La mort dans les nuages Agatha Christie

— Et sa fortune est considérable ? demanda Poirot.

Le notaire haussa les épaules.

— Elle doit se monter grosso modo à huit ou à neuf millions.

Poirot arrondit les lèvres et sifflota.

— On n’aurait jamais dit cela en la voyant, observa Japp. Quel est le cours de la livre… Attendez : cela doit monter à plus de cent mille livres sterling. Mâtin !

— Mlle Anne Morisot sera une jeune personne très riche, déclara Poirot.

— Elle a eu l’excellente idée de ne pas se trouver dans l’avion, dit Japp. On l’eût soupçonnée d’avoir supprimé sa mère pour toucher le fric. Quel âge peut-elle avoir ?

— Je ne saurais préciser, mais j’imagine qu’elle a dans les vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

— Jusqu’ici elle n’est point mêlée au crime. Occupons-nous de l’affaire du chantage. Tous les occupants de l’avion affirment ne point connaître Mme Giselle. L’un d’eux ment : à nous de le démasquer ! Un examen des papiers personnels de la morte s’impose, qu’en dites-vous, Fournier ?

— Cher ami, dit le Français, aussitôt la nouvelle du crime connue, et tout de suite après ma conversation téléphonique avec Scotland Yard, je me suis rendu au domicile de la défunte. Il y avait là un coffre-fort renfermant les papiers, mais ces papiers avaient été brûlés.

— Brûlés ? Par qui ? Pourquoi ?

— Mme Giselle avait une bonne qui lui était entièrement dévouée : Elise. Celle-ci avait ordre, au cas où il arriverait malheur à sa maîtresse, d’ouvrir le coffre – elle en connaissait la combinaison — et d’en brûler le contenu.

— Comment ? Voilà qui est bizarre ! s’exclama Japp.

— Vous voyez bien que Mme Giselle avait sa morale à elle, remarqua Fournier. Elle accordait sa confiance à ceux qui la servaient avec dévouement. Elle promettait à ses clients de les traiter selon toute équité ; elle avait un cœur de pierre, mais ne manquait jamais à sa parole.

Japp hocha la tête. Silencieux, les quatre hommes songeaient au caractère étrange de la défunte… Enfin, Me Thibaut se leva.

— Messieurs, je dois vous quitter. Si je puis vous fournir quelque autre renseignement, vous savez mon adresse.

Il leur serra la main cérémonieusement, puis quitta l’appartement de Poirot.

CHAPITRE VII : Probabilités

Après le départ de Me Thibaut, les trois hommes rapprochèrent leurs sièges de la table.

— A présent, à l’ouvrage ! dit Japp en dévissant le capuchon de son stylo. Onze personnes voyageaient dans l’avion… c’est-à-dire dans le compartiment arrière, l’autre compartiment ne nous intéressant pas. Un de ces voyageurs a tué la vieille femme. Les uns étaient de nationalité anglaise, les autres de nationalité française. J’abandonne ceux-ci aux bons soins de M. Fournier et je me charge de mes compatriotes. Des recherches devront être effectuées à Paris… c’est votre affaire, Fournier.

— Pas seulement à Paris, répliqua Fournier. En été, Mme Giselle travaillait dans les plages à la mode : Deauville, Le Pinet, Wimereux. Elle se rendait souvent à Antibes, Nice et Cannes.

— Bien. Il me souvient qu’une ou deux passagères du Prométhée ont parlé du Pinet. A présent nous arriverons au meurtre lui-même. Voyons qui a pu vraisemblablement se servir du chalumeau. (Il déroula un plan du compartiment de l’avion et le plaça au centre de la table.) Nous voici prêts à commencer le travail. D’abord prenons les passagers l’un après l’autre et essayons de découvrir les probabilités… et… chose plus importante… les possibilités.

— Commençons par éliminer M. Poirot, ici présent, dit Fournier. Cela ramène le nombre à dix.

— Vous êtes trop confiant, mon ami. Vous ne devriez vous fier à personne… non, à personne !

— Bon. Nous vous remettons au nombre des suspects, fit Japp en riant. Quant aux garçons, il est peu vraisemblable qu’ils aient emprunté de fortes sommes. En outre, tous deux sont bien notés dans le service. Je serais surpris d’apprendre que l’un d’eux eût trempé dans ce crime. Du point de vue des probabilités, nous les excluons donc, mais relativement aux possibilités, non, car ils allaient et venaient dans l’avion et pouvaient fort bien se placer dans l’angle droit du compartiment arrière pour souffler dans un chalumeau… Encore qu’il paraisse incroyable qu’un garçon puisse, sans se faire voir, lancer un dard empoisonné à l’aide d’un chalumeau dans un compartiment rempli de monde. Je sais par expérience que la plupart des gens sont aveugles comme des chauves-souris. Tout de même, il y a des limites. On pourrait tenir le même raisonnement en ce qui concerne les autres personnes ; il fallait être fou, fou à lier, pour commettre un pareil meurtre. Il n’y avait qu’une chance sur cent de ne point être découvert. L’assassin a eu une veine du diable. Il existe mille autres façons d’occire quelqu’un…

Poirot, qui écoutait, les yeux baissés, tout en fumant sa cigarette, l’interrompit :

— Vous croyez que c’était une manière stupide de supprimer son prochain ?

— Eh oui ! Une vraie folie !

— Pourtant, elle a pleinement réussi. A nous trois, nous ne parvenons point à découvrir l’auteur du crime : n’est-ce pas là un succès pour l’assassin ?

— Dites de la chance, riposta Japp. Le meurtrier aurait dû se faire prendre plutôt dix fois qu’une.

Poirot eut un air de doute. Fournier le considéra avec curiosité.

— Monsieur Poirot, vous avez une idée de derrière la tête. Voulez-vous l’exposer ?

— Mon ami, voici mon point de vue : une affaire doit être jugée d’après les résultats. Celle-ci a pleinement réussi.

— Cependant, on pourrait dire que c’est par miracle, observa le Français.

— Miracle ou non, les faits sont là, appuya Japp. Ne possédons-nous pas le témoignage des médecins et l’arme du crime ? Ah ! si quelqu’un m’avait dit, il y a une semaine, que je serais appelé à enquêter sur un assassinat commis à l’aide d’un dard trempé dans du venin de serpent, j’aurais tout simplement éclaté de rire à la face de ce mauvais plaisant ! Ce meurtre est une insulte à la science policière… oui, une insulte !

Il respira profondément. Poirot sourit.

— Peut-être s’agit-il d’un crime commis par un détraqué affligé d’un sens pervers de l’humour ? prononça Fournier rêveusement. Il importe avant tout de déterminer la psychologie du criminel.

Japp se redressa en entendant ce mot psychologie, qu’il détestait et dont il se méfiait comme de la peste.

— Voilà des paroles qui charmeront l’oreille de M. Poirot, déclara-t-il.

— En effet, ce que vous dites tous les deux m’intéresse énormément.

— J’aime à croire que vous ne conservez aucun doute sur la façon dont Mme Giselle a été tuée ? demanda Japp, plein de suspicion. C’est que je connais votre esprit tortueux !

— Non, non, mon ami. Sur ce point, mon opinion demeure inébranlable : la mort a été provoquée par le dard empoisonné que j’ai ramassé… Pour moi, c’est clair comme de l’eau de roche. Cependant, il subsiste certains détails…

Il fit une pause, hochant la tête d’un air perplexe. Japp poursuivit :

— Revenons à nos moutons. Nous ne pouvons éliminer définitivement les deux garçons, mais il est peu probable qu’aucun des deux ait commis le crime. Etes-vous d’accord, monsieur Poirot ?

— Vous connaissez mon avis là-dessus. Au point où nous en sommes de l’enquête, je n’éliminerai personne.

— Comme il vous plaira. Maintenant, poursuivit Japp, au tour des passagers. Commençons par le fond du compartiment du côté des lavabos. Place n°16. (De la pointe de son crayon, il indiqua l’endroit sur le plan.) La jeune coiffeuse Jane Grey. Ayant gagné un lot au Sweepstake, elle est allée le gaspiller au Pinet. Peut-être est-ce une passionnée du jeu ? Se trouvant à court d’argent, elle aurait pu emprunter à la vieille dame. En ce cas, elle n’aurait point obtenu une grosse somme et je ne vois pas comment Mme Giselle aurait pu « avoir prise » sur cette jeune personne. Ensuite une coiffeuse n’a guère l’occasion de se procurer du venin de serpent ; ce produit n’entre pas dans la composition des teintures capillaires ni des crèmes de beauté pour masser le visage. Je crois que l’emploi du venin constitue une faute de la part de l’assassin, en ce qu’il resserre le cercle des recherches. A peine deux personnes sur mille doivent connaître les effets foudroyants de ce venin spécial et sont à même de se le procurer.

— Voilà du moins, un point éclairci, observa Poirot.

Fournier lui lança un coup d’œil interrogateur. Mais Japp poursuivait son idée.

— Le meurtrier entre nécessairement dans une des deux catégories suivantes : il a dû beaucoup voyager de par le monde, étudier les serpents et les espèces les plus redoutables, et il connaît les mœurs de certaines tribus sauvages qui emploient ce venin pour tuer leurs ennemis… voilà la catégorie n°1.

— Et l’autre ?

— Nous la trouvons dans le domaine des recherches scientifiques. Le venin du boomstang fait l’objet d’expériences de la part des savants les plus éminents. J’en ai touché un mot à Winterspoon. Le venin du cobra est également utilisé en médecine, dans le traitement de l’épilepsie. Dans les laboratoires, on étudie beaucoup les effets du venin des différents serpents.

— Circonstance qui me paraît fort intéressante, dit Fournier.

— Oui, mais continuons. La jeune Jane Grey est donc exclue de ces deux catégories. Ses mobiles semblent inexistants et les occasions de se procurer le poison, nulles. Quant à souffler dans le chalumeau de sa place, c’est pratiquement impossible. Constatez par vous-mêmes.

Les trois hommes se penchèrent sur le plan.

— Voici le 16, et là le 2 où était assise Giselle. Il y avait trop de places occupées entre ces deux sièges. Si la jeune fille n’a pas bougé – et tout le monde affirme qu’elle n’a pas bougé — elle n’a pu viser Mme Giselle pour la frapper sur le côté du cou. Je crois que nous pouvons l’écarter de l’affaire.

Au n°12, se trouvait son vis-à-vis, Norman Gaile, le dentiste. De lui, on peut dire également qu’il est sans importance, à cela près, pourtant, qu’il lui est plus facile de se procurer du venin.

— Ce genre d’injection n’est pas recommandé en chirurgie dentaire, murmura Poirot. Elle foudroierait les clients au lieu de les soulager.

— Un dentiste en fait endurer suffisamment à ses patients, dit Japp, grimaçant un sourire. Evidemment, il fréquente un milieu où il peut obtenir certains poisons. Quant à la possibilité, éliminons-la dès à présent. Il s’est rendu au lavabo, c’est-à-dire dans la direction opposée. En regagnant sa place, il n’a pu aller à l’autre bout du couloir ; et pour lancer un dard qui atteignît le cou de la vieille dame, il aurait dû avoir sur lui un dard enchanté se dirigeant à angle droit. Cet homme-là n’est pas coupable.

— D’accord, acquiesça Fournier. Et ensuite ?

— De l’autre côté du couloir, le 17.

— La place retenue par moi, dit Poirot. Je l’ai cédée à une dame qui désirait s’asseoir à côté de son amie.

— Il s’agit de « l’honorable » Venetia Kerr. Une femme influente. Peut-être a-t-elle emprunté de l’argent à Mme Giselle. Cependant, elle ne paraît pas avoir de secrets à cacher dans sa vie. A surveiller, néanmoins. Si Giselle avait légèrement tourné la tête vers la fenêtre, de sa place, l’honorable Venetia pouvait fort bien lancer un dard en diagonale sur la nuque de la vieille dame. En ce cas, elle aurait dû se lever, geste un peu risqué de sa part. Mais elle appartient à cette catégorie de femmes qui, chaque automne, s’arment d’un fusil ; ce genre de sport doit, à mon avis, faciliter à quelqu’un l’usage d’un chalumeau : tout cela est une question d’œil et d’adresse. Probablement un de ses amis ayant voyagé dans le monde entier lui aura rapporté un de ces poisons indigènes. Mais quelles hypothèses vais-je chercher ? Vraiment, cette fois, je déraisonne.

— Vos soupçons me paraissent, en effet, peu fondés, confirma Fournier. J’ai vu Miss Kerr aujourd’hui même à l’audience, et elle ne me produit nullement l’impression d’une meurtrière.

— Siège 13, dit Japp, lady Horbury. Personnalité très discutable. Je suis au courant de certains faits que je vous raconterai tout à l’heure. Je ne serais pas surpris qu’elle eût à se reprocher une ou deux petites fautes peu avouables.

— Il est parvenu à ma connaissance, annonça Fournier, que cette dame a perdu gros au baccara pendant son dernier séjour au Pinet.

— Je vous remercie de ce renseignement. Lady Horbury appartient visiblement à ce genre de femmes qui ont recours aux services d’une Mme Giselle.

— Je partage entièrement cette opinion.

— Oui… mais… comment aurait-elle commis le crime ? Elle non plus n’a point quitté sa place. Il lui aurait fallu s’agenouiller sur son siège et viser par-dessus le dossier… sous les regards de dix personnes. Passons !

— 9 et 10, annonça Fournier, avançant son doigt sur le plan.

— Hercule Poirot et le docteur Bryant, dit Japp. Qu’invoque M. Poirot pour sa défense ?

Le petit Belge secoua tristement la tête.

— Mon estomac ! s’exclama-t-il d’une voix pathétique. Hélas ! le cerveau doit se soumettre à l’estomac. Quelle misère !

Fournier le considéra avec sympathie.

— Je suis également malade chaque fois que je prends l’avion.

Il ferma les yeux et hocha la tête en faisant une grimace expressive.

— Ensuite vient le docteur Bryant, une sommité médicale d’Harley Street. Je ne le vois guère empruntant de l’argent à une Française, mais sait-on jamais ? Et quand un scandale effleure la réputation d’un médecin, c’en est fini de sa situation ! Voici où intervient mon hypothèse scientifique : un homme comme Bryant, au faîte de la carrière médicale, a accès aux plus grands laboratoires, où il lui est extrêmement aisé de subtiliser un tube de venin de serpent.

— Le nombre de ces tubes est contrôlé, un homme habile peut y substituer un produit inoffensif… et cela d’autant plus impunément qu’on s’appelle le docteur Bryant.

— Il y a beaucoup de vrai dans vos suppositions, acquiesça Fournier.

— Mais voici ce qui me chiffonne : pourquoi le docteur Bryant a-t-il attiré l’attention sur l’empoisonnement par piqûre ? Il aurait tout aussi bien pu conclure à une mort naturelle… à une embolie, par exemple ?

Poirot toussota. Les deux autres l’interrogèrent du regard.

— J’imagine que c’était… euh… le professionnel qui parlait en lui. Somme toute, la mort aurait pu être naturelle… résulter de la piqûre d’une guêpe. Souvenez-vous qu’une guêpe volait dans le compartiment.

— Décidément, vous ne perdez pas de vue la guêpe. On dirait, ma parole, qu’elle continue de bourdonner à vos oreilles, remarqua Japp.

— C’est tout de même moi qui ai vu et ramassé l’épine fatale sur le parquet ! Ensuite il fallut bien admettre qu’on était en présence d’un crime.

— De toute façon, on aurait retrouvé l’épine. Poirot hocha la tête.

— À moins que le meurtrier ne l’eût récupérée sans se faire voir.

— Bryant ?

— Bryant ou un autre.

— Hum… hypothèse plutôt hasardeuse.

Fournier ne partageait point cet avis.

— Vous en concluez ainsi à présent, devant la preuve irréfutable d’un meurtre. Mais, supposons que cette femme eût succombé subitement d’une embolie. Si quelqu’un avait laissé tomber son mouchoir et se soit baissé pour le ramasser, qui aurait songé à remarquer son geste ?

— C’est ma foi vrai, admit Japp. Bryant figurera donc définitivement sur la liste des suspects. En penchant la tête, il pouvait se mettre en position pour lancer le dard… en diagonale. Pourquoi n’a-t-il pas été vu ? Nous ne discuterons pas sur ce point : l’acte du criminel n’a attiré le regard de personne.

— Là-dessus, il y a sans doute une raison… une raison qui, selon ce que j’ai entendu, enchantera notre ami M. Poirot… Je veux parler d’une « raison psychologique », dit en souriant M. Fournier.

— Continuez, mon cher, insista M. Poirot. Ce point de vue m’intéresse prodigieusement.

— Supposons, poursuivit Fournier, que, voyageant dans un train, vous passiez devant une maison en flammes. Aussitôt, tous les regards se tournent vers la fenêtre. L’attention générale se fixe sur un point unique. Dans un moment pareil, un homme peut tirer un poignard et tuer quelqu’un sans se faire voir des autres occupants.

— Parfaitement, dit Poirot. Je me rappelle un cas d’empoisonnement où il s’est produit ce que vous appelez un « moment psychologique ». Si un pareil cas était survenu durant la traversée du Prométhée…

— Nous le saurons facilement en interrogeant les garçons et les passagers, acheva Japp.

— Bien. Toutefois, ce moment psychologique – en admettant qu’il ait eu lieu — a dû être provoqué par le meurtrier lui-même.

— C’est bien ainsi que je le conçois, opina M. Fournier.

— Je prends note de cette question à poser dans nos prochains interrogatoires, dit Japp. Arrivons à présent au siège n°8. Daniel-Michel Clancy.

Japp prononça ce nom avec un visible plaisir.

— Suivant ma modeste opinion, cet individu est le plus suspect de tous. Très commode pour un romancier de feindre une curiosité pour le venin de serpent et de persuader quelque savant chimiste sans méfiance de lui donner accès à son laboratoire. N’oubliez pas qu’il s’est rendu auprès de Mme Giselle…il est même le seul passager qui soit allé du côté de la défunte.

— Soyez tranquille, mon ami, nous ne négligeons pas de vue ce détail important, lui assura Poirot avec conviction.

Japp poursuivit :

— Il a pu se servir de son chalumeau à très peu de distance, sans même recourir au « moment psychologique », comme vous dites. Il avait beaucoup de chance de réussir. Selon son propre aveu, ne connaît-il pas parfaitement l’usage de cet instrument ?

— Cet aveu non sollicité me ferait plutôt hésiter à formuler un jugement contre lui.

— Simple artifice de sa part, dit Japp. En outre, qui nous prouve que le chalumeau apporté par lui à l’instruction est celui qu’il acheta voilà deux ans ? Tout cela me paraît louche. Je ne pense pas qu’il soit très sain d’écrire continuellement des romans policiers et d’accumuler toutes sortes de documents sur le crime et les assassins. Cela finit par vous fourrer des idées dans la tête.

— Il est indispensable pour un écrivain d’avoir des idées dans la tête, observa Poirot.

Japp consulta le plan de l’avion.

— N°4, Mr. Ryder occupait le siège immédiatement devant la morte. Je ne crois pas que ce soit lui le coupable ; néanmoins, nous devons retenir son nom, car il s’est rendu aux lavabos. Il a pu faire le coup en regagnant sa place, et même de près ; le seul point embarrassant, c’est qu’il aurait opéré en présence des deux archéologues, qui l’eussent sûrement remarqué.

Poirot hocha pensivement la tête.

— On voit bien que vous n’avez pas fréquenté beaucoup d’archéologues. Si Mrs. Dupont étaient en pleine discussion, soyez certains, cher ami, qu’ils demeuraient aveugles et sourds à tout ce qui se passait autour d’eux. Ils se trouvaient sans doute transportés en l’an cinq mille avant Jésus-Christ et, pour eux, l’an mil neuf cent trente-six n’existait plus.

Japp paraissait légèrement sceptique.

— Eh bien, à leur tour maintenant de passer sur la sellette. Que savez-vous sur les Dupont, monsieur Fournier ?

— M. Armand Dupont est un des archéologues les plus distingués de France.

— Cela ne nous avance guère. A mon sens, leur place dans le compartiment était excellente pour viser Mme Giselle. Ces gens-là ont roulé leur bosse dans tous les pays du monde et recueilli sans doute une foule de souvenirs curieux : pourquoi n’auraient-ils pas entre autres rapporté des venins mortels de pays sauvages ?

— Oui, cela est fort possible, dit Fournier.

— Mais vous n’y croyez pas ?

Fournier hocha la tête.

— M. Dupont ne vit que pour la science. Il a le feu sacré. Autrefois, il tenait un magasin d’antiquités et il a sacrifié une affaire très prospère pour se consacrer aux recherches archéologiques. Lui et son fils s’adonnent corps et âme à leur idéal. Il me semble improbable qu’ils soient mêlés à un crime… Je ne dis pas impossible, remarquez-le bien ; depuis l’affaire Stavisky, je suis prêt à tout admettre.

— Fort bien, dit Japp.

Il prit la feuille de papier sur laquelle il avait inscrit quelques notes et lut :

— Voici où nous en sommes.

JANE GREY : Probabilités médiocres ; possibilités pratiquement nulles.

GAILE : Probabilités médiocres et possibilités nulles.

MISS KERR : Probabilités bonnes ; possibilités pour ainsi dire nulles.

M. POIROT : Presque sûrement le criminel ; le seul homme à bord capable de créer le « moment psychologique ».

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer