Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 5UN HOMME DEBOUT SUR LA MER

Puis un homme apparut. Je le reconnusaussitôt. Il n’avait plus de cape, il était nu-tête ; mais lesdeux trous profonds de ses yeux funèbres, aux paupières rouges, nepouvaient me permettre aucune hésitation sur la personnalité del’étrange individu que j’avais devant moi. Il ne me voyait pas, ilregardait au-dessus de moi, vers la haute mer.

Au surplus, je m’étais allongé ou plutôtaplati au ras de la carcasse même du sous-marin géant, abritéderrière le pont métallique qui surmontait la coque de plus d’unmètre. L’homme n’eût pu m’apercevoir qu’en se penchant. Il étaitappuyé à la hampe du drapeau, et il est probable qu’avec son regardmort il voyait des choses que je n’étais pas encore capable dedistinguer, car il fit un signe de la main vers les eaux qui meparaissaient désertes.

Il est vrai que la nuit traînait encore sur lamer. Il est vrai également que je n’ai jamais eu l’œil marin.

Quelles étaient mes pensées à ce momentprécis ? Mon Dieu ! elles étaient tout à faitlugubres ! La situation, si mystérieuse qu’elle apparût, mesemblait très claire en ce qui me concernait !

Ce qui s’était passé lorsque j’avais donné lachasse au canot automobile m’avait prouvé assez brutalement que mavie ne comptait guère dans cette singulière et tragique aventure etque l’on était tout à fait décidé à la sacrifier plutôt que de mepermettre de me mêler de choses qui ne me regardaientpas !

On se croyait débarrassé de mon importunecuriosité ! Qu’arriverait-il si l’on s’apercevait de monétrange obstination à poursuivre, jusque sur le flanc de ce monstresous-marin, le secret d’un homme qui semblait ne vouloir quel’abîme pour complice !

Mon compte, comme on dit, était bon !

D’un autre côté, la seule chance que j’avaisque l’on ne m’aperçut pas résidait dans la rapidité avec laquellele vaisseau qui me portait s’enfoncerait dans la mer ! Or,faible, épuisé comme je l’étais, je me sentais incapable de memaintenir sur les eaux plus de quelques minutes. Le lointain pic del’une des Desertas, allumé par les premiers feux de l’Orient,semblait n’être soudain surgi dans l’ombre que pour me fairemesurer l’espace immense qui me séparait de toute terre.

Je n’avais à espérer aucun secours.

Et cependant, voyez la force de l’amour :dans cette affreuse détresse, ce n’est pas à ma mort prochaine queje songeais mais au sort de la malheureuse que j’avais voulusauver ! Pourquoi ce rapt abominable ? Fallait-il voirdans cette incroyable affaire la vengeance d’un amant trahi ?Je connaissais trop Amalia pour m’arrêter une seconde à unehypothèse aussi injurieuse pour sa vertu ! Et le vol desenfants ! Que signifiait aussi le vol des enfants ?N’était-il qu’un appât destiné à rendre plus facile l’enlèvement dela mère ?…

Où se trouvaient-ils maintenant, tous lesquatre ? Après avoir assisté en quelque sorte à toutel’entreprise de l’Homme aux yeux morts, je ne doutais point qu’ilsfussent là, sous cette carapace, sous cette coque d’acier quim’offrait momentanément un refuge ! C’est dans cette prisonsous-marine qu’ils avaient été enfermés, dans quelque desseinsûrement redoutable, terrible !

Et je ne pouvais rien pour eux !… et laprison, avec son secret, et Amalia et ses trois enfants et l’Hommeaux yeux morts allaient gagner sournoisement les profondeurs del’abîme.

L’homme était toujours appuyé au pavillonnoir. Il n’était pas très grand mais il avait une carrure decolosse, des épaules puissantes, un torse de gorille, moulé dans unjersey de laine bleue sur lequel se détachait la lettre V en lainerouge. Il avait des bras et des mains d’homme des bois. Si j’avaiseu la pensée de lutter avec celui que je considérais alors comme legeôlier en chef de Mme la contre-amirale von Treischke et deses enfants, le spectacle de toute cette musculature m’eûtcertainement averti des dangers de l’entreprise.

Mais ceci, en tout cas, eût été de la folie,car cet homme n’avait certainement qu’un signe à faire, qu’un appelà jeter pour être secouru aussitôt par toutes les âmes damnées dontil avait dû meubler la carcasse de son vaisseau depirate !

Oui, en vérité, ce devait être unpirate ! Le pirate moderne ! Le pirate sous-marin !Mon Dieu ! s’il ne s’agissait que d’une rançon, je me seraisbien livré !…

Dans le moment où j’en étais là de mesréflexions, l’Homme aux yeux morts s’écarta un peu du capot, medonnant un immense espoir…

S’il s’éloignait encore en me tournant le dos,je pouvais tenter de m’introduire dans le bâtiment sans quepersonne s’en aperçût, et peut-être alors pourrais-je m’ydissimuler jusqu’au moment où, plus près de la terre, notre évasionà tous les cinq serait rendue possible.

Quand on est dans la situation où je metrouvais, les plus folles imaginations vous paraissent tout desuite réalisables. Il y a cinq minutes, nous étions tousperdus ! Et parce que cet homme avait fait cinq pas nousétions maintenant, dans mon imagination, tous sauvés !

Mais c’est souvent quand le corps n’est plusqu’une épave que le cerveau le soulève avec le plus de facilité etlui fait accomplir des gestes merveilleux. Mon Dieu ! quelmoment ! Je verrai toujours cette immense coque verte, touteruisselante encore du flot marin qui clapotait autour d’elle,jaunie, çà et là de rouille fraîche ; près de moi, le côned’acier rose d’une torpille de flanc où s’accrochait la chevelurehuileuse d’une longue algue des bas-fonds, puis au-dessus de matête la ligne curve et aiguë du pont désert qui se découpait surl’horizon déjà clair… enfin ce drapeau noir qui claquait d’unefaçon si sinistre dans le froid du matin… et cet homme, tout seul,tout seul debout sur cet étrange piédestal ; immobile parmil’élément mobile, cet homme qui, de ses yeux morts, regardaitsortir des eaux le soleil !

Sous ses cheveux crépus, il avait un frontbombé et court de bête féroce, et cependant son air (l’air qui nele quittait jamais) n’était point féroce, mais triste. Il avaitcroisé les bras et je l’entendis gémir :

« Ô soleil ! comment oses-tuéclairer encore cette terre maudite ! »

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