Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 30PROMENADE SOUS LA MER

Quel spectacle m’attendait sur le seuil desportes de la mer ! J’avais cru que nous allions descendre dansles nappes d’eau illuminées par la toute-puissante lumière froidedes phares sous-marins du Vengeur, mais je m’étaistotalement trompé.

Le Vengeur devait avoir ses raisons à lui (lesraisons de son capitaine) pour ne signaler sa présence devant Vigoni au-dessus ni au-dessous du niveau de la mer. Quoi qu’il en fût,cette circonstance nous permit de jouir d’un paysage d’unedélicatesse incomparable, sous un magnifique clair delune !

Je pensais nécessairement que nous devionsnous trouver sur un très haut-fond, choisi pour cette manœuvre dedébarquement sous l’eau ; et, de fait, nous pouvionsapercevoir au-dessus de nos têtes le scintillement argenté duclapotis des vagues sous la lune et leur écume d’argent !

J’étais descendu le dernier. Derrière nous,nous entendîmes les portes de fer se refermer et nous nousretournâmes… L’escalier avait déjà disparu. Et puis nous marchâmesassez rapidement pour nous éloigner du vaisseau et je me retournaiencore. Le ventre immense du Vengeur semblait reposerdirectement sur le fond de la mer… Il n’en était rien cependant,puisque tout à coup il se mit à rouler tout doucement dansune direction opposée à la nôtre. Ma lampe électrique, quiprojetait alors sa clarté sur une partie de sa base, me faisaitdécouvrir une quantité incroyable de petites roues sur lesquellesLe Vengeur glissait, sous la lente poussée de ses hélicesou de ses turbines.

Je le regardais longuement s’enfoncer devantmoi dans le mystère des eaux avec une lenteur qui devait êtrecalculée pour nous éviter quelque dangereux tourbillon et je medemandais s’il était possible que je le revisse jamais !…

La fin de cette aventure, ou, plus exactement,ce que j’en croyais être la fin, me paraissait aussi prodigieuseque son commencement, et j’étais aussi stupéfait d’en être sortique je l’avais été de l’avoir vécue !

Hélas ! hélas ! vainesréflexions ! joie trop rapide ! Il est des aventuresdont l’on ne sort jamais !

Soudain, je me sentis touché à l’épaule.C’était un de mes compagnons qui m’avertissait qu’on était déjà enroute. (Était-ce le midship ?) Je les suivis. Quelle route deconte de fées !

Nous eussions pu, sans dommage, éteindre leslongs fuseaux de nos lampes, qui découpaient des triangles dursdans l’élément liquide, et nous eussions encore vu assez clair pourguider nos pas, tant dans la nuit-là il y avait de phosphorescencedans la mer et de rayons de lune sur l’écume des vagues !

Je n’avais plus peur, je n’avais pluspeur ! Je me sentais bien en route pour sauver Amalia !en route sur la plus belle route du monde ! Plusieurs fois, jevis devant moi mes compagnons se pencher, examiner quelque chose derose et de rayonnant à la fois, à leurs pieds, et puis continuerleur chemin !

Cette manœuvre finit par m’intriguer.

Et moi aussi, je me penchai et je regardaiattentivement, un genou en terre et appuyé sur mon pic, cette chosequ’avaient regardée mes compagnons ! Quels furent ma joie etmon étonnement en reconnaissant dans une énorme volute un« casque » rose dit de Bahama parce qu’on en trouvesurtout au bord de ces îles… un peu plus loin un« casque » rouge dit du Cap ! C’est dans cescoquillages gros comme la tête d’un homme que l’on taille lescamées !

Déjà j’essayais d’arracher la prestigieusevolute au lit de la mer dans lequel elle semblait s’être incrustée,quand l’un de ces messieurs scaphandriers me fit lâcher prise et medonna à entendre, par des gestes appropriés, que j’avais tort dem’attarder à cette besogne défendue.

Et il me montrait d’autres coquillages, desnacres, des haliotides (si recherchées entre parenthèses despaysans bretons), mais celles-ci belles comme des haliotides deChine avec leur nacre rose, irisée ou verte, qui, non seulement,jonchaient le chemin, mais le jalonnaient à desintervalles presque réguliers.

Tels les petits cailloux du Petit Poucet aucœur de la forêt profonde, ou mieux, telles les pierres milliairesdes anciens, ou simplement nos bornes kilométriques, cescoquillages énormes, appelés casques, avaient été apportés là etincrustés là pour marquer le chemin que nous devions suivre au fonddes eaux !…

Et ainsi me rappelai-je les propos dudocteur : « Ne craignez point de vous perdre ! nosroutes sous-marines sont bien repérées ! »

Il y avait déjà une demi-heure que nousmarchions ainsi sur cette sorte de plateau sous-marin lumineux quireflétait la lueur lunaire et l’écume argentée des eaux, quand,subitement, il nous fallut descendre d’une façon assez rapide etbrutale.

C’est là que nos pics de fer nous furent d’unegrande utilité. Nous laissâmes sur notre gauche une véritable forêtde fucus, d’algues qui se dressaient devant nous avec des aspectsde branches verticales, frissonnantes au moindre souffle,c’est-à-dire au moindre remuement de l’eau !…

Enfin, nous parvînmes dans une sorte de cirquebasaltique. Des rochers se dressèrent menaçants au-dessus de nostêtes, comme s’ils allaient basculer et nous écraser. La clartélunaire, le niveau argenté des eaux et ruisselant de la lumière dela nuit n’étaient plus visibles, Nous étions descendus suffisammentpour que je fusse capable d’apprécier une plus grande pression del’élément ambiant et la plus grande difficulté de nousmouvoir !… Toutefois nos mouvements, quoique lourds, étaientencore parfaitement libres. Seulement, il me semblait que nousavancions avec plus de prudence et de circonspection…

Et soudain, après avoir tourné une immensefalaise perpendiculaire, nous nous mîmes à la gravir, dans le roc,degré par degré, marches régulières taillées par la main de l’hommeet sur le bord desquelles courait une rampe de fer à laquelle nousnous accrochions… cela jusqu’à un certain palier de granit oùnous nous trouvâmes en face d’un ascenseur !

Certes, depuis que j’avais quitté Madère dansdes conditions bien inattendues, j’avais eu quelques occasionsd’étonnement, mais, en vérité, celui-ci ne fut pas lemoindre !… Et cependant, quand on y pense… quoi d’étonnant àvoir un ascenseur descendre au fond de la mer pour y chercher desscaphandriers et les remonter à l’air libre ?… Ceci n’estqu’un jeu pour la science et cet instrument était le plus banal dumonde ! Sans doute, mais, sous la mer, j’étais comme un enfantqui n’a jamais voyagé !

Je pris place avec mes compagnons dans la cageassez vaste. Les portes en furent refermées avec soin. L’un de nousappuya sur un bouton électrique sur lequel était inscrit un numéro(comme dans les hôtels ou dans tout immeuble qui se respecte) etnous commençâmes de monter très lentement, ce qui nous évitait lesmalaises d’un brusque changement de pression.

Les portes étaient des portes-fenêtres quinous laissaient voir le flanc vertical de la falaise et lemouvement en spirale des eaux que nous déplacions.

De petits poissons rouges tournaient autour denous, dans la chambre, avec une rapidité affolée, éclairés par lefeu de nos lampes. Et je m’amusai à en attraper comme on attrapedes mouches !…

Je vis, au mouvement spasmodique des épaulesde mes compagnons, que mes gestes enfantins avaient, sous la peaude caoutchouc et dans la sphère de cuivre, déchaîné la joie desscaphandriers. Je me reprochai d’attirer ainsi l’attention et jerésolus de me faire, autant que possible, oublier, surtout dans lemoment que nous approchions (me semblait-il) du but suprême.

Et c’est sans doute aussi pour me recommanderplus de discrétion dans ma façon de me tenir sous l’eau que l’un denous me mit, incontinent, sans avoir l’air de s’en apercevoir, sonpic de fer sur le gros orteil gauche que j’ai toujours euparticulièrement sensible. Je criai de douleur, tout à mon aise,persuadé que personne ne pouvait m’entendre ; puis je neregrettai rien de l’incident, certain que j’avais eu affaire aumidship, qui était bien un scaphandrier à avoir ces sortes demanières ; et j’étais heureux de l’avoir retrouvé.

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