Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 29COMMENCEMENT DE MON ÉVASION

Cinq minutes plus tard, j’avais revêtul’uniforme des matelots du Vengeur. Médéric Eristal meconsidéra quelques instants en silence, puis il eut l’air deréfléchir profondément, comme toujours, cependant que jel’entendais remuer ses clefs dans sa poche, puis il fronça lesourcil et enfin daigna parler :

« Savez-vous, me dit-il, que c’est unebien grave affaire que celle que nousentreprenons-là !… »

J’eus aussitôt la peur instinctive que cethomme, toujours hésitant, revînt sur l’une de ses rares décisionset renonçât à prêter la main à ma fuite, dans le moment même quej’avais décidé de la tenter.

Et peut-être n’avais-je pas tout à fait tortde craindre quelque événement de ce genre, car il remuait sesclefs, remuait ses clefs, et, en même temps, pesait, de touteévidence, sous ses sourcils froncés, des « pour » et des« contre » dans la balance éternellement inquiète de sapauvre cervelle d’homme de science qui ne croyait plus en Dieudepuis qu’on lui avait martyrisé sa fille et qui ne croyait pas enla science non plus !

« Partons ! partons ! fis-je,affolé, le midship m’attend déjà, peut-être !…

– C’est bientôt dit : partons !partons ! partons !… Mais, moi, en ce moment, en cemoment suprême, permettez-moi de me demander une dernière fois sij’ai tort ou si j’ai raison !…

– Vous avez raison ! affirmai-je, avecune autorité désespérée.

– Écoutez-moi bien ! fit-il, avec unsoupir, je veux que vous me prêtiez le serment de n’avoir aucunecuriosité pour ce qui est ou pour ce qui peut se passer aux îlesCiès !

– Quelles îles Ciès ? questionnai-je,quelque peu ahuri.

– Voilà bien le voyageur !… Voilà bien levoyageur ! ricana-t-il en faisant entendre un grand bruit detrousseaux de clefs… Monsieur a fait escale à Vigo, mais monsieurignore ce que sont les îles Ciès !

« Eh bien, cher petit ami, tâchez à lesignorer toujours, c’est ce que vous aurez de mieux à faire !Ou plutôt faites tout votre possible pour les connaître le moinslongtemps. C’est tout ce que je vous demande, sur la tête de vosparents ou sur la vôtre, et sur celle de Mme l’amirale vonTreischke, qui vous est certainement aussi chère que toutes lesautres réunies, car j’aurai foi dans le serment d’un amoureux devotre genre, un amoureux de sentiment pur, c’est-à-dire du genre leplus noble ! »

J’aurais pu me demander s’il se moquait demoi, mais je vis bien qu’il était trop préoccupé pour se livrer àune facétie misérable.

« Sachez, me disait-il, sachez que vousallez aborder, par le fond de la mer, l’une des îles Ciès…Insulæ Siccæ, disaient les anciens ! Groupe d’îlessauvages, désertiques, points perdus dans la mer, en face de larade de Vigo… aussi désertiques que les Desertas, dans le groupe deMadère, veuillez le croire ! Eh bien ! vous me ferez leplaisir de ne plus même vous préoccuper de savoir à laquelle de cesîles vous aborderez, n’est-ce pas, mon petit ami ?… Ceci n’estpas mon secret, c’est le secret du propriétaire ! Lepropriétaire a le droit de tout faire dans sa propriété !C’est le jus abutendi ! Il a le droit d’user etd’abuser ! Nous n’avons rien à y voir ! Il peuttransformer une île déserte en place de la Concorde ! Quiest-ce qui y trouverait à redire ? Mais je vous dis, moi, quemême si vous trouviez l’obélisque dans les îles Ciès (insulæSiccæ) il vaudrait mieux pour vous ne pas vous enapercevoir ! Compris ?

– Compris !… » obtempérai-jeimmédiatement et très singulièrement impressionné par l’étrangelangage du docteur…

Soudain je me rappelai certaine allusion deMédéric Eristal à certaines îles dans lesquelles les Allemandsavaient rêvé d’établir des dépôts secrets destinés auravitaillement de leurs sous-marins, et au fait qu’ils avaient dû yrenoncer parce que d’« autres » avaient déjà faitl’affaire.

J’imaginai facilement que le docteur avait pudésigner ainsi les Ciès ; son langage ne fut plus un mystèrepour moi. Certainement, le capitaine Hyx devait avoir acheté ouloué ces îles pour y créer un point d’appui pour lui-même, quelqueport secret pour son Vengeur… et alors je trouvai toutnaturel que Médéric Eristal me demandât de fermer les yeux, autantque possible, en abordant dans un endroit aussi« réservé », et exigeât de moi le serment de me montrer,par la suite, à l’égard de cet endroit, aussi « réservé »que l’endroit lui-même.

« J’ai si bien compris, repris-je, que jene fais aucune difficulté de vous prêter le serment que vousdemandez sur la tête qu’il vous plaira. Et maintenant, docteur, quevous voilà rassuré, partons !

– Hum !… je crois, en effet, que nousallons pouvoir partir, me répondit Médéric ; mais, puisquenous avons encore cinq minutes devant nous, peut-être netrouverez-vous pas inutile que je vous dise comment les chosesexactement doivent se passer… Aussitôt que vous serez arrivé dansl’île, c’est le midship qui aura la bonté de vous délivrer lui-mêmede votre scaphandre, puis il vous donnera le mot de passe. Grâce àce mot, vous traverserez l’île rapidement sans encombre, mais neregardez ni à droite, ni à gauche, autant que possible ! Alorsvous arriverez à un petit port de rien du tout que l’on appellela Espuma (l’Écume) et dans lequel se trouvera unemisérable petite barque de pauvre pêcheur ; non loin de là,vous verrez une cabane isolée sur un rocher. Vous irez frapper cinqcoups à la fenêtre, qui s’ouvrira. Vous direz le mot de passe. Etvous n’aurez plus à vous occuper de rien.

« Surtout ne questionnez pas. Un pauvrepêcheur sortira de la cabane et vous fera monter dans sa barque. Ilhissera sa voile et en route pour Vigo ! Si les vents ne sontpas propices, rassurez-vous ; le pauvre pêcheur a un moteur àpétrole dans sa pauvre barque, qui est munie d’une petite hélicesous le gouvernail, parfaitement !

« Ainsi vous voilà bien tranquille ;et l’affaire n’est pas encore, après tout, aussi compliquée qu’ellea pu le paraître ! Et maintenant en avant ! et boncourage ! »

Nous sortîmes de la chambre et de la coursivede la prison blanche, sans aucun incident. La sentinelle, à laporte, ne fit aucune difficulté pour laisser passer le docteur etson compagnon, qui avait l’uniforme des marins du Vengeuret un béret soigneusement incliné sur l’œil gauche, cachant un bontiers de profil !…

Mon cœur battait, battait, et cependant jen’étais encore qu’au début de l’entreprise. Je me sentais néanmoinsplein de force et de volonté de sortir de là ! Depuis cinqminutes, nous glissions dans les coursives libres et désertes,quand le docteur s’arrêta. Il me tendit la main et me dit :« Et maintenant, adieu et bonne chance !…

– Comment ? adieu et bonne chance !Vous n’allez pas me planter là, peut-être !

– Si ! si ! je suis au bout demon programme, en ce qui me concerne !… Le reste ne meregarde plus !… Si vous trouvez que je n’en ai pas assezfait : serviteur ! »

Et il tourna prestement sur ses talons ;mais je le rattrapai par sa tunique, j’étais outré !…

« Comment, vous ne me conduisez pas aumidship ?

– Vous trouverez le midship dans le vestiairedes scaphandriers, et il n’a jamais été entendu que, moi, j’iraisdans le vestiaire des scaphandriers !… C’est déjà bien assezque l’on m’ait vu sortir de la prison en même temps qu’unmatelot !… Mais je dirai, certes ! que je ne vousconnaissais pas et que je ne m’occupais pas de vous !… Etsurtout, ne me contredisez jamais sur ce point, quels que soientles événements ! »

Je l’aurais étranglé ! Cet homme nepensait qu’à lui, qu’à sa peur, qu’à sa responsabilité !Faisant ce qu’il faisait, qui était honorable, il ne voulait pas,cependant, courir le risque que l’homme qu’il trahissait (l’ami aucœur d’or et au masque de velours) pût lui reprocher satrahison !… Pouah ! pouah ! pouah !…

« Eh bien ! fis-je, en maîtrisant macolère, dites-moi au moins par où il faut que je passe pour aller àce vestiaire !… exactement !… sinon, je suisperdu !… Sans reproche, docteur, vous auriez pu allonger unpeu, en ce qui vous concerne, votre programme !… »

Il hocha la tête et haussa les épaules, medonna ses dernières instructions très précises :

« Quand vous serez dans le vestiaire,vous commencerez à vous habiller en prenant le dernier habit desscaphandriers de tribord, et cela sans vous occuper depersonne !

– Mais je ne sais pas ! Mais je ne saispas ! »

Mais il s’enfuit comme s’il avait eu le diableà ses trousses. Maintenant, il m’appartenait d’agir avecpromptitude et intelligence pour obvier aux inconvénients d’unpareil lâchage ! Si les autres complices avaient comptéuniquement sur le docteur pour me boucler dans mon scaphandre, monaventure s’annonçait singulièrement dangereuse et pouvait devenirrapidement tragique !

Mais mon incertitude ne dura pas devantcertains bruits de la Douleur qui commencèrent d’abord assezsournoisement à se glisser jusqu’à moi, et puis qui arrivèrent toutà coup en rafales dans la coursive où le docteur m’avaitabandonné.

Ainsi, je me retrouvais dans la partie la plussensible du vaisseau ; dans celle presque toujoursfrémissante où s’accomplissaient les rites sanglants de cettemonstrueuse religion du talion que le capitaine Hyx promenait ausein des mers pour le soi-disant salut de l’humanité ! Ceci meredonna du courage pour fuir ! Fuir ! Qu’étaient lesmystères du Temple antique à côté de ceux du templesous-marin ? Certes, de la terreur inutile, dans ce temps-là,de la terreur artistique pure à côté de la hideuse utile terreur ducapitaine Hyx ! Quant à moi, profane épouvanté, terrifiéd’avoir aperçu les saints livres de comptabilité au fond dutabernacle, je priai mon Dieu, à moi, de diriger mes pas, sansdéfaillance, jusque dans la chambre des scaphandres !…

De fait, j’y arrivai comme conduit par unesorte d’illumination intérieure, enfin par le souvenir aigu et toutà coup revivant des chemins que j’avais suivis lorsque je m’y étaisrendu, avec le capitaine et Amalia, pour la première fois.

Le long vestiaire était vide. Une rangéecentrale de petites lampes électriques distribuait une doucelumière.

Mes pas étaient conduits par ces mots deMédéric : « Dernier habit du scaphandrier detribord !… »

Les vêtements spéciaux, fabriqués avec unmélange de certains caoutchoucs et de certaine étoffe imperméable,le tout préparé de manière à supporter des pressions considérables,étaient pendus aux murs de tôle et alignés avec un ordre parfait. Àcôté de chacun d’eux, on voyait les plaques de cuivre, destinées àcuirasser la poitrine et le corps et à en maintenir l’équilibretout en le défendant contre la poussée des eaux.

Au bas de chaque vêtement, on avait placé, surun escabeau, la sphère de cuivre, garnie de petites fenêtresvitrées de face et sur les côtés, dans laquelle la tête pouvait semouvoir à l’aise et fixer tous les points de l’horizonsous-marin.

Près de la sphère, une lampe électrique quis’attachait à la ceinture. Sous l’escabeau, les lourdes chaussuresà semelles de plomb qui se vissaient aux jambières parl’application de cerceaux de cuivre… enfin, sur le plancher de fer,le réservoir d’air comprimé que chaque scaphandrier se mettait surle dos, comme un sac de soldat, et qui lui permettait, par letruchement de tuyaux communiquant avec la sphère, de se promenerlibrement sur les fonds sous-marins… car autrefois lesscaphandriers n’étaient que des esclaves enchaînés par les tuyauxcommuniquant avec une pompe à l’air libre, appareil datant del’enfance de l’art !

Cependant, suivant les instructions dudocteur, j’avais, en entendant un bruit de voix, là-bas, tout aubout du vestiaire, soulevé en hâte la lourde sphère et me l’étaisposée sur les épaules.

Elle reposait ainsi sur le haut de monvêtement que terminait un collet de cuivre taraudé ; seulementmon inexpérience et mon émotion étaient telles que j’avais placé masphère (après y avoir naturellement introduit ma tête) sens devantderrière, sur les épaules !… Et certainement, je serais restélà le plus embarrassé des scaphandriers, si l’on n’était venuaussitôt à mon secours.

L’objet fut tourné assez prestement etj’aperçus, devant moi, la bonne figure amusée du midship. Du coup,je me sentis tout à fait rassuré. Je sentais que celui-ci nem’abandonnerait pas au fond de l’océan. Du reste il serravigoureusement ma main, qui était déjà gantée de caoutchouc et,sans plus se préoccuper de la demi-douzaine d’hommes qu’il avaitamenés avec lui et qui étaient déjà en train de s’habiller àl’autre bout du vestiaire, il se mit en mesure de me bouclersolidement de partout, comme je le désirais si ardemment ; ilme vissa la sphère, les chaussures, me suspendit les plaques decuivre sur la poitrine comme de formidables décorations, attacha lalampe électrique à ma ceinture, assujettit à mes épaules leréservoir à air comprimé, après en avoir préalablement expérimentéla pression.

Enfin, il me mit debout (car je m’étais assissur l’escabeau) et me donna un bâton terminé par un lourd pic defer.

Puis, après m’avoir adressé des grimaces degamin à travers ma petite croisée que défendait un treillis de filde fer et m’avoir même tiré la langue de malice, il s’occupa toutde suite de sa toilette, qui fut vite achevée, car il paraissaitavoir grande expérience et habitude de ce genre de vêtement.

Moi, je restais immobile, cloué au plancherpar mes semelles de plomb, mais constatant avec satisfaction que jerespirais tout à fait normalement dans ma boule de cuivre.

Là-dessus, sur un coup de sifflet du midship,une équipe arriva avec de petits chariots bas et nous remorqua tousdans une chambre absolument nue et assez étroite, où nous fûmeslaissés seuls.

Une minute plus tard, un sifflement toutparticulier nous annonçait l’arrivée de l’eau.

L’eau monta, monta… Une très légère sensationde fraîcheur montait en même temps le long de mes jambes, suivantle niveau de l’eau.

Bientôt, cette eau fut à la hauteur de mespetites fenêtres ; je pus croire qu’elle allait m’entrer dansla bouche, et instinctivement, je fermai la bouche. Étais-jebête !… On dit toujours cela après !…

Mais, encore une fois, j’aurais voulu vous yvoir !…

L’un de mes compagnons (était-ce lemidship ?) alla à une cloison et appuya sur quelque bouton ouquelque levier, et tout à coup furent ouvertes les portes de lamer !… cependant qu’un escalier de fer se dépliaitautomatiquement et venait se placer au seuil de cette porte, posantson dernier degré sur le fond sous marin. Ainsi communiquait-onavec la mer profonde, dans le sein du Vengeur, suivant unsystème qui n’est point généralement celui des sous-marinsordinaires…

Je m’avançai derrière les autres et, bien queje m’y attendisse, car le principe d’Archimède n’est un secret pourpersonne, je fus tout à fait étonné de la facilité avec laquelle jeme déplaçais dans l’eau, en même temps que de la solidité et del’équilibre de ma marche, dus à mes semelles de plomb et auxlamelles de cuivre.

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