L’Italien – Le Confessionnal des pénitents noirs

Chapitre 7

 

Vivaldi, ignorant tout de ce qui s’était passéà la villa Altieri, était encore sous le coup de l’impressionprofonde produite sur son esprit par les avis du moine, sonpersécuteur. Il persistait dans la résolution de faire les plusgrands efforts pour découvrir l’étrange personnage qui avait pris àtâche de surveiller ses pas et de troubler son repos. Il se décidadonc à se rendre vers minuit à la forteresse de Paluzzi, avec destorches, pour en parcourir les ruines. La difficulté principaleétait de trouver quelqu’un qui voulût bien l’y accompagner, carBonarmo persistait dans son refus. D’un autre côté, Vivaldi ne sesouciait pas de confier au premier venu les motifs de sonentreprise. Il finit donc par prendre le parti d’emmener Paolo, sondomestique.

Il était nuit close lorsqu’ils sortirent deNaples. Paolo était un vrai Napolitain, fin, curieux, adroit ;et Vivaldi, à qui plaisaient sa gaieté et son esprit original, luipermettait une liberté de parole et une familiarité peu communesentre un maître et un valet. En chemin, il lui apprit de sesaventures ce qu’il était nécessaire qu’il en sût pour tenir enhaleine sa curiosité et son zèle. Rieur et brave, Paolo étaitdégagé de toute superstition. Aussi, voyant que son maître n’étaitpas éloigné d’attribuer à une cause surnaturelle ce qui lui étaitarrivé dans les ruines de Paluzzi, se mit-il à plaisanter là-dessusà sa façon ; mais Vivaldi n’était pas d’humeur à le supporter.Son maintien devenait plus grave à mesure qu’il approchait de lavoûte. Occupé à se défendre des terreurs de l’imagination, ils’affermissait contre les dangers surhumains, sans prendre aucuneprécaution contre ceux dont les hommes pouvaient le menacer. Paolo,tout au contraire, n’était en peine que des ennemis en chair et enos ; et c’était de ceux-là qu’il songeait à se garantir. Commeil se récriait sur l’imprudence de Vivaldi à choisir la nuit pourse rendre à Paluzzi, son maître lui fit observer que c’étaitseulement la nuit qu’ils pourraient parvenir à découvrir le moine.Il ajouta qu’il fallait se garder d’allumer la torche, quirévélerait leur présence à l’inconnu ; mais Paolo objecta quedans l’obscurité celui-ci leur échapperait. Enfin ils prirent leparti de cacher la lumière dans le creux d’un rocher qui bordait laroute, de manière à l’avoir sous la main ; puis Vivaldi pritposition avec Paolo à ce même endroit de la voûte où déjà Bonarmoet lui s’étaient tenus en embuscade. À ce moment, ils entendirentsonner minuit à l’horloge d’un monastère éloigné. Cette clocherappela à Vivaldi que Schedoni lui avait parlé d’un couvent dePénitents Noirs qui se trouvait dans le voisinage de Paluzzi, et ildemanda à Paolo si c’était là l’horloge de ces religieux. Paolorépondit affirmativement, en ajoutant qu’un événement bien étrange,qu’on lui avait raconté, avait gravé dans son esprit le souvenir ducouvent Santa Maria del Pianto.

– Quel événement ? lui demanda sonmaître. Parle bas, de crainte que nous ne soyons découverts.

– Ah ! monsieur, répondit Paolo,l’histoire n’est connue que de peu de personnes, et j’ai promis lesecret.

– C’est différent, si tu as promis lesecret, je te défends de me la raconter.

– C’est-à-dire, j’ai promis le secret… àmoi-même ; mais, en votre faveur, je suis tout disposé à medégager…

– À la bonne heure. Parle donc en cecas.

– C’est pour vous obéir, monsieur. Voussaurez donc que c’était la veille de la Saint-Marc, il y a environsix ans.

– Paix ! dit Vivaldi, croyantentendre du bruit.

Ils prêtèrent l’oreille quelques instants,puis Paolo continua :

– C’était la veille de la Saint-Marc,après les derniers coups de la cloche du soir. Une personne…

Vivaldi l’arrêta encore. Pour le coup, ilavait entendu marcher près de lui.

– Vous venez trop tard, dit unevoix forte et stridente que Vivaldi reconnut pour celle du moine.Il y a plus d’une heure qu’elle est partie. Songez àvous !

Quoique frappé de ces paroles, dont ilcherchait le sens, Vivaldi s’élança du côté d’où venait la voix etessaya de saisir l’inconnu. Paolo tira au hasard un coup depistolet et courut à la torche.

– Monsieur, s’écria-t-il, il est montépar le petit escalier ; j’ai vu le bas de sa robe.

Arrivés au sommet de la terrasse qui dominaitla voûte, ils élevèrent la torche au-dessus de leurs têtes, enscrutant attentivement les alentours.

– Ne vois-tu rien ? demandaVivaldi.

– Monsieur, je crois avoir vu passerquelqu’un sous ces arcades, à gauche, au-delà du fort. Si c’est unesprit, il paraît ressembler beaucoup à nous autres mortels, par lesoin qu’il prend de faire mouvoir ses jambes aussi lestement qu’unlazzarone.

– Parle moins et observe mieuxinterrompit Vivaldi, en dirigeant la torche vers l’endroit quePaolo indiquait.

Tous deux s’avancèrent vers un rang d’arcadesattenant à un bâtiment de construction singulière, – le même danslequel Vivaldi était entré lors de sa première visite aux ruines,et d’où il était sorti avec tant de précipitation et d’effroi. Etcependant qu’ils regardaient autour d’eux avec attention :

– Monsieur, reprit Paolo, en dirigeant dudoigt l’attention de son maître, c’est par cette porte-là que j’aivu passer quelqu’un.

Vivaldi hésita un instant, les yeux fixés surl’édifice ; puis il se décida hardiment :

– Paolo, dit-il, si tu as le courage deme suivre, descendons cet escalier en silence et avec précaution.Si tu ne réponds pas de toi, j’irai seul.

– Il est trop tard, monsieur, pour meposer cette question. Si je n’étais résolu d’avance à vousaccompagner partout, je ne serai pas ici. Marchons.

Vivaldi tira son épée ; et tous deux,franchissant la porte, s’engagèrent dans un passage étroit dont ilsne voyaient pas le bout. Ils avançaient avec précaution, s’arrêtantde temps en temps pour écouter. Après quelques minutes de cettemarche silencieuse entre deux murailles resserrées, Paolo saisitson maître par le bras :

– Monsieur, lui dit-il à voix basse, nedistinguez-vous pas, là-bas dans l’obscurité, un homme…

Vivaldi, projetant la lumière en avant,aperçut confusément quelque chose de semblable à une figurehumaine, immobile à l’extrémité du passage ; son vêtementparaissait de couleur noire ; mais les ténèbres, dont cetteforme vague se détachait à peine, ne permettaient d’en discerneraucun trait. Ils pressèrent le pas ; mais arrivés à l’endroitoù la figure s’était montrée, ils ne trouvèrent plus rien. Ilsétaient alors au bord d’un petit escalier qui descendait à descaveaux souterrains. Vivaldi appela à grands cris, et n’entenditsous ces voûtes que l’écho de sa voix. Il descendit rapidement,toujours suivi de Paolo qui, à peine arrivé au bas, luidit :

– Le voilà, monsieur, je le voisencore ; il s’échappe par la porte qui est là-bas devantnous.

En effet, le bruit d’une porte roulant sur sesgonds se faisait entendre dans l’éloignement. Cette porte à peineouverte, se referme aussitôt. C’était bien, pensèrent-ils, la mêmefigure déjà entrevue qui s’enfuyait par là et qui craignait d’êtredécouverte. Vivaldi s’élance vers la porte mal fermée qui cède sousses efforts.

– Ah ! dit-il, pour cette fois tu nem’échapperas plus !

Mais entré dans la chambre, il n’y trouvapersonne. Il fit le tour des murs et les examina attentivement,ainsi que le sol, sans découvrir aucune issue par où un hommeaurait pu s’échapper. Il n’aperçut d’autre ouverture qu’une hautefenêtre, fermée par une forte grille, et si étroite qu’ellelaissait à peine passer un peu d’air.

Vivaldi demeura frappé d’étonnement.

– N’as-tu rien vu passer ?demanda-t-il à Paolo, qui était resté sur le seuil.

– Rien, répondit Paolo.

– Voilà qui est incompréhensible !Il y a là quelque chose de surnaturel !

– Mais, monsieur, dit Paolo, si c’étaitun esprit, pourquoi aurait-il peur de nous, qui avons peur delui ?… Pourquoi se serait-il enfui ?…

– Peut-être pour nous attirer dans unpiège. Approche la lumière, examinons encore.

Paolo obéit, mais ils eurent beau scruter lesparois et les frapper avec une attention minutieuse, ils ne purentdécouvrir aucune trace de passage ni de cachette.

Pendant qu’ils étaient occupés ainsi, la portese referma avec un fracas qui fit retentir la voûte. Vivaldi etPaolo restèrent un moment frappés de saisissement et seregardant ; puis ils se précipitèrent sur cette porte pourl’ouvrir. On peut se figurer leur consternation lorsqu’ils eurentreconnu l’inutilité de leurs efforts. Elle était d’une grandeépaisseur, garnie de fortes lames de fer, comme une porte deprison, et l’aspect de la chambre où ils étaient renfermésindiquait assez qu’elle avait servi à cet usage.

– Ah ! monsieur, s’écria Paolo, sic’est un être spirituel qui nous a amenés jusqu’ici, nous ne lesommes guère, nous, de nous être laissés prendre à son piège.

– Trêve de sottes réflexions, ditVivaldi, et aide-moi à chercher les moyens de sortir d’ici.

Ils se mirent encore à examiner la pièce oùils se trouvaient. Dans un coin, à terre, ils découvrirent alors unobjet qui leur révéla le sort probable de quelque malheureuxenfermé avant eux dans ce réduit, c’étaient des vêtements souillésde sang. À cette vue, un terrible pressentiment de leur destinéeles retint immobiles, les yeux fixés en terre. Vivaldi, revenu àlui le premier, souleva les vêtements avec la pointe de son épée etdistingua une robe noire avec un scapulaire.

– Ah ! monsieur, s’écria Paolo,c’est le costume qui a servi à déguiser le démon qui nous aconduits jusqu’ici. C’est un drap mortuaire pour nous, dans cetombeau où nous sommes ensevelis.

– Pas encore ! dit Vivaldi, dont ledésespoir sembla doubler l’énergie.

Et il se mit à faire de nouveaux efforts pourébranler la porte, mais il n’y put parvenir. Puis il hissa Paolojusqu’à la fenêtre grillée contre laquelle celui-ci usa inutilementses forces. Ils crièrent l’un et l’autre sans plus de succès. Enfinlassés de leurs vaines tentatives, ils y renoncèrent et selaissèrent tomber à terre, découragés. Vivaldi, s’abandonnant alorsaux plus désolantes pensées, se rappela les dernières paroles dumoine et, son esprit exalté les interprétant dans le sens le plusterrible, il y vit en style figuré l’annonce de la mort d’Elena quiprécédait de bien peu la sienne : « Vous venez troptard ! Il y a une heure qu’elle est partie ! Songez àvous ! » avait dit l’apparition. Cette idée subitechassa de son esprit tout sentiment de crainte pour lui-même. Il seleva et se mit à marcher à grands pas, confirmé dans ses affreusesappréhensions par le souvenir des premières prédictions du moinequi lui avait annoncé la mort de la signora Bianchi. En vain Paolo,oubliant pour un instant sa propre situation, s’efforçait de lecalmer ; Vivaldi n’écoutait ni n’entendait rien. Cependant,Paolo ayant prononcé par hasard le nom du Couvent de Santa Mariadel Pianto, l’idée que le moine qui lui avait parlé d’Elena avaitpeut-être quelque relation avec ce monastère voisin éveillavivement son intérêt et, pour confirmer ou non cette supposition,il demanda à Paolo la suite du récit qu’il avait commencé. Celui-ciobéit, non sans quelque répugnance, et reprit en baissant lavoix :

– C’était la veille de la Saint-Marc, etjuste au moment où sonnait l’Angélus du soir. Vous n’êtes peut-êtrejamais entré, monsieur, dans l’église de Santa Maria delPianto ; c’est bien l’église gothique la plus sombre que l’onait jamais vue. Dans un des bas-côtés, il y a un confessionnal. Àcette heure, dis-je, un homme, si bien enveloppé dans un longmanteau qu’on ne pouvait rien voir de sa taille ni de sa figure,vint s’agenouiller à ce confessionnal. Au surplus, eût-il été vêtuavec autant d’élégance que vous, monsieur, personne ne s’en seraitdouté ; car cette partie de l’église, n’étant éclairée que parla lampe suspendue à son extrémité, était presque aussi obscure quela chambre où nous sommes. Sans doute cette obscurité est-elleménagée pour que les pénitents ne rougissent pas visiblement despéchés dont ils se confessent.

– Continue, dit Vivaldi avecimpatience.

– Oui, monsieur… Mais je ne sais plus oùj’en étais… ah ! oui, au pied du confessionnal. Donc,l’inconnu, agenouillé devant la petite grille, poussait de telsgémissements à l’oreille du confesseur qu’on les entendait àl’autre bout de l’église. Vous saurez, monsieur, que les religieuxde Santa Maria del Pianto sont de l’ordre des Pénitents Noirs etque les gens qui ont de gros péchés sur la conscience viennent làde très loin pour se confesser au grand pénitencier, le pèreAnsaldo, qui demeure dans le couvent. Or, c’était lui qui écoutaitl’inconnu. Il le reprit doucement pour l’éclat qu’il faisait ets’efforça de le consoler. L’homme, s’apaisant un peu, reprit saconfession. Je ne sais ce qu’il dit au père Ansaldo, mais ce devaitêtre quelque chose de bien étrange et de bien horrible, car tout àcoup le grand pénitencier quitta le confessionnal et, avant d’avoirpu regagner sa cellule, il tomba en convulsions et s’évanouit.Quand il fut revenu à lui, il demanda à ceux qui l’entouraient siun pénitent qui s’était présenté à son confessionnal était encoredans l’église et, dans ce cas, il donna ordre de l’arrêter. Un desreligieux se rappela qu’en traversant l’église pour aller ausecours du père Ansaldo, il avait vu un homme passer vivement prèsde lui ; cet homme était de grande taille, vêtu d’une robe demoine blanc, et se dirigeait vers la porte extérieure de l’église.Le père Ansaldo pensa que c’était son pénitent. On envoya chercherle frère portier, mais celui-ci n’avait vu personne vêtu de lafaçon qu’on lui décrivait ; de plus, il n’était entré, dit-il,de toute l’après-dînée, aucun religieux vêtu de blanc. Dès lors,tous les pères supposèrent que l’inconnu devait se trouver encoredans l’enceinte du couvent où il s’était sans doute glissé parsurprise. Mais toutes les recherches furent inutiles.

– Oh ! ce devait être monmoine ! dit Vivaldi, malgré la différence du froc. Car il n’yen a pas deux au monde qui puissent s’échapper simiraculeusement.

À ce moment, leur entretien fut interrompu pardes sons étouffés qui parurent à leur imagination troublée lesgémissements d’une personne près d’expirer. Ils écoutèrent… Lebruit cessa…

– Bah ! fit Paolo, ce n’est que lebruit du vent.

Et reprenant son récit :

– Depuis l’époque de cette étrangeconfession, dit-il, le père Ansaldo se montra tout différent de cequ’il était, et sa tête faiblit…

– Le crime entendu en confessionl’intéressait donc ? interrompit Vivaldi.

– Je n’ai rien ouï dire de pareil,répondit Paolo, et même quelques circonstances qui suivirentsemblent prouver le contraire. Un mois environ après cet événement,un jour qu’il faisait une chaleur étouffante et que les moinessortaient de l’office…

– Chut ! dit Vivaldi, n’entends-jepas parler à voix basse ?…

Ils prêtèrent l’oreille et distinguèrent eneffet des voix humaines, mais sans pouvoir définir si ellesvenaient de quelque pièce voisine ou d’un étage supérieur. Dans lasituation où ils se trouvaient, il ne leur restait plus rien àcraindre ; aussi se mirent-ils à crier de toutes leursforces ; mais on ne leur répondit pas, et les voix cessèrentde se faire entendre. Épuisés par leurs efforts, ils se laissèrenttomber à terre, renonçant à toute autre tentative jusqu’au retourde la clarté du jour. Vivaldi ne se souciait guère de la suite durécit de Paolo depuis qu’il n’y voyait aucun rapport avec le sortd’Elena ; et le valet, de son côté, s’étant enroué à force decrier, n’était pas disposé à rompre le silence.

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