L’Italien – Le Confessionnal des pénitents noirs

Chapitre 4

 

Vivaldi, de retour à Naples, se dirigea versl’appartement de sa mère, pour lui poser quelques questions surSchedoni. Précisément, le confesseur se trouvait avec elle dans sonoratoire.

« Cet homme, se dit le jeune comte, mepoursuit comme mon mauvais génie ; mais avant qu’il sorted’ici je saurai si mes soupçons sont fondés. »

Tout absorbé par son entretien, le religieuxne l’avait pas vu entrer, ce qui permit à Vivaldi d’observer saphysionomie.

Le moine, en parlant, tenait les yeux baisséset ne laissait voir, dans ses traits immobiles, qu’uneinflexibilité de marbre. Au bruit que fit le jeune homme, leconfesseur leva la tête ; mais, en rencontrant le regard deVivaldi, il ne laissa paraître aucune émotion. Il se leva seulementpour lui rendre son salut avec une sorte de hauteur.

La marquise parut interdite à la vue de sonfils, et ses sourcils froncés prirent une expression sévère ;mais elle corrigea ce premier mouvement par un sourirecontraint.

Schedoni se rassit tranquillement et se mit àcauser de sujets indifférents avec l’aisance d’un homme du monde.Vivaldi se taisait, appliquant ses yeux et ses oreilles àrechercher la solution du problème qui occupait ses pensées. Lessons graves de la voix de Schedoni le firent douter que ce moinefût celui des ruines de Paluzzi ; et la différence de statureconfirma son incertitude, car la taille de Schedoni paraissait plushaute que celle de l’inconnu ; et, s’il y avait d’ailleursdans leur air quelque ressemblance, il était possible que l’habitdu même ordre, porté par les deux religieux, ajoutât à ladifficulté de les distinguer. Pour dissiper ces doutes, le jeunehomme se décida à poser quelques questions au confesseur, enétudiant l’expression de sa physionomie. Il prit occasion dequelques dessins de ruines qui ornaient l’oratoire de la marquise,pour parler de celles de la forteresse de Paluzzi, qui étaientdignes, disait-il, d’entrer dans la collection.

– Peut-être les avez-vous vues récemment,mon révérend père ? dit-il en fixant sur le moine un regardpénétrant.

– C’est un beau débris d’antiquités,répondit le confesseur impassible.

– Oui, continua Vivaldi sans le quitterdes yeux, cette voûte suspendue entre deux rochers, dont l’un estsurmonté d’une tour et l’autre ombragé par une forêt de pins et dechênes majestueux, est de l’effet le plus grandiose ; mais cetableau aurait besoin d’être animé par des figures, et j’imaginequ’un groupe de bandits, se jetant à l’improviste sur lesvoyageurs, qu’un religieux drapé dans sa robe noire, et sortanttout à coup des ténèbres de la voûte pour annoncer quelqueévénement sinistre, seraient fort pittoresques.

Tout ce discours ne sembla guère émouvoirSchedoni dont le visage ne reflétait qu’un grand calme.

– Voilà, dit-il, un tableau parfaitementordonné, et je ne puis qu’admirer votre bonne grâce à mettre sur lemême plan les brigands et les religieux.

– Excusez mon étourderie, reprit Vivaldi.Par le même plan, mon révérend père, on n’entend pas dire la mêmeligne.

– Oh ! je ne m’en offense pas, ditle moine avec un sourire sardonique.

Pendant cet échange de répliques, la marquiseavait été appelée au-dehors. Vivaldi en profita pour presser plusvivement son interlocuteur.

– Il me semble pourtant, reprit-il, quesi ces ruines ne sont pas fréquentées par des bandits, elles lesont du moins par des moines, car je n’ai guère passé par là sansen voir apparaître quelqu’un. Un surtout qui s’est montré etéclipsé si vite que j’ai été tenté de le prendre pour un êtresurnaturel.

– Le couvent des Pénitents Noirs n’estpas bien loin de là, dit le confesseur.

– Leur costume ressemble-t-il au vôtre,mon révérend ? demanda Vivaldi. Le religieux dont je parle m’aparu habillé à peu près comme vous. Il était, je crois, de la mêmetaille que vous et avait un peu votre air.

– C’est possible, répondit le confesseursans se départir de son calme. Pourtant les Pénitents Noirs sontrevêtus d’une espèce de sac, et la tête de mort qu’ils portent surleurs vêtements n’aurait sûrement pas échappé à vos observations.Il est donc probable que ce n’est pas un moine de ce couvent quevous aurez vu.

– Quoi qu’il en soit, répliqua Vivaldi,j’espère parvenir à le connaître mieux, et lui parler alors unlangage qu’il ne pourra guère feindre de ne pas entendre.

– Vous ferez bien, jeune homme, si vousavez à vous plaindre de lui.

Vivaldi, à ces mots, crut avoir démasqué sonennemi. Comment, en effet, Schedoni pouvait-il deviner qu’il avaitdes sujets de plainte contre l’homme des ruines ?

– Vous remarquerez, mon révérend père,reprit-il, que je ne vous ai pas dit que j’eusse été insulté ;si donc vous êtes instruit de ce fait, c’est par d’autres moyensque par mes propres paroles.

– Si ce ne sont vos paroles, répliquasèchement Schedoni, votre accent et vos regards s’expriment assezclairement, ce me semble. Tant de véhémence laisse supposer desmotifs d’irritation, je ne sais lesquels, réels ou imaginaires.

– C’est ce que vous n’avez pas à juger,mon révérend, répartit Vivaldi avec une certaine hauteur. Lesinjures dont j’ai à me plaindre ne sont que trop réelles, et jecrois connaître maintenant celui à qui j’ai le droit de lesimputer. Le donneur d’avis funestes et le délateur qui s’introduitdans le sein d’une famille, pour en troubler le repos par de lâchescalomnies, sont à mes yeux une seule et même personne.

Vivaldi, en prononçant ces mots avec unmélange de dignité et d’énergie, les adressa à Schedoni, en leregardant bien en face, comme s’il voulait l’en frapper au cœur.Soit conscience troublée, soit orgueil blessé, les yeux de Schedonibrillèrent d’un éclat sinistre, et le jeune homme crut un instantavoir devant lui un scélérat capable des plus noirs forfaits. Maisce ne fut qu’un éclair ; le religieux se remit aussitôt ;il ne lui restait plus que sa dureté de regard habituelle.

– Monsieur, dit-il à Vivaldi, quoique jene sache rien du motif de vos ressentiments, je ne puis medissimuler qu’ils semblent m’avoir pour objet. Votre intentionserait-elle donc de m’appliquer les propos outrageants dont vousvous êtes servi ?

– Je les applique, s’écria le jeune hommeavec emportement, aux auteurs des persécutions quej’éprouve !

– En ce cas, répondit Schedoni avec leplus grand calme, je n’ai point à m’en plaindre. Si vous n’élevezd’accusation que contre ceux qui vous ont fait souffrir, quelsqu’ils puissent être, ce n’est pas à moi de vous répondre.

La tranquillité du confesseur, alors qu’ilprononçait ces mots, désarma Vivaldi et le rendit à sesincertitudes. Était-il possible qu’un coupable pût conserver, aumoment même où on lui reprochait son crime, la dignité paisible quemontrait Schedoni ? Le jeune homme se condamna lui-même poursa précipitation aveugle et, non moins prompt dans le repentir quedans la colère, il s’empressa d’avouer sa faute. La franchise decet aveu eût touché un cœur généreux ; mais Schedonil’accueillit avec une feinte complaisance et un secret mépris. Ilne vit dans cette nature sincère, qui passait d’une extrémité àl’autre, que l’entraînement d’un jeune insensé, emporté au gré deses passions. Le sourire satisfait qui erra sur ses lèvres étaitcelui d’un homme désormais sûr de son ascendant. Le caractère deVivaldi se montrait tout entier à ses yeux ; il en découvraitle fort et le faible. Certain maintenant de pouvoir tourner àvolonté toutes les vertus du jeune homme contre celui-ci, iltriomphait à l’idée de se venger de l’outrage qu’il avait reçu,tandis que Vivaldi, dans son ingénuité, se reprochait d’avoirfaussement accusé un honnête homme. Telles étaient leursdispositions mutuelles quand la marquise, en rentrant, surprit dansla contenance de son fils quelques symptômes de l’agitation qu’iléprouvait. Elle lui en demanda la cause ; mais Vivaldi,honteux de sa conduite envers le moine, ne put prendre sur lui d’enfaire l’aveu à sa mère ; il balbutia une sorte d’excuse etsortit brusquement.

Schedoni, resté seul avec la marquise, selaissa arracher avec une feinte répugnance le récit de ce quis’était passé ; mais il se garda bien d’atténuer l’insultequ’il avait reçue ; il l’exagéra au contraire, en passant soussilence le repentir qui l’avait suivie ; puis il feignit deplaindre Vivaldi, en en rejetant la faute sur une violencenaturelle dont le jeune homme n’était pas maître.

– Son âge, dit-il, doit lui servird’excuse. Peut-être aussi est-il jaloux de l’amitié dont vousm’honorez ; sentiment bien pardonnable chez celui qui possèdeune mère telle que vous, madame.

– Vous êtes trop bon, mon père, réponditla marquise, dont la colère contre son fils croissait à mesure quel’artificieux conseiller affectait de le défendre. Il ne mérite pasl’excès d’indulgence dont vous couvrez ses offenses.

– Hélas ! reprit le confesseur, cesont de ces attaques auxquelles je devais m’attendre, dévoué commeje le suis aux intérêts de votre illustre famille ; mais jem’y résigne volontiers, si mes conseils peuvent servir à préserverl’honneur de votre maison en sauvant ce jeune homme inconsidéré dessuites de sa folie.

La conclusion de cet entretien, où la marquiseapportait le ressentiment de l’orgueil blessé et Schedoni les vuesintéressées d’un ambitieux, fut une entente définitive sur lesmesures à prendre pour sauver de lui-même, comme ils le disaient,ce malheureux jeune homme, sur qui les remontrances étaient restéessans effet.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer