Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 21CE QUE SIGNIFIAIT LA PROMESSE DU CAPITAINE HYX

Amalia n’aurait pas été la douce et tendrecréature que je connaissais si, après un pareil transport, bienexcusable dans sa situation, elle n’avait immédiatement fondu enlarmes et n’avait recommandé au docteur de soigner l’oncle Ulrichcomme un parent aimé.

En ce qui me concerne, elle m’entraîna dans sachambre, où étaient ses enfants, et là, loin des regards étrangers,nous nous apitoyâmes comme il convenait sur notre infortune.

Pendant qu’elle soupirait près de moi, mesmains caressaient les cheveux du petit Carolus ! Dorothée etHeinrich, hélas ! jouaient à la guerre, comme s’ils ne sesouvenaient plus de la scène tragique qui venait de se passerdevant l’homme au masque et comme s’il n’y avait au monde d’autrejeu plus agréable que celui-là !

Heinrich commandait naturellement unsous-marin qui coulait tous les vaisseaux de l’Angleterre, etDorothée avait mis une serviette sur sa tête pour faire la dame dela Croix-Rouge. Heureux âge !

Amalia me fit alors la confidence qu’elleavait été tout d’abord choquée de l’acharnement héroïque quej’avais mis à la suivre jusque dans sa prison et que c’était là uneraison pour laquelle elle ne m’avait pas accueilli avec de grandesdémonstrations.

Très pieuse, elle avait tout de suite mis lemalheur qui l’avait frappée sur le compte de la joie commune quenous avions eue à nous retrouver à Funchal, et sur le châtimentqu’un pareil péché devait fatalement entraîner avec lui. Ainsi m’enavait-elle tout d’abord voulu de la conversation profane à laquelleelle s’était laissé si facilement entraîner à la messe deminuit !

Cependant, elle n’avait point persévéré dansune aussi flagrante injustice. Elle avait pu juger que les chosesétaient préparées depuis longtemps et que, même si je ne m’étaispas trouvé à Madère, elles ne se seraient pas passéesautrement.

Cette idée la laissait maintenant tout à faitlibre de m’exprimer son sentiment à mon égard, et elle ne me cachapoint qu’il était plein de reconnaissance et d’amitié.

Elle me remercia surtout de ce que je n’avaispas hésité à sacrifier ma liberté pour elle, dans le moment qu’elleentreprendrait sa grande tentative auprès de son mari.

« Vous vous êtes donné comme garant de mabonne foi, exprima-t-elle avec attendrissement, et vous vous êtesoffert comme otage ! Vous risquez d’être martyr ! Toutcela pour moi qui ne vous ai jamais fait que de lapeine !… »

Je protestai en la suppliant de ne considérerque le salut de ses enfants et aussi tout le bien qui pourraitrésulter d’une démarche comme la sienne, si elle arrivait àconvaincre l’amiral von Treischke.

« S’il n’y avait que lui !répliqua-t-elle, je répondrais avec assurance, car il voudra sauverles petits ; mais il y a toute sa “clique” ! Tout de mêmeje ne désespère point de leur faire entendre raison à tous, grâce àl’ascendant de mon mari. Il n’est point de leur intérêt de se créertous les jours, par leur intransigeance, des ennemis plusredoutables et qui finissent par disposer d’armes plus cruelles queles leurs ! Enfin, mon ami, que voulez-vous que je vousdise ? Je ferai ce que je pourrai, mais je ne cesserai depenser à vous ; je saurai que vous êtes là, que vous veillezsur les chers petits, et cela me donnera du courage pour ne revenirqu’avec le traité qui nous délivrera !

– Croyez-vous, lui demandai-je, que l’amiralvous laissera revenir ?

– Certes ! à cause des enfants,toujours ! Et croyez-vous, me répondit-elle, que si lecapitaine Hyx avait pu craindre que je ne revinsse pas il m’auraitpromis de me laisser partir ? »

Je ne sus que lui répondre, car ce qu’ellevenait de me dire là était, en ce qui la concernaitparticulièrement, si sinistre que je ne pus que me détourner pourcacher mes larmes. La pauvre femme se rendait donc compte quela vengeance du Vengeur avait besoin d’elle,aussi ! Et cependant une aussi horrible pensée ne latroublait même pas dans le dessein, auquel elle appartenaitmaintenant tout entière, de revenir de là-bas, avec sonfameux traité d’humanité !…

À la réflexion, toute cette histoire meparaissait bizarre. Comment le capitaine Hyx pouvait-il espérerqu’il suffirait de la démarche d’une femme aussi simple et aussipeu politique (mon Dieu, oui !) qu’Amalia pour changer du toutau tout les procédés de la guerre sous-marine enAllemagne ?

Il y avait d’autres amiraux en Allemagne quel’amiral von Treischke et, en admettant que celui-ci mît lespouces, on saurait bien lui trouver un successeur !

N’était-ce pas enfantin ? Et cependant,le capitaine Hyx n’était pas un enfant, certes !

Alors ?…

Alors sa promesse de laisser partir Amaliame fit peur !…

Que cachait-elle ? Que signifiait-elleexactement ?… Je n’aurais pu, évidemment, le dire… Mais, dèscette minute où toutes ces réflexions vinrent m’assaillir, jeconçus que cette promesse devait avoir un sens caché plusredoutable encore que tout ce que nous avions imaginé !…

Ce n’était qu’une idée, mais qui m’envahit sibien l’esprit que je n’écoutai même plus ce que me disait Amalia etqu’il me sembla sortir d’un rêve quand la femme de chambre vint meprévenir que le docteur me demandait.

Je baisai les mains d’Amalia comme un fidèletouche des lèvres une image de sainteté et j’allai au-devant dumédecin du bord, qui avait repris sa bonne mine triste ordinaire etqui attendit que nous fussions seuls tous deux pour me dire àl’oreille :

« Ne vous en allez pas des appartementsprivés avant d’avoir vu la señorita Dolorès ! »

Il n’eut pas plus tôt prononcé cela qu’ildisparut et que je restai planté là comme un sot. Il fallut qu’uneporte s’entrouvrît et que je visse le minois effaré de peur de laseñorita Dolorès elle-même pour que je revinsse complètement àmoi !

Que pouvait-elle me vouloir ?… Et surtoutquel nouveau malheur annonçait cette figure d’effroi ?…

Elle me faisait signe de me hâter vers elle.Je me précipitai. Elle referma la porte sur moi.

Je me trouvai alors dans ce petit salon-fumoiroriental dans lequel j’avais aperçu pour la première fois Gabrielet Dolorès. La jeune Espagnole, d’une voix tremblante, me pria debien vouloir m’asseoir sur ce divan où, naguère, je l’avais vuegracieusement étendue, échangeant des propos si troublants et siterrifiants avec son fiancé et aussi avec le docteur.

Elle leva un front inquiet vers le sommet dece petit escalier par lequel j’étais alors descendu et qui faisaitcommuniquer le fumoir avec la galerie aux orgues de la grande salleà manger.

Alors, je vis que Gabriel était là, à la placemême que j’occupais le soir où j’écoutais leur conversation. Il sepencha au-dessus de la rampe et assura Dolorès qu’il veillait etqu’elle pouvait être tranquille dans le moment. Vous pensez bienque tant de précautions n’allaient point sans m’intriguer d’unefaçon extraordinaire et que j’avais hâte de savoir de quoi ou dequi il s’agissait.

Dolorès, s’asseyant près de moi, et comprenantcertainement mon impatience, me dit aussitôt à voixbasse :

« Promettez-moi d’abord que ce qui va sedire ici restera absolument secret entre nous !

– Je vous le jure, señorita !

– Eh bien ! sachez donc que mon fiancé etmoi nous prenons en pitié cette pauvre dame et ses petits enfants.Notre avis est que la malheureuse n’est responsable de rien, etcependant un sort terrible l’attend !

– Mon Dieu ! soupirai-je, il ne faut doncpas se fier aux promesses du capitaine Hyx ?

– Vous n’avez rien compris aux promesses ducapitaine Hyx ! répliqua-t-elle, en hochant tristement latête. Le capitaine a promis de ne rien faire tant que Mme vonTreischke n’aurait pas eu un entretien avec son mari, et vous avezimaginé immédiatement que, pour cela même, le capitaine allaitpermettre à sa prisonnière de rejoindre son mari ! Or, c’estabsolument faux !… c’est le contraire qui est vrai !…C’est l’amiral qui viendra ici !…

– Et comment donc viendrait-il ici ?demandai-je, tout interloqué, car je ne comprenais pas encore.

– Comprenez qu’il-y viendra deforce ! et qu’il pourra alors avoir avec sa femme toutesles conversations qu’il voudra : cela n’aura plus aucuneimportance ! Et le capitaine Hyx aura tenu sa promessepuisqu’il n’aura rien fait avant ces conversations-là !…

– Et alors ? murmurai-je, presque sansforce, épouvanté d’une sorte de pitié désespérée que je voyaismaintenant sur le visage de Dolorès.

– Oh ! alors, fit-elle en baissant latête et sans pouvoir retenir un frisson… je ne sais pas moi…, je neveux pas savoir ! Dois-je vous apprendre tout ce qui sepasse ici ?… Non ! n’est-ce pas ?… Cela,certes, ne m’intéresse pas toujours !… Et puis vous devezêtre déjà à peu près renseigné, puisque vous demeurez dans laprison !… Alors, imaginez !… imaginez qu’il ne peut yavoir de vraie vengeance tant que l’amiral von Treischke ne serapas ici !…

– Horreur !…

– Oui, horreur ! car on sait qu’il adoresa femme et ses enfants !…

– Que voulez-vous dire ?… Que voulez-vousdire ?…

– Vous ne m’avez donc pas encorecomprise ?…

– Je n’ose pas !… Seigneur, ayez pitié demoi !… Je n’ose pas !…

– Il faut tout oser, cependant, après avoirtout compris. Dépêchez-vous donc de comprendre, car je vous disqu’on l’attend… je vous dis que nous allons lechercher !…

– C’est épouvantable !…épouvantable !…

– Oui, oui, épouvantable !… pas pourlui ! pas pour lui qui a mérité toutes les épouvantes… maispour elle !… pour elle !…

– Alors, vous croyez que lorsqu’il sera ici onla fera souffrir, elle !…

– La faire souffrir !… ah ! mon chermonsieur ! Ils ont à venger tant de martyrs !…et en particulier une certaine martyre… une dont j’ai vule portrait dans la petite chapelle et qui me paraît plusredoutable encore, pour Mme von Treischke, que le souvenir dela mort de miss Campbell elle-même !… »

Je restai quelques minutes sans pouvoirparler. L’émotion, la terreur métouffaient… Je voyaisdéjà Amalia horriblement perdue, en proie aux forcenés, livrée à lafurie sanguinaire des Anges des Eaux !

Ah ! certes, j’avais eu raison de meméfier de la parole du capitaine Hyx et de sa promesse !… Avecquelle joie funeste, à peine dissimulée, ce misérable nous avaittrompés ; s’était joué, sur une phrase, de la crédulité, de labonne foi, de la raison et du cœur d’Amalia !… Ainsi, pour quel’horrible cérémonie commençât, on n’attendait plus que l’amirallui-même !…

« Seigneur Dieu ! balbutiai-je,laisserez-vous accomplir un crime pareil ? »

Je pris dans mes mains les deux mains chaudesde fièvre de la bonne Dolorès, qui paraissait partager sihumainement mon angoisse, et je lui dis :

« Pour que vous ayez eu le courage…

– Oui, fit-elle en m’interrompant tout desuite et en hochant la tête : le dangereux courage… veuillezle croire, señor !…

– Pour que vous ayez eu le courage de me fairecomprendre, et voir, et saisir le sens caché des phrases quiparaissaient les plus claires, il faut que vous ayez pensé quecette périlleuse confidence pourrait être utile à ma malheureuseamie !

– Oui, oui ! » approuva-t-elle enjetant un rapide regard du côté de l’escalier.

Gabriel était toujours à son poste. Celui-cilui adressa un geste rassurant ; elle reprit, d’une voix sibasse, cette fois, si basse que, par moment, je devinais plutôt sesparoles que je ne les saisissais vraiment !…

« Oui, il est possible que vous, vouspuissiez faire quelque chose… En tout cas, ce n’est que de vous quele salut peut venir pour elle !…

– Parlez ! parlez vite !… Jedonnerai ma vie s’il le faut !…

– Oh ! j’ai bien deviné que vousl’aimiez, allez !… Qui est-ce qui ne l’aimerait pas ?…Elle est si belle !… Vous ne saurez jamais à quoi je renonce,moi, en vous disant toutes ces choses ! et ce que je risque,oh ! certainement, la vie !… Certes ! que l’onsache, dans la petite chapelle, que je vous ai dit ceschoses, et ma vie serait peu pour payer de telles paroles !…Donc, quoi que vous fassiez, soyez prudent ! Soyez-le pourvous, pour elle, pour moi, pour tout le monde !…

– Oh ! señorita ! je vous lepromets ! je vous jure !…

– Je trahis en ce moment un homme admirablequi a plus sauvé d’hommes, et de femmes, et d’enfants, avectous ses crimes, que toutes les déclarations d’amour universelet toutes les sommations solennelles de la plus grande et de laplus indépendante nation du monde, envoyées d’un continent àl’autre, par fil ou télégraphie sans fil ! Entendez-vous bien,senior ?… Non seulement je le trahis… mais je me trahis,moi !… Et cela à un point que le jeune homme qui estlà-haut à veiller sur nous et sur ma trahison ne me pardonneraitjamais s’il pouvait un jour en apprécier tout l’héroïsme !…Oui, señor, pour elle, qui est si belle, et parce qu’elle est sibelle, je m’arrache les griffes et les dents !… Tantpis ! tant pis !… je l’ai juré à la Vierge, quand cettefemme est venue pleurer aux pieds du capitaine et qu’elle s’esttraînée si belle, avec ses petits enfants suppliants !… j’aijuré de faire tout mon possible pour les sauver !… même si,pour cela, il fallait sauver l’autre ! »

Je l’écoutais !… ah ! comme jel’écoutais ! Enfin, à travers tant de mystérieuse horreur, jecommençais à saisir le fil grâce auquel nous pourrions peut-êtresortir de ce labyrinthe de supplices !… En somme, qu’est-cequ’il fallait comprendre ? Il fallait comprendre que rienn’était perdu, c’est-à-dire que tout était retardé, tant quel’autre n’était pas ici ! Il fallait donc sauverl’autre !…

Dolorès vit, cette fois, que j’étais avec sapensée. Alors, elle me dit : « Le capitaine n’a aucuneraison pour vous retenir ici ! Vous y êtes venu tout à faitpar hasard et vous êtes un neutre ! D’autre part, il ne craintaucune publicité ! Au contraire, il la recherche auprès decertaines gens !… Il l’organise au besoin !… Le seulsecret auquel il tienne c’est celui de ses opérations dans lemoment qu’il opère !… Mais il ne tient pas du tout à ce quel’on ne sache pas au monde ce qui se passe chez lui !… Pourvuque certains Boches en soient terrorisés, c’est tout ce qu’il luifaut ! Il ne demande l’approbation de personne ! Il ditvolontiers : “Dieu et mon drapeaunoir !” »

Un instant elle s’arrêta, soupira, essuya unelarme au coin de sa paupière et reprit :

« Allez trouver le capitaine et dites-luique vous désirez être débarqué le plus tôt possible… vous entendez…le plus tôt possible !… car je sens que nous courons versl’autre !… et il est temps que l’autre soitprévenu !…

– Croyez-vous que le capitaine accède à mademande ?

– Je vous dis qu’il n’a aucune raison de vousgarder ! Et puis, il est toujours respectueux du droit !C’est votre droit d’être débarqué, il vous débarquera !… etalors…

– Et alors ?

– Eh bien, alors, vous ne perdrez pas uneminute ! Vous courrez à l’endroit où se trouve l’amiral… (iciDolorès se pencha à mon oreille) et vous lui direz de se méfier detout ce qui peut lui venir d’en haut !… Vous luidirez entre autres choses que les six bourgmestres disparus ont étépris la nuit, par des gens qui étaient venus d’en haut et qui lesont jetés dans une prison aérienne qui peut faire du chemin,puisque les six villes ont été privées de leurs six bourgmestresdans la même nuit !…

– L’automobile-hydravion !m’exclamai-je…

– Chut ! donc… qu’il se méfie del’automobile-hydravion !… Qu’il se méfie de tous lesappareils, ceux qui glissent dans l’air ou sur la terre, ou sousles eaux !… Mais je ne veux plus rien vous dire ! pas unmot de plus !… ah ! certes ! non ! pas un motde plus !… oh ! j’aimerais mieux mourir !… C’estassez trahir les autres et soi-même !… Maintenant, tout dépendde vous, señor, de votre habileté, de votre façon de vous conduireavec le capitaine, et de votre façon de lui parler… Après tout,c’est un homme (ce qu’elle disait là était bien assezfemme !) et il y a des paroles auxquelles un homme, même quandcet homme s’est mis au-dessus de l’humanité, est toujourssensible !… Je ne vous dirai point (vous êtes tropintelligent, señor, pour que je vous parle ainsi) de “flatter samanie”. L’expression serait à mourir de désespoir ; mais jevous dirai : osez regarder en face son œuvre, devantl’Homme ! Il aime à ce qu’on s’intéresse à son œuvre, mêmepour la maudire ! Essayez de vous hausser un peu jusqu’à luiet peut-être vous en saura-t-il gré !… Enfin, le principal estqu’il vous débarque le plus tôt possible !… le plus tôtpossible !… »

Elle se leva aussitôt après avoir prononcé cesmots, et Gabriel descendit rapidement l’escalier.

Dans le même moment des sonneries électriquesse faisaient entendre de tous côtés… « Sauvez-vous !Qu’on ne vous trouve pas ici, avec nous ! » me jetaDolorès en me poussant vers la porte qui conduisait à l’appartementd’Amalia.

Là, je me heurtai au docteur à qui je demandaice que signifiait ce bruit insolite de sonneries électriques. Il merépondit : « Ce n’est rien ! c’est le branle-basde combat ! »

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