Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 10QUELQU’UN JOUE DE L’ORGUE

Ces derniers mots avaient été prononcés avecune telle force et toute cette prière avait été dite dans le tond’un si sombre fanatisme que je m’enfuis encore de ceux-là, moinsrassuré que jamais sur le sort qui nous attendait, moi et ceux quej’aurais voulu sauver avec moi.

Après ce que j’avais vu dans la baignoiregrillée, je les appelais tous, dans mon cœur, desbourreaux !

J’ai toujours professé qu’il ne faut pointrépondre au mal par le mal, quelle que puisse être la catastropheinitiale, et qu’en dépit des prédictions vengeresses del’Apocalypse c’est une grande faute de croire que les bonstriompheront avec les mêmes armes que les méchants !

Je sais bien que tout le monde n’est pas demon avis, mais tout le monde n’a point, non plus, pour raisonner,la tranquillité d’esprit relative d’un neutre. Je disrelative, car certes, dans le moment même que je fuyaisles derniers échos de la terrible prière du soir, j’étais agité demille sentiments tout à fait capables de troubler la sérénité de maphilosophie.

Le plus angoissant de ces sentiments étaitcelui qui me faisait craindre qu’en dépit de ma neutralitéreconnue, l’audace que j’avais eue de pénétrer dans ce funestebâtiment et la curiosité que j’avais montrée de ce qui s’y passaitn’incitassent les « Anges des Eaux » à me traiter commeleur pire ennemi !

Cependant, je ne pouvais longtemps encoreespérer me cacher d’eux et, mes forces m’abandonnant, le momentviendrait où je serais fatalement découvert et où il faudraits’expliquer !…

J’avais donc fui cette partie du bâtiment quime paraissait réservée à l’équipage et je me retrouvai, après avoirerré au hasard, dans cette coursive que je reconnus pour l’avoirdéjà parcourue au moment de pénétrer dans cette salle à mangerimmense dont le spectacle m’avait arraché des cris d’admiration àcause de son luxe de marbré et de pierres précieuses.

Je retrouvai l’office, et dans l’officedéserte les reliefs d’un magnifique repas. Je profitai en hâte del’absence des serviteurs (qui s’en étaient peut-être allés, euxaussi, à la prière du soir) et je dévorai littéralement ce quirestait sur les plats.

Du vin doré dans une carafe acheva de meréchauffer et, quand je poussai la porte de la prodigieuse salle àmanger, j’avais reconquis suffisamment mon équilibre moral pourpouvoir envisager les prochains événements sans trembler comme unenfant.

Dans le moment même, j’entendis des sonsadmirables qui semblaient descendre du ciel. Je levai la tête etdécouvris de grandes orgues que je n’avais pas encore remarquées etqui se trouvaient au-dessus de la galerie qui faisait le tour del’immense pièce.

Je n’avais fait, précédemment, que tournerautour de cette galerie-là. Les orgues s’érigeaient à l’extrémitéopposée. Mes pas restèrent suspendus dans le flot d’harmonie qui endéferlait.

Je ne reconnaissais point cette musique. Celan’était d’aucune école. En tout cas, moi, je n’avais jamais rienentendu de semblable… Un ange aurait pleuré sur la misère du mondeque cela n’aurait pas été plus désespérément doux ni plusmagnifiquement mélancolique, ni en même temps plus triste et plusdéchirant. Et c’est moi qui pleurais…

Du reste, j’ai toujours été sensible aux sons.Mais dans l’état d’énervement où j’étais, on comprendra facilementque je n’aie pu retenir mes larmes.

Qui donc jouait ainsi ?… Ce devait êtreun grand artiste, mais ce devait être avant tout quelqu’un quiavait beaucoup souffert. En tout cas, cette souffrance qui selamentait si grandiosement ne criait point vengeance, comme laprière effroyable que j’avais entendue tout à l’heure.

Et cela me changeait tellement de toutes leshorreurs contre lesquelles je m’étais heurté depuis que j’avaiscommencé mon errance dans les méandres du mystérieux vaisseau queje n’hésitai point à m’avancer, après le premier moment desurprise, vers cette souffrance-là. J’imaginai tout de suite que jen’avais rien à craindre de l’être qui savait ainsi idéaliser ladouleur, et continuant de pleurer, mais haletant d’un espoir sansborne, je gravis les degrés de l’escalier qui conduisait à lagalerie.

Et je glissai vers les orgues, sans bruit,pour ne point interrompre une si admirable plainte, mais aussi pourne point manquer de voir et de toucher celui de qui j’attendais lesalut.

Mais voilà que tout à coup, après un derniergémissement qui sembla venir expirer sur mon front, la voix del’orgue se tut. Alors je courus.

Je fis le tour de l’orgue.

Personne !…

L’énorme instrument était encore frémissant deson dernier soupir, le clavier était resté découvert. Mais celuiqui avait joué, celui qui avait souffert sur ses touches était déjàparti !…

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