapide.

— Je ne vous ferais pas l’injure de fouiller ces tiroirs, dit-il à M. Fournier. S’ils avaient contenu quelque objet important vous l’auriez sûrement emporté.

Il considéra ensuite le coffre-fort.

— Un modèle peu sûr, déclara-t-il.

— Légèrement démodé, acquiesça Fournier.

— Etait-il vide ?

— Oui, cette sacrée bonne a tout détruit.

— Ah ! oui ! la bonne ! et en même temps femme de confiance. Il faut que nous l’interrogions. Comme vous l’avez constaté vous-même, cette pièce ne nous révèle rien. Je trouve cela significatif.

— Qu’entendez-vous par là, monsieur Poirot ?

— En d’autres termes, il n’y a, dans ce bureau, rien de personnel… Détail fort intéressant.

— Mme Giselle n’était pas une femme sentimentale, observa Fournier d’un ton sec.

Poirot se leva.

— Venez, dit-il, allons voir cette domestique… confidente de sa maîtresse.

Elise Grandier, une petite boulotte au visage rouge, dévisagea les deux hommes de ses petits yeux futés.

— Asseyez-vous, mademoiselle Grandier, lui dit Fournier.

— Merci, monsieur.

Elle prit un siège, très calme.

— M. Poirot et moi nous arrivons aujourd’hui de Londres. Le tribunal d’enquête sur la mort de Mme Giselle s’est réuni hier, et il ne subsiste plus aucun doute : votre maîtresse a été empoisonnée.

La femme hocha tristement la tête.

— C’est affreux, monsieur. Madame empoisonnée ? Qui s’attendait à pareil malheur ?

— Vous pouvez nous aider à retrouver le coupable, mademoiselle.

— Certainement, monsieur. Je ferai de mon mieux pour seconder la police. Mais je ne sais rien, rien du tout.

— Vous savez que Mme Giselle avait des ennemis, n’est-ce pas ? jeta Fournier à brûle-pourpoint.

— Ce n’est pas vrai ! Pourquoi voulez-vous que Madame ait eu des ennemis ?

— Voyons, voyons, mademoiselle Grandier, poursuivit Fournier, personne n’ignore que la profession de prêteuse d’argent ne va pas sans quelques désagréments.

— Il est exact que les clients de Madame ne se montraient pas toujours très raisonnables.

— Ils faisaient des scènes, hein ? Ils la menaçaient ?

La servante hocha la tête.

— Non, non, là vous faites erreur. Ils ne menaçaient point. Ils se contentaient de gémir, de se plaindre… protestant qu’ils ne pouvaient payer… Pour ça, oui ! proféra-t-elle, la voix chargée de mépris.

— Peut-être se trouvaient-ils quelquefois dans l’impossibilité de rembourser, observa Poirot.

Elise Grandier haussa les épaules.

— Possible. C’était leur affaire ! Mais ils finissaient toujours par régler leur dette, conclut-elle, avec du triomphe dans la voix.

— Mme Giselle était, paraît-il, une créancière impitoyable, observa Fournier.

— Elle avait bien raison.

— Vous n’éprouvez aucune compassion pour les victimes ?

— Des victimes… des victimes… Il faudrait s’entendre. Est-ce indispensable de se fourrer dans les dettes, de vivre au-delà de ses moyens, pour aller ensuite emprunter et garder l’argent comme s’il s’agissait d’un cadeau ? Vous trouvez cela honnête ? Madame était bonne et juste. Elle prêtait de l’argent… et exigeait d’être remboursée. N’est-ce point légitime ? Elle-même ne faisait jamais de dettes. Jamais elle ne laissait une facture impayée. Quant à dire que Madame manquait de cœur, Madame était la charité même. Elle donnait toujours aux petites Sœurs des Pauvres qui se présentaient et envoyait de l’argent aux bonnes œuvres. Quand la femme de Georges, le concierge, est tombée malade, elle l’a fait entrer à ses frais dans une maison de santé à la campagne.

Elle s’arrêta un moment, le visage empourpré de colère ; puis elle ajouta :

— Vous ne comprenez pas. Vous ne connaissez pas le caractère de Madame.

Fournier attendit que l’indignation de la femme se calmât et il l’interrogea :

— Vous venez de nous dire que les clients de Mme Giselle finissaient toujours par payer. Savez-vous quels moyens elle employait pour rentrer dans ses fonds ?

Elise haussa les épaules :

— Je ne sais rien, monsieur… rien du tout.

— Vous avez cependant brûlé les papiers de votre maîtresse ?

— Je me suis bornée à suivre ses instructions. « si jamais il m’arrive malheur, m’avait-elle dit, et que je meure loin de chez moi, brûlez mes papiers d’affaires. »

— Ceux que contenait le coffre-fort du premier ? demanda Poirot.

— C’est bien cela, ses papiers d’affaires.

— Et ils se trouvaient tous dans le coffre ?

Son insistance amena une rougeur sur les joues d’Elise.

— J’ai obéi aux ordres de Madame.

— Je le sais, dit Poirot en souriant. Mais ne faites-vous pas erreur ? Elle n’avait pas mis ces papiers dans le coffre, n’est-ce pas ? Il est d’un modèle trop ancien ; le premier amateur venu pourrait l’ouvrir. Les papiers étaient sûrement ailleurs… peut-être dans la chambre à coucher de Madame ?

Elise fit une pause avant de répondre :

— Oui, c’est cela. Madame disait toujours aux clients que les papiers étaient rangés dans le coffre ; en réalité, ce meuble n’était qu’un trompe-l’œil. Tous les papiers étaient cachés dans la chambre de Madame.

— Voulez-vous nous montrer où ?

Elise se leva et les deux hommes la suivirent. La chambre à coucher était assez spacieuse, mais si encombrée de meubles lourds et ouvragés, qu’on s’y déplaçait avec peine. Elise se dirigea vers une malle ancienne et volumineuse, placée dans un coin. Ayant soulevé le couvercle de cette malle, elle en retira une vieille robe d’alpaga doublé de soie. A l’intérieur de la jupe était cousue une poche profonde.

— Les papiers se trouvaient là, monsieur, dans une grande enveloppe cachetée.

— Vous ne m’en avez point parlé lorsque je vous ai interrogée il y a trois jours, lui reprocha Fournier d’un ton sec.

— Excusez-moi, monsieur. Vous m’avez demandé où étaient les papiers qu’aurait dû contenir le coffre-fort. Je vous ai répondu que je les avais brûlés. C’est la stricte vérité. L’endroit où j’avais pris les papiers me semblait d’importance secondaire.

— C’est exact, déclara Fournier. Toutefois, vous comprendrez, mademoiselle Grandier, que ces papiers n’auraient jamais dû être brûlés.

— J’ai obéi aux ordres de Madame, répéta Elise avec entêtement.

— Vous avez pensé agir pour le mieux, lui dit Fournier. A présent, mademoiselle, je voudrais que vous m’écoutiez attentivement. Mme Giselle a été assassinée. Il se peut qu’elle ait été tuée par une ou plusieurs personnes sur qui elle possédait certains renseignements compromettants. Ces renseignements se trouvaient parmi les documents par vous brûlés. Je vais vous poser une question, mademoiselle. Veuillez ne pas y répondre sans avoir bien réfléchi. Il est possible, je dirai même très excusable, que vous ayez parcouru ces papiers avant de les livrer aux flammes. En ce cas, nous ne vous en tiendrons pas rigueur, bien au contraire : toute indication de votre part aiderait la police à mettre la main sur le ou les criminels. N’ayez donc aucune crainte, mademoiselle, et répondez-moi en toute sincérité. Avant de brûler les papiers, avez-vous eu la curiosité d’y jeter un coup d’œil ?

Elise respira profondément, se pencha en avant et déclara tout d’un trait :

— Non, monsieur. Je n’ai rien vu, je n’ai rien lu. J’ai jeté l’enveloppe au feu sans même la décacheter.

CHAPITRE X : Le petit carnet noir.

Pendant un instant, Fournier la regarda fixement, puis certain qu’elle venait de dire la vérité, il déclara, avec un geste de découragement :

— C’est regrettable, mademoiselle. Vous avez agi honnêtement, mais c’est fort regrettable.

— Je n’y puis rien, monsieur.

Fournier s’assit et prit un carnet dans sa poche.

— Lors de votre interrogatoire, vous m’avez affirmé ne pas connaître les noms des clients de Mme Giselle. Cependant, vous venez de nous dire qu’ils pleuraient et suppliaient pour fléchir la créancière. Vous saviez donc quelque chose sur leur compte ?

— Je vais vous expliquer. Madame ne citait jamais un nom et ne racontait jamais rien de ses affaires. Mais on n’est pas fait autrement que les autres, n’est-ce pas ? On exprime parfois ses réflexions tout haut. Madame me parlait quelquefois comme si elle s’adressait à elle-même.

Poirot se pencha en avant.

— Si vous nous donniez quelques aperçus de ses réflexions, mademoiselle, suggéra-t-il.

— Attendez. Eh bien, voici… S’il lui arrivait une lettre, Madame l’ouvrait, la lisait, puis elle ricanait en disant : « Ah ! Tu gémis et tu pleurniches à présent, ma belle ! Tu me paieras tout de même ! » Ou bien : « Quels idiots ! Ils s’imaginent que je leur avance ces grosses sommes sans m’entourer de garanties ! Connaître certains faits constitue parfois une solide garantie, Elise. Savoir, c’est pouvoir ! » Elle prononçait des phrases de ce genre.

— Avez-vous vu quelques-uns des clients de Madame ?

— Non, monsieur, je ne les voyais pas. Ils montaient seulement au premier étage et souvent une fois la nuit tombée.

— Madame a-t-elle séjourné à Paris avant son départ pour Londres ?

— Elle était rentrée de la veille.

— D’où venait-elle ?

— Elle avait passé une quinzaine à Deauville, Paris-Plage, Le Pinet, Wimereux… Sa tournée habituelle de septembre.

— A présent, attention, mademoiselle. Madame aurait-elle laissé échapper des paroles… de nature à nous guider ?

Elise réfléchit quelques instants, puis secoua la tête.

— Non, monsieur, je ne me souviens de rien. Madame était de bonne humeur. Ses affaires marchaient bien, disait-elle. Sa tournée avait été fructueuse. Elle me demanda de téléphoner à l’Universal Airlines et de lui réserver une place sur l’avion partant le lendemain matin à destination de Londres. L’avion du matin étant au complet, elle dut prendre celui de midi.

— Vous a-t-elle dit ce qu’elle allait faire en Angleterre ? Ce voyage était-il urgent ?

— Oh ! je ne crois pas, monsieur. Madame se rendait fréquemment à Londres. D’ordinaire, elle m’en prévenait la veille.

— Mme Giselle a-t-elle reçu des clients ce soir-là ?

— Un seul je crois, mais je ne l’affirmerai pas. Madame ne m’a rien dit, mais Georges pourrait peut-être vous renseigner.

Fournier tira de sa poche plusieurs photographies – pour la plupart des instantanés pris par les reporters à la sortie du tribunal d’enquête.

— Mademoiselle, reconnaissez-vous quelqu’un parmi ces gens-là ?

Elise examina les photos l’une après l’autre, puis secoua la tête.

— Non, monsieur.

— Allons, peut-être aurons-nous plus de succès auprès de Georges.

— Je le souhaite, monsieur. Malheureusement, Georges n’a pas une très bonne vue.

Fournier se leva.

— Eh bien, mademoiselle, nous prenons congé de vous… c’est-à-dire si vous êtes certaine de n’avoir rien omis.

— Moi ? Que puis-je vous dire de plus ?

Elise paraissait mal à l’aise.

— Entendu. Venez, monsieur Poirot. Excusez-moi, mais cherchez-vous quelque chose ?

Poirot, en effet, faisait le tour de la pièce et regardait autour de lui, l’air curieux.

— Oui, je cherche quelque chose que je ne trouve pas.

— Quoi donc ?

— Des photographies. Les portraits des parents de Mme Giselle… de sa famille.

Elise lui fournit l’explication :

— Madame n’avait pas de famille. Elle était seule au monde.

— Elle avait une fille, dit vivement Poirot.

— Ah ! oui ! C’est vrai. Elle avait une fille. Elise poussa un soupir.

— Mais où est son portrait ? insista Poirot.

— Oh ! Monsieur ne comprend pas. Madame avait une fille, mais voilà bien longtemps qu’elle ne la voyait plus.

Elise leva les mains avec un geste expressif.

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