Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 23LA PETITE CHAPELLE

Le docteur était resté à côté de moi etn’avait pas prononcé une parole, durant toute la scène.

Comme les derniers prisonniers allemandss’éloignaient, qui sur leurs deux pieds, qui sur leurs béquilles,je lui soufflai à l’oreille :

« Après ce que j’ai vu, ici etlà-bas, dans la prison blanche et au spectacle grillé, je puis direqu’ils sont au-dessus de la nature humaine !… »

Le docteur hocha la tête en corrigeant :« hors de la nature humaine ! » puis il eutl’air de penser à autre chose ; moi, je m’essuyais les yeux,encore sous le coup de mon émotion, à moi.

L’équipage avait suivi les prisonniers.Maintenant la salle était vide, il n’y avait plus, dans la hautegalerie, que le docteur et moi, plus une voix que j’entendis tout àcoup, sur ma nuque :

« Monsieur Herbert de Renich, je vousattendrai demain soir dans la petite chapelle !… »

Je me retournai et saluai le capitaine Hyx,qui venait de quitter l’orgue et qui se rendait dans sabibliothèque par la coursive.

Mon Dieu ! qu’il était pâle sous sonmasque ! et combien solennel ! Il semblait avoir grandi.J’ai dit qu’il avait un léger embonpoint, mais ceci était loin delui enlever de sa majesté, au contraire ! NapoléonIer ne commença à avoir vraiment un air de majesté quelorsqu’il commença à avoir du ventre.

Ai-je besoin de dire que depuis que Dolorèsm’avait confié les véritables desseins du capitaine Hyx relatifs àMme l’amirale von Treischke je n’avais cessé, une minute, endépit des événements plus ou moins passionnants qui venaient de sedérouler, de remuer en moi des projets de salut pour la pauvreAmalia ?

Ai-je surtout besoin de dire que, depuis cemoment-là, j’exécrais de plus en plus le mystérieux maître duVengeur ?… Eh bien, voilà qu’encore une fois jevenais de subir la toute-puissance de cet être détesté… Il étaitprès de moi. Il venait de me parler !… Non seulement je ne luisautais pas à la gorge, certes ! mais encore je n’en avaisaucune envie !… Je le saluais avec une obéissanteadmiration !… Et je le trouvais beau, malgré son masquequi eût pu le rendre ridicule, et je le trouvais majestueux !Arrangez cela comme vous pourrez.

Était-ce simplement l’influence d’une forcesur ma faiblesse ? Possible ! je crois bien que ledocteur, dont, l’autre jour, j’avais entendu par surprise leslamentations contradictoires, se trouvait un peu, vis-à-vis de lui,dans le même état que moi, toutes proportions gardées.

Ainsi il lui en voulait certainement del’avoir entraîné dans cette affreuse croisade sous-marine, mais ilne lui en voulait que de loin, car il fallait le voir (le docteur)quand, lui aussi, rencontrait le capitaine Hyx ! Quelssaluts ! Et dans le moment même, quels précieux sourirestristes ! quels regards de dévouement de chien qui continue àaimer son maître même quand le maître est méchant.

Un drôle de corps, ce docteur, très bon ettrès sincère, mais très hésitant en tout, avec de précieuxarguments spontanés pour donner tort et raison tour à tour à toutle monde et même à la même personne !

Ce n’était pas un Français (j’avais pu, uninstant le croire) ; c’était un Belge qui avait fait sesétudes à la faculté de Lille. Il s’appelait Eristal de son nom defamille et Médéric de son premier nom de baptême. Il hochait latête à propos de tout et de rien, et semblait toujours occupé àremuer, en même temps que des clefs dans ses poches, le pour et lecontre dans sa cervelle.

Pour que le capitaine Hyx l’eût décidé às’embarquer… voilà qui en disait long sur la puissance d’attractionet de commandement du capitaine Hyx !… Mais depuis qu’il étaità bord, ce bon docteur (j’appris cela bientôt) embrassait assezsouvent la bouteille de skydam… Hélas ! qui oserait l’enblâmer ?

Qu’allait-il se passer dans la petitechapelle ? C’est ce que je résolus de demander au docteurlui-même, ainsi que bien d’autres choses qui me brûlaient la langueet l’entendement. Aussi je priai Médéric Eristal de m’accompagnerjusque chez moi et de ne point me lâcher jusque-là, tant je mesentais pris d’étourdissement et d’ardente fièvre.

Il me prit amicalement sous les bras, me fitentrer avec précaution dans l’ascenseur, et me donna, au coin d’unecoursive, tous les renseignements possibles sur un ignoble individuque nous frôlâmes et dont il nous éloigna avec dégoût, cependantque l’autre inclinait jusqu’à ses pieds les plumes dont il avaitorné sa chevelure.

« C’est un saltimbanque ! me dit ledocteur, un farceur ! À part cela, un vrai Peau-Rouge del’antique tribu de Pawnies ! Il a servi dans les cirques, chezBuffalo, je crois ! Il est tatoué des pieds à la tête dedessins macabres humoristiques tracés à l’encre de Chine par desComanches de carrefour, plaie des faubourgs de Chicago ! Il sedonnait partout comme le bourreau de sa tribu, chargé de torturerles prisonniers au poteau ! Des blagues ! Il ne sait bienarracher que les dents, à la pointe d’un sabre, ce qui se voit sansaller en Amérique ! Pour le reste, il charcutehorriblement ! Le capitaine Hyx, commandé en cela par salogique inflexible, ne l’en engagea pas moins comme bourreauofficiel, estimant qu’il ferait plus souffrir qu’un autre qui s’yconnaîtrait mieux ! En quoi il s’est trompé, car le Peau-Rougeest paresseux comme un loir et est toujours prêt à faire plus degrimaces que de besogne. Finalement, il a fallu faire venir unChinois, mais on garde tout de même ce Peau-Rouge qui déshonore lebâtiment ! À cause de la couleur de sa peau qui est de briquecuite, tout le monde l’appelle ici : le père Latuile…

Le père Latuile ! Je savais maintenantqui était le père Latuile, lequel m’avait si grandementintrigué : quelle ordure !…

Ah ! je ne lâchai pas le docteur !Arrivé dans le quartier de la prison blanche, dont le conciergehindou nous avait ouvert la porte solennellement avec des gesteshiératiques (comme s’il avait ouvert la porte d’un temple,imaginai-je), je poussai Médéric Eristal dans ma chambre ; et,tandis qu’il me tâtait le pouls en hochant la tête (commetoujours), je lui demandai à brûle-pourpoint si je pouvais avoirconfiance dans les dires de Dolorès.

« Quels dires ? Quels dires ?…Je ne veux pas les connaître !… Je ne veux en rien être mêlé àcette affaire-là !…

– Quelle affaire ?… Il n’y a pointd’affaire ! déclarai-je, mais n’est-ce point vous qui m’avezaverti que la señorita Dolorès avait quelque chose à medire ?

– Eh bien, voilà une commission biennaturelle, je pense !

– Bien naturelle, certes ! et c’est trèsnaturellement que je vous demande…

– Ne me demandez rien… Laissez-moitranquillement examiner votre pouls…

– Puis-je au moins vous demander si nousaurons encore longtemps le plaisir de vous compter parminous ?… Je ne vous cache pas que votre départ me désolerait, àmoins que vous ne soyez assez bon pour m’emmener avecvous !…

– Je ne pars plus ! fit-il… Je reste àsa disposition… Il est vrai que je devais vous quitter àCadix ; mais à Cadix il embarquera sixdocteurs ! C’est donc qu’il en a besoin (que va-t-il se passerencore, mon Dieu !), j’ai réfléchi à cela qu’il en abesoin ! Et sans savoir pourquoi, je reste !… du moins,je pense que je reste !… Ce sera, au surplus, comme il levoudra !…

– Oui, vous n’êtes pas encore tout à faitfixé. »

Et j’eus un sourire qu’il surprit…

« Vous me trouvezhésitant ! fit-il, en hochant la tête (je finis parcroire à un geste nerveux). Oui, je suis toujours un peu hésitant…figurez-vous que c’est “mon sacré métier” qui m’a rendu commeça !… la médecine !… Drôle d’affaire !… En dehors detâter le pouls, de consulter le thermomètre et de purger, je n’oseplus rien faire, moi !… ni rien dire !… Une piqûre demorphine, oui, de temps en temps, pour qu’on me fiche la paix etqu’on ne me demande pas d’explication !… Maintenant tout lemonde nous demande des explications !… Alors !Alors ! alors, je comprends le père Latuile, tenez ! Il ya de quoi s’engager chez Buffalo !…

– Ou sur LeVengeur !… »

Je n’avais pas plus tôt prononcé ce mot que jele regrettai. Le docteur me regarda avec un air de reprocheindicible et je vis de grosses larmes rouler dans ses yeux. Je luiserrai affectueusement les mains.

« Je connais vos sentiments !fis-je… Pardonnez-moi si je vous ai fait de la peine. Vous êtes leseul ici qui me soyez sympathique, qui ayez encore une figure et uncœur d’homme !… »

Mais il se sauva exactement dans le même émoique je lui avais déjà vu lorsque j’avais surpris sa conversationavec Gabriel et Dolorès.

« Le seul qui soit un lâche, unlâche !… un lâche !… » me jeta-t-il ensanglotant ; et il disparut.

Buldeo lui succéda :

« Monsieur dîne chez lui ou avec cesmessieurs prisonniers ?

– Chez moi ! Chez moi, Buldeo !…Mais j’ai un peu de fièvre, je désire un bouillon et un œuf à lacoque, simplement. Dites-moi, Buldeo, à propos de ces messieursprisonniers ! il y a des choses que je ne comprendspas ?… »

Buldeo me répondit : « Vous avezrendez-vous demain soir avec le capitaine Hyx dans la petitechapelle ; c’est moi qui suis chargé de vous y conduire.Alors, vous comprendrez tout ! Nous n’avons rien à vouscacher… »

La journée du lendemain me parut longue. Jen’y vois qu’un incident sans importance dans l’après-midi : ledocteur qui arrive chez moi assez agité et qui me supplie dans lesformes les plus mystérieuses d’oublier tout à fait (de chasser dema mémoire) ce qu’il m’avait dit la veille des six médecins quel’on allait embarquer à Cadix. Surtout, je devais oublier le nom dela ville espagnole !

Enfin, je devais tout à fait ignorer ce qui,d’une façon ou d’une autre, pouvait me mettre à même de situerLe Vengeur au fond des vastes mers (j’avais pensé que nousdevions être entrés dans le détroit de Gibraltar et que c’étaitquelque part par là que nous avions rencontré le sous-marinboche).

Après ma promesse d’oubli, le docteur quim’avait tâté le pouls en pensant à autre chose (comme toujours) eten hochant la tête, disparut en me jurant une amitié éternelle.

Enfin, le soir arriva où Buldeo m’introduisitdans la petite chapelle, que nous trouvâmes au fond de labibliothèque privée et qui communiquait directement (me dit Buldeo)avec la chambre du capitaine. Buldeo me laissa seul.

Cette petite chapelle était un véritablebijou, une pièce d’orfèvrerie plus que d’architecture, reproduisant(je vais vous la décrire ainsi d’un coup), reproduisant enminiature la Sainte-Chapelle du Palais de Justice de Paris, cechef-d’œuvre de l’art gothique flamboyant, comme disent lesguides.

Les hautes verrières de couleur étaientéclairées par des lampes électriques placées extérieurement, detelle sorte que la lumière qui les traversait et se répandait surles dalles de marbre et sur l’autel paraissait empruntée à un journaturel.

Certes ! avec ce silence et avec cetteapparente immobilité et tout ce rayonnement gothique, on oubliaittout à fait en quel lieu on se trouvait en réalité, pour ne plusvoir que le grand Christ qui étendait ses bras martyrs au-dessus del’autel ; et les genoux étaient prêts à plier comme dans unevraie maison du bon Dieu, sur la terre solide.

Il y avait, dans cette petite chapellemerveilleuse, quatre porte-missels d’une grande beauté, quatrelutrins qui en faisaient tout le mobilier.

Sur ces quatre lutrins, je vis quatreregistres verts énormes, à coins de cuivre, dont l’apparencebrutalement commerciale jurait singulièrement dans ce cadresacré.

En revanche, je fus attiré par un livre detoute beauté qui avait été placé sur l’autel lui-même, devant letabernacle. La couverture, toute incrustée de pierres précieuses,représentait, à elle seule, une somme considérable. Jamais l’artbyzantin, dans ses jours d’opulence la plus folle, n’avaitpareillement enrichi la parole écrite de celui qui prêcha lapauvreté !

Je soulevai la couverture, curieux de liredans ce flamboyant évangile ! Mais je n’eus pas plus tôt jetéun coup d’œil dans ce livre terrible que je le laissai retomber enreculant et en poussant un soupir d’horreur !

Hagard, ne demandant qu’à fuir, je meretournai.

« Monsieur Herbert de Renich, qui doncvous a permis de regarder dans monGrand-Livre ? »

J’avais en face de moi le capitaine Hyx qui metendait la main d’un geste amical et simple.

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