Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 20L’ONCLE ULRICH PASSE ENCORE UN MAUVAIS QUART D’HEURE

Ainsi Amalia était au courant du martyre del’oncle Ulrich !

Elle devait avoir appris l’horrible chose àl’instant même, pensai-je, pour avoir changé aussi catégoriquementd’attitude et aussi rapidement ! Ainsi pouvais-je m’expliquerson subit désespoir et le délire nouveau dans lequel elle réclamaitdes promesses et des serments d’assurance pour la vie de sesenfants !…

« Croyez-vous qu’il tiendra sonserment ? me demanda-t-elle en se relevant avec mon aide, dèsque le capitaine Hyx nous eut quittés.

– Je le crois, fis-je. Il m’a paru sincère. Dureste, je pense avant tout que vous l’avez bien deviné : c’estun terrible utilitaire, ou qui s’imagine tel ! Vous l’avezconvaincu que rien ne peut lui être plus utile que votrerencontre avec votre mari ! Il vous a promis cette rencontre,vous pouvez être tranquille jusque-là ! Et moi aussi, chèreAmalia, je suis tranquille, moi qui suis décidé plus que jamais àpartager toutes vos transes et tous vos maux !

– Qu’en pense, donc la señoritaDolorès ? » demanda Amalia. Mais la señorita Dolorèsn’était plus à nos côtés. Elle nous avait quittés, elle aussi. Iln’y avait plus près de nous que l’obséquieux maître d’hôtel qui semettait « à la disposition de Madame » pour la reconduiredans ses appartements.

Nous en prîmes donc le chemin, pendant lequelje la questionnai sur l’oncle Ulrich. Elle ne me réponditpas ; peut-être n’en avait-elle pas la force ! En toutcas, en arrivant chez elle, elle poussa une porte qui donnait surun petit cabinet au fond duquel, sur un lit de camp, gisait l’oncleUlrich, qui avait le médecin du bord à son chevet !

Ce cher homme, docte parmi les plus doctes (jeparle de l’oncle Ulrich), n’était point très changé depuis sadernière aventure. Un peu pâlot, mais les joues pleines, le mentonsolide, les cheveux toujours frisés.

Il reposait tranquillement.

Mais sa bouche entrouverte ne laissait pasvoir sa langue, et pour cause !

L’excellent médecin du bord, qui s’était levéà notre arrivée, nous apprit qu’il avait fait une piqûre demorphine au patient, que celui-ci n’avait presque plus de fièvre etque d’ici à quelques jours les choses reprendraient pour lui leurcours normal, moins, bien entendu, l’éloquence, une chose dont lecher professor serait désormais, hélas ! obligé des’abstenir, « ce qui, ajouta-t-il, le laisse point que d’êtreassez fâcheux pour un professor ».

« Non ! » cria une voixderrière nous.

Et jugez de notre stupéfaction, surtout de lamienne ; cette voix était celle d’Amalia ! Après nousavoir jeté ce « non » rageur, elle alla enfermer sesenfants dans sa chambre et revint à nous, qui étions sous le coupde sa protestation inattendue.

Sans se demander une seconde si l’éclat de sonexaltation n’allait pas faire sortir l’illustre von Hahn d’un repossalutaire, elle se livra contre le professeur à une« sortie » qui m’en apprenait long sur les sentimentscachés d’Amalia relativement à la race germanique, laquelle luiavait cependant donné un mari.

Ah ! elle était restéeluxembourgeoise ! beaucoup plus solidement luxembourgeoise quebeaucoup d’autres femmes de notre pays (et très haut placées, s’ilvous plaît), qui n’ont point « épousé » en Allemagne.

Hélas ! notre faiblesse, à nous autres,petites gens d’un petit peuple, nous a commandé le silence dans desminutes terribles, où nous pouvions avoir envie de parler !Nous n’avons point souffert comme les Belges, car nous n’avonspoint combattu (ne le pouvant pas), mais nous avons été humiliés,et je suis tout prêt à penser que cette humiliation nationaledevait être pour quelque chose dans la sainte colère qui animasoudain Mme l’amirale von Treischke contre le professeurUlrich von Hahn, de l’université de Bonn !

En tout cas, cette raison-là s’ajoutait àtoutes les autres qu’elle avait de se retourner contre l’orgueil etla folie allemands qui l’avaient conduite, elle et ses enfants, aufond de cet horrible drame !

« Non ! s’écria-t-elle, non !dans un état de fureur subite qui la mettait à la limite de lafolie. Non ! il ne faut point regretter que monsieur ne puissedésormais parler ! Certes, quand j’ai pu apprécier tout àl’heure le malheur qui le frappait, j’ai pu aussi être émue uninstant et saisie de pitié devant une aussi précise et audacieuse,et farouche cruauté ! Je suis femme, mais le capitaine Hyx –je le dis maintenant, je le dis comme je le pense ! comme jele pense !… – le capitaine Hyx avait bien des excuses de luifaire arracher la langue !… C’est elle lacoupable !…

« Ah ! qu’il prenne donc tous lesprofesseurs, tous, et qu’il me laisse mes enfants ! Et qu’illeur arrache la langue à tous, pour que mes enfants ne lesentendent jamais plus réciter leurs folies !…

«Ah ! toutes les monstrueuses foliesqu’ils ont sur la langue !… Il leur faut des langues solidespour supporter un poids pareil d’imbécillités et dekolossales niaiseries !… Qu’on leur arrache lalangue !… qu’on leur arrache la langue !…

« Enfin vous, Herbert, mon bonCarolus !… combien de fois ne les avez-vous pas entendusvous-même ?… Quand nous ne nous enfermions pas d’horreurderrière une porte, c’était au moins pour y pouffer de rire !…Mais on ne peut plus rire, maintenant, d’une éloquence qui a faitpleurer tant de mères !…

« Qu’on leur arrache la langue !…qu’on leur arrache la langue !… Qu’on ne les entende plusjamais dire (leurs phrases, je les connais par cœur, hélas !par cœur) ! Qu’on ne les entende plus jamais dire : “Laguerre est un instrument de progrès !…”

« “Dans l’emploi de la violence, il n’y apas de limite… »

« “La guerre justifie tous lesmoyens. »

« “Il faut qu’il ne reste au peupleenvahi que les yeux pour pleurer ! »

« “Surtout, soyons durs ! »

« “Vous dites que c’est la bonne causequi sanctifie même la guerre ? Je vous dis : c’est labonne guerre qui sanctifie toute cause ! » Et c’est duNietzsche ! n’est-ce pas ? n’est-ce pas, oncleUlrich ? »

“La guerre est un instrument deprogrès !… »

« “L’Allemagne, grâce à sa facultéd’organisation, a atteint une étape de civilisation plus élevée queles autres peuples. La guerre les y fera participer. »N’est-ce pas, professeur von Hahn ?

« “Nous n’avons à nous excuser de rien…Nous sommes moralement et intellectuellement supérieurs à tous,hors de pair… Nous ferons cette fois-ci table rase… » N’est-cepas, professeur Lasson ?… N’est-ce pas ?

« “La Kultur n’exclut pas la sauvageriesanglante ; elle sublimise le démoniaque… » N’est-ce pas,Thomas Mann ?

« Et ceci encore que j’ai entendu, ôhorreur ! “Ô toi, Allemagne !… égorge des millionsd’hommes… et que jusqu’aux nues, plus haut que les montagnes,s’entassent la chair fumante et les ossements humains !”N’est-ce pas, monsieur le conseiller aulique HeinrichViererdt ?… N’est-ce pas, n’est-ce pas, oncle Ulrich ?…Oui ! Oui ! c’est juste, qu’on leur arrache lalangue !… qu’on leur arrache la langue !… »

Dans l’entraînement de sa prosopopée, Amaliane s’était point tout d’abord aperçue que l’oncle Ulrich, réveilléde son demi-coma par l’écho de cette fureur vengeresse qui éclataitsur sa tête, la fixait avec des yeux d’épouvante et ouvrait unebouche horrible qui tentait vainement de lui répondre !…

Tout à coup Amalia vit cela ! Elle vitcette bouche !… Elle se pencha sur elle avec une joieforcenée…

Et, en se relevant, elle s’écria, dans ungeste de victoire : « Enfin ! je ne l’entendraiplus crier : Deutschland über alles ! »

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