Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 8LA BAIGNOIRE GRILLÉE

Je dis bien : labyrinthe ! J’étaisperdu, comme il m’est arrivé souvent sur les grands paquebots quandje me mêlais de les vouloir visiter tout seul, du haut en bas.Alors je m’égarais inévitablement dans l’enchevêtrement deséchelles et la succession innombrable des « decks » et lecroisement des coursives. Cependant ici je ne ressentais pas latrépidation puissante dont tous les vaisseaux frémissent dans leurcourse rapide ; nous marchions certainement à l’électricité etnous devions nous enfoncer, maintenant que nous éprouvions un légerbalancement de roulis très suave, sur l’aile étendue de nosgouvernails horizontaux (depuis la Grande Guerre, qui de nousignore l’a b c de la navigation sous-marine ?). Oùdonc était cette sensation de malaise que l’on éprouve, paraît-il(à ce que l’on nous a si souvent raconté) sur les sous-marinsordinaires, où il n’y a guère de place pour le confort et où l’onvit, si tant est que l’on puisse appeler cela vivre, le plusincommodément du monde ?

Ce vaisseau allait vite et devait, lui aussi,frapper des coups redoutables. Mais tout en bousculant l’Océan, etquelquefois sans doute ceux qu’il y rencontrait, il donnait à ceuxqui l’habitaient le plaisir de la promenade.

Promenons-nous donc !… Allons à ladécouverte !… Les fruits que j’ai mangés m’ont redonné, pourquelques minutes, l’illusion d’avoir recouvré mes forces !… Jepuis attendre, sans trop de fièvre, la fin de l’aventure.

Oh ! je me l’imagine, la fin del’aventure : je vais être « pincé » tout à l’heure,on s’expliquera, et comme, après tout, je n’ai rien à me reprocherqu’un acte de courage, je ne redoute point de me trouver en face dumaître du bord, lequel saura me traiter en honnête homme etm’aider, je n’en doute pas, à sauver Amalia et ses enfants desentreprises inexplicables de l’Homme aux yeux morts !

Je dois me trouver encore dans cette partie dunavire réservée au maître et à ses hôtes, car en dehors des deuxvalets en culottes courtes, en bas de soie et en habit (avec ungrand V doré dans le dos) et d’un steward qui traversèrent devantmoi, sans soupçonner ma présence, le corridor, je continue à nerencontrer aucun homme d’équipage et je ne perçois aucun des bruitsqui annoncent les « postes d’équipage » ou les salles deservice.

Je suis monté… redescendu… remonté.

Les hôtes de ce palais sous-marin doiventencore dormir ou paresser dans leur couchette !… Quedis-je : leur couchette ? Il ne doit pas y avoir decabines dans cette partie du bâtiment, mais bien de véritablesgrandes belles chambres, dignes de la salle à manger.

Quel luxe ! quel confort ! J’ai jetéun coup d’œil dans les salles de bain ! Extraordinaire !…Tout en marbre !… Tout à l’heure, je pourrai certainementprendre un bon bain chaud et je me ferai frictionner au gant decrin et à l’eau de Cologne ! Il doit y avoir aussi, à bord, unpédicure !…

Comme ces coursives qui voient glisser macourse vagabonde et étonnée sont éclatantes de blancheur et depropreté, ripolinisées, laquées avec des cuivres certainementastiqués au brillant belge !

Voilà toute une succession de portes surlesquelles sont écrits des numéros, des lettres, des indicationsauxquelles je ne comprends rien.

Cependant, en dehors de toutes les autrespensées et de mon désir ardent de découvrir les cuisines, j’ai unepensée de derrière la tête qui ne me quitte pas, celle deMme l’amirale von Treischke et de ses trois petitsenfants !… Où sont-ils ?… Où sont-ils ?… Peut-êtrevais-je, tout à coup, entendre leurs voix… Peut-être vais-je, dèsla première porte poussée, me trouver en face d’eux et de leurdétresse !…

Non ! Non ! l’Homme aux yeux morts adû les mettre au secret quelque part, sans doute pour les revendreun bon prix au vice-amiral von Treischke lui-même. Ce sont bien làmœurs de pirate ! Les Barbaresques ne faisaient pas autrementet, à mon avis, l’Homme aux yeux morts doit être capable detout !…

Soudain, je pense qu’Amalia et ses enfantspeuvent très bien n’être pas à bord du sous-marin !… Qui medit que la chaloupe qui revenait avec les deux matelots tristes etle Chinois gai ne venait point de la transporter dans quelqueendroit désert de la côte de l’île Madère ou, mieux, dans un coinde ces Desertas, abandonnées de l’humanité et ou elle seraitretenue prisonnière avec ses enfants ?… Attention !quelqu’un !

Je m’arrête à l’extrémité de lacoursive !… Deux hommes d’équipage descendent une échelle.Tricots bleus, cous nus, grands V tout rouges sur la poitrine. Ilsont des figures de biftecks. Ah ! ils se portent bien. Ilsn’ont pas l’air, triste, eux ! Au contraire, ils sontintensément rayonnants, comme il arrive à ces figures solides de lavieille Angleterre, quand elles ont vidé quelques bonnes ardentesbouteilles de whisky.

En descendant l’échelle, le premier disait ausecond : « Le père Latuile est un fainéant et unfarceur et il n’a pas volé ce qui lui arrive ! » Lesecond lui répliqua : « C’est monavis ! »

Et je n’en entendis point davantage, car ilss’enfoncèrent dans les profondeurs du bâtiment.

Décidément, pensai-je, on s’occupe beaucoupici du père Latuile.

Pourquoi ne m’étais-je pas montré à ceshommes ?… Parce que j’avais voulu d’abord savoir ce qu’ilsdisaient. Or, ce qu’ils avaient dit, qui n’avait apparemment aucuneimportance, m’avait effrayé par le ton rauque et sauvage desinterlocuteurs. Et puis, pourquoi ne pas le dire aussi ?… Leurjoie rayonnante, sur leurs splendides faces de biftecks, m’avaitautant impressionné que la vision de l’incurable tristesse desautres… Oui, leur joie faisait peur !…

Continuons notre chemin, ou plutôt nos cheminsqui s’entre-croisent maintenant, en haut, en bas, sur ma tête, sousmes pieds… je suis au bord d’une espèce de cage centrale au fond delaquelle j’aperçois deux ascenseurs.

L’un d’eux se met en marche, je mesauve ; je m’enfonce dans une nouvelle galerie.

Ce qui m’étonne, c’est le bon air que l’onrespire ici !

Où sont-elles les fumées empoisonnées de lagazoline ?…

Dans notre sous-marin – j’en parlecomme s’il m’appartenait, ce que Dieu ne veuille, maintenant que jesais trop de choses – eh bien, dans notre sous-marin, on respiretout simplement l’air du large ! N’est-ce pasextraordinaire ?… à je ne sais combien de pieds sous le niveaude la mer !

Je me souviens qu’à ce moment précis j’étaisdans un enthousiasme (dû en grande partie à une forte fièvrecommençante) tel que certainement, si je m’étais trouvé tout à coupen face du capitaine, je me serais écrié avant toute chose :« Bravo ! » Et, ma foi ce n’était point là,peut-être, un si méchant début de conversation.

Or, dans le moment le plus chaud de magriserie intime (le désordre de mes sentiments allait alors, il nefaut pas l’oublier, de pair avec mon désordre physique) l’obscuritése fit tout à coup dans le couloir où je me trouvais.

Je m’arrêtai, dans le noir !… et uneporte claqua… Je m’aplatis contre la cloison, la porte futrefermée, mais j’apercevais devant moi deux ombres d’hommes quivenaient de surgir dans la galerie. Ils s’en allaient en causantvers le carré clair que découpait l’extrémité de la coursive,laquelle recevait encore la lumière de la cage aux ascenseurs.

Et voici ce que j’entendis : oh !textuellement !… Ce sont des phrases, qui, depuis, me sontrevenues bien souvent dans la tête.

Le premier disait : « Le pèreLatuile est idiot d’avoir fait l’obscurité dans la galerie puisquele photographe n’est pas encore là ! »

Et le second répondait : « Ne meparle pas du père Latuile, il est au-dessous de tout ! Je n’envoudrais pas pour m’arracher une dent ! »

Et l’autre reprit : « Ah !voilà le photographe !… »

Dans le carré clair de l’extrémité de lacoursive venait en effet d’apparaître un homme qui portait sous lesbras d’énormes appareils photographiques et qui rejoignit les deuxautres ombres d’hommes, lesquels refirent le chemin parcouru dansle noir, revenant sur leurs pas avec le photographe.

Et tous trois disparurent par cette porte qui,tout à l’heure, s’était ouverte pour laisser passer les deuxpremières ombres d’hommes. Mes yeux commençaient de se faire àl’obscurité, mais mes oreilles recommençaient, elles, d’être toutesbourdonnantes, à cause de ma fièvre et des étranges proposentendus, et d’une certaine angoisse nouvelle…

Me rendant à peine compte de ce que jefaisais, j’avançai de quelques pas encore dans la galerie obscureet soudain, sur ma gauche, je me trouvai dans une sorte de réduitqui communiquait de plain-pied avec la galerie et qui étaitclôturé, au fond, sur la gauche, par un grillage assez apparent,parce que, derrière ce grillage, il y avait une petite lueur.

Je m’enfonçai dans le réduit et ne m’arrêtaiqu’au grillage, les yeux sur la petite lueur, qui me révélait,de-ci, de-là, un coin d’uniforme d’officier de la marine allemande,à ne s’y point méprendre… Je crus même distinguer la lettre et lechiffre du sous-marin qui passait pour avoir coulé leLusitania.

Accroché à mon grillage, j’essayais decomprendre, mais je ne pouvais pas comprendre, et cependant, déjà,je frissonnais d’une horreur sans nom, et, sans rien savoir encore,j’ouvrais la bouche pour crier d’épouvante…

Soudain, il y eut une grande flamme blanche ouplutôt bleuâtre, éblouissante, aveuglante, accompagnée d’une sourdeexplosion. Cette clarté dura un dixième de seconde et je m’affalaide tout mon long sans avoir eu le temps de crier, assommé par ceque j’avais vu pendant ce dixième de seconde-là !

Combien d’heures restai-je ainsi sansconnaissance, dans le réduit ?… J’ai su depuis que lorsque jerouvris les yeux il pouvait être neuf heures du soir… je gisaistoujours au fond de l’obscurité, mais, au-dessus de ma tête, sedétachait très nettement le grillage qui recevait maintenant toutela lumière de la salle dont il me séparait : ainsi en est-ilpour les baignoires grillées, au théâtre, mais pour quel abominablespectacle de cauchemar avais-je pénétré dans cetteloge-ci ! !…

Le souvenir de ce que j’avais vu me chassa dece lieu maudit et me redonna de nouvelles forces pour fuir lehideux mystère !

Ah ! je ne regardai plus à travers legrillage…

Du reste, j’emportais pour toujours, toutgrelottant et claquant des dents, l’image d’Apocalypse apparue dansle dixième de seconde qui avait suffi au photographe pour laprendre au magnésium !

Mais dans quel cycle de l’enfer étais-je donctombé pour assister à un travail de photographie pareil ?…Quel métier ces gens-là faisaient-ils donc au fond des eaux ?Hélas ! Hélas ! un métier qu ‘ils avaient peut-êtreappris de leurs victimes elles-mêmes…

Mais fuyons !… Fuyons la chambre noire duphotographe de la Mort !…

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