Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 2LES YEUX SOUS LE CAPUCHON

Entre la colonne qui me cachait et le mur oùj’étais appuyé, il y avait un étroit espace par lequel mon regardse glissa pour aller à l’homme qui avait prononcé cette dernièrephrase. Il était enveloppé d’une cape et me tournait le dos. Je nevoyais pas son interlocuteur. Je sortis alors sans bruit de macachette, le cœur très en désordre et les tempes battantes, car jene doutais pas que les bandits n’en voulussent au butin de jeuemporté par l’heureuse Amalia (comment eus-je pu concevoir uneentreprise bien autrement redoutable contre une femme que jecroyais sans ennemis ?) et mon dessein était, naturellement,de prévenir au plus tôt Amalia, sans attirer l’attention de ceuxdont j’avais surpris le hideux projet !

Or, autour du départ de Mme l’amirale vonTreischke, il y eut un mouvement qui me fut des plus favorables etje parvins à rejoindre l’homme à la cape dans le moment qu’ilsortait dans les jardins, sur les pas d’Amalia et de sa dame decompagnie.

Le dépassant, j’allais enfin voir sa figure,car, dans ces jardins, qui sont parmi les plus beaux du monde, il yavait une lumière de fête, répandue par tous les feux de Noël quifont de toute l’île, cette nuit-là, un merveilleux brasier. Mais jefus bien déçu quand un geste de l’homme rabattit soudain lecapuchon de sa cape sur une sorte de coiffure marine enveloppant sibien toute la tête que je n’eus que le temps d’apercevoir deuxyeux, ou plutôt deux trous d’yeux extraordinaires, à cause de leurprofondeur sans éclat… oui, dans des orbites profondes comme on envoit aux têtes des morts, la glace immobile du regard semblaitmorte elle-même, à jamais desséchée…

Cette rapide vision des yeux morts sous lecapuchon me terrifia plus que des prunelles en flammes. Cet hommesi singulièrement enveloppé dans son manteau, et qui glissaitdevant moi, dans l’ombre des deux femmes, m’apparaissait maintenantcomme la Tristesse en marche, la Tristesse qui s’apprêtaitsilencieusement à voler, et peut-être à assassiner !… J’en fusglacé jusqu’aux moelles et je tâtai, dans ma poche, monrevolver.

Je m’arrêtai quand l’homme s’arrêta.

Mme von Treischke et la suivante venaientde monter dans leur carro, aux patins de fer, qui allaitles conduire, sur les petits pavés pointus graissés de suif, à lacathédrale, dont beaucoup de joueurs prenaient alors, comme Amalia,le chemin. Les cloches de toutes les églises et les pétards deminuit sur les parvis sacrés appelaient de toutes parts lesfidèles.

J’eus un mouvement pour me jeter dans lecarro d’Amalia avant qu’il ne démarrât, traîné par sesdeux vaches actives, précédé de l’enfant-coureur-chasse-mouches, etsuivi du bouvier alerte, à la longue pique. Mais je pensai aussitôtque je retrouverais sans difficulté Amalia à la messe, et que leplus urgent était de ne point lâcher mon homme. J’imaginai qu’ilallait monter, lui aussi, dans un carro et suivre lesfemmes, mais il n’en fût rien. Il revint dans les jardins, montasur un banc et regarda longuement du côté de la rade. Puis ilredescendit et, tranquillement, alla s’appuyer contre leDragon et, fouillant dans sa poche, en tira un lourdcouteau dont il ouvrit la lame. Et il s’amusa, comme s’il n’avaitpas autre chose de plus pressant à faire, à entailler la peau duDragon, qui est un arbre d’une douceur d’écorce tout àfait extraordinaire et dans laquelle les joueurs qui ont perdu s’envont, par distraction, enfoncer mélancoliquement la pointe de leurcanif, pour voir couler de cette chair blessée la sève « commedu sang ». Quand il eut fini ses entailles, l’hommes’éloigna ; j’allai à l’arbre et regardai sa nouvelleblessure, je découvris un grand V et cette date au-dessous :« Noël 1915 ». Quand je relevai la tête, l’homme avaitdisparu.

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