L’Italien – Le Confessionnal des pénitents noirs

Chapitre 2

 

Vivaldi, n’ayant pas réussi à éclaircir lemystère des menaces du moine, résolut de se délivrer des tourmentsde l’incertitude, en déclarant ses sentiments à Elena. S’il avaitun rival, elle serait sans doute assez franche pour le lui dire. Ilse rendit de bonne heure à la villa Altieri. Ce fut avec peinequ’il obtint de Béatrice, la vieille servante, la faveur del’annoncer à la signora Bianchi. Celle-ci, peu disposée d’abord àle recevoir, consentit enfin à une courte entrevue.

Il fut introduit, en attendant la vieilledame, dans la même chambre où il avait un soir aperçu Elena, àtravers ses jalousies ouvertes.

Agité d’une vive impatience ou d’unenthousiasme plein de charme, il promenait tour à tour ses regardssur le prie-Dieu, d’où il avait vu Elena se lever, et sur tous lesobjets dont elle s’était entourée ; il semblait qu’ils eussentemprunté quelque chose de la douce influence qui rayonnait autourd’elle. Les mains de Vivaldi tremblaient en touchant le luthqu’elle avait tenu ; il croyait encore entendre la douce voixde la jeune fille. Il remarqua aussi un dessin ébauché, une nymphedansant, copiée des peintures d’Herculanum, modèle de grâce et delégèreté, et reconnut cette figure pour appartenir à une collectionde dessins du même genre qui ornaient le cabinet de son père, etque le marquis avait seul le droit de faire copier, en vertu d’unprivilège spécial du roi de Naples.

L’imagination de Vivaldi aidait ainsi à sesillusions, et peu à peu son trouble s’était tellement accru qu’ilfut tenté de quitter la maison.

Enfin, la signora parut. Elle le reçut avec unair de réserve très marqué qui redoubla son embarras ; etquelques moments se passèrent avant qu’il pût exposer l’objet de savisite. Elle écouta froidement et d’un visage sévère sesprotestations de tendresse ; et, lorsqu’il la pressad’intercéder pour lui auprès de sa nièce, elle lui répondit avecdignité :

– Je ne puis feindre d’ignorer laprévention trop naturelle de votre famille pour une alliance avecla mienne. Je sais quelle importance le marquis et la marquise deVivaldi attachent aux avantages de la naissance. Votre projet doitchoquer leurs idées, à moins toutefois qu’ils ne l’ignorent. Entout cas, je dois vous déclarer, monsieur le comte, que si ma nièceleur est inférieure par le rang qu’elle occupe dans le monde, ellen’a pas à un moindre degré qu’eux-mêmes le sentiment de sadignité.

Vivaldi, incapable de déguiser la vérité,avoua ingénument les dispositions de sa famille. Mais sa sincéritémême, et l’énergie d’une passion trop éloquente pour ne pascommander la sympathie, radoucirent la signora Bianchi. Et puiselle se voyait, par son âge et ses infirmités, suivant le cours dela nature, sur le point de laisser Elena orpheline, seule au monde,sans parents et sans amis. Si jeune quedeviendrait-elle ?…

Sa beauté et son peu de connaissance du mondel’exposaient à des dangers qui faisaient d’avance frémir la bonnedame. Une telle perspective pouvait justifier l’oubli de certainesconvenances qui, en d’autres circonstances, auraient ététoutes-puissantes sur elle. Devait-elle refuser d’assurer à sanièce la protection d’un homme d’honneur qui aspirait à être sonépoux… Et si sa délicatesse se révoltait à l’idée de faire entrerElena dans une famille qui la repoussait, sa tendresse et sasollicitude pour cette chère enfant n’atténuaient-elles pas, devantsa conscience, le blâme auquel elle s’exposait ?

Mais, avant de prendre une décision, elledevait s’assurer du degré de confiance que Vivaldi méritait. Pourl’éprouver, elle ne donna à ses espérances que de très faiblesencouragements et refusa absolument de lui laisser voir Elenajusqu’à ce que la réflexion l’eût amené à peser mûrement sesrésolutions. À toutes les questions qu’il lui posa pour découvrirs’il avait un rival, elle ne répondit que d’une manière évasive. Etquand le jeune homme prit congé d’elle, il se sentit à la vérité unpeu soulagé, mais il ignorait encore si sa jalousie était fondée etsi les sentiments d’Elena lui étaient favorables.

Il avait obtenu de la tante la permissiond’aller la revoir quelques jours après. En attendant cet heureuxmoment, le temps pesait à son impatience et il ne voyait qu’unmoyen de l’abréger : c’était de se rendre de nouveau à lavoûte mystérieuse et de rechercher les traces du moine ; maisle jour où il voulait mettre ce projet à exécution, il reçut unbillet de Bonarmo qui refusait décidément de l’accompagner danscette expédition hasardeuse et qui essayait même de l’en détourner.Ce ne fut pas dès lors aux ruines de Paluzzi qu’il songea à rendrevisite ; une force irrésistible l’entraînait à la villaAltieri. Il arriva au jardin plus tôt que les jours précédents.

Il y avait à peu près une heure que le soleilétait couché, mais l’horizon était encore bordé d’une bande d’or etla voûte céleste avait cette pure transparence particulière à ceclimat enchanteur. Au sud-est, le Vésuve découpait sa masse sur leciel d’un bleu sombre, mais le volcan se taisait.

Vivaldi n’entendait seulement que les cris dequelques lazzaroni qui jouaient ou se querellaient à peu dedistance du rivage. Bientôt il aperçut une lumière qui brillait auxcroisées d’un petit pavillon de l’orangerie et, cédant à l’espoirde revoir Elena, il s’avança de ce côté sans réfléchir àl’inconvenance d’une telle démarche, sans se dire qu’il étaitindiscret de poursuivre ainsi la jeune fille dans sa retraite etd’épier ses secrètes pensées. La tentation était trop forte. Arrivéprès du pavillon, il se plaça devant une jalousie ouverte, cachétoutefois par le feuillage d’un oranger. Elena était seule. Assise,dans une attitude rêveuse et mélancolique, elle tenait son luthsans en jouer. Sa physionomie et son regard voilé attestaient queson âme était en proie à un trouble profond. Se souvenant alorsque, dans une circonstance semblable, il avait cru l’entendreprononcer son nom, Vivaldi allait se découvrir et se jeter à sespieds, lorsque les sons du luth et de la voix d’Elena l’arrêtèrent.Elle chantait le premier couplet de la sérénade qu’il lui avaitadressée la nuit de la fête, et cela avec un goût et une expressionqui le ravirent. Elle fit une pause après ce premier couplet, et lejeune homme, entraîné par l’occasion, se mit à chanter le second.Son émotion faisait trembler sa voix, mais l’accent n’en était queplus pathétique.

Elena le reconnut bien vite ; elle rougitet pâlit tour à tour ; et avant la fin du couplet, le cœurpalpitant, respirant à peine, elle était prête à s’évanouir.Vivaldi cependant s’avança vers le pavillon. À son approche, ellefit effort pour se remettre et lui ordonna de se retirer ; etcomme le jeune homme continuait à se diriger vers elle, elle semblase disposer à fuir. Mais Vivaldi, d’un geste suppliant, implora unmoment d’entretien.

– C’est impossible, dit-elle d’une voixqu’elle s’efforçait de rendre ferme.

– Par grâce, reprit le jeune homme, ditesseulement que vous ne me haïssez pas ! Dites que ma hardiesse,quand j’ose ainsi me présenter devant vous, ne m’a pas fait perdretous mes titres à votre estime et à votre affection.

– Oubliez, dit Elena, oubliez ce que vousvenez d’entendre.

– L’oublier ? Ah ! ne l’espérezpas ! ce chant que vous répétiez n’est-il pas un écho dessentiments que vous m’avez inspirés ? Ah ! le souvenir dece doux moment sera, au contraire, l’éternelle consolation de masolitude et l’espérance qui soutiendra mon courage.

– Assez, dit-elle, je ne me pardonneraispas d’avoir prolongé un pareil entretien.

Malgré la sévérité qu’elle affectait, Elenalaissa tomber sur le jeune homme un regard et un sourire quidémentaient ses paroles. Vivaldi voulut lui exprimer sareconnaissance, mais elle avait quitté le pavillon et, comme ilessayait de la suivre dans le jardin, elle s’échappa à la faveur del’obscurité.

Dès ce moment, Vivaldi sembla vivre d’uneexistence toute nouvelle : le monde était devenu un vraiparadis, un séjour de délices et de félicité. Le doux sourired’Elena avait laissé une impression ineffaçable dans son cœur. Aumilieu des transports de sa joie, il défiait le sort de le rendremalheureux. Il revola plutôt qu’il ne retourna à Naples, sans pluss’occuper du fâcheux personnage dont il avait reçu lesavertissements. Il passa toute la nuit à se promener dans sonappartement. Le bonheur l’agitait comme avait fait le doutequelques jours auparavant. Il écrivit et déchira plusieurs lettres,craignant tantôt d’en avoir trop dit et tantôt de n’en dire pasassez.

Vers le matin, cependant, il en avait écritune dont il était plus satisfait, et il la remit à un domestique deconfiance pour la porter sur-le-champ à la villa Altieri ;mais à peine celui-ci était-il parti qu’il se rappela une foule dechoses qu’il avait omises et qui auraient bien mieux rendu sessentiments ; il eût voulu ravoir sa lettre à tout prix. À cemoment on l’avertit que son père le demandait. Vivaldi se renditprès de lui, cherchant ce que le marquis pouvait avoir à lui dire.Le doute ne fut pas long.

Le marquis prit la parole d’un ton plein dehauteur et de sévérité.

– Mon fils, dit-il, j’ai voulu vousentretenir d’un sujet de la plus grande importance pour votrebonheur et pour notre honneur à tous et, en même temps, vousfournir l’occasion de démentir un rapport qui me causerait beaucoupde peine si je pouvais y ajouter foi. Mais j’ai trop bonne opinionde mon fils pour admettre un instant ce qu’on m’a dit de lui ;j’ai même pris sur moi d’assurer que vous connaissiez trop bien vosdevoirs envers votre famille et envers vous-même pour vous laisserentraîner à une démarche déshonorante. Je ne veux donc aujourd’huique vous mettre à même de réfuter les calomnies dont vous êtesl’objet, et me voir autoriser par vous-même à détromper lespersonnes qui vous ont si mal jugé.

Vivaldi, qui attendait impatiemment la fin decet exorde, pria son père de l’instruire de l’accusation portéecontre lui.

– On m’a dit, reprit le marquis, qu’il ya non loin d’ici une jeune personne appelée Elena Rosalba.Connaissez-vous quelqu’un de ce nom ?

– Si je la connais ! s’écriaVivaldi. Mais excusez-moi, monsieur, ayez la bonté decontinuer.

Le marquis regarda son fils d’un airsévère.

– On assure, dit-il, que cette jeunepersonne est parvenue à vous séduire…

– Il est très vrai, monsieur, que lasignora Elena Rosalba m’a inspiré une tendre affection, mais ellen’a eu besoin de recourir à aucun effort ni à aucun artifice…

– Je ne veux pas être interrompu, repritle marquis. On assure, vous dis-je, qu’avec l’aide d’une parenteprès de laquelle elle vit, elle a manœuvré avec tant d’art qu’ellea su vous amener au rôle dégradant de son adorateur.

– La signora Rosalba m’a élevée aucontraire jusqu’à l’honneur de lui faire ma cour, répliqua Vivaldiincapable de se contenir plus longtemps.

Il allait continuer lorsque son pères’écria :

– Vous avouez donc votre folie ?

– Dites, monsieur, que je m’honore de monchoix.

– Jeune homme, je ne vois en vous qu’unenfant égaré par un enthousiasme romanesque, et je veux bien pourcette fois, mais pour cette fois seulement, vous pardonner.Reconnaissez votre erreur, abandonnez une maîtresse si peu digne devous.

– Monsieur !

– Abandonnez-la, vous dis-je, et, à cettecondition, je consens, car mon indulgence égale ma justice, jeconsens à lui accorder une petite rente, en réparation du dommageque sa réputation a souffert.

– Grand Dieu ! une pareilleproposition ! Elena ! l’honneur, l’innocencemême !

– On vous trompe, reprit le marquis, etje pourrais vous donner de sa mauvaise conduite telles preuves quiébranleraient votre confiance, si enthousiaste que vous soyez.

– Calomnies ! Indignescalomnies !

– Je vous plains, dit froidement lemarquis. Vous pouvez être de bonne foi, vous la croyez vertueusemalgré vos visites nocturnes chez elle ; mais supposons qu’ilen soit ainsi, comment effacerez-vous la tache que vos assiduitésont infligée à sa renommée ?

– En proclamant devant le monde entierqu’elle est digne de devenir ma femme ! s’écria Vivaldi, lesyeux étincelants de courage et de résolution.

– Votre femme ! dit le marquis, d’unaccent qui exprimait à la fois un profond dédain et une colèreinquiète. Si je vous croyais capable d’abjurer à ce point l’honneurde notre maison, je vous renoncerais à l’instant même pour monfils.

– Comment donc, reprit Vivaldi,oublierais-je ce qui est dû à ma famille, quand je ne fais quedéfendre les droits de l’innocence méconnue ?

– Je vous demanderai, moi, d’après quelprincipe de morale vous désobéissez à un père. Quelle est donc lavertu qui vous apprend à vous dégrader, vous et lesvôtres ?

– Il n’y a de dégradation que dans levice, monsieur ; et, dans certaines circonstances, c’est unevertu que de désobéir.

– Ce langage paradoxal et romanesque,reprit le marquis irrité, me révèle suffisamment où vous puisez vosinspirations et ce que je dois penser de la prétendue innocence decelle que vous défendez avec cette ardeur chevaleresque. C’estvous, monsieur, sachez-le bien, qui appartenez à votre famille etnon pas votre famille qui vous appartient ; vous avez à garderle dépôt de son honneur, et vous n’avez pas le droit de disposer devous-même. Je vous préviens que ma patience est à bout.

Vivaldi ne put entendre attaquer la vertud’Elena sans prendre de nouveau sa défense, mais ce fut avec leségards et la déférence d’un fils, quoique avec la dignité d’unhomme. Ils se séparèrent fort irrités l’un et l’autre ;Vivaldi ayant fait des efforts inutiles pour obtenir de son père lenom du dénonciateur d’Elena, et le marquis n’ayant pu arracher àson fils la promesse de ne plus la revoir.

Bien que le jeune homme eût prévu lemécontentement de son père, la scène qui venait d’avoir lieu, aprèstant de rêves de bonheur, lui avait causé une vivesouffrance ; mais l’injure faite au caractère d’Elenal’encourageait à persister dans son amour ; car, en supposantmême qu’il lui eût été possible de renoncer à elle, il se trouvaitmaintenant engagé d’honneur à la protéger. Cause involontaire desattaques dont elle était l’objet, c’était à lui d’en détruirel’effet. Sous l’empire de cette logique de la passion, il appliquases premiers soins à découvrir l’auteur des rapports parvenus à sonpère, et crut reconnaître son délateur dans le moine qui lui avaitparlé sur la route de la villa Altieri, quoiqu’il ne pût concilierce double rôle d’espion et de diffamateur avec la bienveillanceapparente des avis qu’il avait reçus.

Cependant le cœur d’Elena, partagé entrel’amour et la fierté, était loin d’être tranquille et, si elle eûtété instruite de la scène qui s’était passée entre le marquis etson fils, un juste sentiment de sa dignité l’eût décidée à étoufferune passion naissante ; mais la signora Bianchi, enl’instruisant du sujet de la dernière visite de Vivaldi, avait unpeu atténué les circonstances qui pouvaient la révolter. Elles’était contentée de lui avouer que les parents du jeune comte serésoudraient difficilement peut-être à approuver son union avec unepersonne d’un rang inférieur. Elena n’en fut pas moins choquée àl’idée d’entrer clandestinement dans cette noble famille ;mais la vieille dame, que ses infirmités croissantes engageaient àpresser les résolutions de sa nièce et qui avait lu dans le cœur decelle-ci, se promit de faire tous ses efforts pour vaincrecertaines réticences que l’amour l’aiderait d’ailleurs àébranler.

Vivaldi, le soir même de son entrevue avec sonpère, était retourné à la villa Altieri, non pas pour donner unesérénade mystérieuse à sa maîtresse, mais pour causer ouvertementavec la tante qui le reçut cette fois d’une manière plus affable.En voyant quelques nuages sur la physionomie du jeune homme, elleen attribua la cause à l’incertitude où il était sur lesdispositions d’Elena ; elle se hasarda à dissiper cetteinquiétude et à relever les espérances de Vivaldi, qui la quitta unpeu rassuré, quoiqu’il n’eût pu obtenir encore la faveur de voir lajeune fille.

À peine était-il de retour au palais, que lamarquise, malgré l’heure avancée, l’envoya chercher pour lui fairesubir une scène semblable à celle qu’il avait eue avec son père,avec cette différence toutefois qu’elle l’interrogea avec plusd’adresse et l’observa avec plus de sagacité. Vivaldi d’ailleurs neperdit pas un seul instant le respect qu’il devait à sa mère ;la marquise, de son côté, prit soin de ménager la passion de sonfils et montra moins de violence que le marquis dans sesremontrances et dans ses menaces. Modération facile à une femmeadroite qui avait déjà préparé les moyens d’entraver les projets deson fils.

Vivaldi ne connaissait pas assez le caractèrede sa mère pour savoir combien ses résolutions étaientredoutables ; il la quitta donc sans se laisser effrayer nidétourner de son but. Mais la marquise, désespérant de triompher àforce ouverte, avait pris pour auxiliaire un homme doué du genre detalents qu’il lui fallait, et dont elle connaissait à fond le génieet le caractère.

Il y avait alors chez les dominicains ducouvent de Spirito Santo, à Naples, un religieux appelé le pèreSchedoni. Sa famille était inconnue, et lui-même avait grand soin,en toute occasion, d’étendre sur son origine un voileimpénétrable ; il éludait avec beaucoup d’adresse toutes lesquestions que ses frères pouvaient lui poser à ce sujet. Onignorait jusqu’au lieu de sa naissance. Diverses circonstancesdonnaient cependant à penser qu’il était homme de condition etqu’il avait joui de quelque fortune. Son caractère, dont la hauteurperçait à travers l’humble costume de son ordre, trahissaitl’orgueil d’une ambition déçue plutôt que la fierté d’une âmegénéreuse. Ceux de ses frères à qui il avait inspiré quelqueintérêt supposaient que la singularité de ses manières, sa réserveaustère, son silence obstiné, étaient dus à des malheurs imméritésdont le souvenir révoltait encore un esprit aigri, tandis qued’autres ne voyaient dans cette manière d’être que l’effet d’uneconscience troublée par le remords de quelque grand crime.

Quelquefois, il se tenait plusieurs jours desuite à l’écart de toute société ou absorbé dans une méditationsilencieuse. On ne savait pas toujours en quel lieu il se retirait,quoique l’on eût coutume d’épier ses allées et venues. Jamais on nel’entendait se plaindre de rien ni de personne. Aucun des religieuxne l’aimait ; plusieurs éprouvaient de l’antipathie pour lui,et presque tous le craignaient. Son aspect, à la vérité, neprévenait pas en sa faveur. Il était fort maigre et de grandetaille ; lorsqu’il marchait enveloppé dans la robe noire deson ordre, il y avait dans son air je ne sais quoi de fantastiqueet de surnaturel ; l’ombre de son capuchon, projetée sur lapâleur livide de son visage, ajoutait à l’austérité de saphysionomie et donnait à ses grands yeux un caractère sombre dontl’effet approchait de l’horreur. On voyait sur ses traits uneexpression indéfinissable, c’était comme la trace de passionsautrefois ardentes et qui n’animaient plus ce visage de marbre. Sesyeux seuls étaient encore si perçants qu’ils semblaient pénétrerdans le tréfonds du cœur humain ; peu de personnes pouvaientsupporter ce regard d’aigle, et celui qui en avait subi l’effetévitait de le rencontrer une seconde fois. Ce moine pourtant,malgré son goût pour la retraite et les austérités, savait, àl’occasion, se plier avec une souplesse singulière à l’humeur etaux passions des personnes qu’il avait intérêt à se concilier, etil parvenait aussi à les dominer complètement.

Or, Schedoni était le confesseur et ledirecteur de conscience de la marquise de Vivaldi. Elle l’avaitconsulté dans le premier mouvement de sa vanité blessée, et l’avaitpris pour confident de son indignation. C’étaient deux naturesmerveilleusement assorties pour le mal. Le moine savait mettre uneextrême adresse au service de son ambition, et la marquise,jouissant d’un grand crédit à la cour, était résolue à toutsacrifier pour la défense de son orgueil de race. L’un convoitaitune riche récompense ; l’autre était prête à tout prodiguer àcelui qui l’aiderait à maintenir la dignité de sa maison. Poussésvers un même but par des passions diverses, ils concertèrent leurplan à l’insu du marquis lui-même.

Vivaldi, en sortant de la chambre de sa mère,avait rencontré Schedoni qui y entrait. Il n’ignorait pas que lemoine était le confesseur de la marquise, mais l’heure de cettevisite lui parut singulièrement choisie. Schedoni le salua avec unair de douceur affecté ; mais Vivaldi, frappé par son regardpénétrant, recula involontairement, comme s’il eût eu l’instinct ducomplot machiné contre lui.

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