Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 7QUEL EST CE PALAIS SOUS-MARIN ?

En sortant de ce couloir, je m’arrêtai devantplusieurs « échelles » ou escaliers étroits qui allaientme permettre de descendre dans les différentes parties duprodigieux bâtiment. Je devais me trouver alors loin des postesd’équipage, des carrés d’officiers et de toute vie active du bord,car je ne percevais aucune voix ni aucun autre bruit. Ainsi, dansmes promenades matinales sur les plus grands vaisseaux qui joignentles continents, je pouvais errer sans rencontrer âme qui vive, àtravers les coursives et les salles magnifiques et les plus grandssalons déserts.

Au fait, ici, j’aurais pensé voyager plutôtsur un transatlantique que dans un sous-marin. Après avoir descenduau hasard deux échelles et traversé deux paliers, je poussai avecprécaution une porte de service dans l’espérance de tomber surquelque office où ma faim essayerait de se satisfaire, mais je metrouvai tout à coup dans une vaste et somptueuse salle à manger,telle qu’on en voit aux grands paquebots qui vous conduisent en sixjours du canal de Saint-George à New York, et je ne pus retenir uncri d’admiration ! Le luxe sous-marin du capitaine Nemo étaitdépassé !

Qui de nous n’a lu ce chef-d’œuvre de JulesVerne : Vingt Mille Lieues sous les mers, et qui nes’est dans son enfance enthousiasmé pour le Nautilus,sorti de l’imagination miraculeuse et prophétique de l’adorableconteur ! Comme cet ancêtre des submersibles nous paraissaitgrand ! De quelle force secrète il disposait !… À quelleétonnante mécanique, victorieuse des éléments, commandait sonmystérieux capitaine !… C’est à cet ouvrage chéri de majeunesse que je pensai tout de suite en pénétrant dans cette salled’un palais enchanté qui se promenait sous la mer !

Mais je fus bien obligé de me dire tout desuite aussi que la science humaine avait fini par dépasser le rêvedu conteur !… L’imagination de Jules Verne n’avait pas osédonner plus de soixante-dix mètres de long à son Nautilus,et le « bau » du navire, à sa plus grande largeur, si jeme le rappelle, était de huit mètres. C’était un tout petit cigareà côté de ce que les Allemands et les Anglais ont fait depuis…depuis la grande guerre surtout. Certains sous-marins allemandssortis des chantiers de Wilhelmshaven ont dans les cent trentemètres et comportent deux cents hommes d’équipage !… Enfin ilsfont des choses que ne pouvait faire le Nautilus, quin’était qu’un bateau, ils roulent à volonté sur le fond dela mer !… Oui, ils ont des roues, ils sont tour à tourvaisseau ou voiture !

En somme, je me trouvais dans un bâtiment dece genre, mais plus vaste encore et qui semblait n’avoir pas étéuniquement construit dans un but de guerre, puisque ce que jevoyais, dans le moment même, était d’un luxepalacial(comme on dit maintenant). J’étais à bord d’ungrand yacht sous-marin, construit sans aucun doute pour le comptede quelque milliardaire, lequel certainement avait imaginé de sedistraire en faisant très confortablement sa guerre à lui, avec desmoyens dépassant de beaucoup ceux de l’adversaire, et sans avoir decompte à rendre à personne, puisqu’il n’arborait le drapeau depersonne, mais seulement son drapeau à lui : le drapeau noir,marqué d’un grand V rouge.

En tout cas, quelle que pût être lanationalité du propriétaire de ce vaisseau magnifique, je fuspersuadé que je m’étais trompé en attribuant à l’Homme aux yeuxmorts un grade et une importance qu’il perdait aussitôt dans monesprit. Le maître du navire ne pouvait être qu’un grand seigneur,qui ignorait peut-être l’étrange et criminelle besogne que sonsous-ordre avait accomplie à Funchal en s’emparant, comme une bruteou comme un bandit de grand chemin, d’une femme innocente et detrois petits enfants !…

Tout ce luxe me redonnait de l’espoir. J’avaiscru pénétrer chez des pirates incapables de pitié, et je metrouvais en pleine civilisation !… Mais que vois-je ? Desfruits, là-bas, sur cette table d’agate… des fruits dans descoupes ! Mon Dieu, des bananes !… Des bananes !…

J’étais déjà dessus ! Je mangeai toutesles bananes !…

Mais, tout en mangeant, je ne pouvaism’empêcher de regarder les merveilles qui m’entouraient… Chosesingulière, je ne redoutais plus d’être surpris !… Aucontraire, je n’aurais pas été fâché d’être conduit tout de suitedevant le maître de toutes ces richesses pour lui dire monadmiration !

Je passai mes mains sur le marbre sarrancolindont les hautes colonnes qui soutenaient le plafond de cetteétonnante salle étaient revêtues… Elles étaient en tout semblablesaux colonnes du grand escalier de l’Opéra de Paris. Le plafondétait décoré d’une surprenante bataille que des sirènes d’unegrande beauté nue se livraient au sein des eaux profondes, parmiles algues et tout le mystère de la forêt aquatique…

En face de moi, j’avais une tapisserie hors deprix, représentant la Bataille navale des quatre jours,gagnée par Ruyter sur les Anglais en 1666, chef-d’œuvre deGuillaume de Velde, qui voulut assister au combat pour le peindreet dont on a dit « qu’un autre Raphaël naîtrait peut-êtrequelque jour, mais qu’on ne reverrait plus un autre Van deVelde ». (À ce propos, je pensai encore : le maître decéans ne doit pas être Anglais pour avoir placé ainsi, à l’honneur,ce tableau de la défaite anglaise ; à moins que ce ne soit ungrand artiste qui ne s’arrête point à ces détails.)

Je continuai assez niaisement de penser de lasorte (tout en mangeant mes bananes), car j’étais de plus en plusahuri et incapable d’une bien grande envolée d’esprit. Trop frappépar ce que je voyais, je redevenais enfant, avec les étonnements decet âge.

Après avoir caressé le marbre des colonnes, jem’inclinai pour passer les doigts sur le parquet fait de mosaïque.C’était bien là de la pierre, et non quelque trompeuse peinture. Ily avait là une infinie variété de cubes de couleurs naturelles(marbre, porphyre, jaspe, agate, etc.), formant des dessins ouplutôt des tableaux les plus plaisants du monde, (une bataille derequins, par exemple, avec des scaphandriers)… Ai-je besoin de vousdire que les meubles étaient à l’avenant et que, là encore, larichesse et le goût dépassaient l’imagination. Ils ne pouvaientêtre que de la Renaissance italienne dans ce cadre de colonnes, depilastres, de frises, de corniches et d’arcatures. Les armoires,les vaisseliers rappelaient en petit les édifices renouvelés del’antique.

Un escalier de marbre à double révolutionconduisait à une galerie supérieure. Je le gravis, à tout hasard.Et c’est de là-haut que j’entendis ce bout de conversation auquel,du reste, je ne compris absolument rien, entre deux valets quitraversaient la salle au-dessous de moi.

Le premier disait : « À ce qu’ilparaît que le Chinois est unique dans son genre, ça a coûté trèscher de le faire venir de Chine » ; et l’autrerépondait : « Oh ! moi, pour cette besogne-là jen’aurais besoin ni du Chinois ni du père Latuile. »

Je pus voir leurs figures. Elles étaient sipeu réjouissantes que je ne donnai point de suite à l’idée quej’avais eue tout d’abord de révéler ma présence en toussant, puisde me faire connaître et conduire devant le souverain de ce châteaude rêve…

Ce n’était point que ces figures fussentépouvantables à voir, mais elles étaient encore troptristes et parlaient d’une façon trop lugubre, même pour un hommequi, comme moi, ne comprenait pas ce qu’elles disaient. Là-dessus,je sortis par la galerie d’en haut de cette salle et je me trouvaialors dans le labyrinthe des coursives.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer