L’Italien – Le Confessionnal des pénitents noirs

Chapitre 16

 

Elena, enlevée de la chapelle deSaint-Sébastien, fut mise sur un cheval et forcée par ses deuxravisseurs de voyager deux jours et deux nuits sans presque prendrede repos, ignorant où on la conduisait, par quels chemins ellepassait, et prêtant vainement l’oreille à tous les bruits dansl’espoir d’entendre des pas de chevaux ou la voix de Vivaldi qui,lui avait-on dit, devait suivre la même route. La solitude et lesilence des pays qu’elle traversait n’étaient troublés que par lepassage de quelques vignerons ; et elle arriva, sans savoir oùelle était, dans les vastes plaines des Pouilles, animées au loinpar un campement de bergers qui conduisaient leurs troupeaux versles montagnes des Abruzzes. Au soir du deuxième jour, les voyageursentrèrent dans une forêt qui recouvrait des montagnes et desvallées descendant par paliers jusqu’à l’Adriatique. À l’aspect deces lieux désolés et sauvages, Elena s’y crut confinée pourtoujours. Elle était calme ; mais sa tranquillité était del’abattement et non de la résignation. Elle envisageait le passé etl’avenir avec un désespoir que son épuisement ne lui permettaitplus d’exprimer. Surprise par la nuit, après une marche de quelquesmilles dans la forêt, ce ne fut qu’au bruit des vagues s’écrasantcontre les rochers qu’elle s’aperçut qu’elle était au bord de lamer, jusqu’à ce que, se trouvant entre deux montagnes, elledistinguât, malgré l’obscurité, une vaste étendue d’eau formant audessous d’elle une baie. Elle se hasarda alors à demander si elledevait s’embarquer et aller encore bien loin.

– Non, répondit brutalement un desgardes, vous n’avez plus loin à aller. Vous serez bientôt au termede votre voyage et en repos.

Ils descendirent vers le rivage ets’arrêtèrent bientôt devant une habitation isolée, si proche de lamer que le pied en était baigné par les flots. À l’obscuritéprofonde et au silence qui y régnaient, elle semblait inhabitée.Les gardes avaient sans doute leurs raisons pour en jugerautrement, car ils frappèrent à la porte et appelèrent de toutesleurs forces. Cependant personne ne répondait.

Elena examina la maison avec inquiétude,autant que l’obscurité le lui permettait. C’était une vieilleconstruction assez singulière. Les murs étaient de marbre brut,assez élevés, et flanqués de petites tourelles dans les angles. Lebâtiment était abandonné et délabré. Une moitié de la porte gisaità terre, presque cachée sous l’herbe ; et l’autre, à demisuspendue à ses gonds, paraissait prête à s’en détacher. Enfin, auxcris répétés des gardiens d’Elena, une voix forte répondit dudedans. La porte du vestibule s’ouvrit lentement et donna passage àun homme d’une mine pâle et décharnée, dont la physionomie portaitl’empreinte des passions les plus basses.

Elena frémit à sa vue. Du vestibule on la fitpasser dans une vieille salle toute nue et toute dégradée dont lahauteur s’élevait jusqu’au toit, puis dans une mauvaise chambre àpeine meublée et qui paraissait être celle de Spalatro – c’était làle nom que les gardes donnèrent à leur hôte.

Celui-ci jeta sur Elena un regard curieux,sournois, et fit quelques signes aux gardes. Puis il leur proposade s’asseoir en attendant qu’il leur eût fait cuire un peu depoisson pour leur souper. Elena comprit alors que c’était le maîtrede la maison et qu’il y demeurait seul. L’idée d’avoir été amenéelà, dans ce lieu isolé, au bord de la mer, pour être mise entre lesmains d’un pareil homme, la frappa d’une terreur profonde, surtoutquand elle se remémora toutes les circonstances de son enlèvementet ces paroles de ses gardes : « Vous serez bientôt auterme de votre voyage et en repos. » Un frisson d’horreur lasaisit et elle s’évanouit.

En reprenant ses sens, elle se vit entourée deces hommes à figures sinistres et fut tentée de se jeter à leurspieds pour implorer leur compassion ; mais, craignant de lesirriter en leur laissant deviner ses soupçons, elle se plaignitdoucement de la fatigue et demanda sa chambre.

Spalatro, prenant une lampe, la conduisit dansune pièce délabrée où il lui dit qu’elle passerait la nuit.

– Où donc est mon lit ?demanda-t-elle.

On lui montra un méchant grabat au-dessusduquel pendaient deux rideaux déguenillés.

– Si vous avez besoin de la lampe, ajoutaSpalatro, je vous la laisserai quelques minutes et je viendrai lareprendre.

– Eh quoi ? reprit-elle d’une voixsuppliante, vous ne me laisserez pas de lumière pendant lanuit ?

– Pourquoi faire ? dit-il avechumeur. Pour mettre le feu à la maison ?

Elena le pressa de nouveau de souffrir qu’elleconservât de la lumière ; ce serait pour elle uneconsolation.

– Ah ! oui, une belleconsolation ! reprit Spalatro d’un ton et d’un air singuliers.Vous ne savez guère ce que vous demandez.

– Qu’entendez-vous par-là ? s’écriaElena saisie d’une horrible inquiétude. Au nom du ciel,expliquez-vous !

L’homme la regarda sans lui répondre.

– Ayez pitié de moi ! dit Elena deplus en plus effrayée.

– Que craignez-vous ? reprit cethomme. Est-ce donc une chose si cruelle que de vous ôter cettelampe ?

Elena, n’osant laisser voir toute l’étendue deses soupçons, répondit seulement que la vue de la clarté ranimeraitses esprits abattus.

– Pardieu ! répliqua Spalatro, nousavons bien autre chose en tête que d’écouter de pareillesfantaisies ! Cette lampe est la seule de la maison, et lacompagnie m’attend en bas dans l’obscurité pendant que vous mefaites perdre mon temps. Je vous la laisse pour cinq minutes, pasdavantage.

Elena se soumit et profit du moment si courtoù elle restait seule pour explorer la chambre.

C’était une grande pièce sans meubles dont lesmurs étaient couverts de toiles d’araignée. Elle n’y aperçut qu’uneporte, celle par laquelle elle était entrée, et une fenêtre garniede barreaux de fer. Aucun moyen d’évasion. Elle s’assura en mêmetemps avec effroi que la porte ne pouvait pas se fermer du dedans.Cet examen fait, elle posa la lampe à terre et attendit le retourde Spalatro. Il revint quelques instants après, lui apportant unverre de mauvais vin et un morceau de pain ; puis il la laissadans l’obscurité et verrouilla la porte du dehors. Restée seule,elle essaya de calmer ses craintes par la prière et résolut deveiller toute la nuit. Elle se jeta tout habillée sur le matelaspour y attendre le jour et se livra bientôt aux réflexions les plussombres. Tout ce qui s’était passé les jours précédents et laconduite de ses gardiens ne lui laissaient plus de doute sur lesort qui l’attendait.

Le caractère connu de la marquise, l’aspect etl’isolement de cette maison, l’air farouche de l’homme quil’habitait, l’absence de toute personne de son sexe, autant decirconstances propres à lui persuader qu’on l’avait amenée là nonpour l’y garder prisonnière mais pour l’y faire mourir. Tout soncourage et sa résignation ne purent triompher du trouble et desterreurs dont elle était assaillie. Baignée de larmes, en proie àune agitation fébrile, elle appelait Vivaldi à son secours, Vivaldià présent si loin d’elle ! Et en même temps elles’écriait : « Je ne le verrai donc plus ! Je ne lereverrai jamais ! » Heureusement, elle était loin de sedouter qu’il fût dans les cachots de l’Inquisition !

La fraude dont on avait usé envers elle, enempruntant pour l’enlever le nom du Saint-Office, lui fit penserque l’arrestation de Vivaldi n’était aussi qu’un moyen imaginé parla marquise pour le faire arrêter et détenir en lieu sûr jusqu’à cequ’elle fût perdue pour lui. Elle se figurait qu’il avait étéconduit dans quelque château écarté, appartenant à sa famille, etque la liberté lui serait rendue au prix du sacrifice de cellequ’il aimait. Cette idée fut la seule qui apportât quelquesoulagement à ses douleurs.

Autant qu’elle put en juger, les gens d’en basveillèrent fort tard, car elle crut distinguer des sons de voixétouffés qui se mêlaient au mugissement des vagues déferlant contreles rochers sur lesquels était bâtie la maison. À chaque bruitd’une porte roulant sur ses gonds, elle croyait entendre monterquelqu’un. À la fin, elle pensa que tout le monde était endormi,car le bruit des flots troublait seul le silence de la nuit.Heureusement, elle ne savait pas que sa chambre avait une portesecrète, ménagée de façon à pouvoir s’ouvrir sans bruit, et parlaquelle un malfaiteur pouvait s’introduire à toute heure.

Persuadée que les hommes dans les mains de quielle était tombée se livraient au repos, elle reprit quelquecourage, mais sans pouvoir fermer l’œil. Quittant sa couche, ellese tint quelque temps auprès de la fenêtre, écoutant et guettanttous les bruits et toutes les ombres. La lune qui s’élevait surl’horizon éclairait la surface agitée de la mer. Elena contemplaitle mouvement des vagues écumeuses qui, après s’être brisées sur lerivage, se retiraient au loin vers la masse des eaux pour reveniravec la même furie, toujours acharnées et toujours impuissantes. Cespectacle de la nature donna quelque répit à ses sinistrespréoccupations ; et le murmure monotone des flots berçant sesrêveries, elle se laissa aller à une sorte de calme, réactionnaturelle après tant d’émotions, et se jeta de nouveau sur sonmatelas où la lassitude lui procura enfin quelques instants desommeil.

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