Le Capitaine Hyx – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome I

Chapitre 33À ZEEBRUGGE

Ici, les papiers de M. Herbert deRenich sont assez confus et cela tient évidemment à l’état d’espritqui fut le sien à la suite de son évasion manquée. Il réussitcependant, quelques jours plus tard, à quitter Le Vengeurpar la voie des airs (dans ce curieux hydravion qu’il adécrit), et cela grâce à la complicité du midship qui l’enfermadans une boîte à outils. La suite des mémoires de M. Herbertde Renich nous fait comprendre de quelle mission redoutable pourl’amiral von Treischke, le midship et ses hommes avaient étéchargés par le capitaine Hyx.

« Où sommes-nous ? m’écriai-je.

– En Belgique ! » me répondit lavoix du midship.

Tout ankylosé que j’étais je bondis hors demon réduit, comme ces diables pour enfants qui déploient tout leurressort dès qu’on soulève le couvercle de leur boîte.

En Belgique ! Nous étions enBelgique !… à deux pas du Luxembourg, presque chez moi !Non ? Était-ce possible ?

Mais le midship coupa court à mesmanifestations et demandes d’explication.

« Pas une minute à perdre !… Lesautres sont déjà à l’ouvrage !… Seulement, je ne pensepas qu’ils puissent pénétrer dans Zeebrugge, même déguisés commeils le sont, avant quelques heures. Tandis que vous, vous n’avezaucune précaution à prendre ! Vous courez à Bruges même, toutprès d’ici, à la kommandantur, et vous demandez à voir tout desuite l’amiral von Treischke, question de vie ou de mort pourlui et pour sa femme !… C’est un laisser-passer, ça, lemeilleur !… D’autant plus que ce cher bandit doit être curieuxd’avoir des nouvelles de Mme l’amirale !Compris ?

– Compris ! Et que devrai-jedire ?

– Tout et rien !… Tout ce qui peut lessauver, lui et sa femme, et rien de ce qui peut nous êtredésagréable à nous ! Compris ? » Le joyeuxmidship ne m’avait jamais parlé sur un pareil ton raide. Rien qu’àcela, on pouvait juger de la gravité de la situation.

« Écoutez, fis-je, je voudrais bien quevous précisiez…

– Pas de temps à perdre en discours !…Cependant qu’il soit bien entendu que c’est vous, cher monsieurHerbert de Renich, vous seul, qui, par votre astuce, vous êtesglissé dans cette boîte volante et avez réussi à venir avertirl’amiral d’avoir à se tenir sur ses gardes !… Seulement, outrecela, il vous faudra avoir encore assez d’imagination pourqu’il ne soit causé aucun désagrément à mes hommes !…Comprenez ?…

– Ah ! oui ! oui ! jecommence…

– Pas trop tôt !…

– Quoi qu’il arrive, pas de prisonniers,hein ?… Quoi qu’il arrive !… Ceci, au fond, estle moins difficile de votre tâche… car il ne vous sera pas dur defaire entendre à l’amiral que, si l’on touche à mes hommes, lesort de Mme l’amirale sera immédiatement réglé !Donc, s’il tient à la vie de sa femme (vous ajouterez : et deses enfants) et s’il veut vous aider à la sauver, il n’y a qu’unechose à faire : qu’il se cache… qu’on ne le voie plus, qu’onn’en entende plus parler… pendant quelque temps au moins ! Lemieux qu’il puisse lui arriver serait qu’il prît, sans rien dire àpersonne, un train pour une destination inconnue… Adieu et bonnechance, petit père ! Voici la route ! Bruges, cinq centsmètres ! »

Et son doigt m’indiquait une pente dans laclairière au milieu de laquelle l’autobus volant était descendu segarer…

« Ah ! fit-il encore, nous sommesici dans le parc d’une propriété privée… Pour en sortir, suivre lemur, arriver à la grille, crier au veilleur : “Hyx !…” eton vous laissera passer ! »

Je me retournai encore, lui pris la main.

« Veillez veillez sur elle !… Faitesde votre côté tout pour elle ! suppliai-je.

– Monsieur, me jeta avec impatience lemidship, il n’appartient plus qu’à vous de la sauver ! Maisvous la tuez si vous restez une seconde de plusici !… »

Je courais déjà !

Cinq minutes plus tard, j’avais passé lagrille sans encombre, et je me trouvais sur la route de Bruges, lelong du canal de Gand.

Je pensais que, quelques mois plus tôt, mabonne vieille maman, dès l’entrée des Boches en Luxembourg, étaitvenue se réfugier avec la vieille Gertrude dans un couvent de cettecité autrefois si paisible ; mais elle avait dû bientôts’enfuir de ces lieux déshonorés par une furieuse soldatesquetoujours en ripaille, dans l’attente du combat et de lamort !… Sur quoi, ayant reçu de bonnes nouvelles de Renich, oùtout était resté bien tranquille, elle n’avait rien trouvé de mieuxque de réintégrer nos pénates avec sa servante…

Brave maman !… La dernière lettre quej’avais reçue d’elle m’avait joint à Madère. Elle se plaignait den’avoir pas, depuis longtemps, de nouvelles de moi. À cause desBoches, elle était dans la nécessité de parler avec précaution del’abominable tragédie qui désolait la terre ; et elle m’encroyait toujours éloigné ! Ah ! bien ! si elle avaitsu… Elle serait morte, certainement, d’inquiétude etd’horreur ! Elle m’aimait tant !… Mais je comptais bien,dans quelques jours, avoir la joie de la presser sur mon cœur et delui raconter, désormais à l’abri des aventures, toutes celles qu’ilm’avait fallu traverser pour venir jusqu’à elle !…

En attendant, il me fallait, sans perdre uneseconde, remplir ma redoutable tâche…

Il devait être à peu près cinq heures du matinquand je me heurtai à mon premier Werda ? (qui valà ?) et quand je dus répondre aux questions du premier chefde poste allemand.

Le feldwebel me fit conduireimmédiatement à un officier qui se tenait dans une petite bâtissed’éclusier, au confluent du canal de Bruges à Zeebrugge et du canalde Bruges à Ostende. Cet officier me demanda ce qu’était l’uniformedont il me voyait affublé ; je lui répondis que je ne pourraisrépondre à une telle question que devant l’amiral von Treischkelui-même ; qu’il y avait urgence absolue à ce que je vissel’amiral sans plus tarder ; enfin qu’il s’agissait pourlui et pour beaucoup d’autres d’une question de vie ou demort !

L’officier alors téléphona à la kommandantur,puis il me demanda mes papiers. Je n’en avais aucun. Tous mespapiers d’identité, en effet, avaient été perdus en mer, lors duséjour prolongé que j’avais fait avant de m’accrocher aux flancs duVengeur.

Je déclarai que j’étais sujet luxembourgeoiset que ma démarche prouvait la loyauté de mes intentions. On mefouilla. On ne me trouva porteur d’aucune arme.

On me demanda comment j’étais parvenujusqu’ici, et par où, et d’où je venais en dernier lieu… Jerépliquai encore que je ne pouvais rien répondre avant de metrouver en face de l’amiral.

Enfin, je montrai une telle impatience, unetelle agitation, affirmant que chaque seconde de retard pouvaitamener une terrible catastrophe, que, sur un dernier coup detéléphone, on me conduisit à la kommandantur.

J’y allai entre deux gardes du corps qui ne melâchèrent pas des yeux. On leur avait dit : « Faites bienattention à celui-ci : probable que c’est unfou !… » Ah ! Bruges ! Bruges !qu’avait-on fait de toi, Bruges-la-Morte !… Ils t’avaientfait revivre, les barbares ! Et comment !…

Ah ! les béguinages ! Ah ! lequai du Rosaire !… Ah ! la paix sacrée des vieilles ruesendormies !… Tout cela revivait, revivait, revivait, dès lapremière heure du jour, avec un bruit de bottes, et debottes !

… Et de camions automobiles, et de canons etde caissons d’artillerie défilant, sur les pavés sonores, avecle moins de lenteur possible, celle-ci !…

Mais trêve aux regrets poétiques, n’est-cepas ? Chaque chose en son temps ! Ce n’est pas le momentde se montrer un rêveur sentimental !

À la kommandantur, je me trouvai en face d’uncertain hauptmann qui m’interrogea d’un air furieux et me traita deDumm (idiot) !

Mais je lui répliquai avec un sang-froidsoudain excessif, et qui parut produire un excellent effet, qu’ilserait la cause de la mort de l’amiral et de bien d’autrescatastrophes incalculables !… J’ajoutai :

« Je sais que l’amiral est àZeebrugge ! Téléphonez-lui de venir tout de suite avec unetrès nombreuse escorte ou qu’il donne des ordres pour que j’aillele rejoindre sans tarder ! Enfin vous pouvez ajouter que jelui apporte des nouvelles de Mme l’amirale vonTreischke ! »

Sur cette déclaration, je me croisai les braset je me tus, comme quelqu’un qui n’a plus rien à dire et qui afait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir le malheur.

Cinq minutes plus tard, qui me parurent dessiècles, le hauptmann malhonnête revint et me dit qu’on allait meconduire à Zeebrugge en auto ; mais que je devais me laisserbander les yeux et que, si ma conduite cachait de mauvais desseins,il serait toujours temps de me fusiller avant la fin du jour.Charmante perspective, n’est-ce pas, pour un neutre ?… Je melaissai bander les yeux par un feldwebel qui entra, sur cesentrefaites et qui m’entraîna dehors en me tirant par lamanche !…

Ils auraient tout de même bien pu attendre,pour me poser ce bandeau, que je fusse dans l’auto, mais ces gensdevaient appliquer en brutes et à la lettre une consigne malcomprise. Enfin je fus dans l’auto et je sentis tout de suite quenous partions à vive allure. Le trajet ne fut pas long.

Mais ce qui fut long c’est l’attente dans unepetite cellule comme on voit dans les prisons et dans laquelle onm’avait enfermé, après m’avoir enlevé mon bandeau, sans me fournirla moindre explication.

Je passai là des heures !…

Vous dire, vous décrire mon état d’âme, marage impuissante, mon désespoir en songeant à ce qui allaitfatalement se passer à bord du Vengeursi l’Irlandaiss’emparait de l’amiral… je ne l’essayerai pas ! Vouscomprendrez seulement que j’avais atteint le paroxysme de tous cessentiments quand, enfin, ma porte s’ouvrit !

Apparut un jeune lieutenant de vaisseau, quisortit tranquillement un revolver de sa poche, le plaça sur unetablette, à sa portée, s’assit sur un escabeau et me dit :

« Nous sommes seuls. Personne ne vousentendra. Il faut me dire à moi ce que vous avez refusé de dire àtous et ce que vous diriez à l’amiral von Treischke !

– Impossible ! impossible !…m’écriai-je, mais vous n’avez donc pas dit à l’amiral que je luiapportais des nouvelles de sa femme ?…

– Qui donc êtes-vous ? me demandal’officier en me fixant terriblement.

– Eh ! monsieur, je suis de Renich, enLuxembourg, et je connais depuis mon enfance Mme l’amirale vonTreischke !

– Ah ! bah ! s’exclama l’autre… maisn’êtes-vous pas, ne seriez-vous pas ?…

– Je suis Carolus Herbert, toutsimplement !…

– Carolus !… Carolus Herbert deRenich !… Vous êtes Carolus Herbert de Renich, s’écria l’autrecomme un fou… Ah ! bien ! ah ! bien ! ah !bien !… »

Et il disparut, emportant son revolver.

J’étais encore tout stupéfait de l’émotion quej’avais déchaînée en prononçant simplement mon nom devantl’officier quand celui-ci revint :

« Monsieur, dit-il, je vais vous conduireauprès de l’amiral… je vais vous y conduire moi-même. On va vousremettre votre bandeau… Ne questionnez personne !… ne parlez àpersonne. »

Me revoilà en auto ! Enfin, je vais voirl’amiral et je puis espérer que je n’arriverai pas troptard !

Le moteur ronfle, le lieutenant de vaisseauest assis à côté de moi, je l’entends donner quelques ordres enallemand. Nous voici partis, où allons-nous ? Je croyais quenous serions au but en quelques minutes et voici certainement plusd’une heure que nous brûlons la route. J’ose poser une question àl’officier. Il me répond que nous ne serons pas arrivés avant lesoir !

« Mais alors, m’écriai-je, l’amiraln’était donc pas à Zeebrugge ?

– Non fit-il.

– Tant mieux ! plus loin il se trouverade Zeebrugge, mieux cela vaudra !… Maintenant, monsieur,j’aurais une question à vous poser : sait-on que nous allonsau devant de l’amiral, vous et moi ?

– Non, monsieur Herbert de Renich, nul ne saitcela et tout le monde croit l’amiral à Zeebrugge !

– Voici de bonnes paroles, monsieur, et qui merassurent tout à fait… Aussi je me permettrai de vous adresser unepetite requête… Je n’ai pas mangé depuis bien des heures, et sicela ne vous dérangeait pas de me procurer quelquenourriture… »

Il me passa aussitôt quelques sandwiches dontil s’était muni, et jusqu’au soir nous ne nous arrêtâmes que pourdonner quelques mots de passe et prendre quelque consigne.

Au soir seulement je pus enlever mon bandeau,et alors quelle ne fut pas ma stupéfaction en me trouvant en pleinLuxembourg !… Que signifiait ceci ?…

En plein Gutland !… En pleinGutland !… Voici les dernières maisons du Meingen et nouscourons vers Mondorf et, tout là-bas, se découpent sur le cielcrépusculaire les coteaux qui me cachent la Moselle… etRenich !…

Et Renich !… le pays de mon enfance et demon amour !… et de ma douleur !… Le pays où m’attend mamère… ou plutôt où elle ne m’attend pas !…

Mais qu’est-ce que nous allons faire àRenich ?…

… Et voici les premières maisons, les vieillesbâtisses toutes craquelées comme des aïeules, de mon cherRenich !…

Voici la maison de ma mère, avec ses plantesgrimpantes autour des croisées enchâssées de plomb ! Voici lapierre du seuil, usée par les générations de mes ancêtres(j’appartiens à une très vieille famille)… Voici la porte lourde,le marteau sonore !

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